

Ça y est. C’est fait. Je suis un fantôme.
Ils m’ont coupé la langue. Pas avec une lame. Avec du silence.
Mon ardoise, confisquée. Mon stylo, je le garde, mais à quoi bon ?
Je pourrais gribouiller sur les murs de la cabane comme un gosse.
Personne ne regarderait. J’ai juste ce morceau de scorie qui me hante et que j’ai pu garder aussi.
On m’a imposé un gardien, “Sêlya”.
Il se tient près de la porte, immobile, à faire tourner cette putain de croix en bois entre ses doigts.
Il a des muscles sous sa tunique, ce petit con serein.
Il me regarde sans me voir, comme si j’étais un caillou qui devait apprendre à prier.
C’est l’incarnation de la patience.
Un gâchis d'énergie humaine, de la main-d’œuvre non productive, juste pour surveiller ma gueule.
Je le méprise.
La colère. Elle bout. Elle veut casser des choses.
Je veux hurler. Je veux rentrer.
Puis, quelques heures plus tard, “Shîrâ” est arrivée.
Elle n'avait pas l'air d'une geôlière.
Un peu plus jeune que moi, d’un roux resplendissant et d’une féminité naturelle.
Elle fait partie de la famille du vieux, ça se voit et c’est lui qui me l’a assignée.
La même autorité tranquille.
Elle a posé une petite ardoise, et un bâton de craie, sur la table de pierre.
Elle a dit un mot. « Lishana. » La langue.
J’ai détourné la tête. J’ai serré les poings.
Allez vous faire foutre. Je ne suis pas votre singe savant.
Surtout que vous m’avez enlevé l’ardoise mais elle revient avec une.
Elle n’a pas insisté.
Elle a attendu. Le silence, encore.
Un silence qui appuie, qui écrase. Puis, elle s’est levée.
Elle a regardé Sêlya, un signe de tête.
Elle s’est dirigée vers la porte et m’a fait signe de la suivre.
Où ? Pour quoi faire ?
Ma curiosité de merde a été plus forte que ma rage.
Je me suis levé.
Sêlya s’est mis en mouvement derrière moi, une ombre silencieuse.
Dehors. L’air. La lumière du jour.
Ça m’a frappé comme une gifle.
Je respire un peu mieux.
Shîrâ marche, sans se retourner.
Elle ne me conduit pas vers une salle de classe.
Elle m’emmène sur un chemin de terre, qui monte vers les collines.
C’est ça, la leçon ? Une promenade ?
Je regarde autour. Je sors mon carnet.
Mon réflexe. Mon arme.
Shîrâ jette un œil en arrière, voit le carnet, et dit rien.
Elle laisse faire. Alors j’écris.
Je note ce que je vois. Par défi. Parce que c’est tout ce qui me reste.
Ils ne m’ont pas jeté dans un cachot. Ils m’ont mis en quarantaine. Avec deux anges gardiens. Une qui sait tout de moi, un autre qui prie pour mon âme.
Je suis l’ingénieur sans voix. Le problème à résoudre. Leur nouveau projet communautaire. Mon Qurbana, c’est de me laisser transformer. Et je déteste ça.