La société traditionnelle Francisquienne n'avait pas échappé à cette pression sociale, d'être vu, d'être beau. Et ce n'est pas un soucis, du moment que les gens en sont heureux... La plage locale avait peut être le don d'égaliser un peu les chances de rentrer dans ce moule et permettre aux enfants d'embrasser cette culture de la crème solaire (ou non), mais avant toute chose (ou par concomitance) de leur créer de bons souvenirs.
Les couples souriaient, se disputaient. Rien n'était laissé au hasard, chaque groupe, famille se plaçait de manière stratégique. Trop d'algues sèches et de cailloux là, trop pentu, le sable est encore mouillé ou le sera dans 33 minutes très exactement, trop à côté de ce groupe de touristes Aumérinois bruyant et alcoolisé... As tu pris le matelas gonflable ?
Chéri ! Tu m'écoutes ?! Je ne vais pas TOUT faire comme d'habitude hein... allez j'ai compris, laisse MOI faire, s'énerva la dame dont la peau d'une couleur de nacre laissait déjà de lourdes rougeurs irritantes dessiner un vêtement sûrement porté au soleil la veille.
Le mari bougonna et l'empêcha de saisir le matelas aplati et l'appareil pour le gonfler et en fait... il envoya sa femme bouler avec un commentaire désobligeant sur ses humeurs cycliques : classe.
Les enfants quant à eux étaient déjà occupés à saisir ce moment si particulier. Un des frères avait déjà trempé ses chaussures et éclaboussait ses vêtements avec un brin de sable fin gris encroûtant la robe de sa soeur devant lui. Celle-ci hurlait d'arrêter. Le petit frère était resté à côté de ses parents, une pelle et un seau à la main, prostré, pantois et ébloui par le soleil. Sa mère, ulcérée par la situation, vit dans le gamin le digne fils de son père, mou et peu entreprenant et décida d'en changer la donne. Un petit coup d'énergie pour lui montrer l'exemple ; elle lui enfonça un chapeau sur la tête et commença à lui étaler des litres de crème solaire blanche collante, cette dernière bien décidée à se fixer plutôt qu'à s'étaler.
La soeur et le grand frère les rejoignirent avec beaucoup d'émotion pour l'une et un rire extatique pour le second. Ils voulaient saisir les serviettes du panier et déversèrent le slip propre du père et les clés de la voiture dans le sable sans se soucier des réprimandes et du ton odieux du père bien décidé à gonfler le matelas dans un temps record. En effet, il appuyait frénétiquement de son pied droit sur la pompe qui s'écrasait et se regonflait au fur et à mesure de la cadence décroissante du père. Un coup de sueur, le père avançait et le matelas se gonflait et les deux grands tournaient autour de la famille et se lançaient du sable. Le grand frère s'en prit une volée dans les yeux et hurla sur sa soeur une grossièreté, qui se mit immédiatement à le narguer en lui renvoyant la pareille avec des gestes des mains. La mère s'interposa en pointant un doigt inquisiteur et un regard infernal et devint toute rouge en commençant à son tour à hurler... sur le père qui avait presque fini de gonfler, lui même pivoine.
Cette scène peut faire rire ou mettre mal à l'aise du fait d'une certaine familiarité.
Toutefois ce qui est peut être le plus invraisemblable, c'est que la tête dans le guidon, sous cette pression parentale de bien faire, il n'y avait eu aucun discernement de la situation qui se passait au dessus et tout autour de la famille.
En effet, la plage était pleine quand ils étaient arrivés et les rires, le bruit des vagues étaient normaux, typiques d'une belle journée de plage.
Après quelques secondes seulement sur la plage, diverses détonations avaient été entendues par la foule présente et les doigts inquiets ou impressionnés avaient été pointés vers le ciel et les longues trainées blanches qui s'y dessinaient.
Très peu avaient décidé de quitter le plage, tandis que la majorité des vacanciers ne s'en souciaient que trop peu.
Aucune raison de s'en faire après tout. L'Empire n'était pas en guerre, ou du moins, il était clair que l'Impératrice ne laisserait personne attaquer le sol même de l'Empire sans un combat, quelque chose de franchement discernable et audible. Donc bon, quelques feux d'artifices ratés ne seraient pas très dérangeants ou révélateurs d'une situation de crise.
Devant la fatigue de la fin de journée, des disputes et remontrances, les enfants pleurnichèrent quand il fallait partir.
Au moment de charger la voiture, la catastrophe s'accentua, le couple n'y résistera pas par la suite... Ils avaient oublié le matelas à la plage.
Tu ne l'as pas dégonflé ?! Il est fixé sur la voiture, comme ça avec un sandow ?!
Oui, écoute, il va pas s'envoler, arrête tu veux bien !
Le mari eut raison. Une fois à la maison, devant l'énervement général, le matelas fut mis au garage avec les pelles et seaux remplis de sable mouillé durci, balancés dans un coin derrière la voiture et le couple n'en parla plus de la semaine.
Un mois après,
Dans la douleur et la réalité macabre, l'amour familial et du couple n'avait jamais été aussi fort, oubliant les cris et le statut de boniche de l'une ou de bouc émissaire de l'autre.
Mais l'inévitable ne tarda pas. L'ensemble de la famille était décédée des suites de symptômes virulents, sauf le petit garçon timide.
Afin de rembourser l'emprunt et permettre de garder un petit pécule pour le garçon pour ses études quand il en aura besoin, une vente aux enchères de quelques affaires s'organisa sur le trottoir ; très sympathique de la part du voisinage. Et derrière une pancarte en carton et une écriture au gros feutre noir, les affaires du garage dont une pelle et un seau encore tout sablonneux étaient en vente pour une somme dérisoire, pour le geste quoi. A côté, personne n'avait pris le temps de dégonfler le matelas qui était presque étonnement encore bien dodu et gonflé après un mois dans le garage.
- Je vous achète le matelas.
- Ah mais c'est super ça ! Je vous le dégonfle si vous voulez ? On doit avoir la pompe quelque part, attendez je vais voir.
- Inutile, juste le matelas, merci.