La délégation présidentielle fut reçue par un contingent diplomatique à la tête duquel se trouvait le délégué protocolaire en charge des évènements, un vieil homme d'ethnie paltoterranne parlant un français parfait. Les journalistes étaient tenus à distance de sécurité par des marquages au sol et quelques rares membres de la Protection civile. Ils ne cherchaient de toute façon pas à s'approcher, faisant preuve d'une discipline étonnante. Le délégué protocolaire présenta les salutations distinguées de l'Union à ses invités, ainsi qu'un rapide rappel du programme : remise de cadeau par une pionnière du Parlement, défilé de salutation puis réunion de travail et dîner diplomatique. Il fit mine de s'assurer que tout cela convenait aux invités, sachant pertinemment qu'on ne pouvait pas changer l'important dispositif diplomatique s'ils répondaient que non, puis le petit groupe entra dans plusieurs hélicoptères sécurisés de l’Égide – la sécurité intérieure de l'Union – qui décolèrent en direction d'Axis Mundis.
La Capitale du Grand Kah était une ville assez étonnante, dont on devinait l'histoire chargée à la multitude de styles architecturaux qui s'y côtoyaient comme autant de greffons. Construire au centre d'un lac, elle était reliée à la terre ferme par de grandes artères routières où courraient des lignes de train, de tram, des pistes cyclables et de grands trottoirs. On devinait assez peu d'activité automobile mais une abondance de transports en commun reliant entre eux les différents districts. C'était une ville tout en canaux droits, en parcs, en jardins et champs flottant à la surface selon des méthodes développées avant-même la colonisation. Malgré sa très importante population, Axis Mundis jouissait d'une certaine autosuffisance alimentaire. Son réseau électrique était principalement alimenté par l'exploitation du lac et des fleuves en découlant, et ses structures les plus monumentales ne s'enfonçaient pas dans le sol, malgré son caractère humide voire marécageux, grâce à d'importants travaux visant à raffermir leurs fondations et à créer de grands réservoirs sous-terrain. C'était une cité moderne, piétonne et verte. Depuis le ciel on pouvait voir les grandes avenues principales qui la traversaient. Des drapeaux Kah-tanais et Saint-marquois y avaient été accrochés à intervalles réguliers.
Les hélicoptères de la délégation diplomatique se rendirent à Axis Mundis. La commune administrative spéciale était le centre névralgique et idéologique de l'Union. Construit autour des anciennes pyramides autochtones et du palais du Daïmio colonial, qui avait été en grande partie détruit lors de la guerre d'indépendance à la fin du dix-huitième siècle. Des constructions plus récentes l'avait remplacé : désormais c'était une suite impressionnante de structures ministérielles, de palais au style aztéco-asiatique et de Pyramides entourant une grande place d'honneur, noire de monde, décorée de drapeaux et d'étendards, depuis laquelle on pouvait observer le lac. Des petits navires de la garde lacustre s'y trouvaient en formation. Les hélicoptères se posèrent un peu à l'écart, dans un héliport du Parlement général, siège de la Convention. Le délégué protocolaire s'inclina respectueusement puis disparu pour laisser place aux membres du Comité de Volonté Public, ou plutôt à la citoyenne Actée Iccauhtli, une femme élégante quoi qu'à la peau un peu grêle, connue avant-même d'entrer au gouvernement pour ses talents d'auteure, au citoyen Edgar Alvaro Maximus de Rivera, qui passait dans le Kah pour un homme intelligent et modéré et à l'extérieur pour un parfait inconnu, et le citoyen Maxwell Bob, ancien guérilleros qui avait activement participé à renverser la dernière dictature militaire Kah-tanaise et faisait désormais office d'illustre vieillard et président d'honneur du Comité. Ce fut Actée qui prit la parole, d'un ton chaleureux et en tendant une main à ses invités.
« Madame la président, messieurs. Je suis ravie d'enfin vous rencontrer en personne. J'espère que vous avez fait bon voyage ? »
Elle se plaça à la droite d'Isabelle Deprey et lui indiqua d'un geste élégant de la suivre. À côté d'elle, Maximus de Rivera commenta à l'intention du premier conseiller.
« Les hommes de la Garde d'Axis Mundis vont vous rendre les honneurs militaires, mais avant ça l'orchestre civil de la commune va jouer nos hymnes. »
Ils se mirent en route, traversant l'héliport gardé par quelques hommes en imperméables colorés de l’Égide, et débouchant après une série de colonnades style maya sur la grande place aperçue tout à l'heure. La voir depuis le ciel ne rendait pas honneur à sa taille, et on devinait qu'en d'autres temps tous les marchands d'un immense empire devaient s'y rendre. Maintenant c'étaient plutôt des journalistes de tout les médias du pays, ainsi que de quelques-uns qui auraient été invités sur demande de Saint-Marquise. Ils se trouvaient à l'écart, cette fois maintenu en place par un important cordon de sécurité. Une foule opaque salua l'arrivée des dignitaires en agitant des nombreux drapeaux, quelques pancartes, et en scandant des slogans mondialistes en syncrelangue. Cela sembla froisser Maximus de Rivera et beaucoup amuser Maxwell Bob, le président d'honneur, qui mis une petite tapie amicale dans le dos de son collègue et pivota vers les Saint-Marquois.
« Eh bien oui, nous avons beau essayer de nous montrer un peu ordonnés, on ne peut tout simplement pas contenir le peuple. Si il a envie de saluer en désordre, il le fera. Le vieil homme inclina la tête et offrit un sourire simple à ses interlocuteurs. Ils sont très contents que vous aillez accepté notre invitation. »
Puis il se tut, car on commença à jouer les hymnes nationaux des deux pays, le temps que la délégation traverse la place sur un tapis rouge, puis monte les marches d'une des plus petites pyramide jusqu'à son sommet. Elle faisait office de promontoire face à la place, et on y avait dressé une série de micros, de drapeaux, ainsi que des caméras montées sur les degrés de la structure. Une jeune adolescente s'y trouvait, vêtue d'un uniforme jupe - chemise blanche - cravate noire, un brassard aux couleurs du Grand Kah à l'épaule. C'était presque une enfant, mais elle avait l'air sûre d'elle. Elle s’inclina les bras le long du corps en apercevant la présidente, puis pivota vers un grand garde d'honneur en uniforme blanc, auquel elle prit d'abord des fleurs tropicales – rares, soigneusement empaquetées de façon à préserver leurs racines – qui furent données au premier conseiller Henry Peters, puis une petite boîte de velours, qu'elle ouvrit pour en faire émerger une médaille d'argent à ruban blanc, noir et rouge, qu'elle remit, en s'inclinant bien bas, à la présidente.
« Votre excellence ! Veuillez recevoir l'Ordre de l'Amitié du Grand Kah, en signe de respect de la part du Parlement général et de toutes les communes, républiques ainsi que des syndicats de l'Union. » Elle se redressa, lançant un bref regard en coin à Actée, qui lui indiqua un clignant des yeux qu'elle se débrouillait très bien, puis s'écarta, et contourna le groupe en compagnie du garde d'honneur. Actée indiqua vaguement la place et plus précisément le grand tapis rouge qui s'y étendait.
« Là, il n'y en a plus pour longtemps. »
Le ton était guilleret. Elle semblait satisfaite de voir que la cérémonie se passait pour le moment sans accro. Elle se redressa mains dans le dos, et leva un peu le menton, semblant prendre la pose pour les photographes ou les caméras. Ses collègues l'imitèrent dans une moindre mesure.
Il y eut d'abord une déflagration, et il s'avéra que les navires de la garde lacustre s'étaient vus couverts de batteries d'artillerie effectuant désormais un authentique Salut au canon, pendant que trois formations de la garde d'Axis Mundis, portant chacune des couleurs différents, remontaient la place dans une parfaite synchronicité, allant du Parlement jusqu'à la pyramide. Cela dura un peu plus de trois minutes, après quoi les troupes effectuèrent une rapide démonstration – salut au sabre, inspection par un officier supérieur, montage et démontage de fusil, et la cérémonie fut terminée pour de bon. Maximus de Rivera remercia les militaires puis indiqua les micros faisant face au petit groupe, et la foule de journalistes et de civils qui s'étendait plus loin, confinée derrières les barrières et les gardes.
« Si vous voulez dire quelques mots, sinon nous allons directement passer en salle de réunion pour commencer à travailler. »