La République de Transblêmie se développe rapidement en bonne entente avec ses voisins, peuple d'agriculteurs enclavés dans les montagnes et sur les plateaux de la région, la place ne manque pas pour s'étendre. Si la Transblêmie doit à plusieurs reprises faire face aux envahisseurs autochtones, elle parvient tout de même à maintenir ses frontières dans le temps. Nation d'exilés aspirant à la paix et la tranquillité, elle saisit l'occasion de se placer sous la protection de la principale puissance régionale du Nazum : l'Empire des Xin, en devenant son tributaire. L'éloignement géographique avec la capitale impériale destine la Transblêmie au statut de marche frontalière dans le Haut Nazum dont elle se voit désormais attribuer la surveillance. Un rôle au départ purement formel puisque la Transblêmie n'a pas les moyens militaires pour contrôler la région et se contente de garder les cols des montagnes et de se présenter désormais comme le Grand Duché de Transblêmie, agissant au nom du Sublime Empire.
Cette stratégie consistant à se placer sous la protection de nations plus puissantes semble faire ses preuves puisque les envahisseurs se font désormais plus frileux et les excursions de pillards moins nombreuses, permettant à la Transblêmie de se développer modestement et de s'industrialiser.
A l'ère des nationalismes, la fuite d'Eurysie participe activement à la constitution du grand récit nation transblêmien. Malgré l'aspect peu glorieux de cet exode, les autorités régionales capitalisent sur ce passé pour faire émerger un sentiment revanchard au sein de la population et faire oublier la relative misère dans laquelle le pays patauge depuis maintenant plusieurs siècles.
Le XIXème siècle voit apparaitre les premières théories du peuple substantiel et la montée d'un nouveau discours au sein de la nation transblêmienne. Peuple vaincu, certes, mais peuple intact, resté pur grâce à sa fuite qui est bientôt resémantisée en tant que volonté de préservation de la pureté raciale des transblêmiens. Les explications les plus absurdes sont à la mode et viennent nier le mélange - pourtant avéré - des transblêmiens avec les populations du Haut Nazum. Le nom même du Duché est désormais expliqué par la mission fondamentale du pays : être le pont (trans-) entre les blancs (blêmes) d'Eurysie et du Nazum. La théorie de la mission sacrée devient de plus en plus populaire au sein des autorités politiques du Duché qui offrent au peuple un récit nationaliste glorieux. L'histoire de la Transblêmie est petit à petit réécrite pour dissimuler sa dimension pathétique au profit d'un mythe unificateur et millénariste.
Ce récit fantasmé se heurte toutefois à quelques problèmes concrets : plusieurs peuplades historiques natives du Haut Nazum se sont intégrées à la Transblêmie au cours des siècles, formant des minorités locales relativement bien intégrées jusque là. Ne pouvant tolérer cette réalité contradictoire avec la création du nouveau mythe national, des leaders populistes alimentent les tensions, profitant de l'éloignement géographiques entre communautés provoqué par les montagnes. Des récits horrifiques commencent à circuler, alimentant la méfiance, et la popularisation des médias permettent la surexposition des faits divers, malheureusement fréquents dans une région aussi dangereuse. Les disparitions en montagnes sont désormais imputées à la malveillance de certains groupes minoritaires, accusés d'abord de soutenir un réseau de traite des blanches, puis les explications deviennent plus fantaisistes. Pactes avec le démon, pouvoir de transformation en bêtes permis par leur sang vicié, les superstitions et croyances locales alimentent une machine horrifique dépeignant l'autre comme un monstre.
Petit à petit, la redistribution économique est freinée au sein du Duché. Des régions entières comptant sur la solidarité des territoires plus riches se retrouvent abandonnées à leur sort. Les services publics déjà quasi inexistants sont sacrifiés au nom de la rentabilité économique sur fond de séparatisme xénophobe. Les routes sont de moins en moins entretenues, complexifiant les échanges pourtant vitaux au sein d'un territoire loin d'être autosuffisant et le manque de moyens attribués à la police livre certaines portions du territoire à l'insécurité et au grand-banditisme, venant renforcer d'autant l'image négative que porte sur elles le reste du pays, validant le récit qui dépeint des peuples barbares et arriérés, prospérant sur le dos du contribuable dans des zones de non-droit.
Les résultats de cette politique ne se font pas attendre, anicroches puis véritables ratonnades ont lieu dans des villages isolés. La pauvreté pousse à la criminalité, la peur de l'autre enjoint à se défendre et le sentiment d'insécurité devient de plus en plus concret.
C'est dans ce contexte, au début du XXème siècle qu'arrive au pouvoir la faction aristocratique, partisane d'une politique autoritaire et sécuritaire, porteuse d'une discours validant sans ambiguité le suprémacisme blanc qu'il oppose au "sang monstrueux" des populations minoritaires. Portée par une population terrifiée et galvanisée à l'idée de retrouver sa grandeur supposément perdue et de renouer avec son destin historique, une politique de répression se met rapidement en place et contribue au développement de la bureaucratie et de la centralisation de l'Etat. Le particularisme régional n'a plus sa place en Transblêmie, la nation doit unir le peuple : une race, un territoire, un destin.
Plusieurs villages considérés comme séparatistes voient intervenir l'armée sur leur sol afin de procéder à un "repeuplement vital" et au remplacement des populations jugées allogènes par les blêmes. Retranchée dans les montagnes du Haut Nazum et sans voisins pour dénoncer sa politique intérieure, la Transblêmie devient le laboratoire de la pureté raciale et assume bientôt de poursuivre la quête de l'homme nouveau, débarrassé de toute impureté génétique et conforme à son destin historique : la suprématie Blême et la réunification des continents eurysiens et nazuméens autour de l'unité de la race.
Paradoxalement, la Transblêmie ne coupe pas les ponts avec l'Empire Xin dont elle tient à rester tributaire. La cohabitation diplomatique avec des populations impures demande quelques contorsions politiques et théoriques qui permettent l’émergence d'une caste de penseurs et de savants entièrement dédiée à établir les bases scientifiques de la prophétie millénariste blêmienne. Toutes les contradictions doivent être supprimées grâce à une théorie unificatrice totalisante. Ce besoin de justification permanente pousse d'ailleurs le pays à s'ouvrir à l'étranger pour y envoyer ses savants et chercheurs afin de réaliser des fouilles archéologiques devant supposément mettre à jour les origines communes des populations eurysiennes et nazuméennes ainsi que l'existence d'un Empire trans-continental, ancêtre de l'Empire Xin et qui se serait écroulé par la faute de la mixité raciale avec des populations affaréennes dont les nazuméens seraient encore aujourd'hui des descendants.
Un imbroglio bordélique qui en se complexifiant participe à creuser la séparation entre les élites transblêmiennes et la population locale. Cette rupture permet le progressif basculement de la persécution des groupes jugés allogènes à celle des ennemis de l'intérieur. Bientôt à cours de minorités persécutables - ces dernières ayant été massacrées ou ayant fuit le pays - la caste bureaucratique se retourne contre son propre peuple, estimant devoir traquer à présent les résidus d'impuretés génétiques au sein de la population blême. De nouvelles théories émergent bientôt ainsi que les outils allant avec pour repérer et calculer la part d'impureté suffisante pour justifier votre extermination, cette part devenant de plus en plus précise avec les années.
Étapes par étapes, l’État a viré totalitaire sans toutefois en avoir les moyens concrets. La bureaucratie isolée commande à distance des inquisiteurs chargés de ratisser le pays pour y débusquer les traitres. Tous les moyens sont bons pour cela. Les villages offrent quant à eux spontanément des bouc-émissaires au commissaires régionaux, espérant ainsi faire preuve de loyauté envers le régime et ne pas attirer l'attention des brigades de chasseurs. La dîme du sang prend une dimension très concrète, chaque communauté étant tenue de se purger spontanément, au risque d'être considérée toute entière comme une ennemie de la nation. Un climat de paranoïa systémique s'impose rapidement, la dénonciation et l'exécution devenant des actes fondamentaux de cohésion sociale.
Poursuivant à tout prix sa quête millénariste dont dépend son existence et qu'elle n'est toujours pas parvenue à achever en cent-dix années d'existence, la Transblêmie pousse radicalement ses théories et ce sans aucun scrupule. Toute forme d'héritage allogène doit être purgé du corps social comme une toxine, un monstre métaphorique devenu réalité grâce au grilles d'enquêtes des bureaucrates de l'administration. Arriérée et isolée, la Transblêmie opère un étrange retour dans le temps sur fond de nationalisme et de racisme scientifique, s'imaginant peuplée d'ennemis étrangers et de citoyens corrompus par leur influence. Pour assainir le corps social et se débarrasser définitivement des ogres impurs, la Transblêmie dévore littéralement ses habitants de manière industrielle, dans de grands procès teintés de mysticisme sur fond de chasse au sorcière. Les inquisiteurs "chasseurs de loups" traquent les mauvais citoyens comme des bêtes sur la base de témoignages et d'enquêtes pseudo-scientifiques ayant pris avec le temps une dimension superstitieuse.
L'éloignement géographique des bureaucrates, devenus une caste héréditaire, les nimbe bientôt d'un mystère religieux et les enquêtes supposément rationnelles sont mythifiées comme des procès quasi divins dont les rouages échappent au commun des mortels.
Contrairement aux apparences, la nation transblêmienne n'est pas homogénéiquement arriérée et certaines régions plus urbanisées bénéficient d'un développement technologique de niche, entièrement au service des besoins de contrôle social du ministère.