
Ces considérations n'entraient que marginalement en compte dans les réflexions du Comité de Volonté Public, qui jouissait encore d'un certain capital en matière de confiance populaire. Cet excès ne serait ainsi pas considéré comme une erreur, mais comme un élément d'un plan, plan manifestement secret, mais dont la nature deviendrait probablement claire d'ici quelques années. Sans quoi, eh bien, l’Histoire jugerait le Comité. Elle avait déjà commencé, d'ailleurs, en la personne de complotistes issus des clubs les plus radicaux, envisageant qu'il s'agissait d'une tentative de la part de la citoyenne Sukaretto, descendante directe du dernier empereur Kah-tanais, de travailler au rétablissement de la monarchie. Ce n'était pas le cas – Rai Sukaretto n'avait eut aucun rôle dans l'invitation des Listoniens – mais la rumeur persistait. Même au sein d'une population aussi éduquée et politiquement mature que celle du Grand Kah, on ne pouvait pas totalement se prémunir contre les rumeurs.
Pour toutes ces raisons – mais principalement à cause de l'important risque de pluie – la cérémonie d'accueil des Listoniens fut sobre et efficacement expédiée : l'avion fut accueilli par deux pelotons de la garde d'Axis Mundis en uniforme cérémoniel qui formèrent un rang, tirèrent onze fois vers le ciel, puis se mirent au garde à vous le temps d'une rapide revue. On escorta ensuite les listoniens dans une voiture électrique qui traversa la piste d'aéroport, longea le fameux Lac Rouge sur moins d'un kilomètre puis s'engagea sur un grand axe routier – d'abord un pont puis une large avenue entrecoupée de rails de métro, d'un tram suspendu et de voies de bus, jusqu'à la Commune Spéciale d'Axis Mundis, où se trouvaient le Parlement général et la plupart des Commissariats de l'Union, ainsi que plusieurs vieilles et imposantes pyramides à degrés dont l'âge dépassait de loin celui des structures adjacentes.
Le convoi bifurqua en entrant dans la Commune spéciale et ne traversa pas sa place principale, s'engageant plutôt dans un petit tunnel descendant jusqu'à un genre de parking privé. Là, un chargé de protocole guida les listoniens à travers une série de couloirs, enfin le groupe déboucha dans un salon diplomatique assez élégant et confortable, dont l'espace était divisé en deux avec d'un côté une table de réunion entourée de chaises capitonnées et de l'autre une table basse posée sur un tatami et entouré de coussins, dans un espace plus chaleureux et donnant directement sur une large baie vitrée à travers laquelle on pouvait observer le lac, les quelques navires qui le traversaient et, bien plus loin, les contreforts montagneux où s'abattaient la pluie. Les représentants du Grand Kah, qui étaient installés autour de cette table, se levèrent en voyant entrer leurs homologues impériaux. Il y avait la citoyenne Actée Iccauhtli, officieusement en charge de la diplomatie, Isabella Zeltzin, experte en commerce et en finance, et Aquilon Mayhuasca, qu'on associait plutôt à la théorie politique mais qui était notable à l'internationale pour avoir été le principal architecte du réarmement du Kah. Ce fut ce dernier qui se fit les présentations, avant de légèrement s'incliner et d'indiquer la table de réunion.
« Installons-nous, je vais nous apporter du thé. »
Il quitta la pièce et Zeltzin se dirigea dans la salle de réunion. Actée, elle, n'alla pas directement s'asseoir, prenant le temps de serrer la main de ses interlocuteurs.
« J'espère que vous vous portez bien ? Vous avait fait bon voyage ? Les conditions n'étaient pas idéales, j'avais peur que ces orages bloquent toute la circulation aérienne. Pour le moment on dirait que la Roue est avec nous ! »
Puis elle leur fit signe de l'accompagner alors qu'elle rejoignait à son tour la table de réunion. Là, la ciotyenne Zeltzin avait ouvert une petite mallette dont elle sortait précautionneusement de nombreux documents. Elle fronça les sourcils.
« Bien. Vous me reprendrez si j'oublie quoi que ce soit. Nous sommes ici pour parler de la mise en place d'un conglomérat international dédiée à la ligne Macao – Heon-Kuang, de la mise en place d'un programme d'échange militaire, plus précisément l'envoie d'officiers formateurs de l'Union en Listonie, et de la mise en place potentielle de circuits commerciaux privilégiés entre nos deux nations. Ai-je oublié quoi que ce soit ? Et souhaitez-vous commencer ? »
Ce fut à ce moment que le citoyen Mayhuasca réapparu, portant un plateau sur lequel se trouvaient une théière et plusieurs tasses. Il commença à servir l'ensemble des personnes présente, ce qui était inhabituel pour un chef d’État, mais peut-être normal au sein du Grand Kah.