06/06/2018
10:11:33
Index du forum Continents Eurysie Velsna

Mémoires de Matteo Di Grassi - l'Etat du monde

Voir fiche pays Voir sur la carte
10170
L’État du Monde - Mémoires de Matteo Di Grassi
Pensées sur les grands et les petits personnages de l'univers


Depuis sa propriété d'Achosie du Nord, le Sénateur et ancien Maître de l'Arsenal Matteo Di Grassi a eu à cœur de coucher sur le papier les impressions nombreuses d'une Eurysie de la fin du XXème et du début du XXIème siècle au travers des personnages ayant contribué au façonnement de la géopolitique mondiale, de préférence toutefois, à évoquer les étrangers et compatriotes ayant joué un rôle plus ou moins important dans la conduite des affaires de la cité velsnienne, qu'il s'agisse en mal ou en bien. Ces mémoires prennent la forme d'un échange entre lui et son épouse, Clara Di Grassi, qui a charge de rédaction de l'ensemble de l'ouvrage. Cet exercice de pensée s'inscrit dans la prise de distance que l'intéressé a mis entre lui et la politique à partir du mois de mai 2018.


Lorenzo Geraert-Wojtkowiak et la Loduarie communiste



Clara: Pourquoi commencer cet ouvrage par l'ancien secrétaire de la Loduarie ?

Matteo: De tous les personnages que j'ai rencontré, le "camarade" Lorenzo est, je le pense, symptomatique de ce qu'est l'Eurysie, dans son profond: rien de moins qu'une histoire de rapport de force perpétuel entre ses différents acteurs. Il nous a appris à tous, nous les premiers, que c'est le rapport de force avant tout qui détermine la crédibilité de nos positions, de leur portée, et il est l'un de ceux paradoxalement, à en avoir fait les frais à la fin de sa vie. Il est également le premier dirigeant du monde communiste/communaliste à avoir pris contact avec la Grande République durant mon mandat de Maître de l'Arsenal, en 2012, sous le gouvernement Dandolo.

Le premier contact n'a pas été...des plus amical, il est vrai, mais il a été riche d'enseignement pour nous. Durant la guerre d'Okaristan, en début d'année 2012, l'aviation loduarienne a effectuée un survol de l'espace aérien velsnien, ignorant au passage notre souveraineté dans son trajet pour instaurer ce qui deviendra par la suite l'Oblast de Zladingrad. Cet évènement a appris durement au gouvernement communal et à moi-même, que le monde politique eurysien était déterminé par le rapport de force: notre aviation était alors faible, et la Loduarie a prit ce fait comme tel, et ne s'est pas gênée pour enjamber Velsna comme un marche-pied. C'est d'ailleurs à la suite de cet évènement, parmi d'autres il est vrai, que le gouvernement communal a acté la naissance du programme aérien moderne de la cité sur lequel nous reposons notre doctrine, encore aujourd'hui en 2018. Le camarade Lorenzo nous a appris durement que la souveraineté se méritait, et qu'il fallait la défendre avec le matériel approprié, et que nous devions partir à la recherche du rapport de force approprié.

Du reste, j'ai choisi cet individu pour commencer cet exercice, parce que je pense que nous sous-estimons le caractère exceptionnel du personnage. Lorenzo était bien davantage qu'un "tyran" ou qu'un vulgaire "dictateur" d'un pays obscur. Les gens de l'OND ont tendance à le réduire à cette dimension, mais c'est là une grande erreur, à mon humble avis. Ils ont tendance à oublier le contexte dans lequel le "camarade" Lorenzo est arrivé au pouvoir: avant le "tyran", il y a eu le "libérateur des peuples". Nous parlons tout de même d'un jeune homme qui a pris le contrôle d'un pays dans la fleur de sa vingtaine d'années, en 2001, et qui a été à l'origine du renversement d'un régime fasciste. En 2001, Lorenzo n'était pas un tyran pour son peuple, il était quelque chose de plus, des choses qui pour certains aspects de sa personnalité, ont perduré jusqu'à sa mort. Lorenzo a placé la Loduarie sur une carte du monde, ce qu'aucun de ses gouvernants n'avait fait avant lui, et ce avec des moyens très limités. Certes, ce ne sont pas des élections qui l'ont porté au pouvoir, mais ce sont des idées qui avaient de la valeur aux yeux du peuple loduarien: la recherche de la justice, le courage, l'avènement d'une forme de paradis où toutes les formes de souffrance n'existeraient plus, qu'importe qu'il ait échoué dans toutes ces choses, le régime qu'il a fondé en 2001 était avant tout le reflet de cette introspection, née dans la fureur de la révolution.

Lorenzo Geraert-Wojtkowiak n'était pas qu'un vulgaire tyran, loin de là, c'était un personnage digne d'une tragédie grecque, tel que les velsniens les affectionnent tant: le héros condamné à l’échec, dont on connait déjà le destin avant même que nous ayons connaissance de ses actes. Lorenzo Geraert-Wojtkowiak était la jeunesse du monde, tant dans sa fougue que dans la passion qu'il transmettait aux autres, que ce soit par la bravoure ou la peur. J'ai croisé d'autres révolutionnaires par la suite: des communalistes, des anarchistes et d'autres eurycommunistes, mais aucun de ceux là portait en lui un tel feu. Je compare souvent le loduarien avec les kah tanais dont j'ai fait la rencontre par la suite: et j'ai coutume de dire qu'une kah tanaise comme Actée Iccauthli était un souffle de braise à la Révolution, tandis que Lorenzo était un feu de forêt.


Clara: Peux tu m'en dire davantage sur ta première rencontre avec le personnage ?


Matteo: C'était en 2013. Le Triumvirat avait débuté six mois auparavant, des suites de l'assassinat du Patrice Enrico, et je savais très bien que la Loduarie était toujours en quête d'influence autour d'elle, comme c'est là le lot de toutes les nations révolutionnaires, ou de leurs pendants libéraux, seule la méthode change. De mon côté, je devais m'assurer que les troubles dans la cité velsnienne ne l'attire pas outre mesure, dans une brèche dans laquelle il s’empresserait de s'engouffrer. On m'avait beaucoup fait de récits du personnage: on m'avait vendu le fait qu'il était impossible de négocier ou de traiter avec le personnage, qu'il était imprévisible et ne respectait pas les traités. Quelque part, je voulais donner tort à tous ces dires, mais je concevais également le fait que Velsna avait tout intérêt à ce qu'une Loduarie puissante existe, ne serait-ce que pour contrebalancer un tant soi peu la puissance du bloc onédien. Comme je l'ai déjà dit, Lorenzo nous a appris le principe du rapport de force, et son existence permettait à Velsna de continuer à jouir d'une situation dans laquelle l'OND ne prêtait pas attention à nos affaires. En un sens, il était le paratonnerre de la région, ce dont le gouvernement Dandolo, puis le gouvernement du Triumvirat, et enfin le gouvernement Visconti, ont su profiter. Il était normal, dans ce cadre, qu'une telle rencontre se fasse.

J'ai croisé le "camarade" Lorenzo à deux occasions, à chaque fois très instructives. La première fois comme dit, à la veille de la Guerre des Triumvirs.Je n'ai pas eu de pudeur à y négocier la neutralité de la Loduarie dans ce conflit en échange d'un bon traitement des eurycommunistes velsniens, et d'une garantie de leurs droits politiques après la guerre, promesse que nous avons tenu. Mais l'objet de cette rencontre au fond, n'est que du détail: le point d’intérêt premier était e secrétaire général loduarien lui-même. J'ai vu en ce personnage une honnêteté déconcertante, qui tranchait grandement avec le langage politique velsnien. Il était une brute et un barbare, que beaucoup qualifiaient également de tyran, mais rarement je vis un tel degré de franchise chez un personnage public: un dictateur qui disait la vérité, ce qui n'est pas commun. Il n'avait pas la pudeur de me cacher sa vision du monde, totalement à rebours de celle de la cité velsnienne, mais cela ne nous empêcha pas de partager des avis communs sur l'état du monde, car sa situation avait quelques traits communs avec celle de Velsna, et il était le reflet de ce que nous ne voulions pas que notre cité soit: une puissance isolée et marginalisée, et c'est là le drame de la Loduarie, qui pèsera certainement sur la vision que l'on aura de Lorenzo dans les livres d'Histoire, son échec le plus grand. Mais comme il s'agit de Lorenzo Geraert-Wojtkowiak, cet échec est d'autant plus flamboyant, d'autant plus héroïque: le fait de lutter seul contre cinq, parfois six puissances. J'ai eu de l'admiration pour le personnage, et je n'ai point peur de le dire encore aujourd'hui.

J'ai eu le luxe de partager un verre de whiskey avec lui, dans cet observatoire isolé des montagnes du Zagros: il était un ancien soldat, comme moi. Et je vis en lui le reflet de ce que j'aurais pu devenir si le destin ne m'avait point sourit. Les problèmes d'alcool du secrétaire général étaient de notoriété publique, et le puis confirmer que c'était là chose vraie.


Matteo se lève pour aller voir de plus près un jeune sculpteur de marbre dont il a loué les services pour réaliser plusieurs œuvres, fondées sur des portraits dont il a donné la description. Celui-ci est en train de tailler un buste du secrétaire général loduarien.


Matteo: Splendide. Impeccable. Il faut que l'on voit la souffrance, une frustration, il y a de la profondeur dans le regard, qu'il voit au loin. Lorenzo était un tyran, mais il était un rêveur également , qui a su en embarquer beaucoup dans sa vision. Davantage qu'on ne veut bien le croire. Personne ne voudra l'admettre, mais cet homme a changé la visage de la géopolitique mondiale: l'homme du rapport de force, c'est ainsi que l'on devrait le nommer. Condamné à l’échec, tel Prométhée apportant le feu aux Hommes, se livrant de lui-même à l'opprobre.

Clara: Au delà ce cette première impression, quels enseignements tu as tiré de tes deux rencontres avec le personnage ? Un bilan ?

Matteo: Ce que j'ai appris ? Peut-être que le secrétaire général valait que l'on ne le traite pas comme un simple proxy de la diplomatie étrangère velsnienne. Il était trop incontrôlable pour cela, trop "libre". Indéniablement, il a propulsé la Loduarie au sommet, mais a aussi été responsable de son isolement, puis de sa chute, tout ambivalent qu'est l'Homme. Rien n'est simple avec Lorenzo. Ses réussites et ses échecs ne sont jamais en demi-teinte: il faut toujours qu'il y ait cette approche maximaliste. Ses défaites sont aussi flamboyantes que ses victoires. Il remporte allègrement la guerre en Okaristan pour se faire chasser par les pharosi le mois qui suit. Il ordonne une gigantesque expédition au Mokhai, qui échoue, mais qui ne se contente pas d'être une simple défaite: c'est un échec magistral qui fait ouvrir les yeux du monde sur la bravoure des loduariens, de cet "état major héroïque".

C'est indéniable: Lorenzo fait partie des perdants de l'Histoire. Il n'a pas su briser l'isolement diplomatique qui l'a toujours caractérisé, au sein même du monde socialiste. Il s'est battu, en héros d'une tragédie grecque qu'il est, contre le vent de moulins dix fois plus grands que lui: Grand Kah, ONC, OND... Une telle politique, qui ignore l'existence du rapport de force, ne pouvait que se solder en echec, mais comme je l'ai dit, un échec riche d'enseignements. Encore aujourd'hui, c'est le souvenir de cet échec qui détermine la politique étrangère mise en œuvre par notre cité, ce qui ne doit pas être copié. L’échec de la Loduarie n'est pas tant sur son bilan économique que sur cet isolement permanent. La Loduarie aurait pu faire davantage en prenant acte de la multipolarité du monde, et en se rapprochant des autres puissances socialistes, plutôt qu'en se mettant à dos toutes ses composantes.

Beaucoup de gens ont jubilé lorsque l'on a apprit sa mort, en début de l'année 2015: on a vu des manifestations de joie à Teyla, et dans bien d'autres pays. Cela n'a pas été mon cas. J'ai pleuré la mort de Lorenzo, car je voyais en lui un individu dévoré par ses propres passions, et qui avait le don de les transmettre aux autres. Un tel homme ne pouvait que mourir jeune, et c'est quelque part ce que l'Histoire attendait de lui. Débordant de défauts il l'était sans aucun doute, mais que l'on ne nous dise jamais qu'il ne portait pas en lui la vision d'un monde simple et sans faux semblants que ceux arborés par une diplomatie hypocrite: le secrétaire général loduarien nous indiquait toujours la vérité, à sa manière, UNE vérité. Ce n'est pas pour rien qu'il reste à Velsna une figure populaire: si il avait vécu à une autre époque, on lui aurait dédié un culte héroïque pour nous attribuer son courage, et je partage cette opinion.
Haut de page