Assis en tailleurs dans sa chambre, le visage fixé sur l’écran de télévision, Hubert Paillotin, 37 ans et père de famille, refuse de décrocher des informations. Sa femme et ses enfants auront bon chercher à le tirer de cet état catatonique, le stimuler, le chatouiller et même le supplier, rien n’y fait, Hubert semble ne pas pouvoir se passer, même une seule seconde, des informations que lui communiquent les journalistes. La raison ? Un reportage sur l’un des derniers et mystérieux Etat totalitaire du monde : le Grand Duché de Transblêmie. Quand le reportage se termine, Hubert zappe, il cherche de nouvelles informations. Si la télévision est incapable de lui en fournir, il fouille fébrilement les journaux, nous explique sa femme, et peut passer des nuits entières sur internet.
C’est finalement elle qui appellera les médecins. Aujourd’hui, Hubert est à l’hôpital psychiatrique, épinglé d’un diagnostique encore inconnu dix ans auparavant : il est victime de SPT, syndrome de peur transblême.
Retour sur ce qui fera parler certains commentateurs de « mal du siècle ».
On se souvient néanmoins de plusieurs cas ayant à l’époque défrayés les journaux, notamment celui d’Alexandre Longain, citoyen Lambrois, qui avait tenté de passer clandestinement la frontière transblême par les montagnes en 1991. Il avait été exemplairement pendu par les chasseurs de loups et son corps exposé devant la caserne de Port Palid à titre d’exemple, provoquant à l’époque une crise diplomatique avec les autorités lambroisiennes.
Plus étonnant est le cas de l’ambassadeur de Saint-Marquise, Andrew Welmont, pourtant diagnostiqué parfaitement sain d’esprit lors de son départ officiel pour la Transblêmie et qui a disparu deux jours après son arrivée. Si le Grand Duché a d’abord été suspecté de l’avoir mis à mort, six mois plus tard des photos sortaient dans la presse révélant que l’ambassadeur avait rejoint une communauté villageoise dans les montagnes et semblait pris d’amnésie partielle quant à sa vie antérieure. Encore aujourd’hui la suspicion demeure vis-à-vis des autorité ducales soupçonnées d’avoir pratiqué sur lui une lobotomie chimique mais la thèse la plus répandue reste qu'Andrew Welmont était atteint de SPT ce qui l’a poussé à rejoindre la Transblêmie pour calmer ses angoisses, jusqu’à s’y perdre complètement.
Mais l’obsession n’est pas le seul symptôme du syndrome de peur transblême qui, comme son nom l’indique, s’accompagne généralement d’une forte angoisse pouvant s’accompagner d’épisodes psychotiques. Souvent liés à la peur de la dégénération en conflit mondial, elle est aussi à relier avec la crainte de voir effectivement se réaliser la fameuse « prophétie » millénariste du Grand Duché, censée annoncer son avènement. Si dans presque tous les pays du monde cette prophétie est considérée – à juste titre – comme un florilège délirant de pseudo-sciences instrumentalisées pour asseoir la légitimité du pouvoir dictatorial du Grand Duc et de son administration, restent que les patients ne semblent pouvoir s’ôter de l’esprit la peur que celle-ci soit vraie. Dans les cas les plus extrêmes – comme celui du patient J. – le SPT va provoquer de véritables crises de paniques à la vue d’éléments pouvant rappeler le temps qui passe tels que des horloges ou des calendriers, comme si cette simple vue suffisait à concrétiser l’imminence de la prophétie.
Emblématique est le cas de Juan Perron, citoyen Listonien, qui mit tragiquement fin à ses jours le 24 février 1996 après avoir été diagnostiqué d’un syndrome de peur Transblême depuis presque trois ans. L’homme avait été provisoirement interné pour propos et comportements délirants, allant jusqu’à agresser des gens dans la rue pour leur faire « prendre conscience du mal » d’après ses propres mots. Sédaté et accompagné, les crises de Perron semblaient s’être progressivement apaisées et il avait été autorisé à sortir une première fois de l’hôpital psychiatrique. Deux semaines plus tard, Juan Perron était arrêté à l’aéroport alors qu’il tentait de prendre un billet pour l’Empire Rémien, vraisemblablement dans l’idée de rejoindre la Transblêmie en bateau une fois au Nazum. Relâché dans la soirée après une courte garde-à-vue, il était invité à se présenter devant les psychiatres le 25 février pour évaluer son état mais mit fin à ses jours la veille.
C’est ce cas qui – considéré comme un échec des autorités médicales – propulsa le SPT sur le devant de la scène et poussa les différents pays de la communauté internationale à se montrer plus attentifs aux manifestations caractéristiques du syndrome.
A posteriori, les avancées de la psychologie ont d’ailleurs poussé à reconsidérer le diagnostique réalisé en 1984 sur le suicide collectif de la secte du Mont Noir, au Pharois Syndikaali, qu’on savait être obsédée par les théories transblêmiennes mais qui avait à l’époque été analysé comme une classique escalade d’emprise du gourou sur ses adeptes, jusqu’à les pousser à la mort. Rétrospectivement il semble bien que la secte ait été collectivement victime de SPT ce qui pourrait expliquer son autodestruction et coïnciderait avec plusieurs témoignages et documents cryptiques recueillis à l’époque : n’étant pas de sang blême et croyant voir advenir la prophétie, les adeptes avaient d’un commun accord décidé de se supprimer pour purger l’Eurysie de leur existence décrite comme « génétiquement amorale ».
La mise en lumière du SPT comme une véritable maladie mentale n’a toutefois pas eu que des effets positifs sur le traitement des patients puisque si leurs symptômes sont aujourd’hui mieux compris et peuvent être traités plus efficacement, ils ont également été la cible de plusieurs paniques morales dans de nombreux pays. Jugés dangereux voire carrément considérés comme passés à l’ennemi, des contre-théories du complot ont pu émerger jusqu’à populariser l’idée que les individus atteins de SPT étaient en vérité des agents dormants transblêmiens, réveillés à distance par des stimulus et rendus fous une fois leurs missions accomplies. Une théorie farfelue qui mena toutefois à l’intrusion d’un forcené dans l’hôpital psychiatrique Saint-Marquois de Notre Dame de la Bienveillance qui souhaitait « éliminer les espions fascistes ». Heureusement arrêté par la sécurité, il ne fera aucun dégâts physiques.
Le dernier symptôme du SPT, bien que moins connu, est assez proche de la déréalisation. Il s’agit en effet pour le patient de s’identifier psychiquement au Grand Duc Ion de Blême. Beaucoup moins visible que les autres manifestations du syndrome, le sujet peut développer la conviction profonde qu’il est une partie de la conscience du Grand Duc et que ce dernier peut voir par ses yeux et entendre par ses oreilles. Une pensée qui dans 10% des cas pousse le sujet à prendre contact avec les autorités locales pour leur révéler sa situation et ne pas divulguer à son insu des informations compromettantes – ce qui conduit généralement à une hospitalisation – mais qui dans l’immense majorité des situations mène le sujet à désirer obsessionnellement satisfaire le Grand Duc, par crainte ou fascination de son emprise. Si ce symptôme est difficile à identifier, c’est que dans un premier temps le sujet semble pris d’une grande énergie et de beaucoup de curiosité qui le pousse à multiplier les voyages et les expériences différentes ce qui provoque une perception positive chez son entourage. Malheureusement au bout d’un certain temps cette obligation de ne pas lasser le Grand Duc finit par provoquer une intense fatigue psychologique et l’incapacité de réintégrer un quotidien normal que le patient juge « indigne ». C’est généralement d’autres symptômes témoignant de la détresse des individus qui permet de les repérer et conduit à leur prise en charge, malheureusement souvent assez tardive.
Une manifestation du SPT d’autant plus tragique qu’à plusieurs reprises depuis 2001 le Grand Duc Ion de Blême a proféré des messages cryptiques laissant entendre qu’il pourrait bel et bien projeter sa conscience à travers le monde, ce qui chez des individus réceptifs aurait pu provoquer une accélération ou une aggravation de la maladie.
Depuis les travaux de Jacques Hochard, la connaissance de la communauté scientifique sur le SPT a heureusement beaucoup progressé. Malik Ben Assam, docteur en psychiatrie à l’Université d’Abounaj au Banairah a ainsi pu réaliser plusieurs guérisons complètes de patients notamment par l’utilisation de thérapies cognitivo-comportementales (TCC) permettant de calmer progressivement les angoisses et les obsessions. A noter toutefois que d’après Ben Assam lui-même, les sujets atteints de SPT depuis plusieurs années sans avoir pu bénéficier de suivi et de traitement risquent en général des séquelles à vie, notamment à cause de l’atrophie de certaines parties du cerveau nécessaires dans le développement du plaisir et la gestion de l’attention, ce qui peut parfois nécessiter des hospitalisations régulières et prolongées.
Comme pour de nombreux troubles mentaux, le SPT peut se déclarer en réponse à des traumatismes anciens et – même si ces chiffres restent sujet à caution – une appétence pour les histoires et films d’horreur. La consommation de psychotiques semble également corrélée, au même titre que le développement de la schizophrénie.
09/08/2006