Posté le : 22 mars 2025 à 19:51:23
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Journal de commandement: Matteo Di Grassi
17 février 2016:
Comme selon notre volonté, le détachement d'experts à la tête desquels je figure a effectué son arrivée en toute discrétion non loin de la capitale impériale de Beiyfon. Nous avons été accueillis dignement selon notre rang, et nous avons effectué les salutations requises et de rigueur au sein de la cour des Xin. Nos interprètes ont été fort utiles, puisqu'il n'y a pas âme ici qui ne parle notre langue. Cela augure donc une première constatation difficile: la communication entre les experts et les officiers supérieurs et subalternes de l'armée xin, avec lesquels nous devrons échanger l'information en grande quantité, sera difficile. Du moins dans les premiers temps.
Cette tentative de réforme est d'autant plus difficile que cela est dû aux mentalités exerçant leur influence au sein du pouvoir politique Xin, qui est relativement hostile à tout changement d'envergure, plus particulièrement sur les temps courts. Le pays dispose d'une longue Histoire militaire, ce qui en théorie pourrait constituer un avantage, mais qui dans les faits est devenu un fardeau, car les officiers Xin ont eu tendance à se reposer sur l'ancienneté des méthodes comme une source de légitimité. Dans les faits, l'armée Xin n'a pas livré feu sur le terrain depuis de longues années, et tout est donc à apprendre. J'ai d'ores et déjà indiqué à mes homologues Xin qu'ils pouvaient commencer à jeter tout ce qu'ils avaient apprit jusqu'ici de leurs anciens supérieurs.
Notre groupe restreint est composé de quinze spécialistes, nommés parmi ceux que j'ai estimé que la valeur militaire et les conseils étaient trop précieux pour m'en passer. Nous avons prit soin de sélectionner chacun d'entre eux selon plusieurs critères:
- Avoir connu le feu au moins une fois en situation de combat réel.
- Avoir eu un rang d'officier supérieur durant les campagnes de la guerre civile de 2013-2014, ou lors des troubles achosiens.
- Ont été choisis suivant leur domaine d'expertise singulier: chacun de mes compères doit couvrir un domaine qui lui est propre, et pouvoir agir de concert avec ses homologues xin dans la mesure de l'autonomie qui leur sera accordée.
Nous avons décidé de ne pas tenir rigueur des spécialistes et théoriciens qui auraient pu trahir dans les pires heures au profit de l'armée de Dino Sscaela. Cela n'a pas été sans me poser un problème de conscience, mais dans la situation au sein de laquelle sont nos alliés, je pense que l'heure n'est pas aux états d'âme, et j'ai estimé que l'état de l'armée Xin justifiait le concours d'individus que je jugeais il y a encore deux ans comme des traîtres et des coupe-jarrets.
Logistique et encadrement:
Les premiers jours d'inspection ont pour le moins été folkloriques. Une grande partie de l'armée est composée de paysans enrôlés par le cour impériale qui n'ont pour ainsi pas de camp d'affectation, et se contentent de rester chez eux même lorsqu'ils sont en service actif. Cette manière de faire m'a rappelé la façon dont l'armée velsnienne s'organisait il y a encore deux siècles. J'ai donc pris soin d'expliquer à mes homologues xin de l'importance d'un encadrement dans un environnement militaire coupé du privé et du civil, même si ces derniers sont conscrits, comme nous en avons également à Velsna. Mais ces derniers n'ont tout simplement répondu ne pas avoir les moyens de faire autrement. La couronne impériale ne dispose pas non plus de l'appareil administratif nécessaire au contrôle de cette masse humaine, ce qui implique donc un degré d’absentéisme particulièrement important. La disparition du matériel est également un phénomène endémique qui empoisonne cette armée, et qui a pour origine ce même problème. Jarno Petrola, mon expert chargé de logistique, m'a affirmé que la corruption et le clientélisme étaient également une norme établie. Nous ne pouvons nous permettre de déployer une armée dont l'encadrement est si pauvre et archaïque, et il apparaît indispensable que ce problème doit trouver une solution rapide, sans quoi je pense que la Ramchourie de Beifon sera perdue. Or, cela peut-être difficile, car nous pensons que les défaillances de cet aspect de l'armée Xin est en partie dû aux aléas de la politique de cour et des intrigues sans fin qui impliquent la nomination de personnages complètement dénués d’expérience militaire dans des rôles cruciaux à responsabilité.
Nous avons émis les recommandations suivantes à sa majesté impériale en ce qui concerne l'appareil administratif dédié à l'armée, ainsi que son logement:
- La nomination par sa majesté impériale d'un conseil militaire restreint fondé sur la promotion au mérite personnel plutôt que sur la place au sein de la cour Xin.
- La rédaction d'une liste de recommandations d'officiers établie par notre conseil d'expertise, qui sera fondée sur notre évaluation du personnel dont nous feront l'entrevue, et qui constituera une bonne base de travail pour qui mérite de faire partie de ce conseil.
- La création d'un service logistique propre à l'armée, également constitué d'une liste recommandée par nos soins, et qui sera chargée d'éviter la fuite du matériel et d'une meilleure distribution de la solde.
- La mise en place d'un véritablement encadrement militaire en casernement. (nécessite des investissements de la part de sa majesté impériale, ou de fonds propres provenant de Velsna).
Composition des unités militaires:
De manière générale, nous pensons que l'armée Xin nécessite une mise à niveau complète selon les standards eurysiens en terme d'encadrement. Il sera inutile de réarmer une troupe bâtie comme elle l'est actuellement. Même si le matériel et sa qualité ont un rôle important dans la situation actuelle, il va sans dire que le commandement, fondé en gros bataillons de parfois plusieurs milliers d'hommes, jusqu'à 7 000 dans certains cas, n'est pas étranger au comportement lourd et lent de son dispositif. Nous devons impérativement revoir la taille des différentes unités composant l'armée, à commencer par ces régiments monstrueux. J'ai ainsi recommandé à mes homologues Xin d'abandonner le plus rapidement possible cette organisation pour adopter un modèle velsnien dont nous leur avons donné les détails:
- Grande Tribune de 10 000 à 30 000 hommes sous le commandement d'un stratège.
- Tribune de 1 000 à 2 000 hommes sous le commandement d'un capitano.
- Cohorte de 500 hommes sous le commandement d'un primipile.
- Manipule de 100 hommes sous le commandement d'un laticlave.
Ce n'est là que la composition théorique que je recommande, mais il existera bien entendu des exceptions exigées par le contexte particulier de la guerre de Ramchourie. Le relief parfois escarpé nous pousse à inciter les Xin dans la formation de régiments spécialisés de montagne. La réduction de la taille des régiments sera dans tous les cas indispensable à la manœuvre, et nous ne pourrons faire autrement.
Effectifs, matériel et formation:
Il n'est pas abusif d'affirmer que l'armée Xin est "obèse", et n'est pas capable de déployer l’intégralité des hommes sous son commandement par manque de matériel. Nous estimons en effet qu'il n'y a pour chaque soldat d'infanterie Xin qu'un à deux fusils pour trois combattants en moyenne. La moitié de l'armée n'a tout simplement pas d'équipement, pas plus qu'elle n'a de baraquement. Cela implique donc que nous disposons de personnel qui nous est d'aucune utilité, en plus de nous coûter de l'argent en solde et en entretien. Si ceux ci sont incapables de combattre ou prendre part à une action militaire, je recommande donc la dissolution pure et simple de ces régiments, qui pour beaucoup n'ont jamais vu de caserne, tout simplement. Devant le manque criant d'infrastructure capable de soutenir une telle armée, c'est l'option que je recommanderais en premier lieu. Si nous avions davantage de temps à consacrer au relèvement d'un véritable appareil militaro-industriel, cela aurait indéniablement consister une autre solution, mais ce n'est pas le cas dans le contexte actuel. Remédier à cette problématique nous coûterait probablement des dizaines de milliards de florius, et je ne suis pas certain que ces excellences du Sénat soient prêtes à un investissement aussi douteux.
Pour ce qui est des régiments disposant d'un équipement de base, inutile de dire que ce dernier est hors d'âge, et que les professionnels xin sont bien plus mal lotis que les gardes civiques velsniens les plus pauvrement vêtus. Étant donné la rareté des armes de qualité, je recommande de prioriser dans le cadre d'une opération un tri du matériel les régiments que nos homologues xin estiment les plus aguerris au combat, car nous ne pouvons nous permettre de gâcher ce peu de qualité pour des soldats à la valeur médiocre.
En dehors de ces problèmes matériels, c'est la formation même de ces régiments xin qui semble défaillante. Il n'y a en réalité qu'un noyau professionnel très réduit dans une marée de soldats conscrits. Certes, je pense que des armées peuvent obtenir de très bons résultats par des levées militaires, mais cela nécessite une formation préalable dans le cadre d'un service militaire d'envergure nationale ou à l'échelle d'une cité, et ce n'est pas le cas, de ce que j'ai pu en voir. Là encore, ce n'est pas un problème que nous pouvons résoudre dans l'urgence de la situation ramchoure, mais c'est un effort qu'il faudra effectuer sur de nombreuses années, par une véritable volonté politique de transformation de l'armée. Pour le moment, il faudra donc nous contenter de solutions de secours ou de rechange. Le tri des régiments en constitue une parmi d'autres.
En revanche, à défaut de pouvoir former convenablement 200 000 hommes sur une échéance courte, nous devons focaliser tous nos efforts sur la formation du personnel encadrant, qui nous l’espérons, transmettront leur discipline au reste du groupe. Nous nous sommes donc engagé dans la formation d'un personnel de l'ordre de 2 000 à 3 000 officiers de terrain selon un modèle velsnien. Le dit personnel incarnera l'épine dorsale de cette future armée. Eux aussi seront triés sur base de nos listes de recommandation, et également sur les remontées des entraînements qui dégageront une tendance parmi les soldats du rang. La promotion au mérite est également un excellent moyen de contourner le système de clientélisme qui avait cours jusqu'à présent, et qui mine considérablement les capacités opérationnelles de l'armée, et son aptitude à la manœuvre.
Stratégie générale et projections de pertes:
Au delà des constats tactiques que nous avons eu à tirer de nos premières observations, nous avons commencer à concevoir l'esquisse d'un plan, qui comme mes rapports précédents l'indiquent, laissent à l'armée Xin un rôle de pilier inamovible. Une chose est sûre et a été actée avant même notre départ: l'armée Xin n'est pas taillée pour l'offensive, et nous devons composer avec. L'application de la doctrine de base de l'armée velsnienne, fondée sur "le choc" et "la terreur" est donc impossible, et nous devons trouver une alternative. Nous ne devrons également distendre ou trop attendre de nos lignes de ravitaillement, qui seront lentes, tout autant que le seront notre armée. Nous avancerons, certes car c'est une obligation dans le cadre du plan qui se dessine, mais il nous faudra contrôler cette avancée et la pondérer de manière méthodique. Nous nous attendons à ce que cette force soit capable d'exercer une pression constante plutôt que de créer une percée décisive. Nous nous sommes résignés que cela n'arrivera pas au vu de la situation matérielle de l'armée Xin. Cette troupe ne doit pas se considérer marteau, ce rôle devant échoir à d'autres éléments de notre dispositif supposé, mais enclume. Nous pouvons déjà estimer que les pertes seront particulièrement nombreuses, quelque soit l'issue du conflit, et nous devons assumer cette position, qui n'est qu'un simple constat de lucidité. Les chiffres optimistes tablent sur une fourchette d'entre 30 000 et 40 000 pertes en cas de succès et sans prendre en compte les autres composantes de la coalition avec la Moritonie, mais c'est là le scénario idéal où les forces adverses s'effondreraient rapidement. Or, nous pensons qu'un conflit prolongé, plus plausible au vu de la configuration actuelle, entraînera plus de 50 000 morts. Dans pareille situation, la cohésion et le moral des troupes sera une donnée fondamentale, et c'est à ces instants que nous pourrons observer l’efficacité ou non de l'encadrement que nous aurons fourni aux Xin.
Une grande inconnue reste le degré de soutien aérien que cette armée pourra recevoir. Ces excellences du Sénat ne semblent pas particulièrement enthousiastes à l'idée d'un soutien direct de façon générale, sauf diplomatique ou ayant attrait aux renseignements. La cause Xin y est perçue comme un théâtre d'influence secondaire que peu supportent. La Moritonie dispose d'une aviation, mais qui est relativement restreinte, et le Xin en est totalement dépourvue. Sur le papier, nous partons donc également perdants sur ce plan, puisque la Ramchourie dispose d'une flotte aérienne supérieure, en nombre et en qualité. De même, il n'est pas impossible qu'une force extérieure prenne partie en faveur des opposants de Bei Fon, bien que nous pensons qu'il n'est en théorie même pas nécessaire de s'assurer de ce soutien pour écraser le reste des forces opposées aux armées contrôlant la capitale. Une solution est donc nécessaire sur ce plan. Or, nous n'avons pas eu un seul signe positif de ces excellences du Sénat allant dans le sens d'une intervention aérienne de notre part en l'état.
Constats personnels:
Le cadre de la mission est difficile, et le succès est peu probable. Mais c'est un bol d'air frais bienvenu, qui me permet d'échapper à la vie politique velsnienne. De plus, je pense que notre implication dans cette affaire ramchoure ne nous engage à rien, et que nous ne risquons rien dans un échec éventuel des Xin. Les aider me paraissait donc aller de soi, et je ne pense pas regretter ma décision sur le plan politique. Au delà de cela, je pense que les Xin méritent d'être aidés, dans leur volonté de rester éloignés du monde, et de ne pas avoir à y faire face par une frontière, dans une situation géopolitique difficile. Il est ainsi probable, à mon sens, que la libéralisation de la Ramchourie, ne fasse peser à long terme une lourde menace sur l'Etat des Xin.
Je me suis montré dur, de manière générale, sur la situation de l'armée Xin, mais lucide. Mais j'ai pu noter également que les soldats Xin, lorsqu'ils sont bien encadrés et conscients de leurs intérêts, montre un courage et un désir de combattre qui rehausse l'opinion que je me faisais d'eux avant mon arrivée.