
- Messieurs de l'OND, tirez les premiers ! ... non, non non ça ne va pas, c'est trop dramatique. Que... que diriez vous de baisser vos armes et de discuter de tout cela autour d'une tasse de café ? Oui nous avons du café bien sûr que nous avons du café Monsieur Dalyoha en fait pousser dans ses serres... non bien sûr il n'est pas aussi bon que celui qu'on récolte chez vous au Paltoterra mais nous y ajoutons des exhausteurs de goût qui... non mais qu'est-ce que je raconte ?
Il soupire devant son miroir, essaye encore d'écraser la mèche folle qui rebique sur le sommet de son crâne.
- Sachez que nous ne quitterons nos îles qu'à la force des baïonnettes ! ... Ne tirez pas, il y a des bébés qui dorment ! ... Les Îles Marines ? non non c'est au nord, ici il n'y a que des Clovaniens. ...
Il baisse la tête.
- Je suis vraiment trop nul... si papa et maman me voyaient...
Le reflet lui grimace.
- C'est à dire qu'ils se sont eux-mêmes fait piquer les îles par les Obéron, je ne sais pas s'ils auraient des leçons à te donner.
Léandre relève la tête avec un air de chien battu.
- Les Obéron... mais ça restait des Carnavalais... là on parle d'une armée étrangère...
- Et tu vas faire quoi ? Les repousser avec tes petits bras ? Sois un homme et affronte l'ennemi la tête haute, tu peux encore sauver les Marines, il faut juste que tu la joues finement.
Son mascara a coulé, il en a plein les joues.
- Qu'est-ce que tu penses de ce que dit Améthyste ? Laisser entrer les troupes du Kah.
- Ça semble la meilleure carte à jouer.
- Pour démanteler nos missiles ! Je ne le permettrai pas !!!
Il frappe du poing dans le vide, son reflet rigole.
- Les missiles des Obéron, quelques dizaines tout au plus. Carnavale en produira de nouveaux, ou autre chose. J'ai entendu dire qu'ils travaillent sur un nouveau projet, en métropole.
- Ces missiles c'est tout ce que nous avons. Sans ça nous ne sommes que des cailloux au milieu de rien. Quel destin attend les Îles Marines ? La Principauté s'en fout, c'est tout pour Carnavale et Bourg-Léon, la majeure partie des navires commerciaux s'arrêtent aux Marquises et ça fait des années qu'on n'a pas capturé de...
- N'en dis pas plus.
Le reflet semble réfléchir.
- Tu sais, c'est peut-être une bonne chose, finalement, tout ça.
- Comment ça ?
- Peut-être que Carnavale n'en a effectivement pas grand chose à foutre, de nous. Et alors ? Ça te laisse les mains libres. Les trois quarts de leur aviation sont à terre et les Obéron sont tous morts. Réclame ton dû : fais valoir tes droits. Ta famille gouverne les Îles Marines depuis des siècles, il est temps d’exiger qu'elles te reviennent.
Léandre lève les bras au ciel.
- A quoi bon si je ne peux pas les tenir ? Le droit ça ne vaut rien : il faut une armée pour exister.
- Fonde ta gendarmerie.
- Et qui les armera ? Les équipera ? Tu crois que la métropole est assez idiote pour se tirer une balle dans le pied ? Et puis leur aviation... ils la reconstruiront. Améthyste a lancé un grand plan de réinvestissement de la fortune des nobles, dans un an à peine la Cité noire aura recouvré sa pleine puissance.
- Ta position est plus stratégique que tu ne le penses. Beaucoup de gens seraient prêts à te venir en aide, pourvu que tu le leur demandes. Et alors Carnavale craindra de te perdre et deviendra comme une chatte mielleuse.
- M'aider. Qui ?
- Je ne sais pas moi, je ne suis qu'un reflet.
- Tu ne penses quand même pas à demander l'indépendance.
- Non, la Cité noire ne nous ne le pardonnerait pas. Mais davantage de pouvoirs, oui, nous pourrions faire de ces îles notre domaine privilégié, à l'abri des coups bas et des regards inquisiteurs des jaloux. Entretenir le secret industriel, fournir des services et des biens uniques au monde. Nous pourrions devenir...
- ... une grande famille.
- Léandre Effraie de Méandre. Grand de Carnavale.
Ils se sourient.
- Voilà qui sonne bien.
- Mais d'abord, sécurise tes terres.
- Oui.
Dans son dos, un valet toque à la porte et passe timidement la tête dans l'embrasure.
- Monsieur Effraie ? La Citoyenne-Brigadière Caireall Ó Dubhuir au téléphone pour vous. La Kah-Tanaise.
Léandre s'essuie les yeux dans sa manche de costume, il étale ainsi le mascara encore plus, ça lui fait comme une peinture de guerre.
- Je viens.



