31/03/2018
23:09:30
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Convocation

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Commissariat Central

Commissariat Central

- Monsieur Venbranle, merci d'être venu. Commissaire Estragon, de la police politique. Vous êtes son avocat j'imagine ? Enchanté, commissaire Estragon. Suivez moi je vous prie.

Commissariat Central est une ruche labyrinthique et kafkaïenne. Des passerelles intérieures passent au dessus de vastes amphithéâtre remplis de standardistes qui répondent à tous les appels d'urgence - et Dieu sait qu'il sont nombreux - de Carnavale. Partout des hommes en armes, qu'on ne sait pas s'ils sont policiers ou truands, des gars qui gueulent parce qu'on les enferme, des gueules cassées, du sang sur le sol, des bureaux en enfilades où sont rédigés des rapports sur du matériel informatique vétuste.

Le bureau du commissaire, lui, est étonnement propre et bien aménagé. Parfaitement insonorisé aussi, les cris s'arrêtent immédiatement quand la porte se referme.

- Monsieur Venbranle pardonnez moi pour le dérangement mais mademoiselle Castelage a tenu à mettre quelques détails au point avec vous étant donnée la... situation.

Il se lisse la moustache.

- Ah mais pardon, j'oublie que ça n'a pas encore été publié. Vous êtes crédité d'un peu plus de 44% d'intentions de vote dans les sondages monsieur Venbranle, il y a fort à parier que si les choses continuent comme elles vont et si les élections ne sont pas annulées, vous deveniez le nouveau maire, félicitation. Bien sûr vous n'ignorez pas que le maire de Carnavale travaille assez étroitement avec le Commissariat Central et les grandes familles, aussi nous aimerions connaitre un peu mieux vos intentions pour la Cité noire.
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Julonin s'était déjà rendu à Commissariat Central par le passé, mais il n'était pas entré par la même porte, ni par l'un de ces halls poussiéreux des années trente, où se réverbèrent les voix métalliques d'agents, de prévenus et d'officiers passant à travers la fourmilière.

La porte était retombée derrière eux et avait éteint tous les bruits. Ne restait que le silence strident du bureau du commissaire Estragon. Gauthierry Nioble et Julonin Venbranle s'assirent face au représentant de l'ordre, dont l'écusson brillait à la poitrine ou à l'épaule, petit symbole dont étaient aussi fiers ceux qui le portaient, qu'ils en étaient nostalgiques. Créé au début des Flamboyantes, l'institution policière de la municipalité avait encadré de ses nuées d'agents et de ses super-brigades l'époque illuminée et rêveuse du début du siècle. Elle avait été le bras armé (d'une matraque) de la Principauté d'avant le Chaos. En plein coeur de la nuit, elle demeurait comme un roc habité par des naufragés : un îlot d'ordre et de procédures perdu dans un océan anarchique et brutal. Les bals réguliers des galas et des donations devaient permettre à ce commissaire-là de se nourrir de nouilles dans l'un des appartements kaléidoscopiques de la Cité Noire.

— Vous êtes crédité d'un peu plus de 44 % des intentions de vote Monsieur Venbranle.

Gauthierry et Julonin demeurent impassibles. Quand votre campagne et ses financements dépend des chiffres annoncés par les oracles, vous avez tout intérêt à ne pas trop le montrer.

— Bien sûr vous n'ignorez pas que le maire de Carnavale travaille assez étroitement avec le Commissariat Central et les grandes familles, aussi nous aimerions connaître un peu mieux vos intentions pour la Cité noire.

— Mes intentions ? J'ai présenté mon programme à de nombreuses occasions, Commissaire.

L'homme de police relève les yeux de ses lunettes.

— Reconstruire le pont vers Bourg-Léon et le doter du métro aérien, reconstruire les quartiers endommagés, construire de nouveaux landmarks à l'occasion d'une Exposition Universelle, et financer ces programmes avec des contributions étrangères et une hausse des tarifs de douane. Enfin, je ne vous fait pas la liste par le menu, si ? ... Eh bien, je prévois de taxer les kaomojis, les fantômes, les maladies vénériennes, les...

— C'est bon, Monsieur Venbranle, allez à l'essentiel, je vous prie.

— ... Bon, voilà. Quoi d'autre ? Ah oui, la titrisation boursière généralisée à tous les services publics et privés. Toutes les entités morales seront converties en sociétés anonymes à capital ouvert. D'après mes services, cela demandera sans doute un peu de temps, n'est-ce pas, Maître Nioble ?

— Oui, exactement. Il faudra trouver la bonne voie réglementaire et mettre en place une solution simple et réaliste pour cela. En effet, si les avantages d'une titrisation générale de l'économie et des services publics sont immenses pour l'accumulation d'investissements étrangers à Carnavale, cela va demander une démultiplication des capacités de traitement de données de la Bourse, qui à ce jour appartient aux Castelage. J'imagine que nous aurons besoin d'une application ad hoc.

— Bref, si vous voulez, Monsieur le Commissaire, l'idée est de permettre à tout un chacun d'acheter ou de revendre des parts de toutes les entités possibles - fabricants de missiles, Tribunal Populaire, société de collecte d'ordures de la ville basse - ce qui facilitera le financement des grands projets carnavalais et qui nous créera autant d'associés. Et les associés, c'est utile pour faire du lobbying, surtout en période de crise.

Le commissaire écoute pour l'instant. Après quelques instants de silence, Gauthierry se penche vers Julonin.

— Je pense que le commissaire Estragon souhaite plutôt connaître notre état d'esprit, au-delà du programme.

— Notre état d'esprit ?

Julonin déboutonne le dernier bouton de sa veste, et se met un peu plus à l'aise sur son fauteuil. Un sourire lui fend le visage :

— La première chose à noter, c'est que je ne suis pas communiste.
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Commissaire Estragon
- La première chose à noter, c'est que je ne suis pas communiste.

Le commissaire Estragon se lisse la moustache.

- Bon bon c'est déjà ça. Votre avocat a raison monsieur Venbranle, il a raison, il ne m'appartient pas de discuter du contenu de votre programme politique, non non, mais vous n'êtes pas de Carnavale, vous avez passé votre enfance au Makota si j'en crois RALL... nos renseignements. Vous comprenez bien que si vous deviez être élevé à la dignité de maire de Carnavale, il vous faudrait travailler main dans la main avec les grandes familles - peut-être un peu moins grandes pour certaines - de la Cité noire. Sans compter que les...

Il se racle la gorge.

- ... troubles actuels à l'internationale demandent un peu de coordination de toute l’intelligentsia, oui oui. Les Carnavalais ne nous pardonneront pas de ne pas avoir été à la hauteur des évènements, la Principauté est un bien trop précieux de l'humanité pour flancher, mademoiselle Castelage ne s'y trompe pas, non non, il faudra du courage et de la détermination, si nous tenons le cap nous triompherons, d'une manière ou d'une autre.

Lissage de moustache.

- Carnavale, c'est une grosse machine, oui oui, une grosse machine. Complexe. Difficile à appréhender. Vous aurez besoin de relais sur le terrain, d'amis, les gens vous aiment bien monsieur Venbranle mais avez vous des soutiens ? Des alliés ? Des protecteurs ? On meurt vite à Carnavale quand on n'est pas bien entouré, vous allez intégrer le gratin, ils voudront être sur les photos avec vous mais attention, oui oui, attention, vous mettez les pieds dans un sacré micmac parce qu'en dessous, c'est un panier de crabe, ça lamproie, non, pardon, ça louvoie comme des anguilles, attention, oui oui.

Un regard chagrin à l'avocat.

- Je ne crois pas que votre famille soit très influente ? Avez vous des biens substantiels ? Des forces de sécurité privées ? Bien sûr Commissariat Central pourra assurer votre protection, bien sûr, nous sommes au service des Carnavalais avant tout, et les Carnavalais vous aiment bien mais vous, vous avez besoin d'amis.

Regard éloquent par en-dessous.
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Ce commissaire Estragon est un malin, pense Julonin. A coté de lui, Gauthierry se redresse sur sa chaise.

— Monsieur le commissaire, en tous cas je peux vous certifier que mon client est un donateur régulier des galas de charité de la haute ville, ce que pourront certifier bon nombre de vos administrés tels que Madame Bellurêtre chez qui, il y a quelques semaines encore, le...

— Des amis, commissaire, j'en ai, coupe le candidat. Et je compense si nécessaire leur qualité par leur nombre. Vous pointez que je suis originaire du Makota, c'est juste ; mais mes parents sont tous les deux d'authentiques carnavalais. Par ailleurs, je suis résident à Carnavale depuis plusieurs années, bien que je voyage beaucoup. Loin de me déconnecter de notre bonne ville, cela m'en a rapproché. Je peux ainsi vous citer nombre de mes amis dans des zones aussi reculées que les remugles de la Capitainerie, que des salons aussi chics que ceux du château d'Herbefleurie, quartier de l'Elysée, où réside l'un de mes cousins éloignés - enfin résidait car il s'est suicidé pendant l'Armaggedon't, mais l'un de ses clones domestiques lui a survécu et a eu gain de cause pour sa succession et j'ai les meilleurs rapports avec lui. Enfin, pour tout vous dire, des amis, j'en ai.

Le commissaire se lisse encore la moustache.

— Oui, oui.

— En ce qui concerne les biens de mon client, commissaire...

L'avocat récupère sa sacoche en cuir, et se met à fouiller dedans. Il en sort divers documents.

— Je vous écoute, Maître.

— ... Ceux-ci sont effectivement substantiels puisque Monsieur Venbranle que je représente est l'heureux propriétaire d'un... euh... laissez-moi trouver mes papiers...

Trois secondes passent.

— ... Un canot à Fort-Marin, avec une bitte d'amarrage à son nom sur le port principal...

Il fouille encore, jette un oeil désabusé à des morceaux de papier chiffonnés qui sont restés trop longtemps dans sa mallette.

— ... Une chambre de bonne dans le quartier des Ligatures, au numéro vingt-quatre-bis de la rue...

— Gauthierry...

— Pardon.

L'avocat se racle la gorge, fait un sourire gêné au policier. Puis il s'explique.

— Mon client veut bien entendu conserver toute discrétion sur sa résidence principale.

Le commissaire Estragon fronce les sourcils.

— Quartiers des Ligatures ? Hum hum. C'est très végétalisé par là-bas. Juste à côté des Jardins, est-ce bien prudent pour un candidat à la municipalité, hum ?

Son air circonflexe fait tiquer Julonin. Maître Nioble s'interpose :

— La discrétion est la meilleure des sécurités, monsieur le commissaire. Surtout quand, comme vous le savez, nous avons des ennemis prêts à tuer la veuve et l'orphelin pour causer du mal à notre bonne ville...

— Oui oui... c'est tout ?

— Euhh ... ! Non, non... Des propriétés substantielles, je disais, parmi lesquelles... Si je ne retrouve pas mes papiers... Ah ! Voilà. Je disais : cinq comptes bancaires, dont deux à la Banque Castelage, au titre de l'épargne (vous pourrez vérifier avec les autorités de la banque) ; et les autres un peu partout, vous savez, un peu à Messalie, un peu au Makota...

— Les avoirs de feu ma mère.

L'homme d'ordre acquiesce, les mains jointes sur son bureau.

— ... Quelques actions d'entreprises à travers le monde, des participations à ce consortium maritime là... le nom m'échappe...

— La Rache ?

— Oui, alors des actions dans la Rache, certes ; mais ce n'est pas cela que je cherche... c'est un truc gallésant... Aidez-moi...

— L'ALCO.

— Voilà ! Merci. L'ALCO. Ouf !

Il se gratte la tête.

— Et sinon, de souvenir, quelques grandes boîtes internationales, des participations... Des voitures, aussi.

— Je collectionne.

— Mon client collectionne, voyez-vous. Donc, des vieux modèles.

— Des moteurs de vieux modèles, plus précisément.

Le commissaire décapuchonne son stylo pour écrire quelque chose sur une feuille. Il demande :

— Et vous les gardez où, ces moteurs ? Chez vous ?

— Oh non, répond Julonin, je les garde dans un hangar, quelque part en sûreté.

— Je note donc : une chambre de bonne, une barque, des stock-options. C'est tout ?

— Euh... oui.

Julonin avale sa salive.

— Ah oui ! Une société de confettis aussi.

Gauthierry lève un doigt en l'air, content de s'en souvenir.

— Enregistrée sous le nom de Société Troublefontaine, aux Républiques Etznabistes.

— C'est une vraie société ?

Les deux prévenus sourient.

— Quel est son capital ?

Ils continuent de sourire.

— Si vous me demandez de remplir une déclaration de patrimoine, commissaire, je...

Le commissaire Estragon pince les lèvres, et recapuchonne son stylo. Il joint à nouveau les mains sur la table, et se prépare à reprendre la parole, mais le candidat l'interrompt alors à nouveau.

— Pour vous répondre plus succinctement, commissaire, je suis quelqu'un de très sociable. Je connais beaucoup de monde, qui peut travailler pour moi, ou me recommander des gens. Je n'ai pas de société de sécurité mais je suis très proche du syndicat des concierges. Cela m'a permis d'échapper à plusieurs tentatives d'assassinat, tout comme de découvrir des choses sur mes rivaux à l'élection munici...

L'avocat se racle la gorge. Julonin s'arrête un instant avant de redémarrer.

— Vous savez comme moi que depuis l'Armageddon't, le statut social ne peut plus se jauger qu'à la pureté aristocratique du sang - bien que je sois un duc d'Herbefleurie, en ligne presque droite.

— Presque...

Il lance un regard noir à son imbécile d'avocat.

— Je suis un businessman, et j'assume une part de débrouillardise qui, en fait, m'a gagné beaucoup plus d'amis potentiels que de mépris de classe. J'ai roulé ma bosse dans beaucoup de dossiers que scrutent aujourd'hui les grands de Carnavale. Sans vouloir me vanter, je pense que si vous citiez mon nom au Professeur Géminéon, il se souviendrait de moi, par exemple. Je connais beaucoup de gens. Je connais les carréneurs de la Capitainerie, les pêcheurs de sirène ou bien ce qu'il en reste, dans l'archipel ; je connais les cafés des Hélicons, les arcanes de la Bourse, les teufeurs de l'Enclave verte, les ramoneurs des Bourdons ; j'ai dans mon carnet d'adresse des directeurs de presse, des imprimeurs, des fabricants de toupie, des gonfleurs de ballons dirigeable, des tailleurs de mines à papier, des vieilles comtesses en feu, des cireurs de pompes, je suis un actionnaire de Cramoisie, un prestaire de RoboTic & Toc (oui, je vous expliquerai plus tard), je possède une jolie petite brochettes de blindés d'assaut en attente de livraison, j'ai organisé des opérations avec cinq pays différents, je parle à tous, aux kahistes comme aux pervenchistes ; je sais qui est Poupette, je sais qui est le Lion de Dieu (un vieux kebabier me l'a expliqué), autrement dit, monsieur le commissaire, je suis quelqu'un d'utile pour vous, je suis un candidat de confiance. Avec moi, il n'y aura aucun problème, vous savez. Commissariat Central pourra continuer à travailler pour maintenir l'ordre, imposer la loi ou je ne sais plus quelle est votre raison sociale exactement ? Enfin vous voyez ce que je veux dire. Alors, de l'influence, du pouvoir, des troupes, je vais vous le dire, commissaire Estragon, d'homme à homme : effectivement, je n'en ai pas. Pas au sens où vous l'entendriez. Je n'ai pas de couronne, de fief, de cavaliers, de conglomérat à faire valoir en place publique, de logo à déployer sur l'étendard d'un gratte-ciel à mon nom. Peut-être un jour, remarquez. L'espoir est permis, non ? Carnavale a bien fait sa révolution, tout le monde a le droit de tenter sa chance maintenant. Vous me parlez d'un sac de lamproies, je

— Non il a dit un panier de crabes

— je ne vous ferai pas croire que je ne sais pas à quoi m'attendre dans cette ville. Je suis né ici, tout Makotan qu'on me dise. Cela m'a donné deux qualités, qui peut-être vous étonneront, car ce qu'on lit sur moi est complètement farfelu. On m'imagine ramper avec des plumes dans le cul, à lécher des chimères... Vous n'y croyez pas, hein, commissaire ? Non, en vérité, je vais vous le dire : premièrement, je suis prudent. Deuxièmement, je suis réaliste. Prudent car de vous à moi : je n'ai aucune envie d'être le prochain prince du Vale. La couronne pèse beaucoup trop lourd et la cape me gênerait pour marcher. Au contraire, vous savez, ces derniers temps je me dis que ce serait bien qu'on en ait un... Quoi qu'on en dise, il y a un siècle, notre ville avait bien du panache. Bref. Réaliste, enfin : parce que je ne sais que trop bien comment un petit poisson peut survivre dans un océan peuplé de requins. On ne fugue pas du Makota pour devenir pêcheur de sirène au Pôle Nord quand on est une fleur bleue. Je vais vous le dire : les grandes maisons nobles sont en effet très puissantes, leurs entreprises sont massives et leurs milices acérées. Avec mes soixante-dix kilos tout mouillé je ne fait pas le poids. Mais comme je vous l'ai dit, je connais bien cette ville. Je connais ses rouages. Je suis un homme d'affaires. Je sais ce que vaut le capital, mais je sais aussi ce que peut le travail. Je sais de source sûre à quelle température se trouvent nos balisticiens, nos assembleurs de drones ou nos électriciens. Je sais où ils sont, ce qu'ils font, et comment leur parler. Je sais ce que leur doivent leurs employeurs, et je sais que la force des travailleurs, c'est la grève.

Il se tait enfin. Le commissaire le fixe.

— En un sens, je suis quand même un peu communiste.

Julonin laisse échapper un petit rire, et croise les bras. Quelques instants s'écoulent.

— Je pense que mon client s'estime de taille à négocier leur coopération avec toutes les composantes de la société carnavalaise, commissaire.

— Hum.

— Ne vous inquiétez pas de Monsieur Venbranle, hein, commissaire. Il est de notre côté...

Julonin le coupe.

— Je suis le meilleur anticorps de cette ville contre la grande grève générale qui arrive, commissaire. C'est ça, ma botte.



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Commissaire Estragon- Bien, bien bien bien, oui oui...

Le commissaire semble presque un peu déçu que Julonin se sente autant en sécurité mais la mention de quelques noms, dont celui du Docteur Géminéon, lui a fait lever un sourcil approbateur.

- Alors c'est vous les blindés ? Ah bon, c'est très bien tout ça, oui oui. C'est utile, oui. On n'en a jamais trop. Essayez juste de ne pas être perçu comme une menace pour les milices, enfin je ne vous apprends rien bien sûr. Il faut trouver, vous savez, un équilibre, de la force, mais pas trop. Quelque part entre la lamproie et le prédateur, quelque chose dans ce ton là.

Il note quelques informations sur un bout de papier devant lui.

- Vous savez, moi je ne crois pas au rumeur, non non, nous sommes des enquêteurs professionnels voyez-vous. D'ailleurs je savais déjà la plupart des informations que vous mentionnez, bien sûr.

D'un geste qu'il veut nonchalant, il réajuste la pile de papiers sur son bureau de sorte à camoufler le dernier numéro de RALLY en dessous.

- Bon. Très bien. Je vois que vous êtes un homme confiant, j'imagine qu'il en faut pour se présenter à la mairie de Carnavale. De la confiance. Concernant les loupoies, tant que vous ne vous opposez pas directement à quelqu'un de puissant, cela devrait aller, bien sûr il y a des intérêts contradictoires il faudra la jouer finement, vous serez, enfin si tout se passe comme prévu, vous serez le maire de tout Carnavale donc il faudra lamproyer - louvoyer astucieusement. Vous savez bien sûr que Commissariat Central ne fait pas que gérer les petits délits ? Il y a tout un volet, une mission, vous savez bien, oui oui, de contrôle social vous vous en doutez. Nous sommes comme vous bien sûr, un coup à gauche, un coup à droite. Encore un coup à droite. Il faut ménager tout le monde, pour le bien des Carnavalais. Et encore un petit coup à droite pour la route. Qui dit contrôle social dit prévention, prévention du crime, surveillance et puis surtout personne ne nous emmerde ici, vous ne verrez pas de miliciens à Commissariat Central, non non.

Il jette un coup d’œil à gauche, à droite, puis sort son mouchoir et se lève pour étouffer ce qui est très probablement un micro caché derrière la poignée d'un de ses tiroirs.

- Monsieur Venbranle... si un jour vous étiez menacé, ou que sais-je, Commissariat Central sera heureux de vous venir en aide. Un coup de téléphone et je peux vous avoir quelques officiers en renfort, considérez cela.

Il relâche la pression sur le micro.

- Bien bien bien. Et concernant la politique militaire et industrielle de ville menée par la Banque Castelage, j'imagine que vous ne poserez pas de problèmes, non non ? Une dernière chose monsieur Venbranle, au-delà de votre programme, avez vous une position personnelle vis-à-vis des Jardins Botaniques ?
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Julonin acquiesce sagement, l'air circonspect, pendant la réponse du commissaire Estragon.

— Bien sûr, commissaire. Vous avez mieux dit les choses que moi. Tout cela est parfaitement entendu entre nous.

Puis, se rapprochant de son interlocuteur.

— Quel genre de communiste serais-je si je me mêlais des choix techniques de nos industriels, hein ?

Il fait une petite mimique amusante.

— Et longue vie à nos keiretsus nationales ! Qu'elles fassent du chiffre, je ne leur demande rien d'autre.

Le policier reste stoïque ; Gauthierry Nioble ose un pas dans la conversation.

— La municipalité peut légalement émettre des commandes publiques à l'industrie, par ailleurs.

Le candidat fait "oui oui" de la tête pendant que le commissaire fait "oui oui" avec sa bouche. Avec leur beau taxi à deux bref.

— Une dernière chose monsieur Venbranle, au-delà de votre programme, avez vous une position personnelle vis-à-vis des Jardins Botaniques ?

Julonin fronce un peu les sourcils, et, la tête tournée maintenant vers son avocat :

— Il y a quelque chose à dire là-dessus ?

L'autre a un petit mouvement d'épaules étonné. Il se retourne alors vers le commissaire :

— Les Jardins Botaniques sont un terrain privé, il me semble, non ? Rien qui ne soit du ressort de la mairie.

— Les rues qui ont été avalées par la végétation apparaissent encore sur les anciens plans.

— Oui mais elles n'existent plus aujourd'hui.

— Maître, vous savez ce qu'en dit le droit municipal ?

Le juriste ne sait pas trop et ça se voit sur sa lèvre inférieure. Il tente pourtant une réponse.

— Il faudrait demander à Octave Jumentfleur, c'est lui qui a arrangé le dernier cessez-le-feu avec les Jardins.

— Dans ce cas nous verrons avec lui.

Julonin commence à reboutonner sa veste, prêt à se lever pour partir. Comme il voit dans le regard que persiste une question chez le policier, il prend les devants pour conclure.

— J'ai dit dans mon programme quelle sera ma politique horticole. Nous, les Carnavalais, nous maîtrisons le terrain, mais les arbres, eux, ont tout le temps devant eux. Si je suis maire, mon adjoint aux Espaces verts acceptera d'échanger de l'espace contre du temps. Nous céderons des arrondissements, un ou deux quartiers s'il le faut. Nous allons avoir du pain sur la planche, on ne va pas pouvoir se permettre de mener trois, quatre guerres de front. On prolongera le cessez-le-feu.

Il sourie.

— Voilà pour ma position personnelle. Ce sera tout ?



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Commissaire Estragon
- Commandes publiques, oui sans doute, il faudra voir, nous n'avons pas vraiment l'habitude... enfin vous ferez ce que vous pourrez.

Le commissaire Estragon semble satisfait, il note des choses dans son carnet en dodelinant de la tête.

- Ce sera tout monsieur Venbranle, je vous remercie, oui oui, et je vous raccompagne.

Il se lève.

- De vous à moi, c'est une bonne chose ces élections, c'est divertissant, on n'a pas tous les jours l'occasion de s'amuser à Carnavale, ça non alors tout ce qui fait penser à autre chose, c'est bon à prendre. J'espère que vous allez gagner monsieur Venbranle, oui oui, ce sera amusant. Allez je vous raccompagne.

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