C’était une pratique courante dans la culture jashurienne que de recevoir les gens avec un cérémoniel ritualisé montrant à quel point la tradition jashurienne s’ancrait dans la répétition de gestes millénaires. C’était au travers de la répétition des gestes que les traditions perduraient au Jashuria et qu’elles pouvaient se transmettre et évoluer. Non seulement, cela permettait de conserver la mémoire des pratiques culturelles, mais en plus, cela donnait à chaque Jashurien le sentiment d’appartenir à une même continuité générationnelle. Ce que l’on faisait aujourd’hui, nos ancêtres le faisait avant nous et nous ont transmis leurs gestes. Et ces gestes, eux, se transformaient petit à petit, créant ainsi une culture toujours en mouvement … tout en étant ancrée dans le passé.
A ce titre, tout devait être parfait pour recevoir ses invités. L’écrin valait tout autant que le présent. Le Hall des Ambassadeurs possédait ses propres salles de préparation du thé, servant aussi à recevoir les invités. La préparation du thé, quant à elle, visait à sublimer les propriétés de la feuille de thé par des variables savamment maîtrisées : le choix du thé, la méthode d’infusion, le choix de l’eau et enfin, le temps d’infusion. Tout le reste, de la première gorgée à la manière de le boire, relevait d’un cérémoniel complexe que les Jashuriens appréciaient particulièrement expliquer à leurs invités.
Si cet art pouvait sembler cryptique aux yeux des Eurysiens, il ne fallait pas s’y tromper. Un Jashurien vous préparant du thé selon le cérémoniel traditionnel était un honneur. Et chaque cérémonie était un moment de calme et de sérénité. Les Jashuriens réservaient les beuveries pour d’autres instants, où l’alcool de riz coulait à flot. Mais chaque chose en son temps … Pour l’instant, il fallait avant tout impressionner par son raffinement.
La cérémonie du thé de ce jour visait à recevoir les représentants de la République Segrenaise. La salle de réception spéciale donnant sur le jardin zen et un authentique bassin à carpes koï avait été réservée spécialement pour l’occasion et l’on pouvait y voir quelques carpes léthargiques barbotter proches de la surface au travers des baies vitrées. Un petit carillon en verre se trouvait accroché à l’une des poutres de l’édifice et tintait joyeusement au-dehors, sous le souffle léger du vent marin.
Si le Jashuria était une terre à la fois étrange et familière pour les étrangers, les Segrenais restaient un véritable mystère pour les Jashuriens. En effet, si les Lofotènes étaient désormais connus des Jashuriens, les tribus ségrenaises restaient totalement étrangères pour la Troisième République du Jashuria. Les diplomates jashuriens avaient encore du mal à appréhender les subtilités de leur culture, notamment l’imbrication complexe des alliances tribales qui avait donné naissance à leur république. Toujours est-il que les Jashuriens étaient curieux et cette curiosité valait bien un peu de thé.
La cérémonie du jour était tenue par la Seconde Ambassadrice du pays, madame Sumalee Saeloo. Vêtue d’un kimono traditionnel noir et or, la Seconde Ambassadrice présentait une allure austère et raffinée, qui donnait une certaine tenue à ce lieu de rencontres. Elle était accompagnée pour cette réunion de Siddhi Chalerm, le directeur exécutif de la Porte Dorée, la banque nationale jashurienne. Ne se séparant jamais de son sérieux légendaire, celui-ci attendait dans le plus grand des calmes la délégation ségrenaise.
Les invités finirent par arriver depuis l’aéroport et furent conduits avec le plus de déférence possible au Hall des Ambassadeurs, puis au salon de thé, où les attendaient les deux comparses. Accompagnés par le personnel de l’ambassade, ils furent introduits dans le salon dans le plus grand des calmes, puis salués avec le plus grand des respects par les Jashuriens.
Sumalee Saeloo : « Le Jashuria souhaite la bienvenue à la délégation ségrenaise. Nous espérons que vous avez fait bon voyage. Je suis madame Sumalee Saeloo, Seconde Ambassadrice du Jashuria. Et voici monsieur Siddhi Chalerme, le directeur de la Porte Dorée. Nous allons préparer le thé, joignez-vous à nous et mettez-vous à l’aise, je vous en prie. »
Siddhi Chalerm salua poliment les invités et se plaça aux côtés de l’ambassadrice. Celle-ci ne se fit pas attendre et commença à sortir les feuilles de thé sur la petite tablette de préparation, dès que les invités furent installés. La cérémonie pouvait commencer.