
On ne le sait que trop : malheureusement, l’erreur est humaine. L’histoire de Carnavale ne manque pas d’exemples tragiques survenus dans ses laboratoires de biotechnologies et c’est un miracle (ou la faveur du désintérêt de la communauté internationale pour les exactions de la Principauté) si aucune catastrophe majeure n’a encore eu lieu. Mathildegarde de Bunsen, conseillère scientifique au bureau de prévention contre les menaces bactério-chimiques des Laboratoires Dalyoha, dresse un constat froid mais accablant quant aux risques inhérents liés à la manipulation d’agents virologiques, bactériologiques et chimiques de synthèses à forte volatilité et ou viralité.
« Les incidents provoquant des expositions potentielles à des agents pathogènes se produisent fréquemment dans les laboratoires de haute sécurité, fort de plus d’un siècle d’expérience les Laboratoires Dalyoha ont accepté l’idée dérangeante mais nécessaire que des accidents auront lieu malgré tous les efforts de préparation et de formation aux risques de leur personnel. La sécurité de la Principauté – et du monde – tient en notre capacité à sécuriser très rapidement les lieux contaminés, quitte à assumer d’isoler voire de sacrifier les médecins et chercheurs exposés aux agents dangereux. »
Paradoxalement, Carnavale est très certainement l’un des lieux les plus sécurisé au monde de ce point de vue, malgré que ses Laboratoires produisent, et de loin, les agents les plus dangereux du monde. Forte d’un siècle d’expérience en matière de confinement et de R&D sur les armes biochimiques, la Principauté a eu le temps d’apprendre de ses erreurs au fur et à mesure qu’elle montait en gamme et en dangerosité. Un luxe que n’ont pas les dernières arrivés dans la course de la recherche qui doivent trancher entre renoncer à la manipulation des agents les plus dangereux, le temps de perfectionner leurs protocoles de sécurité, ou prendre le risque de s’insérer dans la course tout en sachant que les premiers ratés produiront des catastrophes potentiellement gravissimes.
Par observation extérieure, les laboratoires étrangers qui s’essayent à la créations de chimères par des procédés de gain de fonction – exemplairement les récemment fondés centres de recherche sur les armes chimiques du Faravan – constituent une indéniable source de risque. La simple mention de l’amateurisme des afaréens ne saurait d’ailleurs résumer le périmètre de ces risques. Plus dangereux est en vérité « l’esprit » dans lequel ont été fondés ces laboratoires de recherche puisqu’ils sont une réponse à l’attaque d’Estham par Carnavale. L’ampleur des destructions survenues dans la capitale de l’Empire du Nord aura en effet motivé certains gouvernement à se doter de leur propre force de destruction chimique, croyant certainement équilibrer la terreur qu’inspire désormais la Principauté à ses ennemis.
Cet empressement est inquiétant. Le double facteur de panique et de précipitation, en l’absence de toute historique de développement de telles armes au Faravan, fait craindre que des erreurs soient commises, précipitées par les pressions d’un agendas davantage politique que scientifique. Une culture scientifique ne se fabrique pas en un jour et si l’OND brille assurément par ses compétences militaires, son impréparation terrible à Carnavale démontre une fois de plus une sorte de naïveté vis-à-vis des menaces bactério-chimiques. Or celle-ci ne peut et ne doit pas être abordée comme une menace traditionnelle puisqu’il s’agit d’une des seules armes menaçant, jusqu’au dernier moment, davantage son propre territoire que celui de l’ennemi. Le développement et la conservation de telles armes doit donc faire l’objet d’une sécurité bien plus minutieuse et de davantage de prudence que pour n’importe quel type d’explosifs ou d’armes conventionnelles.
La menace d’une catastrophe bactériochimique est destinée à s’accroître à mesure que se multiplieront les laboratoires poursuivant ce genre de recherche. D’après les travaux menés par Mathildegarde de Bunsen, les données statistiques provenant de plusieurs sources, à la fois internes à Carnavale et internationales, ont montré que l’erreur humaine avait été la cause de 69% et 79% des incidents conduisant à des expositions potentielles dans les laboratoires de recherche bactériochimique. Les 20 à 30 autres pourcents proviennent de défaut de matériel ou d’accidents de livraison, lors du transport des agents pas convois.
Mathildegarde de Bunsen catégorise les erreurs humaines dans une qualification en trois échelles, hiérarchisées par leur fréquence (et donc leur probabilité de subvenir) et leur dangerosité. Cette classification a permis aux Laboratoires de mieux comprendre leurs erreurs passées et d’adapter leurs protocoles de sécurité interne et de confinement de sorte à répondre efficacement à chaque type de menace.
Les erreurs humaines les plus fréquentes sont celles qui trouvent leurs origines dans une défaut d’habilité lors de la manipulation des agents ou des produits entrant dans leur compositions. Ce sont des erreurs liées à des compétences motrices impliquant peu de réflexion, liées soit à la maladresse du personnel, à des spasmes musculaires, crispation involontaire des membres, éternuement, liées à un sol glissant, etc. Le cas du chercheur Victorage Bleuséant qui fit un AVC alors qu’il manipulait des bombonnes de VX n’a heureusement pas conduit à un accident, mais est un exemple de l’imprévisibilité fondamentale du facteur humain.
Le deuxième type d’erreurs humaines est celles basées sur une mauvaise compréhension ou applications des règles de sécurité. Celles-ci sont de deux natures : pré-accidentelles ou post-accidentelles. En matière d’erreurs pré-accidentelles, citons le mauvais suivi des instructions officielles, les erreurs dans la mise en place des protocoles, des procédures incomplètes ou réalisées approximativement, dans le mauvais ordre, etc. La plupart de ces erreurs surviennent au moment de la mise en place des expériences – et provoquent donc l’accident – mais certaines arrivent après, en cas de mauvaise réactions à celles-ci. Par exemple : non suivi des protocoles de confinement et de quarantaine, erreurs dans les étapes de l’isolement, empathie excessive et volonté de sauver un maximum de monde exposant le laboratoire à des fuites.
On peut ajouter également les erreurs – plus rares – intentionnelles de la part des personnels. Plus rares elles peuvent soit être le fait d’une opération clandestine extérieure – très rare considérant les mesures de sécurité mises en place par les renseignements intérieurs lors du recrutement de leurs personnels (exemple : refus des bi nationaux, examen approfondis des antécédents psychiatriques et familiaux, etc.). Une crise de démence n’est toutefois jamais à exclure, de la même façon qu’une infiltration entamée de longues dates. Les personnels en contact avec des agents de mort, destinés à supprimer des milliers (millions ?) de vie sont plus susceptibles de faire face à des doutes et des crises existentielles. Les Laboratoires Dalyoha privilégient la psychopathie ou la sociopathie chez les chercheurs qu’ils recrutent mais le risque n’est jamais nul. De la même façon, il arrive fréquemment que des scientifiques ayant des tendances narcissiques soient pris d’un syndrome de dieu et se représentent comme la grande faucheuse incarnée sur terre. Des fiches de prévention sont mises à disposition des personnes pour détecter les premiers symptômes chez eux ou chez leurs collègues afin de les signaler. Un suivi psychologique et psychiatrique continu est également un prérequis minimal.
Enfin, le troisième type d’erreur humaine sont celles basées sur un défaut de connaissances. Des personnels mal formés, faisant preuve d’un savoir approximatif vis-à-vis des agents qu’ils manipulent et des menaces que celles-ci représentent, ignorant les effets réactifs de certains mélangent chimiques, ou faisant preuve d’un mauvais jugement basé sur un manque d’expérience. La formation dispensée à Bourg-Léon sur plus d’une décennie pallie en partie le manque d’expérience des personnels, triés sur le volet au sein de leurs promotions à la fois pour leur rigueur, leur intelligence, mais également pour certains traits psychiatriques recherchés tels que la psychopathie, la sociopathie et l’absence plus générale de moralité.
Le manque d’expérience des personnels est sans aucun doute le facteur de risque auquel s’exposent le plus les nations qui se sont engagées récemment dans la recherche sur les armes bactério-chimiques puisque seul le temps leur permettra d’acquérir ou de former un personnel qualifié, compétent, capable de recul et du sang-froid nécessaire pour faire face aux crises qui surviendront nécessairement un jour ou l’autre.
Mathildegarde de Bunsen donne quelques exemples d’incidents répertoriés : piqûres d’aiguilles, de harpon en cas de recherche sur la faune marine, de scie sauteuse, de rouet féerique, et d’autres expositions cutanées à des objets tranchants. Des boîtes, des futs ou des conteneurs peuvent tomber ou se déverser sur le sol et sur les personnels. Lors de la manipulation des flacons et éprouvettes ou à l’occasion des mélanges, des éclaboussures de liquides contenant des agents pathogènes sont fréquentes. Les agents travaillant en zooingénieurie s’exposent à des morsures ou des égratignures d’animaux infectés (l’exemple célèbre d’Ulysidore Brame ayant développé une scepticémie mortelle après être tombé dans une fausse remplie de dragons de Morakhan génétiquement modifiés). A cause d’erreurs ou dans l’urgence de la nécessité des agents pathogènes sont parfois amenés à être manipulés à l’extérieur d’une enceinte de biosécurité, sans tenues ou protections adéquates conçues pour faire face à la menace d’aérosols infectieux. Il arrive parfois que des micro-trous aient lieu dans les tenus de protection, surtout lorsque ceux qui les portent procèdent à des chirurgies ou des manipulations impliquant des outils susceptibles de les perforer. Mathildegarde de Bunsen pointe également du doigt les expositions potentielles en cas de non-respect des procédures de sécurité ou des écarts par rapport aux procédures d’exploitation standard du laboratoire, des pannes mécaniques ou de l’équipement, ou du matériel de laboratoire défectueux. Le fait que les personnels manipulent des outils et des substances agressives renforcent d’autant plus l’usure des outils et des lieux : un laboratoire répondant à la perfection à tous les critères de sécurité au moment de sa mise en usage peut parfaitement ne plus être aux normes quelques années plus tard, soit en raison de sa détérioration dans le temps, soit parce les agents manipulés ont évolués en dangerosité et en agressivité.
Mathildegarde de Bunsen ajoute à sa propre classification une catégorie d’erreurs supplémentaire qui surviennent lors du déplacement d’un agent d’un laboratoire à un autre. Tous les laboratoires ne possèdent en effet pas le même niveau de sécurité et il arrive qu’un agent dangereux qu’on pensait inactivé soit déplacé dans un laboratoire dont la sécurité est inférieure ou inadaptée au type de menace. Les Laboratoires Dalyoha ont dû faire face à des dizaines d’incidents de ce type au cours de son histoire, on pense par exemple à l’envoi par erreur d’un Bacillus anthracis vivant, la bactérie responsable de l’anthrax, à des laboratoires d’un niveau de biosécurité inférieur en 1967. Croyant l’agent pathogène endormi, une trentaine de chercheurs ont été exposés directement à celui-ci et plus d’une centaine de personnes indirectement. Les Laboratoires ont mis en place une procédure de quarantaine immédiate et contenu la menace au prix de sept morts. On pense avec effroi aux conséquences que pourrait avoir un accident similaire avec des agents infiniment plus dangereux tels que le PROMETHEE. Un autre incident que l’on enseigne aujourd’hui à l’Académie est celui où deux chercheurs, Léonadrien Ventmoite et Julubert de Rougemoignon ont été exposés à des échantillons de Gentilvirus 11, provoquant un sévère syndrome de disfonctionnement des voies respiratoires, qui n’avaient pas été complètement inactivés. Les chercheurs ont ensuite transmis le Gentilvirus à d’autres personnes, incluant leurs familles, ce qui a conduit à la mise en quarantaine complète du quartier des météores entraînant près de trois mille infections et cinq cents décès.
Mathildegarde de Bunsen produit une liste exhaustive des fuites de confinement et catastrophes répertoriées à Carnavale et dans le monde, dressant un tableau inquiétant des manquements de sécurité à échelle internationale. Les statistiques tendent à dresser la probabilité de libération d’un élément pathogène virulent à partir d’un laboratoire à environ 15 à 20% selon les virus concernés.
Naturellement, il n’est pas question de faire un procès d’intention aux laboratoires du Faravan tant on a encore peu d’informations sur leurs projets de fabrication d’armes chimiques. Il est d’ailleurs parfaitement possible que ces ambitions n’aient été qu’un effet d’annonce de la part du gouvernement en réponse à la menace carnavalaise. Cependant l’examen attentif du marché de l’emploi des chercheurs possédant une réelle expertise dans le domaine de la biochimie militaire laisse à penser que le Faravan a bel et bien tenté de démarcher des personnels. La mobilisation des réseaux d’alumnis de l’Académie Princière de Médecine et de Biologie du Vale et nos contacts sur le marché (où les Laboratoires Dalyoha sont pour ainsi dire omniprésents) confirment nos suspicions. Un rapport d’expertise réalisé en interne estime très probable qu’une catastrophe biochimique ait lieu au Faravan dans les prochaines années. Ce même rapport souligne également la possibilité, si la guerre opposant Carnavale et l’OND se poursuivait, de provoquer nous-mêmes ce type d’incident. Rappelons que les Laboratoires Dalyoha sont à l’origine de la majeure partie des brevets modernes dans le domaine biochimique, n’étant concurrencés que par le Drovolski dont les recherches ont davantage une application civile, et par le Lofoten dont le démantèlement a laissé la place vacante à Bourg-Léon.
Une manipulation subtile des informations accessibles au grand public pourrait entraîner le Faravan vers une fausse piste, en camouflant ou tronquant volontairement certaines des découvertes les plus récentes des Laboratoires de sorte à provoquer indirectement un incident chimique chez nos ennemis. Toutes les mises en garde évoquées par Mathildegarde de Bunsen sont exploitables à cette fin et pourraient conduire soit à la mort de leurs équipes – retardant la constitution d’un pool de chercheur compétents avant plusieurs années – soit à un retournement de l’opinion publique au Faravan en défaveur de la recherche dans ces domaines.
L’examen satellite des sites présumés de recherche, l’étude IA des flux de composés chimiques de synthèses laissent entrevoir de possibles manquements aux règles de sécurité dans ces laboratoires que la Principauté de Carnavale pourrait exploiter à des fins militaires.