Photo conceptuelle de la "forteresse de Podilskyï", lieu d'accueil du centre spécial selon le mythe sur internet.
[Journal de bord – Automne 2002]
[Premier Jour]
Le cliquetis des suspensions se heurtant aux nombreux nids de poules sur cette route si mal goudronnée ainsi que le vrombissement en provenance du moteur à bout de souffle de ce camion vieillissant, me sortaient finalement de mon songe. Me débattant avec ma ceinture trop serrée, je me détachais dans l’espoir de trouver un indice sur le lieu où nous nous trouvions. Tout en enjambant les nombreuses caisses de ravitaillement, je me rapprochais enfin de ce qui semblait être une mince ouverture vers l’extérieur causée par une défaillance mécanique de la charnière qui retenait la porte-arrière du camion, bien évidemment l’extérieur était tout aussi énigmatique que ce qu’on pouvait imaginer. Tout autour, je n’apercevais qu’une forêt lugubre vêtue de sa robe d’automne qui encerclait d’ailleurs de part et d’autre l’improbable route qui la traversait. J’avais l’impression qu’on se trouvait quelque peu en altitude mais mon expérience de citadin ne me permettait pas d’en être complètement certain surtout que je n’apercevais alors qu’une infime partie de la route. Après un moment d’hésitation, je me décidais à reprendre ma place et à dormir un peu tant l’attente semblait interminable à ce moment-là.
Bientôt sans que je ne m’en aperçoive, je me réveillais de nouveau sur mon siège rudimentaire coincé entre deux tonneaux de carburant. Cette fois-ci je sentais bien que le camion était à l’arrêt, à l’extérieur j’entendais le vacarme du vent qui s’abattait contre la carcasse du véhicule. Mon chauffeur discutait bruyamment avec un autre homme dont l’accent me rappelait inévitablement le patois slave de l’Ourak. La nausée montait subitement en moi, mon cœur s’accélérait frappant ma cage thoracique tel un forgeron sur une enclume, je comprenais finalement que mon aventure commençait dès maintenant. Après une petite dizaine de minutes qui me parurent presque une heure, on se décidait enfin à me libérer de la remorque qui me retenait tel un prisonnier clandestin. Mon chauffeur m’invita à descendre m’indiquant sans ménagement et avec son habituelle vulgarité que nous étions arrivés à destination.
Je découvrais alors pour la première fois ce qui allait être l’objet de mon enquête, pris d’une pointe d’émotion je restais silencieux et immobile quelques instants, détaillant d’un regard surpris l’environnement qui m’entourait. Construite au flanc de la montagne, cette vieille forteresse réhabilitée en « centre spécial de réhabilitation pour les jeunes orphelins en difficultés » me paraissait encore plus lugubre que ce que j’avais imaginé. L’endroit ressemblait plus à une prison fortifiée qu’à un centre éducatif pour des enfants turbulents, les gardiens portaient d’ailleurs des uniformes militaires et quelques-uns étaient mêmes armés de fusils-mitrailleurs. Je commençais à me dire que les rumeurs étaient finalement peut-être vraies, je m’étais de toute façon douté dès le départ qu’il y avait quelque chose d’étrange à propos de ce lieu, le financement fédéral qu’il recevait était bien supérieur aux habituels budgets de ce genre d’établissement.
Rapidement on me convia à l’intérieur de l’édifice impressionnant, un secrétaire administratif au visage grave m’interrogea pendant environ une demi-heure examinant en détail par la même occasion le contenu de ma lettre d’embauche. Quant enfin ce dernier fut véritablement satisfait, il m’invita à le suivre à travers les couloirs bétonnés de la forteresse. En tant qu’aide-soignant novice disposant d’une faible accréditation, je n’avais pour l’instant pas vraiment le droit d’explorer le lieu. Je me persuadais donc de me tenir à carreau pour les premiers jours, le temps pour moi de comprendre dans quelle situation je m’étais fourré. Sans surprise, l’endroit ressemblait plus à un hôpital-prison qu’à autre chose tandis qu’on me guidait à travers ce dédale perturbant de couloirs, j’observais les portes blindés marquées de mystérieux numéros, lorsque je tentais de questionner mon guide à ce propos, il m’ignorait m’invitant à le suivre dans le silence. Après un moment, j’arrivais finalement à ce qui allait être ma chambre pour les prochaines semaines, c’était une petite pièce confortable qui disposait même de sa propre fenêtre offrant d’ailleurs une agréable vue sur la vallée en contrebas de la forteresse. Un petit lit, une table rudimentaire avec une chaise ainsi qu’une armoire ancienne meublaient cette chambre qui semblait n’avoir pas été occupée depuis un moment, c’est du moins ce que témoignait la fine couche de poussière présente sur les draps de mon nouveau lit.
Dehors, la nuit tombait tranquillement, on apercevait déjà la robe rougeoyante de l’astre qui disparaissait lentement à l’horizon à travers le cime des arbres qui recouvraient les environs inhabités et inhospitaliers, on devinait déjà les contours de la pleine lune qui allait inonder la vallée de sa pale lueur nocturne. Je ne commencerais à travailler que le lendemain matin alors je me décidais à explorer l’étage où se trouvait ma chambre. C’était sans aucun doute, l’étage réservé au petit personnel, il y avait plusieurs salles de bains communes ainsi qu’une large pièce servant de réfectoire et de cuisine pour les occupants de l’étage. Etrangement, je ne rencontrais personne ce soir-là, la plupart des chambres semblaient inoccupées et celles qui ne l’étaient pas étaient fermées à double tour. Devinant que je n’avancerais pas beaucoup ce soir, j’avalais un modeste bol de Borsch, cette soupe à la betterave très appréciée des habitants de la région de l’Ourak. Puis je retournais dans ma chambre profitant de l’occasion pour écrire ces quelques lignes avant de m’offrir enfin une bonne nuit de sommeil avant la journée de demain qui s’annonçait déjà trépidante.