Proverbe Althalj
Elle passa sa main sur le haut de la dune et laissa le sable filtrer à travers ses doigts, comme celui des sabliers, fin et continu. Il restait ce petit résidu, cette fine pellicule sur ses doigts et au creux de sa main, où certains sillons se dessinaient là où le sable n'avait pas adhéré, lorsque le poing s'était refermé.
Le vent porta une partie du sable plus loin, ce vent chaud et agréable du matin avant que la fournaise ne vienne le remplacer dans ce cycle journalier de la froidure à la brûlure.
Et au loin, des dunes à pertes de vue, peut-être une montagne par là-bas, mais rien n'était sûr, dès lors que l'évaporation floutait déjà l'horizon où des strates de couleurs jouaient avec l'œil ; orange, jaune, blanc, bleu ciel miroitaient sur quelques vagues de sable et s'effaçaient au fur et à mesure que le soleil étirait ses rayons à travers cette contrée décharnée et de cette beauté immaculée.
Quelques mouvements du pied et des vaguelettes repoussèrent doucement quelques grains de sables qui dévalèrent les pentes de la dune, laissant d'étranges veines éphémères dégringoler délicatement et que le vent lissa presque immédiatement pour toujours.
Le regard se porta au loin et les premiers embruns chauds et typiques du Sahra’ chatouillèrent le visage.
En contrebas, étrange que cette mosquée au centre du désert, sur un rocher surplombant les dunes, quelques unes pouvant atteindre plusieurs dizaines de mètres de haut ; cette bâtisse simple affichait des murs burinés par les âges, comme rongés, un visage grêlé par le sable et les alvéoles formées dans la chaux. Elle devait avoir plusieurs siècles, comment avait-elle survécu tant d'années, aussi loin des villages ou hameaux habités...
Avec les premières sensations d'humidité sur le corps, elle sentit que l'heure était venue. Ses vêtement amples, foncés, qui d’ordinaire laissaient quelques traces indigos sur la peau, sans en être importunée et au contraire signe de fierté de ses origines, firent transpirer. Elle laissa son visage marquer, bordant des marques de henné, entourant de beaux yeux dorés, qui ne firent aucun doute quant à ses origines. Elle descendit la dune, en de longs pas glissants et habitués, n’y perdant ses chausses, effleurant le sable ou s’y enfonçant par endroits, avec cette dextérité des peuples de cette partie du continent.
Au pied du monticule de sable, un homme l'attendait, de même que plusieurs femmes habillées à l'identique. L’homme, dont la barbe poivre sel réhaussait la couleur mate de sa peau, longuement exposée au soleil brûlant de ce tropique, était habillé tout de noir et indigo foncé. Il avait dans son regard, le poids des âges, mais aussi une sagesse et une raison qui lui rappela à quel point il avait toujours été là pour elle. Elle tendit son long fusil jezaïl à l'homme qui s'inclina respectueusement. Finement travaillés, à canon long et dont la crosse se portait sous l'épaule, ces fusils avaient apporté de nombreuses victoires par le passé face à l'agression colonialiste et étaient restés le symbole de la combativité de leurs peuples. Chaque foyer, maisonnée, disposait d'un ou plusieurs de ses fusils dont autrefois seules les femmes avaient le droit de porter et d'employer.
La tradition voulait qu’elles portent toujours cette arme traditionnelle et maintes fois améliorées au fil des générations, devenant un modèle unique antique dont l’ergonomie restait identique, bien que le système à percussion eût été remplacé par un système moderne avec la possibilité de charger manuellement trois à quatre munitions.
L'homme héla quelques partis à l'entrée de l'escalier naturel montant vers la bâtisse et tous libérèrent le chemin.
Les femmes qui attendaient étaient toutes vêtues pareillement, de ces amples vêtements foncés du désert. Les yeux dorés pour la plupart, on discernait deux femmes plus jeunes, toutefois tout aussi patientes que leurs ainées et dont les fusils étaient un chef d’œuvre d’une valeur culturelle inestimable. Elles se rapprochèrent et suivirent, résignées.
Elle marcha droite et lentement, suivie de ses paires, qui laissèrent leurs fusils à l'homme qui se courba pour les aligner délicatement sur un tapis coloré, déposé à même le sable, qu’il recouvrit par la suite d’un large tissu tressé pour s’assoir tranquillement à leur côté.
Elles étaient six en tout et montaient les marches lissées par le passage du temps et creusées par endroits où le pied se dirige naturellement. Etonnamment, un chien importuné fuit sans discernement devant la foulée des femmes pour sauter et se nicher dans le creux de la roche, dans un coin encore ombragé. Elle sourit bien qu’elle ne put y voir de signe.
Au niveau de l’entrée de la mosquée, une porte s'ouvrit. La large porte en bois, aux pans extrêmement lourds et pourtant bien secs, grinça et laissa s'échapper un peu d’air frais et parfumé d'encens, ce parfum typique des temps anciens et des traditions. Elle en fut ravie.
Et avec toute logique patriarcale, elles se dirigèrent vers un espace séparé d'un long mur de moucharabié et dont un large voile transparent, obturait la vision de la prière des uns et des unes. Pas d'accompagnateurs, de mahrams, elles n'attendirent pas qu'on leur rappelle les règles de bienséances de la mosquée et firent comme chez elles.
Toujours habillées et couvertes de leur large vêtement, entourant la tête et le visage, ne laissant dépasser que les yeux et parfois le nez, elles s'assirent par terre... face au voile et à leurs interlocuteurs.
La voûte de la mosquée était magnifique, des reliquats de couleurs et de détails bleus s'entremêlaient et laissaient à l'art le soin de rallier les moins vertueux et rappeler que la beauté est aussi divine et que la divine est belleté. La séparation, bien qu'estompée par le voile blanc sur toute la longueur de la mosquée, tel un immense rideau, était faite de bois et dévoilait certains détails impressionnants, rappelant que le désert savait aussi préserver.
Les rayons du soleil s’immisçaient par de petites ouvertures au niveau d’un dôme modeste en taille, entouré de petits autres dômes captant l’air chaud. La lumière éclairait les femmes, tandis que les interlocuteurs restaient dans l’ombre. Elle y vit un signe.
Et ainsi il parla.
L'interlocuteur les remercia tous d’être présents et par l'entremise d'une prière, rappela la place de chacun dans la société et utilisa quelques proverbes anciens bien choisis et finement rapportés à la thématique du jour. La voix de l’homme était légèrement éraillée, l’âge ajoutant sa fourbe intonation. Toutes et tous écoutaient.
La théologie s'immisça presque immédiatement dans ce monologue, les sourates, les ayats et hadiths, les interprétations des choix du prophète et des règles édictées par Dieu, et ce afin de formuler la voie des vertueux et unique de l'Islam. Il n’y avait pas de discussion, il y avait sa parole et certains écoutaient sans réagir tandis que d’autres hochaient et approuvaient.
Les chamboulements sociétaux et la nature de l’Homme, il y avait un fil conducteur et elles le savaient, mais il n’y eut aucune interruption ou irrespect pendant ce monologue qui dura le temps que les rayons de soleil eussent le temps d’éclairer presque entièrement l’espace occupé par les femmes.
Et voilà enfin la conclusion ; vint enfin la place de la Femme, la place qui leur revenait.
Dans cette écoute d'un monologue dont le message salafiste authentique n'avait de place à l'interprétation et à la déviance, les femmes derrière le voile retirèrent le vêtement couvrant la tête et un effroi et silence interloqué prirent place instantanément. Les wahhabites avaient déjà été indulgents, mais telle effronterie…
Elle se leva, entourée des femmes qui l’accompagnaient.
Elle se leva et s'avança la tête nue vers le voile, et elle s'arrêta à un mètre peu ou prou.
Elle n’appartient qu’à Ilâh d’être seule.
Et sur ces mots, toutes sortirent, d’un pas fier et farouche, comme pour marquer le moment, marquer à jamais les esprits, sous les vociférations d’hommes outrés et gesticulant, certains retenus par le geste des plus anciens.
La scène était spectaculaire, car les imams, ayatollahs, mollahs, autres chefs religieux et même un ouléma, étaient rassemblés dans cette mosquée, chiites, sunnites, certaines écoles juridiques principales bien représentées telles les Jafarites ou Malikites, Hannafites, Hanbalistes.
Quant à elle, elle était restée debout face au voile, attendant que ses paires soient sorties, puis elle reprit tandis que certains aïeux demandaient aux plus embrasés de se taire.
Lorsque Ilâh a béni Muhammad des révélations coraniques, la confusion et le doute profane fut effacé par le premier musulman, qui fut La première musulmane à avoir la Foi.
Khadija, Ilâh est puissante, aura été la voix de la sagesse, cette douceur ferme qui rassura et orienta le prophète Muhammad vers Ilâh.
"Un vêtement l’un pour l’autre"
Aujourd'hui, les filles d'Ilâh détermineront leur futur, avec les mêmes leçons et us de la Bien Aimée Khadija, et notre ijtihad nous prodiguera, avec votre concours si vous le souhaitez, le chemin à parcourir.
La création de la nation, sous la grâce d'Ilâh est une aberration que vous refusez, pour que l'Islam reste sous la coupe d'une interprétation ayant sied à des générations masculines. La nation et la religion peuvent vous sembler indissociables, néanmoins la première verra le jour, et la voie d’Ilâh saura ou non occuper les cœurs.
Vous n'en oubliez aucunement que les femmes de l'Islam ont, à travers le Coran et la Sunna, les mêmes droits que les hommes. Les femmes ont les yeux rivés sur la bénédiction d'Ilâh, sur notre peuple et vos craintes subjuguent la sagesse que le Coran et Muhammad nous ont enseignée.
Ilâh est puissante.
Certains hommes avaient presque... approuvé certains dires. On voyait en ces hommes le mutjahid qui dormait et, qui avec toutes leurs connaissances, acquiesçaient un changement. L’Islam n’avait rien de rétrograde et seuls quelques salafistes influents monopolisaient le débat. Mais point de débat prit place en ces lieux, elle décida de suivre ses convictions et quitta la mosquée, laissant derrière elle une assemblée qui, à présent, redévoilait pleinement ses différences internes, ne montrant plus aucune unité derrière l’homme au monologue.
Un homme jura et il y eut un silence honteux de l'autre côté du rideau.
Quant à elle, la porte s’ouvrit dans cette chaleur désertique qui coupe le souffle des non-initiés, cette impression de ne plus pouvoir respirer, alors que l’air s’engouffre dans les poumons et oxygène normalement.
En bas des escaliers, les femmes avaient déjà repris leurs fusils et attendaient en la regardant sortir de la mosquée. Elle s’arrêta en haut des marches et prit le temps de bien peser la situation.
Il y avait du vrai dans cette pensée d’une nation indissociable de la religion, mais Ilâh n’imposait pas et les traditions alliées à la pensée critique seraient mis en première ligne de l’organisation à venir.
Ijja inspira profondément, il y avait beaucoup à faire.