Posté le : 22 mars 2022 à 14:33:21
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Entrer en Thidarie était l’expérience la plus éprouvante que Lalana Preecha avait du affronter depuis ses passes d’armes avec l’Empire Listonien. Si le Ministre Costa était un rustre et le porte-parole Santos un idiot fini, ils restaient peu dangereux en comparaison. Ils aboyaient beaucoup, mais ne mordaient pas. Mais la Thidarie, en revanche, était un autre type de menace … Ce pays, retranché derrière ses montagnes, s’était complètement isolé à la suite de la montée en puissance du Suprême. Le Jashuria n’avait pas pu intervenir à l’époque, bien trop occupé à essayer de stabiliser sa propre contrée et à développer son économie. Il n’en restait pas moins que la présence d’une dystopie totalitaire aux portes de la Troisième République du Jashuria était une source d’inquiétude, même pour les députés les plus placides du Cercle Extérieur et les ministres du Cercle Intérieur.
Le Jashuria avait timidement établi des relations diplomatiques avec son inquiétant voisin. Si la république ne doutait pas pouvoir affronter pied à pied la Thidarie et la balayer d’un revers de la main, l’éventualité d’un conflit ouvert avec cette nation n’était en rien une perspective plaisante, surtout à une période où le Jashuria cherchait à apparaître comme une nation capable de régler les conflits à la pointe d’une plume et non à la pointe d’un glaive. La Thidarie pouvait rester une dystopie totalitaire, avec un peuple asservi et fanatisé, tout cela satisfaisait le Jashuria, du moment que des relations pacifiques pouvaient être nouées. Après tout, il valait mieux conserver une ligne de communication, même avec ses ennemis.
A mesure que Lalana Preecha et son interprète franchissaient les checkpoints et les mesures de sécurité outrageusement complexes imposées par le Suprême et son administration, l’ambassadrice éprouvait un sentiment d’extrème impuissance. Même l’Empire Latin Francisquien n’était pas aussi sévère dans son protocole de sécurité. Il était probable qu’en cas de faux pas, elle ne puisse ressortir vivante de son entrevue. Ceci entrainerait une guerre et des milliers d’innocents se retrouveraient criblés de balles ou éparpillés par les tirs de mortiers. La pression qui pesait sur ses frêles épaules était énorme à ce moment.
Arrivée dans l’antichambre, la Première Ambassadrice fut assaillie par une armée de petites mains serviles, qui lui imposèrent de se changer, comme le protocole l’exigeait. Le jaune était proscrit. Seul l’énigmatique Suprême avait le droit d’en porter. C’était une certaine constante dans les monarchies nazumies : l’aristocratie, pour se distinguer, portait des couleurs difficiles à se procurer. Cela permettait de marquer un certain ascendant sur le bas-peuple. Le styliste en charge de la garde-robe impériale ne mit pas longtemps à faire venir les tenues préparées et sélectionnées par le Suprême en personne. En quelques minutes à peine, Lalana s’était retrouvée vêtue d’une splendide robe de soie rouge rubis aux motifs impériaux. Les maquilleuses, muettes comme des carpes, finissaient leur ouvrage sur son visage, créant une image parfaite de l’ambassadrice. La dernière fois qu’elle avait été aussi bien maquillée et habillée, c’était lors d’un bal à Carnavale. Elle était resplendissante et les chaussons brodés que le Suprême avait sélectionnés étaient des plus confortables. Au moins, le Suprême était un homme de goût. On ne pouvait lui retirer cet honneur.
Enfin apprêtée, elle fut conduite dans une nouvelle antichambre, où de nouveaux serviteurs s’assurèrent une dernière fois que les règles de sécurité étaient bien comprises par l’ambassadrice et son traducteur. On lui fit répéter par trois fois les consignes, par mesure de sécurité. Lalana comprit que si jamais elle ne les respectait pas, non seulement, une crise diplomatique était certaine, mais en plus … des têtes de serviteurs risquaient de tomber. Elle déglutit et se prépara à rencontrer enfin, l’énigmatique Suprême de Thidarie.
Les portes s’ouvrirent et un serviteur en livrée l’annonça par ses titres complets. La tête baissée, Lalana entra à pas feutrés dans l’immense salle d’audience parée de jaune et d’or. Deux coussins moelleux les attendaient. Elle prit place, sans jamais lever le regard vers le Suprême et s’inclina respectueusement par trois fois lorsque le serviteur lui en donna l’ordre. Elle répéta alors avec politesse et emphase les mots indispensables pour s’adresser au Suprême.
« Votre Majesté Sérénissime, Souverain des Cieux et de la Terre, Béni et Egal des Dieux, Fureur des Volcans et Sagesse de l’Astre Lunaire et Solaire, Suprême parmi les Hommes, que votre bienveillance soit louée et reconnue jusqu’aux confins du monde. Nous vous remercions pour l’éternité de l’honneur que vous faites à votre humble servante de l’accueillir en votre demeure céleste. »
Elle s’inclina à nouveau par trois fois, comme le voulait le protocole … et attendit que le Suprême lui accorde l’autorisation de se présenter.