13/11/2017
05:54:36
Index du forum Continents Eurysie Estalie

De l'Anarchisme Renouvelé - principes dialectiques de l'husakisme

Voir fiche pays Voir sur la carte
De l'Anarchisme Renouvelé de Pyotr Husak.


  • Disclaimer : Ce topic a pour rôle de présenter plus sérieusement et de manière explicite les principes de base de l'Anarchisme Renouvelé, aussi appelé familièrement dans la scène politique estalienne "l'husakisme". Etant donné que c'est de la théorie politique et cela nécessite énormément de développements, les posts publiés ici seront certainement revus et réécris au fur à mesure du temps afin de complexifier les raisonnements suivis, donner plus de sources, s'appuyer sur davantage d'auteurs et d'écrits, etc. Je ne suis pas spécialement très doué à ce type d'exercices donc il risque d'y avoir des imprécisions, des choses inachevées ou des raisonnements simplistes qui viendront au fil de l'écriture, alors ne prenez pas tout au pied de la lettre. Si vous souhaitez utiliser des extraits idéologiques présentés dans ce topic, à des fins d'appropriation ou à des fins critiques ou de propagande, demandez moi quand même si l'extrait que vous prenez est sujet à réécriture, à réinterprétation, etc. car il est probable que j'explique mal, n'étant pas rôdé à ce type d'exercices. Enfin, comme souvent dans le RP, je vais reprendre des auteurs réels afin d'appuyer et d'illustrer mes propos mais cela ne signifie pas nécessairement que ces auteurs aient l'obligation d'exister sous les mêmes noms dans l'univers de Géokratos, je le fais uniquement pour me faciliter la tâche à la rédaction (et pour la compréhension globale du texte par les lecteurs). Une dernière chose : ce n'est pas un texte de loi, si vous voyez des incohérences entre le système estalien, sa politique étrangère ou autre, c'est normal, l'Estalie n'applique pas à la lettre sa propre doctrine (qui peut prétendre se tenir dogmatiquement à ses principes sans férir ?).


  • Déclaration de l'Anarchisme Renouvelé de Pyotri Husak (Novembre 2013). a écrit :A l’attention des travailleurs, paysans, ouvriers, soldats et autres marginalisés du monde, déclarons la liberté pleine et totale de la race humaine sur celle des oligarques capitalistes qui asservissent nos frères et sœurs sans états d'âme. Déclarons ici les principes fondamentaux de l’Anarchisme Renouvelé, celui qui libérera l’Humanité de ses fers, de la guerre et des souffrances causées par l’égoïsme d’une poignée de rejetons de l’Humanité, celui qui mènera au nom de tous les Hommes et toutes les Femmes la lutte finale, la dernière des guerres afin d’obtenir une liberté complète et absolue de l’Homme. Déclarons les points suivants :

    1. Face à la puissance démesurée de l’Etat capitaliste, il doit être combattu par les mêmes armes avec lesquelles le Prolétariat est martyrisé. L’Etat, de nature anarcho-communiste à sa base, doit promouvoir une forte décentralisation et une autonomie générale des villages et villes tout en s’accordant les pouvoirs régaliens principaux dans des perspectives de défense et de stabilité intérieure. L’Etat doit pouvoir se constituer sur un modèle fédéraliste pour pouvoir exister en toute cohérence.

    2. L’Etat doit être militariste pour exister. Il ne peut exister une quelconque forme de pacifisme dans un monde où deux États coexistent, il est du devoir des travailleurs de fournir les moyens nécessaires afin de défendre son foyer et celui de ses camarades travailleurs.

    3. Le troc et l’économie du présent sont des moyens primitifs de mener à bien la lutte internationale pour sauver nos frères et sœurs à travers le monde. Nous devons donc être prêts à conserver une monnaie comme valeur d’échange sociale véritablement utile, tant que son contrôle soit laissée au vœu démocratique commun.

    4. La démocratie directe est la plus pure des libertés politiques qui puissent être apportées à l’Homme. Les formes de démocraties indirectes comme la démocratie représentative ne sont, dans une certaine mesure et sans contrôle populaire concret, une perpétuation des aristocraties qu’elles soient de sang ou ploutocrates.

    5. Le salariat est une forme d’exploitation similaire à l’esclavage. C’est un esclavage économique moderne qui, par sa subtilité, ose faire croire à ses adhérents à la liberté des salariés alors qu’elle n’est que la continuation de l’esclavage moderne dans un rôle de dictature parfaite où la masse se croit libre alors qu’elle est en réalité esclave.

    6. Le patriotisme, le nationalisme et le libéralisme sont les poisons qui mènent aux massacres des peuples, guident les Hommes vers les chemins de la guerre éternelle, créant des frontières artificielles entre les membres d’une même espèce.

    7. L’industrie est le seul moyen pour la cause de l’Humanité d’avancer, elle permet la production en masse des outils qui serviront à l’avenir à la libération de nos confrères du joug capitaliste tyrannique et oppressif.

    8. Aucun patron ou supérieur n’est en droit de disposer du temps et de la vie de ses subordonnés, aucun concept ne peut justifier qu’un homme soit supérieur à un autre au sens hiérarchique, chaque travailleur doit pouvoir apprendre à se gérer soi-même afin de reprendre le flambeau de ses camarades si ces derniers venaient à faillir.

    9. L’individualisme au sens personnel pousse à l’égoïsme et donc au péché capitaliste. L’égoïsme détruit les relations humaines comme elle pousse à la guerre de tous contre tous, un prolongement indirect de l’état de nature. C’est au collectivisme de régner dans le monde civilisé car l’Homme est un animal politique et social, il ne peut avancer sans l’assistance de ses compères.

    10. Aucune race, aucune langue, aucune religion, aucune ethnie, aucune culture, aucune moeur et encore moins aucun sexe ne peut être discriminé, marginalisé, censuré ou réprimé. L’Humanité ne fait qu’un et l’acharnement sur les différences individuelles est un combat futile qu’il convient de dépasser si l’Homme souhaite un jour pouvoir vivre en paix. L’anarchiste renouvelé n’est aucunement anti-religieux, il respecte les croyances de chacun, fait preuve d'ouverture d'esprit, ne remet pas en question l'hypothèse d'une existence divine et les met à pied d’égalité aux yeux de la loi commune et universelle.

    11. L’héritage est une continuation absurde de l’aristocratie terrienne et financière qui domine et asservit le monde. Elle détruit des familles entières, perpétue les inégalités sociales et mène au déracinement des peuples. Or, le déracinement entraîne l’aliénation et donc l’esclavage des masses face à un potentiel tyran.

    12. La famille traditionnelle est, force est de le constater, le modèle le plus sain que l’Humanité ait pu créer jusqu’alors. Elle doit être protégée des volontés décadentes et destructrices du libéralisme progressiste qui n’est autre qu’un passager clandestin dans la lutte de la liberté de l’Humanité vis-à-vis de l’ogre capitaliste. La famille doit être protégée des vices que le monde moderne tente de lui asséner, notamment l'ultra-consumérisme, la destruction du moralisme et l'encouragement légal au divorce.

    13. Chaque être humain, même le plus vile des capitalistes ou un de ses soutiens, reste un être humain. Il doit être traité dignement une fois rendu ou capturé à nos glorieuses troupes, nous devons nous montrer dignes afin de constituer l’exemple phare sur le monde entier. Nous devons faire preuve d'exemplarité quant aux sorts des vaincus s'étant opposés à la Révolution afin de préserver des vies et conserver la dignité de notre cause que nous voulons juste et noble.

    14. L’éducation est le bien le plus précieux de l’Homme qui le différencie du reste du monde animal, l’éducation doit être laïque, gratuite, universelle et obligatoire pour l’ensemble de nos confrères car c’est la connaissance et le capital humain qui assure à l’Homme sa liberté en toutes circonstances, même en cas de défaite, et qui le pousse jusqu’aux derniers retranchements les plus ingénieux pour défendre ce qui est juste.

    15. Notre cause est internationale et totale, aucune parcelle de terre de notre belle planète ne doit échapper à la vague rouge, notre guerre contre le capitalisme sera totale, mondiale et acharnée. Le monde capitaliste tremblera au simple retentissement des manifestes publiés au sein du monde ouvrier qui se lèvera et se soulèvera contre l’oppression capitaliste.


    Introduction : Pour une refondation de la pensée libertaire à l'ère de la nécessité historique

    I/ Le paradoxe anarchiste face à l'Histoire.

    L'anarchisme, depuis ses premières formulations théoriques, a toujours porté en lui une contradiction fondamentale que ses détracteurs n'ont cessé d'exploiter et que ses partisans ont tenté, avec plus ou moins de succès, de résoudre ou de contourner. Cette contradiction peut se formuler ainsi : comment une philosophie politique fondée sur le rejet de toute autorité coercitive, de toute hiérarchie imposée et de tout appareil étatique peut-elle prétendre s'imposer dans un monde où ces mêmes structures dominent avec une violence sans précédent ? Comment l'idéal de la liberté absolue peut-il survivre, et plus encore triompher, dans un univers régi par la contrainte, l'exploitation et la domination systématique des masses ? Cette question n'est pas nouvelle. Bakounine lui-même, dans sa polémique avec Marx, avait entrevu le dilemme : rejeter l'État dans l'absolu, c'est se priver des moyens de combattre efficacement l'État bourgeois. Refuser toute forme d'organisation centralisée, c'est s'exposer à être écrasé par des forces qui, elles, n'hésitent pas à mobiliser l'appareil répressif dans toute sa puissance. Kropotkine, de son côté, a tenté de résoudre cette tension en insistant sur l'entraide mutuelle comme principe naturel de l'organisation sociale, sur la commune libre comme cellule de base d'une société anarchiste, sur la fédération volontaire comme mode de coordination entre ces communes. Mais si l'entraide est naturelle, pourquoi donc a-t-elle été si systématiquement écrasée par les structures de domination ? Si la commune libre est viable, pourquoi n'a-t-elle jamais pu résister durablement aux assauts des armées régulières, des polices organisées, des États centralisés ? La vérité, aussi douloureuse soit-elle pour ceux qui se réclament de la tradition anarchiste classique, est que l'anarchisme, dans sa forme pure et originelle, n'a jamais réussi à s'imposer durablement face aux forces coalisées du capital et de l'État dans la plupart des cas, seul le Grand Kah figure comme une exception qui confirme la règle. Mais dans le reste du monde, à chaque fois, le même scénario se répète : un soulèvement populaire spontané, une brève floraison de liberté et d'autogestion, puis l'écrasement brutal par des forces infiniment plus organisées, plus disciplinées, plus impitoyables. Faut-il en conclure que l'anarchisme est une utopie irréalisable, un beau rêve condamné à rester lettre morte face à la brutalité du réel ? Faut-il se résigner, comme l'ont fait tant de révolutionnaires désabusés, à accepter la nécessité d'un État de transition, d'une dictature du prolétariat, d'un parti d'avant-garde qui guiderait les masses vers un avenir communiste toujours repoussé à plus tard ? Ou existe-t-il une troisième voie, une synthèse dialectique qui préserverait l'essentiel des principes libertaires tout en reconnaissant les impératifs tactiques et stratégiques imposés par la confrontation avec un ennemi implacable ? C'est précisément cette troisième voie que nous nous proposons d'explorer dans cet ouvrage. Nous l'appelons l'Anarchisme Renouvelé, non pas parce qu'il s'agirait d'une rupture totale avec la tradition anarchiste, mais au contraire parce qu'il représente, à nos yeux, la seule manière de rester fidèle à l'esprit profond de cette tradition tout en l'adaptant aux réalités impérieuses de notre époque. L'Anarchisme Renouvelé n'est pas un reniement de l'anarchisme, c'est sa maturation nécessaire, son passage de l'adolescence idéaliste à la maturité révolutionnaire.

    II/ L'anarchisme classique et ses impasses.

    Pour comprendre la nécessité de cette refondation, il nous faut d'abord examiner honnêtement les limites de l'anarchisme classique. Cet examen ne procède pas d'un désir de dénigrer nos prédécesseurs, dont le courage et la lucidité nous inspirent toujours, mais d'une exigence de vérité sans laquelle aucun progrès théorique n'est possible. La critique, chez nous, n'est jamais une fin en soi mais toujours le préalable nécessaire au dépassement.

    A/ Le pacifisme comme impasse stratégique.

    Le premier point d'achoppement concerne la question de la violence révolutionnaire. Une part importante de la tradition anarchiste, notamment dans sa version tolstoïenne ou gandhienne, a prôné la non-violence comme principe absolu. Même chez les anarchistes qui n'allaient pas jusqu'à ce pacifisme intégral, on trouve une profonde méfiance envers toute forme de violence organisée, perçue comme incompatible avec l'idéal libertaire. L'argument est le suivant : la violence, par sa nature même, crée des hiérarchies (entre ceux qui donnent les ordres et ceux qui les exécutent), impose une discipline contraire à la liberté individuelle, et risque de corrompre ceux qui l'exercent au point de les transformer en nouveaux oppresseurs. Cet argument n'est pas sans fondement. L'histoire du XXe siècle, et encore aujourd'hui dans certains Etats issus de mouvements révolutionnaires comme la Loduarie, nous a effectivement montré comment des mouvements révolutionnaires, en s'engageant dans la lutte armée, ont pu dériver vers l'autoritarisme, la bureaucratisation, et finalement la reproduction des structures de domination qu'ils prétendaient combattre. Le cas de la révolution loduarienne est à cet égard paradigmatique : partie d'un projet d'émancipation universelle, elle a accouché d'un État totalitaire qui n'avait plus rien à envier, en termes de répression et de contrôle social, aux pires tyrannies de l'histoire. Mais ce constat historique, aussi tragique soit-il, ne peut nous conduire à abandonner toute forme de résistance armée. Car le refus de la violence, dans un monde structurellement violent, n'est pas un choix éthiquement neutre : c'est un choix qui favorise objectivement ceux qui, eux, n'ont aucun scrupule à l'employer. Le pacifisme intégral, face à un ennemi qui dispose d'armées, de polices, de prisons, de tout l'appareil répressif de l'État moderne, n'est pas une posture morale supérieure, c'est un suicide politique. Il revient à désarmer les opprimés tout en laissant les oppresseurs armés jusqu'aux dents. Proudhon lui-même, pourtant peu suspect de bellicisme, avait compris cette vérité élémentaire lorsqu'il écrivait : "Celui qui met la main sur moi pour me gouverner est un usurpateur et un tyran ; je le déclare mon ennemi." Et que fait-on avec un ennemi, sinon le combattre ? La question n'est donc pas de savoir si nous devons user de violence, mais comment nous en usons, dans quel but, avec quelles limites, et selon quelles modalités organisationnelles qui préservent autant que possible les principes libertaires. L'Anarchisme Renouvelé assume pleinement cette nécessité de la lutte armée, non pas comme une concession regrettable à la "realpolitik", mais comme une conséquence logique de l'analyse matérialiste de la domination. Le capital et l'État ne se laisseront jamais renverser par de belles paroles ou des manifestations pacifiques. Ils ne cèderont le pouvoir que contraints et forcés, face à une force supérieure capable de briser leur monopole de la violence légitime. Cela ne signifie pas que toute violence soit justifiable, ni que la fin justifie tous les moyens. Cela signifie simplement que le refus de principe de toute violence révolutionnaire condamne l'anarchisme à l'impuissance politique.

    B/ L'hostilité dogmatique à toute forme d'Etat.

    Le deuxième point concerne le rejet absolu de l'État qui caractérise l'anarchisme classique. Pour Bakounine, comme pour la plupart des théoriciens anarchistes qui l'ont suivi, l'État est par essence un instrument de domination de classe, une machine de répression au service des possédants, et ce quel que soit son régime politique apparent. Que l'État soit monarchique, républicain, fasciste ou même "socialiste", il demeure fondamentalement oppressif car sa fonction même est de maintenir les privilèges d'une minorité contre la majorité. D'où la conclusion que tout État doit être détruit, et qu'aucune forme de pouvoir centralisé ne peut être tolérable dans une société libre. Cette analyse contient une part essentielle de vérité. L'État, historiquement, a bien été l'instrument par lequel les classes dominantes ont perpétué leur domination. Le monopole de la violence légitime, la bureaucratie, l'appareil judiciaire, tout cela a effectivement servi à maintenir l'ordre social capitaliste et à réprimer les tentatives d'émancipation des exploités. Et les expériences d'États prétendument "ouvriers" ou "socialistes" ont montré que le simple changement de discours idéologique ne suffisait pas à transformer la nature profonde de l'appareil étatique. Mais de cette analyse juste, les anarchistes classiques tirent une conclusion qui ne l'est pas : que toute forme de pouvoir centralisé, toute institution dépassant le cadre de la commune locale, toute coordination à grande échelle est nécessairement oppressive et doit être rejetée. Cette conclusion, qui procède d'un raisonnement purement déductif et a priori, ignore un fait historique fondamental : l'État moderne, avec son administration centralisée, ses forces armées organisées, sa capacité à mobiliser des ressources à grande échelle, s'est développé précisément parce qu'il était plus efficace, d'un point de vue strictement fonctionnel, que les formes d'organisation politique qui l'ont précédé. Les féodalités médiévales, avec leur morcellement territorial et leur absence de coordination centralisée, ont été balayées par les monarchies absolues capables de lever des armées permanentes et de financer des guerres prolongées. Ces monarchies elles-mêmes ont cédé la place aux États-nations modernes qui, en mobilisant l'ensemble de leur population et de leurs ressources économiques, se sont révélés infiniment plus puissants. Cette évolution n'est pas un accident de l'histoire, c'est le résultat d'une sélection darwinienne entre formes politiques : dans un monde de compétition et de conflit entre entités politiques, les structures les plus efficaces tendent à l'emporter sur les moins efficaces. Or, que propose l'anarchisme classique face à cette réalité ? Une confédération de communes libres, reliées entre elles par des accords volontaires et révocables, sans aucun pouvoir centralisé capable d'imposer des décisions contraignantes. C'est un modèle séduisant sur le papier, mais qui présente un vice rédhibitoire : il est structurellement incapable de résister à une agression extérieure coordonnée. Une fédération de communes autonomes, où chacune conserve son indépendance et peut à tout moment se retirer de l'accord commun, ne peut pas organiser une défense efficace contre un État centralisé capable de concentrer ses forces sur un point précis, de mener des opérations de grande ampleur, et de soutenir un effort de guerre prolongé. L'histoire l'a prouvé maintes fois : chaque fois qu'un territoire anarchiste a été confronté à une invasion extérieure, il a été vaincu. Pas parce que ses combattants manquaient de courage ou de détermination, mais parce que l'absence de coordination centralisée, l'impossibilité d'imposer une stratégie commune, la dépendance vis-à-vis de décisions prises localement et parfois contradictoires entre elles, ont rendu toute résistance efficace impossible. Les milices anarchistes peuvent tenir un quartier, une ville, voire une région, mais elles ne peuvent pas soutenir une guerre totale contre un ennemi organisé et discipliné. Faut-il en conclure que l'anarchisme est condamné à être écrasé par l'État, et qu'il n'y a d'autre choix que de se rallier à l'eurycommunisme avec son État de transition censé dépérir un jour ? Nullement. Ce qu'il faut comprendre, c'est que le problème ne réside pas dans l'existence d'une forme de pouvoir centralisé en soi, mais dans la nature de ce pouvoir, dans qui le contrôle, dans quel but, et selon quelles modalités. Un pouvoir centralisé contrôlé démocratiquement par les travailleurs eux-mêmes, limité dans ses prérogatives aux fonctions strictement régaliennes nécessaires à la survie collective, et constamment soumis au contrôle populaire avec possibilité de révocation immédiate, n'est pas la même chose qu'un État bourgeois ou qu'une bureaucratie de parti se substituant au prolétariat. L'Anarchisme Renouvelé propose précisément cette synthèse : accepter la nécessité d'une forme d'organisation centralisée pour certaines fonctions (défense, coordination économique à grande échelle, gestion des ressources stratégiques), mais en la soumettant à un contrôle démocratique si strict, à une décentralisation si poussée pour tout ce qui peut l'être, et à des mécanismes de révocabilité si efficaces, qu'elle ne puisse jamais se transformer en instrument de domination d'une classe sur une autre. C'est un équilibre difficile, certes, et qui nécessite une vigilance permanente, mais c'est le seul moyen d'échapper au dilemme mortel entre l'impuissance politique de l'anarchisme pur et le despotisme de l'État totalitaire.

    C/ Le fédéralisme volontaire et l'illusion de la coordination spontanée.

    Le troisième point d'achoppement concerne le mode de coordination entre les unités de base de la société anarchiste. Les théoriciens classiques, conscients du besoin de coordination à une échelle dépassant la commune locale, ont proposé le principe du fédéralisme : les communes s'associent librement en fédérations pour gérer les affaires communes, ces fédérations pouvant elles-mêmes se regrouper en fédérations de niveau supérieur. Mais (et c'est là le point crucial) cette association est toujours volontaire et révocable : aucune commune ne peut être contrainte de participer, et chacune peut se retirer à tout moment si elle juge que ses intérêts ne sont pas respectés. Ce modèle repose sur une hypothèse implicite : que les intérêts des différentes communes seront naturellement convergents, ou du moins suffisamment compatibles pour permettre une coordination harmonieuse. Dans un monde débarrassé du capitalisme et de l'État, affirment les anarchistes classiques, les sources principales de conflit auront disparu, et les êtres humains pourront enfin coopérer librement sur la base de leur intérêt mutuel bien compris. Cette hypothèse est doublement problématique. D'abord, elle sous-estime considérablement la diversité des intérêts réels entre différentes communautés, même dans une société postcapitaliste. Une commune industrielle et une commune agricole n'ont pas les mêmes besoins ni les mêmes priorités. Une commune située dans une région riche en ressources naturelles et une commune pauvre en ressources se trouveront nécessairement en position asymétrique. Une commune pacifiste et une commune menacée par une invasion extérieure auront des visions radicalement différentes de l'urgence de la défense commune. Comment coordonner efficacement ces intérêts divergents sans aucun mécanisme de décision contraignant ? La réponse anarchiste classique est que la négociation, le compromis, la recherche du consensus permettront de résoudre ces tensions. Mais que se passe-t-il quand aucun compromis n'est possible ? Quand une commune refuse de participer à l'effort de guerre commun, ou de partager ses ressources avec des communes moins favorisées, ou d'accepter des décisions qui vont à l'encontre de ses intérêts immédiats ? Si l'on s'en tient au principe de la libre association révocable, la seule option est de laisser cette commune faire sécession. Mais alors, comment maintenir la cohésion nécessaire à la survie collective face à des menaces qui, elles, ne respectent aucun principe de libre association ? Le second problème, plus fondamental encore, est que ce modèle ignore complètement la question du temps de la décision. Dans un système où chaque décision importante doit être approuvée par toutes les communes concernées, où chaque commune conserve son droit de veto, où les décisions ne peuvent être prises que par consensus, le processus décisionnel devient interminable. Or, dans des situations de crise, particulièrement en temps de guerre, la rapidité de la décision est souvent aussi importante que sa qualité. Une bonne décision prise trop tard est souvent pire qu'une décision imparfaite prise à temps. Les armées modernes, avec leur structure hiérarchique et leur chaîne de commandement claire, peuvent réagir en quelques heures à une situation changeante. Elles peuvent concentrer leurs forces là où c'est nécessaire, redéployer leurs unités, modifier leur stratégie en fonction des circonstances. Comment une fédération de milices communales, où chaque unité décide de manière autonome de sa participation et où aucune autorité centrale ne peut imposer une stratégie globale, pourrait-elle rivaliser avec une telle efficacité opérationnelle ? L'expérience historique, une fois de plus, apporte une réponse sans ambiguïté : elle ne le peut pas. Chaque tentative de coordination horizontale en temps de guerre s'est heurtée aux mêmes problèmes : lenteur des décisions, incohérence stratégique, impossibilité d'imposer une discipline nécessaire, conflits entre différentes unités aux priorités divergentes. Et chaque fois, ces problèmes ont conduit à la défaite militaire et à l'écrasement de l'expérience anarchiste. L'Anarchisme Renouvelé ne rejette pas le principe fédéral, qui demeure au cœur de notre conception de l'organisation politique. Mais nous reconnaissons qu'il existe des domaines où la coordination horizontale purement volontaire est insuffisante, et où une certaine forme de centralisation décisionnelle est nécessaire. Ces domaines doivent être strictement délimités – essentiellement la défense contre les agressions extérieures, la gestion des ressources stratégiques à grande échelle, et la coordination économique pour éviter les pénuries ou les gaspillages massifs. Pour tout le reste, la décentralisation maximale et l'autonomie communale demeurent la règle. Mais pour ces fonctions régaliennes, nous acceptons la nécessité d'une autorité fédérale capable de prendre des décisions contraignantes, même si certaines communes s'y opposent. Cette autorité doit être démocratiquement élue, strictement limitée dans ses prérogatives, et constamment soumise au contrôle populaire, mais elle doit exister. Car sans elle, toute société anarchiste est condamnée à être écrasée par ses ennemis ou à sombrer dans le chaos.

    III/ L'eurycommunisme et ses trahisons.

    Si l'anarchisme classique pèche par excès d'idéalisme et sous-estime les nécessités de l'organisation centralisée, l'eurycommunisme, lui, a versé dans l'excès inverse. Prétendant tirer les leçons de l'échec des révolutions spontanées du XIXe siècle, il a développé une théorie de l'État de transition et du parti d'avant-garde qui, loin de conduire à l'émancipation des travailleurs, a abouti à l'instauration de nouvelles formes de domination parfois pires que celles qu'elles prétendaient renverser.

    A/ La dictature du prolétariat ou la dictature sur le prolétariat ?

    Marx lui-même avait théorisé la nécessité d'une "dictature du prolétariat" comme phase transitoire entre le capitalisme et le communisme. L'idée était la suivante : la bourgeoisie ne se laisserait pas exproprier pacifiquement, elle utiliserait toute la violence de son appareil d'État pour préserver ses privilèges. Il fallait donc que la classe ouvrière, une fois parvenue au pouvoir, établisse son propre État pour briser la résistance bourgeoise, réorganiser l'économie sur des bases socialistes, et défendre la révolution contre les tentatives de restauration. Cet État prolétarien n'aurait rien de commun avec l'État bourgeois : il serait l'expression directe de la volonté de l'immense majorité contre une minorité d'exploiteurs, et il serait destiné à dépérir progressivement à mesure que disparaîtraient les classes sociales. Les eurycommunistes ont développés cette théorie en insistant sur le rôle du parti d'avant-garde. Selon eux, la classe ouvrière, livrée à elle-même, ne pouvait développer qu'une "conscience trade-unioniste", c'est-à-dire une capacité à lutter pour des améliorations immédiates de ses conditions de travail, mais pas à comprendre la nécessité d'un renversement révolutionnaire du système capitaliste dans son ensemble. Cette conscience révolutionnaire devait être apportée de l'extérieur par les intellectuels marxistes organisés en parti. Le parti était ainsi conçu comme l'avant-garde de la classe, composée de révolutionnaires professionnels disciplinés, organisés selon le principe du centralisme démocratique, et capables de diriger les masses vers la révolution. En pratique, cette théorie a conduit à une substitution progressive du parti à la classe. Le parti parlait au nom du prolétariat, mais ce n'était pas le prolétariat lui-même qui décidait. Et au sein même du parti, le centralisme l'a rapidement emporté sur la démocratie. Les dirigeants du parti décidaient de la ligne, et cette ligne devait être appliquée sans discussion par tous les membres, au nom de l'unité révolutionnaire. Toute dissidence était dénoncée comme une déviation, toute critique comme un sabotage de la révolution. Le résultat était prévisible : l'État prolétarien s'est transformé en État bureaucratique, contrôlé non pas par les travailleurs mais par l'appareil du parti. La police politique, créée pour réprimer les contre-révolutionnaires, s'est mise à traquer les révolutionnaires eux-mêmes dès qu'ils osaient critiquer la ligne officielle. Les camps de travail, censés rééduquer les éléments anti-sociaux, se sont remplis de socialistes, d'anarchistes, de communistes dissidents. Ce n'est pas, comme le prétendent les apologistes du système, une déviation regrettable due aux circonstances difficiles du régime, de la contre-révolution ou à la personnalité de tel ou tel dirigeant. C'est la conséquence logique et nécessaire d'un système qui place le pouvoir entre les mains d'un parti se substituant à la classe, et d'un État prétendument transitoire mais disposant de tous les attributs d'un État totalitaire. Comme Bakounine l'avait prophétiquement annoncé dans sa polémique avec Marx : "Prenez le révolutionnaire le plus ardent, conférez-lui un pouvoir absolu, et au bout d'un an il sera pire que le tsar lui-même.". L'Anarchisme Renouvelé rejette catégoriquement ce modèle. Nous refusons l'idée qu'un parti d'avant-garde puisse se substituer au prolétariat et décider en son nom. Nous refusons le centralisme démocratique qui n'est en réalité qu'un centralisme tout court, sans rien de démocratique. Nous refusons la dictature sur le prolétariat qui se pare des oripeaux de la dictature du prolétariat. Le pouvoir doit rester entre les mains des travailleurs eux-mêmes, organisés en conseils, en assemblées, en structures de démocratie directe où chacun peut participer aux décisions qui le concernent. Cela ne signifie pas que nous rejetons toute forme d'organisation ou de coordination. Mais l'organisation doit partir de la base et remonter vers le sommet, jamais l'inverse. Les organes centraux ne sont légitimes que dans la mesure où ils sont l'émanation directe des organes de base, élus par eux, révocables par eux, et strictement limités dans leurs prérogatives à ce qui ne peut être géré localement. C'est le principe du fédéralisme intégral : la centralisation des fonctions qui l'exigent, la décentralisation maximale de tout ce qui peut l'être.

    B/ L'étatisme comme horizon indépassable.

    Au-delà de la question du parti et de la bureaucratie, l'eurycommunisme souffre d'un vice plus profond : il conçoit l'État comme l'instrument nécessaire et indépassable de toute transformation sociale. Pour les eurycommunistes, et plus encore pour leurs épigones loduaristes, l'État n'est pas un mal nécessaire dont il faudrait se débarrasser le plus vite possible, c'est l'outil par excellence de la construction du socialisme. C'est l'État qui nationalise les moyens de production, c'est l'État qui planifie l'économie, c'est l'État qui organise le travail, c'est l'État qui éduque les masses. Cette vision conduit logiquement à un renforcement continu de l'appareil étatique, au nom même de la construction du socialisme. Plus l'État contrôle tous les aspects de la vie économique et sociale, plus il a besoin d'une bureaucratie nombreuse pour gérer cette complexité. Plus la bureaucratie croît, plus elle développe ses propres intérêts corporatistes, plus elle échappe au contrôle démocratique. Et plus elle échappe au contrôle, plus elle a besoin de répression pour maintenir son pouvoir face à la contestation inévitable qu'elle suscite. Le résultat, nous le connaissons : un système où l'État possède tout, contrôle tout, décide de tout, au nom du peuple mais sans le peuple. Les travailleurs ne sont plus exploités par des capitalistes privés, certes, mais ils sont exploités par l'État-patron qui fixe leurs salaires, leurs conditions de travail, leur affectation géographique, sans qu'ils aient le moindre mot à dire. La propriété privée capitaliste a disparu, mais elle a été remplacée par une propriété d'État qui, du point de vue du travailleur ordinaire, ne change pas grand-chose à son absence de contrôle sur les moyens de production. Marx lui-même avait pourtant été clair : le but final n'est pas la propriété d'État, c'est l'association des producteurs libres qui organisent collectivement leur travail. La nationalisation n'est qu'un moyen, pas une fin en soi. Mais les régimes eurycommunistes ont fait de la nationalisation un fétiche, confondant la propriété formelle de l'État avec la propriété réelle des travailleurs. Ils ont oublié que ce qui compte, ce n'est pas qui possède nominalement les moyens de production, c'est qui les contrôle effectivement, qui décide de ce qui est produit, comment, pour qui, et dans quelles conditions. L'Anarchisme Renouvelé, tout en acceptant la nécessité d'une forme de coordination centralisée pour certaines fonctions, refuse catégoriquement cette étatisation totale de l'économie et de la société. La propriété collective des moyens de production doit être une propriété réelle, exercée directement par les travailleurs organisés en coopératives autogérées, pas une propriété nominale de l'État gérée par une bureaucratie échappant à tout contrôle. L'État fédéral peut et doit coordonner, orienter, réguler l'économie pour éviter les déséquilibres majeurs et assurer que les besoins essentiels de tous sont satisfaits. Mais la gestion concrète, quotidienne, de la production doit rester entre les mains de ceux qui produisent. De même, l'État ne doit pas aspirer à contrôler tous les aspects de la vie sociale. L'éducation, la culture, l'organisation de la vie quotidienne, tout cela doit relever de l'initiative locale et de l'autogestion communale. Un État qui prétend éduquer les masses à penser correctement, qui contrôle toute expression culturelle, qui régente jusqu'aux détails de la vie privée, n'est pas un État socialiste, c'est un État totalitaire, quelle que soit l'idéologie dont il se réclame.

    C/ L'internationalisme comme impérialisme déguisé.

    Le troisième problème majeur de l'eurycommunisme concerne son rapport à l'internationalisme. En principe, le marxisme se veut internationaliste : "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !" proclame le Manifeste Communiste. La révolution doit être mondiale, car le capitalisme est un système mondial, et aucun pays ne peut construire le socialisme isolément tant que le capitalisme domine ailleurs. Mais dans la pratique, cet internationalisme s'est rapidement transformé en quelque chose de profondément contradictoire. D'un côté, les États eurycommunistes telles que la Loduarie proclamaient leur solidarité avec tous les mouvements révolutionnaires du monde et leur volonté d'exporter la révolution. De l'autre, cette solidarité était toujours subordonnée aux intérêts géopolitiques de l'État révolutionnaire lui-même. Les mouvements de libération nationale n'étaient soutenus que dans la mesure où ils servaient ces intérêts, abandonnés ou trahis dès qu'ils devenaient gênants. L'aide apportée aux révolutionnaires étrangers était conditionnée à leur allégeance idéologique et politique, transformant la solidarité internationaliste en un système de clientélisme impérial. Plus grave encore, le modèle eurycommuniste d'organisation, avec son parti d'avant-garde et son centralisme bureaucratique, était exporté comme un package obligatoire. Les révolutionnaires du monde entier étaient sommés d'adopter les mêmes structures, les mêmes modes d'organisation, les mêmes stratégies, indépendamment des conditions locales spécifiques. Comme si la révolution dans un pays agraire arriéré devait nécessairement suivre le même chemin que dans un pays industrialisé, comme si les traditions politiques et culturelles locales ne comptaient pour rien, comme si l'histoire universelle devait se dérouler partout selon le même script préétabli. Le résultat fut catastrophique pour le mouvement révolutionnaire mondial. Au lieu de favoriser l'émergence de formes d'organisation adaptées aux réalités spécifiques de chaque pays, ce pseudo-internationalisme a produit une uniformisation stérile qui a souvent conduit les mouvements révolutionnaires à l'impasse. Des stratégies inadaptées étaient appliquées mécaniquement, conduisant à des échecs qui auraient pu être évités. Des alliances contre-nature étaient nouées au nom de l'unité du camp socialiste, trahissant souvent les aspirations réelles des peuples concernés. Et surtout, l'internationalisme authentique (cette solidarité horizontale entre exploités de tous les pays) était remplacé par une relation verticale de dépendance vis-à-vis d'un centre de pouvoir étatique. L'Anarchisme Renouvelé propose une conception radicalement différente de l'internationalisme. Notre internationalisme n'est pas celui d'un État qui se prétend révolutionnaire et cherche à étendre son influence sur d'autres mouvements. C'est un internationalisme fédéraliste, fondé sur la solidarité horizontale entre peuples en lutte, sur le respect des spécificités culturelles et historiques de chaque nation, sur l'autonomie de chaque mouvement révolutionnaire dans l'élaboration de sa propre stratégie. Nous ne cherchons pas à imposer notre modèle comme une recette universelle. Ce qui fonctionne dans un contexte donné peut être inadapté dans un autre. Les formes d'organisation, les tactiques, les alliances, tout cela doit être déterminé par les révolutionnaires eux-mêmes en fonction de leur situation concrète. Notre rôle n'est pas de diriger ou de contrôler, mais de soutenir, d'assister, de partager notre expérience sans jamais la transformer en dogme obligatoire. Cela ne signifie pas un relativisme absolu où toutes les stratégies se vaudraient. Il existe des principes fondamentaux qui nous unissent : le rejet du capitalisme et de l'exploitation, la défense de l'autonomie populaire contre toute forme de domination étatique ou bureaucratique, l'égalité radicale entre tous les êtres humains indépendamment de leur origine, de leur sexe, de leur religion ou de toute autre caractéristique. Mais dans le cadre de ces principes, une grande diversité de formes est non seulement possible mais souhaitable. L'internationalisme véritable est un internationalisme pluriel, respectueux des différences, fondé sur la coordination volontaire et non sur la subordination.

    IV/ La synthèse dialectique : l'Anarchisme Renouvelé comme dépassement.

    Nous voici donc face à deux impasses symétriques. D'un côté, l'anarchisme classique qui, fidèle à ses principes de liberté absolue et de rejet de toute autorité, se condamne à l'impuissance politique et à l'écrasement par des forces mieux organisées. De l'autre, l'eurycommunisme qui, au nom de l'efficacité révolutionnaire, crée de nouvelles structures de domination souvent pires que celles qu'il prétendait renverser. Entre l'idéalisme impuissant et le réalisme cynique, entre la pureté doctrinale stérile et le pragmatisme dénaturant, y a-t-il une troisième voie ? L'Anarchisme Renouvelé se propose précisément comme cette synthèse dialectique. Non pas un compromis mou entre deux positions inconciliables, non pas un centrisme fade qui se contenterait de prendre un peu de chaque côté, mais un véritable dépassement qui préserve ce qu'il y a de juste dans chacune de ces traditions tout en corrigeant leurs erreurs respectives.

    A/ Principes fondamentaux de l'Anarchisme Renouvelé.

    Le premier principe est celui de la primauté de la liberté collective sur toute forme de domination institutionnalisée. Contrairement à l'eurycommunisme, nous ne considérons pas l'État comme un instrument neutre qui pourrait être utilisé au service de l'émancipation. L'État, par sa nature même, tend à reproduire des structures hiérarchiques, à créer une séparation entre gouvernants et gouvernés, à concentrer le pouvoir entre les mains d'une minorité qui échappe au contrôle de la majorité. Cette tendance n'est pas accidentelle, elle est inhérente à la forme de l'État elle-même. Mais (et c'est là que nous nous séparons de l'anarchisme classique) nous reconnaissons qu'il existe des fonctions qui, dans le monde tel qu'il est actuellement, ne peuvent être assurées que par une forme d'organisation centralisée dépassant le cadre de la commune locale. La défense contre les agressions extérieures en est l'exemple le plus évident, mais ce n'est pas le seul. La coordination de vastes systèmes techniques (réseaux de transport, de communication, d'énergie), la gestion de ressources stratégiques rares, la planification économique à grande échelle pour éviter les déséquilibres majeurs, tout cela requiert une capacité de décision et d'action dépassant ce qu'une fédération purement volontaire de communes autonomes peut accomplir. Le défi est donc de créer des structures capables d'assurer ces fonctions sans pour autant se transformer en appareil de domination. Comment y parvenir ? Par une série de mécanismes institutionnels qui, combinés, limitent drastiquement le pouvoir de ces structures centralisées :

    Premièrement, la stricte délimitation des compétences. L'autorité fédérale ne peut intervenir que dans les domaines explicitement définis comme relevant de sa compétence. Tout le reste appartient aux communes et aux régions. Et même dans ses domaines de compétence, elle doit respecter le principe de subsidiarité : ne centraliser que ce qui ne peut absolument pas être géré à un niveau inférieur.

    Deuxièmement, le contrôle démocratique direct. Tous les responsables des institutions fédérales sont élus directement par le peuple, avec des mandats courts et révocables à tout moment si une proportion significative de la population le demande. Il n'y a pas de bureaucratie de carrière, pas de fonction publique permanente échappant au contrôle populaire. Les mandats sont impératifs : les élus doivent rendre compte régulièrement de leurs actions et peuvent être révoqués s'ils s'écartent du mandat qui leur a été confié.

    Troisièmement, la décentralisation maximale au sein même des institutions fédérales. Plutôt qu'un gouvernement monolithique, nous avons des commissions spécialisées largement autonomes, élues séparément, et qui ne rendent compte qu'au congrès législatif et au peuple, jamais à un quelconque chef de l'exécutif. Le pouvoir est ainsi fragmenté, empêchant qu'une seule personne ou un petit groupe ne puisse concentrer entre ses mains l'ensemble de l'autorité fédérale.

    Quatrièmement, le droit à l'insurrection. Et ce n'est pas une clause de style : c'est un mécanisme juridiquement codifié permettant à une proportion définie de la population de bloquer une décision fédérale, de révoquer des responsables, voire de remettre en cause l'organisation institutionnelle elle-même si celle-ci dérive vers l'autoritarisme. L'insurrection n'est plus un acte illégal et désespéré, c'est un droit constitutionnel, la dernière garantie contre la tyrannie.

    Le deuxième principe fondamental est celui du fédéralisme intégral. Contrairement au fédéralisme purement volontaire de l'anarchisme classique où chaque commune peut se retirer à tout moment, notre fédéralisme implique un engagement mutuel contraignant. Une fois qu'une communauté a décidé démocratiquement de rejoindre la fédération, elle accepte de se soumettre aux décisions fédérales dans les domaines de compétence fédérale, même si elle n'est pas d'accord avec une décision particulière. C'est le prix à payer pour la cohésion nécessaire à la survie collective. Mais cet engagement n'est pas absolu ni éternel. D'une part, les décisions fédérales les plus importantes doivent être ratifiées par référendum, et une commune peut s'y opposer sans être contrainte si la décision n'atteint pas un certain seuil de majorité. D'autre part, le droit de sécession existe, mais il est encadré : une communauté qui souhaite quitter la fédération doit suivre une procédure démocratique rigoureuse, avec un débat approfondi et un délai de réflexion, pour éviter les décisions impulsives prises dans le feu de l'action. Et si la sécession est finalement votée, des mécanismes de transition doivent être mis en place pour éviter que cela ne déstabilise l'ensemble.

    Le troisième principe est celui de l'autogestion économique combinée à la coordination fédérale. Nous rejetons l'étatisation totale de l'économie, qui transforme les travailleurs en employés d'un État-patron aussi despotique que n'importe quel capitaliste privé. Mais nous rejetons également l'illusion qu'une économie composée uniquement de coopératives autogérées, sans aucune coordination centrale, pourrait fonctionner efficacement dans un monde moderne complexe. La solution réside dans une économie à deux niveaux. Au niveau de base, les unités de production sont des coopératives autogérées où les travailleurs décident collectivement de l'organisation du travail, de l'utilisation des ressources, de la répartition des bénéfices. Ces coopératives sont propriétaires de leurs moyens de production et jouissent d'une large autonomie dans leur gestion quotidienne. Mais au niveau macroéconomique, une planification indicative coordonne l'activité de ces coopératives pour éviter les déséquilibres majeurs, orienter l'investissement vers les secteurs prioritaires, assurer que les besoins essentiels de tous sont satisfaits. Cette planification n'est pas directive comme dans les économies eurycommunistes. L'État fédéral ne dit pas à chaque coopérative ce qu'elle doit produire, comment, et en quelle quantité. Il fixe des orientations générales, établit des priorités, utilise des incitations économiques (plutôt que des ordres administratifs) pour orienter l'activité productive. Les coopératives restent libres de leurs choix concrets, mais ces choix s'inscrivent dans un cadre qui assure la cohérence de l'ensemble.

    Le quatrième principe est celui de l'internationalisme fédéraliste. Notre objectif n'est pas de construire le socialisme dans un seul pays tout en laissant le reste du monde sous la domination capitaliste. Ce serait à la fois moralement inacceptable et stratégiquement suicidaire : un îlot socialiste isolé dans un océan capitaliste est condamné à être écrasé tôt ou tard. La révolution doit être mondiale, ou elle ne sera pas. Mais cet internationalisme ne signifie pas l'imposition d'un modèle unique à tous les peuples. Chaque nation, chaque région, a ses spécificités historiques, culturelles, économiques qui doivent être respectées. L'objectif est de créer une fédération mondiale de peuples libres, où chacun conserve son autonomie dans la gestion de ses affaires internes tout en participant à une coordination globale pour les questions qui dépassent les frontières : l'environnement, les ressources stratégiques, la défense contre les derniers bastions du capitalisme, la solidarité économique entre régions riches et pauvres. Cette fédération mondiale ne sera pas construite en un jour. Elle émergera progressivement, au fur et à mesure que de nouveaux territoires rejoindront le mouvement révolutionnaire. Et elle ne sera pas imposée par la force à des populations récalcitrantes : chaque peuple doit faire sa propre révolution, déterminer sa propre voie vers l'émancipation. Notre rôle est de soutenir ces révolutions, de partager notre expérience, d'offrir notre aide matérielle, mais jamais de nous substituer aux peuples eux-mêmes dans leurs luttes.

    B/ Le militarisme comme nécessité temporaire.

    Un des aspects les plus controversés de l'Anarchisme Renouvelé, celui qui scandalise le plus les anarchistes traditionnels, est notre acceptation du militarisme comme nécessité historique temporaire. Comment, nous demandent nos critiques, peut-on se dire anarchiste tout en prônant le développement d'une armée permanente, organisée hiérarchiquement, soumise à une discipline stricte ? N'est-ce pas la négation même des principes libertaires ? Cette critique repose sur une incompréhension fondamentale de ce que nous entendons par militarisme. Nous ne glorifions pas la guerre pour elle-même, nous ne considérons pas la violence comme une valeur en soi, nous ne prétendons pas que la société tout entière doive être organisée selon des principes militaires. Notre militarisme est purement instrumental : dans un monde où des États capitalistes et fascistes disposent d'armées puissantes et n'hésitent pas à les utiliser pour écraser tout mouvement d'émancipation, refuser de se doter soi-même d'une force militaire efficace revient à se condamner à la défaite. L'histoire l'a prouvé à maintes reprises. Les milices anarchistes, aussi courageuses soient-elles, ne peuvent pas résister durablement à des armées régulières dotées d'un commandement centralisé, d'une logistique performante, d'un entraînement rigoureux. Le courage individuel ne suffit pas quand l'ennemi dispose d'une supériorité écrasante en termes d'organisation, de discipline, de coordination. Une armée moderne n'est pas une simple collection d'individus armés, c'est une machine de guerre complexe où chaque élément doit fonctionner de manière coordonnée avec tous les autres. Construire une telle machine sans renoncer aux principes démocratiques est un défi immense, mais pas impossible. Nous proposons un modèle d'armée populaire qui combine efficacité militaire et contrôle démocratique. Les officiers sont élus par les soldats de leur unité, mais une fois élus, ils disposent de l'autorité nécessaire pour commander en situation opérationnelle. Les décisions stratégiques importantes sont prises par des organes démocratiques où les représentants des troupes siègent aux côtés des spécialistes militaires. L'engagement dans l'armée est volontaire, mais une fois engagé, le soldat accepte la discipline nécessaire au fonctionnement d'une force militaire efficace. Cette armée n'est pas une caste séparée du reste de la société. Elle est profondément enracinée dans les communes, dont elle est issue et à qui elle rend compte. Les soldats ne sont pas des professionnels de la guerre coupés du monde civil, ce sont des citoyens en armes qui reprendront leur vie normale une fois la menace écartée. Mais tant que cette menace existe, tant que le capitalisme et le fascisme disposent d'armées prêtes à écraser toute tentative d'émancipation, nous devons nous doter des moyens de nous défendre. Et défendre ne signifie pas uniquement repousser les agressions. Dans un monde où le capitalisme est un système global, où l'exploitation des travailleurs d'un pays dépend de l'exploitation des travailleurs d'autres pays, où le maintien des privilèges d'une minorité repose sur la misère de la majorité de l'humanité, la défense de notre révolution passe nécessairement par l'extension de cette révolution. Nous devons soutenir activement les mouvements révolutionnaires dans d'autres pays, leur apporter une aide matérielle et militaire si nécessaire, voire intervenir directement pour empêcher l'écrasement de révolutions sœurs. Mais au-delà de ces interventions ponctuelles, aussi nécessaires soient-elles, nous devons nous préparer à ce que nous appelons la Grande Guerre Finale. Ce concept, qui peut sembler apocalyptique ou millénariste à ceux qui ne comprennent pas la nature du conflit historique dans lequel nous sommes engagés, désigne en réalité une vérité matérielle incontournable : le capitalisme ne disparaîtra pas par érosion progressive, par réformes successives, ou par un effondrement spontané de ses contradictions internes. Il devra être détruit, et cette destruction prendra nécessairement la forme d'un affrontement militaire d'une ampleur sans précédent. Pourquoi cette certitude ? Parce que le capitalisme n'est pas seulement un système économique, c'est un ordre mondial soutenu par la force armée de dizaines d'États, par des alliances militaires, par des bases dispersées sur tous les continents, par des arsenaux capables de génocider des populations entières. Les classes dominantes qui tirent leur pouvoir et leurs privilèges de ce système ne le lâcheront jamais volontairement. Elles mobiliseront tous les moyens de violence dont elles disposent pour le préserver. Elles ont déjà prouvé, à maintes reprises dans l'histoire, qu'elles préféraient noyer le monde dans le sang plutôt que de renoncer à leur domination. La Grande Guerre Finale ne sera pas une guerre de plus dans la longue série de conflits qui ont jalonné l'histoire humaine. Ce sera la guerre qui mettra un terme définitif à toutes les guerres, parce qu'elle détruira les structures mêmes qui engendrent la guerre : l'État-nation compétitif, le capitalisme prédateur, l'impérialisme qui dresse les peuples les uns contre les autres. Ce sera une guerre totale, mobilisant l'ensemble des ressources matérielles et morales de l'humanité révolutionnaire, parce que l'ennemi mobilisera lui-même toutes ses forces pour sa survie. Ce sera une guerre mondiale, parce que le capitalisme est un système mondial et qu'aucune révolution locale ne peut survivre durablement tant que ce système domine ailleurs. Cette perspective peut effrayer, et elle doit effrayer, car nous ne cherchons pas à minimiser l'ampleur du sacrifice qu'elle implique. Des millions d'êtres humains mourront dans ce conflit. Des villes seront détruites. Des régions entières seront dévastées. La civilisation matérielle que l'humanité a mis des millénaires à construire subira des dommages considérables. Nous ne nous réjouissons pas de cette perspective, nous ne la désirons pas, mais nous la considérons comme inévitable. Car quelle est l'alternative ? Accepter de coexister indéfiniment avec le capitalisme en espérant que nos exemples de sociétés libres finiront par le convaincre de se dissoudre pacifiquement ? L'histoire nous a appris que cela ne fonctionnera jamais. Attendre que le capitalisme s'effondre de lui-même sous le poids de ses contradictions ? Mais entre-temps, combien de générations devront encore souffrir sous le joug de l'exploitation ? Et surtout, combien de temps reste-t-il avant que les crises écologiques engendrées par le capitalisme ne rendent la planète inhabitable ? Nous sommes dans une course contre la montre. Chaque année de retard dans le renversement du capitalisme rapproche l'humanité de catastrophes irréversibles. La Grande Guerre Finale n'est donc pas un fantasme belliciste ou une glorification romantique de la violence. C'est une analyse matérialiste de la situation historique objective dans laquelle nous nous trouvons. Nous sommes en guerre, que nous le voulions ou non, parce que les classes dominantes sont en guerre contre nous depuis toujours. La seule question est de savoir si nous acceptons cette réalité et nous préparons en conséquence, ou si nous nous berçons d'illusions pacifistes qui ne servent qu'à perpétuer notre oppression. Cette guerre aura une fin. Quand le dernier bastion du capitalisme sera tombé, quand le dernier État oppresseur aura été dissous, quand les armées permanentes des classes dominantes auront été vaincues, alors et seulement alors pourra commencer le processus de démilitarisation. Les armées révolutionnaires, ayant accompli leur mission historique, pourront être progressivement dissoutes. Les soldats retourneront à leurs communes, à leurs familles, à leurs travaux pacifiques. Les usines d'armement seront reconverties pour produire les outils de la paix. Les ressources immenses actuellement consacrées à la guerre pourront être redirigées vers la construction d'une civilisation véritablement humaine. Mais nous n'en sommes pas là. Nous sommes encore dans la phase de lutte à mort entre deux systèmes inconciliables. Et dans cette phase, le militarisme n'est pas une option parmi d'autres, c'est une nécessité vitale. Ceux qui refusent de le comprendre condamnent non seulement leur propre révolution à l'échec, mais l'humanité tout entière à une domination perpétuelle ou à une extinction dans le chaos climatique. Le pacifisme, dans un monde structurellement violent, n'est pas une position morale supérieure, c'est une complicité objective avec l'oppression. Nous assumons donc pleinement notre militarisme, non pas comme une trahison des principes anarchistes, mais comme leur seule application conséquente dans les conditions historiques actuelles. Nous construisons une armée non pas pour dominer, mais pour libérer.

    C/ La question du temps et l'urgence révolutionnaire.

    Un dernier point mérite d'être souligné, car il sous-tend toute notre démarche théorique et pratique : la question du temps. Les révolutionnaires du XIXe et du début du XXe siècle pouvaient se permettre de penser en termes de siècles. Marx croyait que le capitalisme finirait par s'effondrer sous le poids de ses propres contradictions, mais il ne prétendait pas savoir quand exactement cela se produirait. Les anarchistes classiques imaginaient une lente maturation des consciences, une progressive généralisation des pratiques d'entraide et d'autogestion qui finirait par rendre l'État obsolète. Même les eurycommunistes, malgré leur volontarisme révolutionnaire, concevaient la révolution mondiale comme un processus s'étendant sur plusieurs générations. Nous n'avons plus ce luxe. Le monde dans lequel nous vivons est confronté à des crises existentielles qui ne nous laissent pas des siècles, ni même des décennies, pour agir. La destruction de l'environnement, l'effondrement de la biodiversité, le dérèglement climatique menacent les conditions mêmes de la survie de l'humanité. Et ces menaces ne sont pas le fruit du hasard ou d'une erreur de parcours, elles sont la conséquence directe et nécessaire de la logique capitaliste : l'accumulation sans fin, la croissance perpétuelle, l'exploitation illimitée des ressources naturelles. Si nous ne renversons pas le capitalisme rapidement, ce n'est pas seulement l'avenir d'une société libre qui est compromis, c'est l'avenir de la civilisation humaine elle-même. Chaque année qui passe voit s'aggraver ces menaces, franchir de nouveaux seuils d'irréversibilité. Chaque décennie de retard rend la catastrophe un peu plus certaine, un peu plus proche. Nous ne pouvons plus nous permettre d'attendre patiemment que les conditions objectives de la révolution mûrissent d'elles-mêmes. Nous devons créer ces conditions, les forcer si nécessaire, précipiter le mouvement de l'histoire avant qu'il ne soit trop tard. Mais il y a une autre dimension à cette urgence, encore plus pressante peut-être. À mesure que le capitalisme se développe, à mesure qu'il perfectionne ses instruments de contrôle social et de répression, la possibilité même de la révolution se réduit. Les technologies de surveillance permettent aujourd'hui un contrôle des populations d'une ampleur que les tyrans d'autrefois n'auraient jamais pu imaginer. L'intelligence artificielle, la reconnaissance faciale, l'analyse des données massives, tous ces outils offrent aux États et aux corporations des moyens de prévoir, de prévenir, de réprimer toute tentative de soulèvement avant même qu'elle ne se manifeste ouvertement. Chaque année qui passe voit se perfectionner ces mécanismes de domination. Chaque avancée technologique offre de nouveaux outils de contrôle. Chaque génération qui grandit dans cet environnement numérique totalement contrôlé développe des structures cognitives moins aptes à la pensée critique, à la projection dans un avenir radicalement différent, à l'action collective coordonnée. La fenêtre d'opportunité révolutionnaire se referme progressivement. Si nous attendons trop longtemps, nous nous retrouverons face à un système tellement verrouillé, tellement capable d'anticiper et de neutraliser toute menace, que même la possibilité matérielle d'une révolution aura disparu. Non pas parce que les conditions objectives de l'exploitation auront changé, non pas parce que les contradictions du capitalisme se seront atténuées, mais simplement parce que les moyens techniques de maintenir l'ordre existant auront atteint un tel degré de perfection qu'aucune force insurrectionnelle ne pourra plus les briser. Cette perspective doit être prise au sérieux. Nous ne sommes pas en train de fantasmer sur un futur dystopique de science-fiction. Les éléments de ce système de contrôle total existent déjà, ils se mettent en place sous nos yeux, ils se perfectionnent année après année.
    Haut de page