Gina Di Grassi (24 avril 2018)

"Je ne connais rien aux princes, aux gouvernements et aux intrigues de palais: je suis un soldat. Mais ce sont les types comme moi qui font avancer les pions de tous ces gens, et les types comme moi qui gagnent les guerres. Adria est déjà en guerre, même si son gouvernement ou Agricola ne le savent pas encore, ou refusent de le comprendre. Alors, nous ferons le travail à leur place, comme toujours."
Les mots du commandant Mardonios, mon "prince-condottière", venaient frapper en plein cœur. J'étais ainsi entourée: par des hommes et des femmes vivant dans la méprise des convenances, mais paradoxalement, étaient l'expression de la puissance des élites qui les méprisaient allègrement. Car oui, il était vrai que dans les patries fortunéennes, on se méfiait de ceux, comme les mercenaires, qui avaient fait du versement du sang de leur métier. Quel genre d'homme fallait-il être pour s'adonner à pareil labeur ? Au choix, un homme cruel et rustre vivant de sa propre cruauté, ou bien, un homme désargenté et misérable, réduit à la violence par les mêmes structures qui le recrutent par la suite pour remplir de sombres offices. Et il y avait des hommes et des femmes comme moi-même, en quête de soi et de structures familiales qui n'existaient plus. Ironique qu'il était de chercher famille en pareil endroit, et en pareille compagnie. Pourtant, je l'avais bien trouvé: la troupe de Mardonios était remplie de ces gamins ruinés de l'ancienne élite foncière d'Achosie du Nord, mise de côté par une nouvelle élite financière mieux pourvue, et qui l'a remplacée dans tous les aspects de la politique...sauf dans la guerre. Il y avait toujours le besoin d'hommes et de femmes maniant des armes pour remplir de sales labeurs que cette nouvelle élite refusait de voir, tout en ayant conscience de sa nécessité. Aussi, ces gens, ces soudards vivaient dans le clair-obscur permanent, entre deux mondes: celui de la misère, et celui de l'élite. Ils voyaient la pauvreté et la richesse en même temps, en l'espace de quelques clignements d'yeux.
Les élites d'Adria, c'était un fait tiré de nos semaines entières passées à errer dans cette ville, ne savaient pas comment mener une guerre. La cité n'en avait pas faite depuis des décennies, et il n'y existait pas même une véritable armée avant l'arrivée d'Agricola, à la tête de ses navires. Les gens d'Adria, hormis Adolfino Agricola et la doyenne Marina Moretti, ne paraissaient prendre pleinement conscience de la nature du conflit qui se profilait en pays dodécaliote, ni en saisir les enjeux. Les membres du directoire scientifique de la ville, qui administrait cette patrie, caressaient encore cette illusion vaine, qu'afficher une neutralité de façade dispenserait la ville des affres des troubles à venir. Ils avaient tort, certains andrians comme son excellence Moretti le savaient, mais même les lucides ne savaient concrètement pas faire pour mener un combat, elle la première. Les mercenaires comme nous, comme le commandant Mardonios ou le professeur Bishop étaient là pour ça. Quant à Agricola, il connaissait les choses de la guerre, mais il n’entendait pas la "mener avec la même fourberie que Lograno", si jamais elle devait éclater. Le fameux traître velsnien était un Homme bon jusque dans ses manœuvres: il croyait en la guerre courtoise, celle qui permet de voir son adversaire et l'affronter de face. Là encore, le sénateur déchu vivait dans une illusion autre, celle de penser que la Guerre dodécaliote serait un affrontement conventionnel. Malgré tous les avertissements qui furent faits de Lograno à sa personne, que ce soit de son amante adriane ou du commandant Mardonios, cette bonne âme et ce soldat compétent restait un politicien dont j'eus toujours pensé qu'il était médiocre dans la lecture de ses adversaires. Il n'est rien de plus navrant que de travailler pour un Homme que je pensais sincèrement bon dans ses intentions, mais qui présentait ses failles.
Il ne se rendait pas compte de toutes les formes que le conflit allait prendre, à commencer par le fait que cette lutte passerait en premier lieu par les ambassades, les chancelleries et les détours des couloirs, où l'usage des mots seraient plus efficaces que ceux des armes. Là encore, les apamées et les volterrans avaient un train d'avance, et le confort d'Adria n'était dû qu'à sa situation plus isolée. Mais cela ne durerait pas, il arriverait tôt ou tard le moment où lorsque Apamée ou olterrra chuterait, où Adria serait seule face à un adversaire qui aurait prit le temps de bâtir sa puissance, qui aurait graduellement acheter la loyauté de toutes les autres cités dodécaliotes, alors qu'Adria, elle, se serait compromise dans l'inaction et la paralysie: peut-être Marina Moretti espérait que la respectabilité et la sagesse suffiraient à ce que sa cité soit élue à l'hégémonie au prochain congrès, mais cela, moi même en doutais-je fortement. Au cœur du commandant Mardonios et des autres mercenaires payés par la cité d'Adria, il paraissait clair que cette hégémonie ne se gagnerait pas par la passivité: la démocratie apaméenne paraissait l'avoir compris, de même que le "prince de Volterra", mais les élites d'Adria tardaient à en prendre conscience.
Ainsi, il faudrait agir à leur place, et les mettre devant le fait accompli: c'est ainsi que l'idée de prendre la cité de Cortonna par la ruse, et remplacer son gouvernement afin d'obtenir un premier soutien vers la conquête de l'hégémonie, était née dans l'esprit de quelques fous, Mardonios et Bishop les premiers. Cortonna fut la cible parfaite: qui irait défendre une ville gouvernée par une élite théocratique et rétrograde ? Les autres cités dodécaliotes ? Apamée était-elle prête à dénoncer la cité d'Adria au sujet d'une ville qu'elle tenait elle même en piètre estime ? Alors même que le conflit faisant rage entre Porto Rosso et Nuevo Fortuna à sa frontière faisait rage ? Ce régime honni de tous trouverait-il du soutien auprès de Lograno, lui-même accaparé par ses propres rêves de grandeur en péninsule apaméenne ? La cité de l'évêque de la Dodécapole était pour ainsi seule, et elle avait cultivée cette position d'elle même durant les décennies précédentes, coupant le contact avec presque toutes ses consœurs, se refusant à la moindre libéralisation politique dans un monde ayant depuis longtemps poursuivi sa route sans elle. Cortonna était le grand infréquentable de la Dodécapole, l'Homme malade de la famille, la paria. Parmi les dodécaliotes, peut-être y aurait-il quelques dénonciations opportunistes qu'il faudrait contrecarrer, mais rien d’insurmontable selon le commandant Mardonios. De même, qui à l'étranger pouvait regretter la chute de ce régime ? Velsna ? Pas un instant celle-ci s'intéressait à son sort malgré toute l'inimitié de la cité sur l'eau pour Agricola, le fameux traître velsien. L'OND ? L'organisation était-elle prête à sacrifier des moyens pour sauver une théocratie mourante ? Sans doute pas. La cible était parfaite, le moment choisi l'était tout autant. Le 23 avril 2018, le plan fut lancé.
Il y avait parmi les pauvres fous que j'eus décrit plus tôt, quelques centaines d'hommes et de femmes, tout au plus. Des fous, que je me refuserais d'appeler "esprits libres", car ils restaient enchaînés à leur condition d’exécutants des bonnes volontés de leurs employeurs. Il y avait les chasseurs strombolains de Mardonios, dont je fis partie, les kotioites de Bishop, ainsi qu'un curieux et récent arrivage de mercenaires provenant de lointaines contrées nazumi. Une équipée baroque.
Si Agricola était indifférent vis à vis de la ruse, ce n'était point le cas de nous autres, les moins que rien et les soudards. Mardonios usa d'un stratagème qu'il tira de ses souvenirs de la Guerre de l'AIAN, en Achosie du Nord, afin de prendre la ville par la fourberie et la bénédiction de Dame Fortune. Sachant ma personne, en tant que fille de sénateur velsnien, particulièrement prisée en guise d'otage par les cités dodécaliotes, et en particulier par Apamée et Volterra, qui tentaient toujours d'obtenir de Velsna sa stricte neutralité, je consenti à me faire "vendre" par les condottières aux autorités de Cortonna, lesquelles nous pesions avec raison que celles-ci contacteraient incessamment Volterra ou Apamée dans le but de me vendre comme otage de marque en échange de quelque avantage que ce soit, une pratique commune dans les cités dodécaliotes. J'étais fille du Maître de l'Arsenal de la Grande République, et prise de valeur pour quiconque.
Aussitôt contactée, l'évêché de Cortonna consenti à ouvrir ses portes à la troupe de Mardonios, de Bishop et de Retaellon, pensant que nous changeâmes d’allégeance pour préférer la leur: une petite compagnie d'une centaine d'hommes atterrirent donc sur une piste, répartis en plusieurs petits avions. On me fit sortir de l'un d'entre eux par la violence: toute attachée et avec un bâillon, des chaînes autour des mains. On se permit même de me donner quelque coup de crosse, dont un à la tempe qui me fit grand mal. On reçut Mardonios, Bishop et Retaellon en grande pompe, dans un accueil digne du pape de Catholagne, et on emmena le cortège jusqu'au bâtiment de l'évêché, qui servait ainsi de résidence à son dirigeant tyrannique. Nous pûmes observer furtivement l'étendue de l'impuissance de cette ville, la plus pauvre de la Dodécapole, gardée par des poignées de soldats qui ne furent pas préparés à la suite des évènements sont ils ne furent que les victimes collatérales et nécessaires de la quête de l'hégémonie d'Adria. Ces soldats étaient pauvrement équipés, et pauvrement vêtus, loin des réformes militaires que la plupart des cités dodécaliotes avaient déjà effectuées sur le modèle velsnien.
L'heure d'agir vint lorsqu'on me présenta à l'évêque lui-même et à son conseil, qui étaient chacun trop heureux de me posséder en tant que monnaie d'échange inespérée en vue de sortir de leur isolement mortifère. On me mis sur mes genoux face à cet homme, dont l'odeur rappelait celle de la vieillesse et de de l’échec, que les condottières d'Adria lui rappelleraient bien assez tôt la réalité. Alors que ses gardes s'apprêtaient à se saisir de moi, les mercenaires Mardonios retournèrent leurs armes contre les gardes de l'évêque, et les abattirent dans un mouvement si vif, que les conseillers de ce dernier n'eurent le temps de dire mot, ne serait-ce que de crier à l'aide. Le gouvernement de Cortonna était ainsi renversé, au détour d'une brève fusillade qui se prolongea dans les rues adjacentes du palais. Leur gouvernement décapité, des mercenaires dans leurs murs, la garde cortonnaise fut rapidement dépassée, et rendit les armes face à une équipée pourtant quatre fois moins nombreuse qu'elle en effectifs. Une centaine de morts fut à déplorer pour ces derniers, contre à peine une dizaine pour nous. Cortonna était tombée en moins d'une heure, et avec une opposition des plus minimes, sans même que la population ne s'en rendit compte à l'instant, et qui ne le découvrirait que les heures qui suivirent.
Dés lors que la ville était sous contrôle, nous fîmes venir le reste de nos troupes: 2 000 d'entre nous tinrent cette ville; Le Gouvernement d'Adria, et l'ancien hégémon Agricola ne furet mis au courant que dans les heures suivantes, et mises devant le fait accompli. On dit que cet acte d’insubordination fut acceuilli avec rage par Agricola, qui vit une partie des troupes de ses alliés adrians prendre une initiative par elles seules. Mais cette désobeissance reçut un accueil beaucoup plus pensif de la part de la doyenne Moretti, qui pris conscience de l'opportunité, malgré la ruse et la fourberie qu'il fut nécessaire de mettre en œuvre pour arriver à cette situation. Il fut dés lors question de savoir que faire du futur gouvernement de Cortonna. Moretti et Agricola furet eux même partagés sur la question: si Agricola était favorable à simplement changer l'identité des personnes en charge, Moretti voulait quant à elle remodeler entièrement le gouvernement de cette vieille rivale, et imposer une gouvernance calquée sur le modèle de Directoire scientifique d'Adria, mettant ainsi fin à un gouvernement théocratique vieux de plusieurs siècles. Mais dans les faits, le choix revenait aux hommes et aux femmes en place, qui eurent le dernier mot quant à ces instructions...
Le choix appartenait aux acteurs de cette pièce, les moins que rien et les flingues à louer, dans la plus grande des ironies.
Effets:
- Cortonna est prise par des mercenaires engagés par la ville d'Adria. Elle devrait changer d'allégeance en vue du prochain congrès dodécaliote (voir le premier post du topic conflit pour voir l'état des forces en présence.
- 100 soldats et leurs équipements seront supprimés de l'atlas de la Dodécapole (pertes militaires durant la prise de la ville).
- Les joueurs doivent décider de la marche à suivre dans le changement de gouvernement de Cortonna, à savoir:
- Suivre les ordres de la doyene Marina Moretti et remplacer le gouvernement théocratique par un Directoire de grandes figures universitaires calqué sur le modèle d'Adria (nécessite une garnison plus importante pour garantir la pérenité du prochain gouvernement de Cortonna, et risque des évènements de révolte populaire).
- Suivre les ordres d'Adolfino Agricola et remplacer l’évêque ainsi que le conseil ecclésiastique de la ville par des figures plus amicales (nécessite une petite garnison et amoindri les risques de révolte populaire, mais fidélité plus aléatoire de Cortonna vis à vis d'Adria à l'avenir).
- Suivre une voie alternative qui mettra les joueurs en porte à faux immédiat avec leurs employeurs, ainsi que Mardonios (affrontement prévisible)
Lieu de l'action: Cortonna (Nord de la péninsule d'Albe)

Facteurs explicatifs de la situation:
- Les joueurs d'Apamée ont refusé l'idée d'une expédition visant à prendre Cortonna, ce qui a laissé l'action des joueurs d'Adria se faire sans la moindre opposition (la situation aurait pu être différente).
Liens pour la bonne compréhension du post:
- Pour compredre le personnage d'Agricola
- Pour comprendre la situation de Cortonna
- Pour comprendre l'origine du plan de la prise de Cortonna
