

Skanderopol, chef-lieu du kraï homonyme, est l'une des principales villes de la Fédération de Magdanie.
Le soleil frappait d'ardents rayons la cité maritime de Skanderopol, en ce premier octobre. La ville portuaire, véritable poumon de la vie marine du pays qui ne possédait qu'une côte d'un peu moins de deux centaines de kilomètres de long, était le pur fruit du mariage culturel entre les civilisations ghuri (persane), baïtoure (turque) et magdane (russe). Qui peut croire que sept siècles auparavant, ce joyau portuaire sertissait l'impressionnant réseau des routes de la soie ? Qui peut croire qu'encore avant, des décennies durant, Skanderopol contribuait au mythique âge d'or islamique ? De même, comment le commerce permettait-il à une ville aussi isolée du pourtour leucytaléen de vivre d'échanges avec cet espace, à l'ère antique ?
De ces substrats historiques, Skanderopol n'en a malheureusement gardé que peu de stigmates. La décadence des civilisations leucytaléennes, les invasions des empires, l'arrivée des hordes steppiques, les sacs, terrestres comme maritimes, la colonisation magdane puis les avanies d'une fédération à peine installée ont eu tôt fait de venir à bout de l'immensité historique à laquelle Skanderopol avait joyeusement participé. Fini les ruines rhémiennes, les tribus baïtoures et les tapis ghuri. Seule subsiste l'implacable modernité, le froid du béton et un arrière-goût de cité millénaire. C'est sur ces pavés parfois centenaires, parfois millénaires que l'équipe rapprochée de Viktor Anatolyevitch Chernovin, président de la Fédération de Magdanie, s'agitait. La venue du chef de l'Etat magdan était une surprise de dernière minute ; ses proches collaborateurs ignoraient même jusqu'à la raison de sa venue.
Si l'arrivée du souverain slavis était bien évidemment un événement au caractère inédit. Un souverain étranger n'avait pas foulé le sol de la cité portuaire depuis plusieurs décennies, même si les chefs d'Etat visitaient bien rarement la Magdanie en elle-même. Il faut dire que les temps difficiles dont sortait la Fédération magdane n'auguraient à l'époque rien de bon pour le commerce ou la diplomatie. L'éclatement du conflit ethnique dans le Bas-Merkhar, qui avait paralysé jusqu'aux autoroutes reliant le Sud à l'Est de la Fédération, avait entériné cette paralysie quasiment congénitale de la Magdanie. La variété des enjeux subis par la Fédération n'avait d'égale que leur complexité toute à fait futile et nuisible à l'économie et à la politique. Les analystes, cherchant à expliquer à leurs supérieurs la situation en Magdanie, s'arrachaient souvent les cheveux ; rares étaient les docteurs en ethnologie de la Magdanie, tant la matière était dense et ardue, y compris au sein-même de la Fédération.
Alors, que Alekseï IV Rurikov, monarque de l'Empire de Slaviensk, fasse le détour par le méridion de la Fédération avait quelque chose d'une prouesse. Les badauds s'étaient rassemblés au point de rendez-vous, les femmes avaient ameuté les enfants qui jouaient habituellement dans les rues pour venir assister au spectacle. La délégation venue avec Jamshid Farkhodovitch Khudoyorov, le ministre des Affaires extérieures censé représenter la Fédération initialement, avait répondu au pied de guerre à l'annonce de la venue du président de la Fédération. Chernovin ne s'était pas rendu à Skanderopol depuis des lustres et les bâtiments fédéraux avaient été époussetés à la hâte, tant les services nationaux ne voyaient pas passer d'émissaires du pouvoir central dans cette ville-capharnaüm.
En effet, le million d'âmes qui peuplait le cœur de cette ville rendait cette dernière ingouvernable. Les autorités de ce navire terrestre en perdition, le gouverneur et son adjoint, étaient venus dans des tenues inhabituelles afin d'assister à la cérémonie. Si, dans cette zone placée sous une juridiction plus directe du gouvernement fédéral, le gouverneur du kraï n'occupait qu'un rôle électoral et honorifique, le gouverneur n'en démordait pas d'affirmer à son entourage, les semaines précédant l'événement, que le monarque allait venir le voir en personne. L'arrivée de Chernovin en personne, annoncée à la hâte le jour-même, avait achevé de déclasser le gouverneur, désormais debout au second rang derrière les deux hommes d'Etat, Chernovin en tête et Khudoyorov à sa droite.
Chernovin, en sous-main par le truchement de Khudoyorov, avait décidé de tenir la rencontre au sein de la représentation du gouvernement fédéral dans le kraï de Skanderopol, un bâtiment en marbre sans saveur mais présentant l'énorme avantage de faire peser la Fédération, et non le modeste kraï, dans la balance. Chernovin prenait un malin plaisir à s'assurer que les autonomistes, qu'il considérait comme une plaie pour l'avenir de la Magdanie, ne prennent pas un centimètre de plus de terrain, surtout dans le champ diplomatique, sa chasse gardée. Lorsque la délégation de Slaviensk arriva, le président reconnut clairement l'empereur à sa tête, suivi de son ministre. S'avançant vers son interlocuteur, Chernovin se racla la gorge et salua en ces mots le monarque : « Votre Majesté, bienvenue en Magdanie. La nouvelle de votre arrivée venait de nous parvenir et nous sommes enfin ravis de pouvoir vous accueillir comme il se doit.
Votre Majesté, je vous présente Son Excellence Monsieur le Ministre des Affaires extérieures de la Fédération de Magdanie Jamshid Farkhodovitch Khudoyorov. Je me prie de vous excuser d'avoir piraté votre rencontre avec Jamshid mais, au regard des enjeux dans le partenariat entre la Magdanie et Slaviensk, je ne pouvais pas faire l'impasse à ma participation inattendue à cette réunion. Vous le savez, nos deux Etats sont liés par la culture et l'histoire, l'histoire commune des civilisations slaves et un destin géopolitique similaire. Je souhaitais impérativement m'entretenir avec vous de tous ces sujets, et bien plus encore si cette journée nous le permet. J'espère que vous avez fait un bon voyage. Comment trouvez-vous Skanderopol ? Comment est la situation en Slaviensk ? »

Viktor Anatolyevitch Chernovin, président de la Fédération de Magdanie