Les trois régions shuharries disposent d'un grand nombre de journaux différents, ici seront proposés des journaux et articles destinés à être distribués au-delà d'un peuple que quelqu'un a considéré intéressant de mettre en avant face à la communauté internationale et de traduire en français.
Vents des Terres, basé à Ilmarde, est un des plus anciens journaux des Terres australes et servait au départ à fournir une source d'information commune sur des sujets censés concerner l'ensemble des Terres australes. Il avait une importance diplomatique et cherchait donc à rapporter l'information en évitant la critique. Aujourd'hui, le journal reste un des journaux régionaux les plus lus et souhaite avant tout fournir une voix et traiter des préoccupations du shuharri commun.
La Hohhothai post (呼和浩特海郵) est un journal local de Hohhothai dont la direction a été démantelée durant la révolution de 2006/2007, puis repris par un groupe de journalistes ayant participé à la révolution. Il s'agit donc d'un journal local rapportant les informations quotidiennes et prônant la révolution perpétuelle, et son exportation.
Voix des quartiers (鄰里的聲音) est un journal tenu par les gens vivant à Hohhothai, et transmettant donc les histoires, tracas et réflexion d'habitants du quartier. Il s'agit d'un journal très hétéroclite, rapportant beaucoup d'expériences subjectives et de reportages improvisés, il existe des journalistes reconnus qui travaillent pour ce journal, et certains habitants qui n'étaient pas journalistes au départ ont également développé une véritable reconnaissance à l'échelle de la ville, voire de l'Union, de journalisme de qualité.
La Hohhothai chronicles (呼和浩特海編年史) est un journal fondé début 2008 par un certain nombre de journalistes issus des anciens journaux (dont la Hohhothai post) de la ville et financée par l'"élite des survivants" (les dirigeants d'institutions et d'entreprises qui ont réussi à garder une partie de leur fortune et de leur capital après la révolution) dont une bonne partie réside encore dans la région. Le journal promeut des valeurs économiquement libérales et socialement conservatrices (sur des critères Han) très rares dans le reste de l'Union, et s'efforce de parler d'affaires mondiales comme liée à la cité-état.
Le journal Décryptages a été fondé à Qikiqtaniitsoq dans les années 60' pour aider les habitants des Terres australes à appréhender les événements et grandes tendances historiquement importantes, et de comprendre pourquoi ils ont lieu et les conséquence qu'elles pourraient éventuellement avoir. Le journal est globalement xénophile, et cherche à faire découvrir le monde extérieur à la population locale. Le journal publie désormais dans toute l'Union.
La Rumeur (qui dispose aussi d'une rédaction internationale) est un journal généraliste basé à Okkaluin influencée créé en 1940 pour mener des enquêtes sur toutes les Terres australes (puis toute l'Union). Elle a depuis été fortement influencée par des idées socialistes et considère la critique de l'ordre établi comme une de ses fonctions.
Et puis, tout s'éteint est un journal issu de la contre-culture des Terres australes qui a obtenu des antennes en à Tumgao et à Hohhothai, et qui a vocation à s'étendre à l'internationale. Il partage aussi bien des informations et des interview, voire des reportages et des enquêtes que des œuvres littéraires, des discussions philosophiques et beaucoup d'autres choses. Le journal étant mené par des groupes très différent propose des choses assez hétéroclites, il présente assez fréquemment des idées transhumanistes, s'intéressent de près aux questions de piratage et de manipulation sociale, ou encore aux problèmes environnementaux. Il est lié à l'ensemble des réseaux de média souvent informels qui maillent désormais les trois régions de l'Union. Il est produit par des groupes très dispersés sur le territoire et hébergé dans tout un ensemble de serveurs, il existe des locaux administratifs au camp stable de Shine-Ider qui servent également de boîte postale.
Union des peuples est un journal conservateur très antinationaliste des Terres australes. Il a au départ été fondé pour documenter les cultures des Terres australes avant que la mondialisation ne les fasses disparaître (selon eux). Ils sont très critiques de la formation d'un état-nation shuharri et de tout de que çà implique, de l'ouverture à l'internationale, de la mondialisation culturelle, et aussi de la contre-culture des Terres australes. Ils gardent toutefois leurs fonctions première et souvent, parleront simplement de la culture de chacun des peuples shuhs.
Presse shuharrie
Posté le : 17 oct. 2022 à 06:27:02
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Posté le : 17 oct. 2022 à 08:11:24
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1. Problème nomade
2. Voies hydraériennes
3. Triades
4. Grève des cultivateurs
5. Transidentité dans l'Althaj
Posté le : 26 nov. 2022 à 00:03:16
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3 mars 2009
Nomades sans destination, petit abordage du "Problème nomade"
Les raisons de cette sédentarisation sont assez variées, mais l'histoire la plus fréquente est celle d'une tribu ou qui a besoin d'essaimer, mais ne peux pas trouver de licence d'exploitation pour la chasse et la cueillette, ce qui oblige une partie de la tribu à se mettre à l'agriculture. Certains clans ont tranché la poire en deux en permettant la présence d'un camp toute l'année et le roulement des personnes y prenant place, chaque tribu devant passer au camp stable quatre fois par an pour échanger des gens et permettre au moins aux gens de revoir le campement. Mais cela pose quelques problèmes. Au fil des mois au camp stable, même les nomades les plus expérimentés peuvent perdre un peu de pratique de la vie au-dehors, et se mettre en danger de retour dans les montagnes pour un manque de pratique, par exemple, de la chasse ou des longues marches en extérieur, à l'inverse, un nomade qui vient d'arriver en ville sensé cultiver une serre peut avoir perdu beaucoup de pratique de l'agriculture et de la maintenance d'une serre dans la montagne, ce qui peut amener à des erreurs une fois au champ. Begter Cagan Ebugen, dirigeant le clan Shaljiudei, explique par exemple que l'une des tribus avait organisé un roulement, pour revenir sur leur décision un an plus tard en constatant que plusieurs membres s'étaient empoisonné en oubliant de mettre leur masque en allant chercher des champignons dans une grotte notoirement remplie de gaz volcaniques, et que les récoltes d'une serre avait été perdues à cause du mauvais réglage d'une pompe à chaleur. La vie agraire et nomade sont très différentes et demandent toutes deux un investissement à plein temps. D'autres arrivent à s'adapter au roulement et à cumuler les deux modes de vie, mais il est difficile de prévoir lesquels, la question fait actuellement l'objet de plusieurs projets d'études dont on reparlera probablement un jour.
Une dizaine de Thuranni d'Ilmarde autour d'un repas.
Et surtout, la population des Terres australes continue d'augmenter, pas le nombre de vallées, de forêts, de rongeurs ou d'oiseaux, d'où le besoin pour les peuples nomades d'accepter des modes de production nourrissant plus de gens sur moins de place. De manière générale, si les roulements de camps se sont maintenus jusqu'à aujourd'hui, la plupart des sédentarisations sont permanentes et définitives, et souvent contre le souhait des personnes. En général, le déplacement et l'installation de nouveaux sédentaires se fait en moitié de tribu, donc plusieurs dizaines de personnes à la fois, l'autre moitié restant au camp. En général, les proches (et notamment sa tribu) restent en contact et, comme nous le dit Begter : "il est important de le rappeler, et on ne le dirait jamais assez, que tous les Shaljiudei des villes restent des nôtres, quoi qu'il arrive, ça va être notre travail de faire en sorte que vous vous sentiez soutenus". Le problème n'est pas complètement nouveau, mais la démographie galopante de l'enclave commence à lui donner des proportions inédites, et à l'heure actuelle, la plupart des groupes sédentarisés se sentent isolés. "On est des étrangers ici", disait Narangerel, installée à Ilmarde.
Les nomades sédentarisés doivent faire face à différents problèmes : des taux d'alcoolisme trois fois plus élevée que dans la population générale de l'Enclave, des taux de suicides multipliés par quatre, des dépressions très fréquentes... A l'échelle mondiale, ces chiffres sont loin d'être parmi les plus élevés, plusieurs clans qui se sont penchés sur la question estime que le fait que les membres essaimant de la tribu restent ensemble limite les effets, mais il reste que ces données révèlent une souffrance réelle des nomades sédentarisés, qui se ressent au quotidien. Et dans l'état actuel des choses, cela semble inévitable, c'est ce que l'on nomme le "problème nomade".
Les groupes de nomades sédentarisés s'adaptent à cette réalité de bien des manières. Par des réseaux de soutien mutuel, par des marches fréquentes dans les étendues glacées, en retournant voir leur tribu quand ils le peuvent, en continuant autant que possible les fêtes et les petites traditions qu'ils avaient lors de leur vie nomade, en parlant les uns avec les autres. Les nomades sédentarisés les plus heureux sont globalement ceux qui arrivent à trouver une utilité pour les leurs, et parfois pour la ville d'accueil. Arrivant dans une nouvelle ville, ils forment des groupes extrêmement soudé, et peuvent parfois faire face à une autre problème, notamment à Ilmarde et à Choilan : le nomadisme reste aujourd'hui, méprisé par beaucoup de sédentaires natifs. A Ilmarde, il peut être difficile pour un nomade sédentarisé d'échanger avec d'autres peuples, de disposer de leur voix, ou d'échanger du travail avec d'autres peuples. Ils font face régulièrement à un véritable sentiment de rejet quand bien même le gouvernement local, le Clan et la Horde dans le cas des Thuranni, mènent des discussions âpres avec Ilmarde. L'existence même de nomades qui veulent rester nomade est difficilement acceptable pour une partie de la population d'Ilmarde. A Choilan, le problème est un peu différent : à l'assemblée des Sages d'Okkaluin la question de suspendre à Choilan le droit d'exister est fréquemment remis sur la table. Jusque-là, Choilan est tenu de fournir travailleurs, ressources et accès au sol pour le compte d'Okkaluin, sans autre contrepartie que son existence. La relation de pouvoir est claire, et les Choilanais le ressentent clairement. Bilig Dogshin, qui représente Choilan à Okkaluin l'explique sous ses termes : "Okkaluin, ne le dit pas, mais le décrit comme ça : à partir du moment où Okkaluin, grand seigneur, nous permet de survivre sur leur terre, notre relation est celle d'un esclave envers son maître". La situation dure depuis leur installation il y a cinq ans, le village ayant grandi au fil du temps, il compte actuellement 3 000 personnes, les nouvelles maisons sont construites quand toute l'équipe a du temps. Le village est régulièrement inspecté par des envoyés d'Okkaluin, qui n'hésite pas à entrer dans les lieux de vie et à fouiller tous les rangements, voire les ordinateurs, qui à chaque fois, estime la population pour définir de nouveaux objectifs requérant suffisamment de travail pour "leur donner un goût de l'effort salutaire", évidemment, la construction du village ne figure pas parmi les tâches, construire un logement demande donc à chacun de prendre sur son temps de sommeil. Bilig Dogshin, et la Horde des Thuranni elle-même a fait état du problème à la Confédération shue et au Vahal, ce qui a inquiété plusieurs représentants du Vahal qui y voient une possible réémergence de l'esclavage. La Horde, la Confédération et des représentants d'Okkaluin et Choilan sont sensés se réunir à la zone de rencontre en avril pour discuter de l'avenir choilanais. Choilan et le quartier des nomades d'Ilmarde sont des terreaux fertiles à l'anarchisme, notamment communaliste. Actuellement, 60 % des nouveaux adhérents à l'anarchisme austral et 80 % des nouveaux adhérents au communalisme sont des nomades sédentarisés, généralement habitués aux discriminations dans leur lieu d'accueil.
Cultivateurs thurannis plantant en serre à Choilan
Le problème nomade pose une autre question que la Horde et bien d'autres gouvernements ethniques essaient désormais de soulever auprès des peuples sédentaires : et si la sédentarisation n'était pas une fatalité ? Une équipe d'ingénieurs thurannie spécialement formée pour augmenter le nombre de nomade que peut supporter les Terres australes liste ainsi des solutions techniques possibles : importation de rennes, amélioration des déplacements, exploration poussée de la chaîne de montagne au-delà des terres de l'Union, nouvelles sources de nourriture, nouvelles sources de produits échangeables (la cueillette fongique et microbienne permettrait déjà actuellement de soutenir 20 000 nomades de plus qu'initialement)... L'équipe souhaiterait fortement que la Station Drahe ou des universités hors de la Horde et des autres gouvernements locaux nomades s'intéressent à ces études, qui pourraient bien être ce qui permettrait aux nomades, de rester nomades. Des politiques de soutien aux nomades où aux ateliers de chimie peuvent tout autant augmenter le nombre de nomades permis aux Terres australes, si cela est considéré souhaitable. Actuellement, des groupes hors nomades eux-mêmes qui constituent les plus fervents soutiens du nomadisme sont les conservateurs antinationalistes pour qui les Terres australes ne seraient jamais ce qu'elles sont sans leurs nomades, et des groupes interethniques spontanés issus de la contre-culture des Terres australes et très attachés à l'histoire nomade du pays, considérant qu'ils pourraient être le fer de lance d'une révolution sans précédent.
L'ouverture au monde extérieur à profondément changé les Terres australes, et ont modifié les rapports de force au sein des Terres australes en faveur des populations sédentaires, qui ne s'empressent pas nécessairement de préserver le nomadisme. L’État est une institution créée par des sédentaires pour des sédentaires. La technologie que nous utilisons est conçue pour des sédentaires, l'Union doit s'insérer dans une économie mondiale faite par des sédentaires, la plupart des films, des séries, même des tableaux, produite de par le monde présentent une vision très sédentaire de la vie. Comment les nomade devraient-ils prendre leur position sur cette planète sédentaire ? En s'adaptant au nouvel ordre des choses et en se sédentarisant à leur tour, ou en s'attelant à la tâche titanesque de repenser le monde entier pour les inclure, au risque d'échouer catastrophiquement ? Le Vahal évite de se prononcer, l'Ahak a rendu sa position officielle : le maintien d'une population nomade à long terme sur les Terres australes augmente grandement la capacité de la population générale à résister à des crises. Le gain de résilience permise par la présence de nomades sur les Terres australes justifie largement le combat de leur préservation et même de leur prospérité. L'Ahak est ainsi très volontariste pour faire en sorte que les peuples nomades puissent également participer aux projets de long terme dont elle la garde. Si l'on accepte que le nomadisme doive être maintenue dans la durée, il est probable que l'on connaisse un jour une révolution nomade de par notre monde, qui changera lentement mais sûrement le mode de vie de tous les habitants de la planète.
Posté le : 08 fév. 2023 à 02:31:06
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10 octobre 2009
La moitié du monde en un jour : les Terres australes devraient-elles être civilisées ?
Tumgao et Hohhothaï sont plutôt bien insérés dans les réseaux de communication mondiaux, mais pour les Terres australes, la lente ouverture des différents peuples au monde occasionne crise sur crise depuis des décennies. La révolution industrielle du pays a déplacé des populations entières, plusieurs petits peuples ont disparu, et des discussions à la Zone de Rencontre suivis d'accords ont empêché de peu une hécatombe culturelle. L'ouverture informationnelle au monde à permis l'entrée de la Vague rouge sur nos terres. On a beau en être héritier, et pour beaucoup, reconnaissants, les mouvements socialistes ont déchiré des peuples entiers, et dispersé des gens dans toute l'enclave. Les liens sociaux en ont été considérablement affectés. L'importation de technologies d'Outre-mer ont permis une révolution agricole dont on gèrera les conséquences pendant des décennies. Puis on accepte de plus en plus de peuples dans l'Union, et on rapproche temporellement des terres distantes de milliers de kilomètres. Les Galtinn et les Hogote, deux groupes conservateurs respectivement pannomade et lié au peuple shu se sont présentés au Vahal pour faire savoir que l'ouverture de lignes aériennes était dangereux, que la protection des cultures des Terres australes n'était pas garanti, et que différents pays se livraient déjà à des guerres d'assimilation sur la scène internationale. Parmi les gouvernements locaux, seule la communauté icre a pris position contre l'établissement de voies aériennes, là où Tumgao y est fortement favorable. L'Ahak a fait le travail de faire la prospective sur les effets de l'ouverture de voies aériennes sur les différentes sociétés des Terres australes, Saikai aon Ushyo, une coordinatrice à l'Ahak, explique que dans les faits, ces lignes aériennes devraient avoir assez peu d'effets, notamment car les volumes de gens transportés restera trop faible, que la région connaîtra encore l'isolement pendant des mois, que le climat des Terres australes n'attire pas réellement les étrangers et que la fuite des Shuhs lors de l'établissement des lignes de bateaux n'a pas eu lieu, pour plusieurs raisons possibles : les Terres australes sont une région plutôt développée, notamment technologiquement, même selon des standard internationaux, la distance culturelle entre les Shuhs des Terres australes et le monde international apparaît plus grande que prévue, et cela complique l'intégration, une bonne partie des crises auxquelles font face les Terres australes sont atténuées grâce au maintien de liens tribaux, claniques, familiaux, collectifs traditionnels. Si une voie de transport aérienne importante pourrait être mise en place entre Tumgao et Hohhothaï, notamment si Tumgao continue à grandir à son rythme actuel, le lien avec les Terres austral restera probablement ténu et les bateaux resteront la voie de transport privilégiée. Les Terres australes ne disposent pas du carburant pour déplacer qui le souhaiterait en hydravion sur des milliers de kilomètres, et l'association de fréquentes tempêtes, même estivales et d'un air fréquemment chargé en cendres volcaniques au gré des éruptions du moment rendent les voies aériennes encore moins fiables que les voies maritimes.
Là où les voies aériennes changent énormément les règles du jeu, c'est sur les projets communs. Les équipes scientifiques peuvent se rencontrer en quelques jours au besoin, certaines marchandises peuvent être acheminées rapidement, et si une région du monde est en difficulté, fournir du matériel et du personnel est relativement aisé. Il est devenu possible d'inviter des étudiants prodnoviens à étudier aux Terres australes, et les règles de la diplomatie internationale, mais aussi de la diplomatie interethnique sont grandement affectées par la possibilité d'envoyer un émissaire à l'autre bout du monde en un jour pour assister à une rencontre. Globalement, le manque de capacités logistiques des Terres australes ont posé d'importants problèmes à plusieurs reprises, et leur développement est un enjeu important, les hydravions, tout comme les cargos, sont des apports importants à la capacité de transport de l'Union. Le soutien aux peuples dérivants est également un enjeu important, à ce jour, ils transportent une grande part des marchandises qu'échangent les Terres australes dans leurs bateaux-villages avec souvent très peu de carburant, il s'agit d'une des rares régions du monde ou la navigation à voile sert encore massivement au transport maritime, plusieurs discussions avec les peuples dérivants à la Zone de rencontre se sont intéressé aux problèmes d'amélioration de la navigation à voile. Les Terres australes pourrait donc bien une des zones les plus actives au monde pour la recherche sur le transport de masse par voiliers.
Si l'ouverture au monde des Terres australe a chamboulé la région à répétition, il semble ne l'avoir que très peu occidentalisée. Globalement, les études sociologiques sur le sujet montre plutôt que l'importation d'informations et d'idées issues de l'étranger ont conduit à une réappropriation qui a morcelé les cultures shuhes et conduit à l'émergence d'une contre-culture interethnique très organisée qui n'a que peu d'équivalent de par le monde. Il pourrait bien s'agir de la naissance d'une nouvelle société, forgée par les différentes crises de ces dernières décennies, cherchent à s'adapter à ce nouveau monde. Il est difficile de dire si elle va s'étendre, s'éteindre, se fragmenter, ou s'occidentaliser, mais elle est en train de rebattre les cartes de toute la région. Elle mène des combats égalitaristes coordonnés parmi différents peuples, accueille de grandes populations de matérialistes critiques de la place des dieux ou des esprits dans la vie quotidienne d'un groupe shuh, génère un nombre croissant de nouveaux peuples... Les Terres australes sont en train de changer à toute vitesse, mais pas de s'homogénéiser. Il y a des perdants dans de tels changements, c'est indéniable, seront-ils écoutés ? Savoir si de tels changements sont nécessaires ou non semble être une question politique importante, mais il n'est pas garanti qu'il existe un moyen d'enrayer ou de contrôler ces évolutions.
La mondialisation internationale que le monde connait a été grandement encouragée par l'idée que le commerce améliore la vie des habitants de cette planète, que le monde ne serait enfin en paix que lorsque qu'il ne serait qu'un seul et même quartier. Il ne serait pas impossible que la mondialisation redéfinisse davantage ce que signifient de bonnes conditions de vie qu'elle ne les améliore. Il ne semble pas que l'ouverture de voies aériennes soit un changement important dans les sociétés des Terres australes, mais les confrontations qui ont eu lieu ces dernières semaines montre bien qu'il existe dans la population shuhe des terres australes, une réelle crainte de l'assimilation au monde. Relier un monde où tout le monde ne partage pas les même rêves est un travail collectif qui requiert des décisions collectives.
Posté le : 06 jui. 2023 à 10:58:52
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Lundi 20 décembre 2010
Ce groupe de Triades a une portée internationale, il s'agit de la Fédération Harmonieuse de l'Industrie et du Commerce, surnommée le Conseil de Lingtou Tian, (Mandarin : 和諧工商聯會, Héxié gōngshāng lián huì, surnommé 嶺頭田理事會, Lǐng tóu tián lǐshì huì), du nom d'un village agraire situé environ à 40 kilomètre au Sud de l'actuelle Région de Hohhothaï, d'où vient plusieurs des fondateurs du clan) et connue à l'International comme les Dragons Rouges (nom utilisé dans la presse au Lofoten et en Alguarena lors de plusieurs affaires médiatisées impliquant leurs membre à l'international). Il est aussi aussi possible que vous ayez croisé une mention sous d'autres noms, les Triades hohhothaïennes ont généralement de nombreux noms, entre autres car les membres comme la police utilisait parfois des noms de code pour les désigner, les "Hyènes errantes" de Santa Leone par exemple, était membre des Jades Lumineux, une des Triades fortunéennes du Conseil de Lingtou Tian. Leurs activités sont diverses : contrefaçon, braconnage et trafic d'animaux rares, trafic d'art, d'êtres humains, d'opium, d'héroïne, et plus récemment, de médicaments génériques, contrebande, extorsion, prostitution, exploitation minière et forestière illégale. Leurs activités légales (bien qu'en général également utilisées à des fins de blanchissement d'argent) sont diverses également : investissement dans l'immobilier, construction, courtage en contrats à termes (ils sont basiquement ceux qui vont sur le terrain proposer des futures ou de forwards à des entreprises et des agriculteurs pour fournir des traders contre rémunération), assemblage électronique et manufacture de vêtements en sous-traitance, boîtes de nuit, bars à sushis, production du musique, placement de domestiques, service funéraire et traitement de corps (type dons de corps à la science), éducation privée (cours du soir), outils de soins quantiques/énergétiques. Ce groupe est ancien, a été fondé en 1921 par différents membres alors gérants d’usines ou commerçants indépendants dans la région de Hohhothaï, dans le but de se protéger mutuellement face aux actions du consortium qui souhaitait éliminer la concurrence. Il a prospéré en diversifiant ses activités et en multipliant les affaires plus ou moins légales et ce, jusqu'à s'étendre à l'international. La ville abrite six Triades répertoriés et quatre d'entre elles ont pris une portée internationale.
C'est donc d'une organisation étendue, tentaculaire, et encore actuellement puissante que que nos douze anciens membres viennent se réfugier. Autant dire qu'en témoignant, ils risquent leur vie et que dans le cadre de cet article ils sont anonymisés, leurs noms ont été modifiés, toute mention à des personnes connues des lieux d'habitation ou des éléments précis de leur passé ont été retirés. Ils vivent désormais dans un lieu tenu secret sous protection policière. Dans la mesure où la révolution a rebattu les rapports de force dans la ville, les Triades sont considérées par les révolutionnaires comme des factions ennemies. Par conséquent les membres repentis il ne sont pas jugés comme criminels, mais considérés réfugiés. La stratégie de la Sécurité publique Hohhothaïenne est de permettre aux membres des Triades de quitter leur organisation en obtenant leur protection et on ne les condamnant pas ou peu.
À la fin du dix-neuvième siècle Hohhothaï était encore dirigé par une oligarchie de commerçants. Différents commerçant indépendants ont commencer à se réunir dans cette ville dominée par quelques familles surpuissantes, pour former des sociétés secrètes dans le but de faire front commun face à une oligarchie pour influencer la politique de la ville et notamment faire accepter un ancien ensemble de lois commerciales abrogées depuis des décennies visant à éviter l'accaparement des ports et des entrepôts par un nombre limité d'acteurs, ou encore pour s'assurer que des milices payées par les grandes familles ne puissent plus tout simplement saboter les affaires des commerçants indépendants, les racketter, voire les tuer. Lors de l'industrialisation de la ville cette ancienne oligarchie s'est réorganisée et de nouveaux entrants notamment étrangers, se sont associés pour former un véritable cartel gouvernant la ville, formant une situation de quasi-monopole. Si la mairie a continué à gérer le fonctionnement quotidien de la ville, c’est bien ce cartel, le Consortium, qui définissait les stratégies à long terme que suivait la ville. Le cartel s'est fortement opposé à l'existence des sociétés secrètes et a fortement incité la municipalité à dissoudre toute société secrète que la police pourrait retrouver, et à sévèrement punir leurs membres. Si les sociétés secrètes ont toutes été dissoutes, certains de leurs membres ont fondé de nouvelles organisations pratiquant désormais des activités illégales, ce sont les premières Triades. Elles ont prospéré en investissant des marchés (notamment illégaux) inaccessibles aux entreprises du consortium, et en accueillant parmi eux des personnes pauvres qui n'avait pas nécessairement d’autres opportunités que les Triades pour obtenir des revenus réguliers. Les Triades ont parfois été surnommées le second Consortium, quand bien même dans les faits, les Triades sont toujours restées indépendantes les unes des autres, entretenant parfois des relations conflictuelles, voir des guerres ouvertes. Concrètement, comment s’organise une Triade ? Les rangs et positions au sein d’une Triade sont identifiées par un numéro de code inspiré de la numérologie sinophone. Le chef d’une Triade est le « Maître de la Montagne » (en mandarin, 山主, Shān zhǔ) (489) couramment nommée « Tête de dragon », son identité est en général connue de très peu de gens et son identification est l’exploit d’une vie pour un enquêteur. Il est épaulé par un comité d'officiers qui coordonnent les activités quotidiennes de la Triade. Sous les ordres directs du Maître de la Montagne, l’on trouve les officiers de rang 438, on parle de « Deuxième Maréchal de la Route » (二路元帥, Èr lù yuánshuài). Ils comportent l’Avant-garde, ou Pionnier (先鋒, Xiānfēng) qui garantit l’application des règles et collecte les renseignements, le Maître des Encens (香主, Xiāng zhǔ) est le chef de cérémonie de la Triade, et notamment celui qui intronise les nouveaux venus au sein de la Triade, l’Adjoint du Maître de la montagne (副山主, Fù Shān zhǔ) communique les instructions du Maîtres de la montagne, dirige les opérations quotidienne des différents corps de la de la Triade, et fait remonter au Maître de la montagne les informations communiquées au sein de la Triade. La Triade est administrée par des officiers répondant à l’Adjoint du Maître de la montagne, l’Éventail de papier blanc (白紙扇, Báizhǐ shàn), de rang 415, est concrètement le trésorier de la Triade. La « Sandale de paille » (草鞋, Cǎoxié) de rang 432 est l’officier de liaison, délégué aux affaires extérieures du groupe, il fait la liaison entre la Triade et le monde extérieur : alliés, sous-traitants, société civile, police, travailleurs indépendants, clients et fournisseurs, de manière générale, la plupart des travailleurs non-membres de la Triade dont cette dernière a besoin. Le Bâton rouge (紅棍, Hóng gùn) de rang 426 est spécialiste en arts martiaux et a pour mission de s'assurer de l'application interne des lois de la Triade. Le Bâton rouge un chef des soldats et des membres non affiliés de la patriote de la Triade qui écoute ce que tue le gros des travailleurs de l'organisation. Les soldats ou « membres ordinaires » de rang 49 littéralement désignés sous ce numéro (四九, Sìjiǔ) sont les membres loyaux de l’organisation, à qui l’on confie les travaux les plus importants de l’organisation. Il existe également des « membres non affiliés » aussi désigné sous le terme de « lanternes bleues » (藍燈籠, Lán dēnglóng), qui, ne faisant pas officiellement partie de la Triade, ne sont désignés sous aucun numéro. Il s'agit de travailleurs associés qui assurent les travaux basiques du quotidien de la Triade. Enfin, le chiffre 25 est réservé aux informateurs de la police, ou aux espions d’une autre Triade, le chiffre est aujourd’hui utilisé dans l’argot hohhothaïen pour désigner tout espion, informateur, ou simplement toute personne au tempérament dénonciateur. Les groupes de Triades les plus étendus disposent de plus de 50 000 membres à travers le monde et la plupart de leur travailleurs ce sont des membres non affiliés. La Fédération Harmonieuse de l'Industrie et du Commerce est l’un de ces groupes particulièrement importants et divisée en clans spécialisés dans un secteur d’activité donné dans un espace géographique donné qui reconnaissent une hiérarchie commune. La relation entre les soldats et leur hiérarchie varie grandement entre les Triades, si la Fédération Harmonieuse de l'Industrie et du Commerce reste à ce jour particulièrement hiérarchisée, dans d'autres Triades, la structure est relativement vague, les anciennes relations hiérarchiques et les rangs qui leur sont associés n'existent plus. Si les Triades active au début des années 2000’ atteignaient des tailles comparables à celles de multinationales, la Révolution a complètement transformé le système économique qui leur avait permis de prospérer.
Parmi les repentis présents ce jour-là se trouvaient cinq 49 et sept lanternes bleues, tous issus de la même Triade et ayant travaillé ensemble. La première question que les agents encore méfiants ont posée aux repentis a été : pourquoi ils avaient décidé de quitter leur clan et de témoigner à la Sécurité publique. À chacun des membres avaient une raison différente de partir. Par exemple, Mao Gangxin témoigne : « J’ai pris plusieurs décisions difficiles lors des affrontements de ces derniers mois, je me suis fait des et ennemis à chaque fois, quand je me suis rendu compte que mon propre chef avait hésité à me tuer, je me suis dit qu’il fallait que je parte tant qu’il en était encore temps ». Cheng Yun, lui, a simplement fait face à des interrogations de vie somme toute assez classiques : « A un moment, j'ai fait le point sur ma vie, et je me suis dit que j'avais envie de fonder une famille. Honnêtement, je ne me vois pas élever des enfants au sein du Clan, donc j'ai décidé de partir ». Pour certains, c’était une histoire d’amour, l’intérêt dans un nouveau travail (forgeron par exemple pour He He), une expérience de mort imminente pour Tang Jian, des souhaits d’indépendance également, ce qui était particulièrement vrai pour la seule femme du groupe, Lin Yi, un sentiment de culpabilité qui peut également se faire de plus en plus intense. En général, les raisons avancées par chaque repenti pour leur désaffiliation étaient multiples. Un facteur particulièrement révélateur a été évoqué par la majorité d’entre eux : ils étaient entrés dans la Triade quand ils avaient besoin d’argent, sur une volonté de gagner rapidement de fortes sommes. Objectif qui a grandement perdu de son intérêt dans une société largement démonétarisée où l’économie est en majeure partie gérée en communauté.
C’est l’un des plus gros problèmes auquel sont confrontées les Triades : le contrat tacite qui unissait ses membres se basait entièrement sur l’économie de marché hohhothaïenne, qui n’existe plus. Les clans disposent malgré tout de moyens d’adaptation à la nouvelle société hohhothaïenne, mais pour le comprendre, revenons sur la situation qui attirait des membres dans les Triades quelques années auparavant. Les repentis nous expliquent comment ils sont entrés dans les Triades :
« A cette époque, je passais un moment assez difficile. J’avais été renvoyé de l’école et mon père était alors atteint d’un cancer généralisé. Son usine ne l’a jamais soutenu, l’on n’a jamais eu les moyens de payer le traitement, et il n’était plus en mesure de travailler quoi qu’il en soit. Ma famille touchait l’aide du quartier, mais il a toujours été faible. Et le pire dans tout ça c'est que j'étais content de voir mon père affaibli, il ne pouvait plus battre ma mère ni moi, ni mes frères et sœurs. Ma mère elle s'en est occupée jusqu'au bout, tout un s’occupant des enfants également, sans revenu autre que l’aide communautaire. Au bout d'un moment j'ai juste voulu l'aider, je me suis dit qu’il fallait que je trouve de l’argent coûte que coûte, et le seul endroit où je pouvais en trouver à l'époque, c'était les Triades. Ensuite, ma mère… Ma mère, elle s’est juste effondrée, c'est moi qui m’en suis occupé. La famille dont j'avais besoin, moi-même, je l'ai trouvé dans le clan »
« J’ai toujours connu des gens qui travaillaient dans le milieu, où j'étais, c'était plutôt normal en fait. Honnêtement, la perspective de travailler dans une usine ou un centre d’appel toute ma vie me déprimait. Les Triades, c’était dangereux, mais franchement pas pire que les boulots que le Consortium proposait. Même les commerçants préféraient en général avoir affaire aux Triades qu’au Consortium, et elles allaient parfois directement chercher la Triade présente dans le quartier pour leur demander protection. Intégrer les Triades, c'était tout simplement le choix le plus intéressant que je puisse faire »
« Heureusement qu'il y avait le Clan, c'est la seule famille que j'ai jamais eu. L’amour que l'on avait les uns envers les autres était réel, et cette famille m'a toujours soutenu quand j'en avais besoin. Il faut bien l'avouer aussi, c'est elle qui m'a éduquée, je n'aurais jamais pensé les quitter un jour et c’est vraiment une décision vraiment dure, je vais probablement la regretter plus d'une fois dans les prochains jours. J'espère que tous les frères et sœurs que j'ai connu au sein du clan au cours de ma vie auront l'occasion de construire une nouvelle vie. Je ne suis donc jamais réellement entré dans ma Triade, j’y étais d'une manière ou d'une autre aussi longtemps que mes souvenirs remontent »
« En fait ce qui m'a incité à intégrer le Clan, c’est la perspective d’avoir un avenir. J’avais déjà réalisé quelques petits travaux pour eux, et ils me reconnaissaient comme une travailleuse utile. Cela tranchait radicalement avec la façon tous mes profs me considéraient à l'école, tout le monde avaient un peu décidé que j'étais bonne à rien. Ma famille était plutôt en accord avec cette opinion. J’ai voulu faire de l’ingénierie, l’on m'avait clairement fait savoir que ce ne serait pas possible. Des membres du Clan m’ont dit qu’ils auraient besoin d'une bonne chimiste et qu'ils étaient prêts à trouver quelqu'un pour me former. Je suis donc allé au seul endroit où l’on croyait en moi »
« Ça date d'il y a environ 6 ans, je me suis fait virer de mon boulot au traitement des déchets pour avoir été en retard de 5 min deux fois en une semaine. J'ai cherché un nouveau poste pendant des mois, personne ne voulait me recruter, et c'est un ami qui m'a introduit au Clan. J'avais quelques à priori à leurs propos, mais c'était la meilleure solution qui se présentait à moi »
Généralement, les raisons les plus importantes qui revenaient lors des réponses aux questions concernant alors entrée dans la Triade correspondaient à un besoin d'argent, de reconnaissance sociale, ou de contact humain. Malgré les risques présentés et l’illégalité évidente des activités menées, intégrer une Triade présentait de réels avantages pour les personnes qui l'intégraient. Une des plus évidentes et la possibilité d'obtenir un revenu financier important et relativement fiable dans une ville où la majeure partie de la population manquait parfois d'argent pour se loger ou se nourrir, mais l'avantage le plus important était probablement le lien social que permettait la Triade dans une ville connaissant une épidémie de solitude plus importante que jamais. La plupart des membres décrivaient leur Clan comme leur famille. Les pratiques du Consortium ne paraissaient pas nécessairement plus morales ou légitimes que celles des Triades, faisant que dans une majeure partie de la population pauvre de la ville, intégrer une Triade était socialement accepté, voire respecté. La police et la municipalité étaient largement corrompues et voyaient de plus les Triades comme un contre-pouvoir au Consortium et comme une part importante de l'économie de la ville, si bien qu'elle avait tendance à les laisser mener leurs activités sans interférer.
Mais quelles étaient donc leurs activités au sein de la ville ? Là encore, les repentis témoignent :
« Au début, on rackettait des commerçants en échange de notre protection y compris contre nous-mêmes. Depuis, cette activité n'étant plus considérée comme rentable, nous avons progressivement commencé à produire des contrefaçons de vêtements, de sac, de montres et même de téléphones mobiles de luxe que l'on exporte les principalement en Eurysie, en Aleucie, et en Alguarena. Pour ma part, et j'ai été ouvrier dans un atelier de fabrication puis au bout de quelques années j'ai été promu contremaître, puis après la Révolution, j'ai pris une fonction de logisticien pour maintenir l'exportation de produits contrefaits malgré les affrontements qui nous ont opposé aux révolutionnaires et plus récemment à l’armée Shuhe (NDLR : c’est-à-dire, les 10 000 guerriers et les 500 agents de police du Vuûl actuellement déployés pour épauler les milices révolutionnaires et la Sécurité Publique dans leur combat contre les Triades). Parmi les activités annexes que j'ai eu à réaliser pour le Clan, je peux citer le secourisme, des livraisons, du nettoyage de locaux, et de la négociation avec des fournisseurs »
« J'étais un des responsables de la filature qui faisait de la sous-traitance pour des entreprises étrangères, mon boulot était de m'assurer que l’usine tourne quoi qu'il arrive notamment en gérant les conflits entre employés, managers et patrons. C'est moi qui m’assurais que l’entreprise continue à produire des revenus issus de l'économie réelle »
« Pour la faire simple je faisais le sale boulot. Si une Lanterne bleue sensée livrer notre camelote ne se pointait pas, c'est moi qui allais la chercher. Un partenaire qui merde, et c'est moi qui allais lui péter la gueule. J'ai réalisé plusieurs assassinats pour le compte du Clan et nettoyé plusieurs scènes de crime. En fait, le temps que j'ai passé au Clan, je l’ai principalement passé à résoudre des problèmes que personne d'autre ne voulait gérer »
« Mon premier travail était de passer des coups de téléphone principalement pour annoncer des nouvelles aux familles de membres ou pour poser des questions au besoin. Pour cela, on utilisait des téléphones basiques changés très régulièrement pour ne pas être tracés. J'ai aussi laissé des messages dans des zones de rencontre et de l'argent dans des caches : c'est aussi moi qui livrais l'argent aux flics »
« J'ai fait énormément de rétro-ingénierie, principalement sur des téléphones. Quand une bonne partie des technologies utilisée dans un téléphone restent secrètes aussi longtemps qu’une entreprise le peut, ce qui est un problème lorsque l'on souhaite les contrefaire. La rétro-ingénierie d'un téléphone pouvait prendre des mois et impliquer que l’on identifie tous les circuits électroniques utilisés, pour ensuite produire des plans de fabrication, puis concevoir la ligne de production capable de les assembler. Il fallait parfois recoder des logiciels pour lesquels nous n'avions pas accès au code source pour pouvoir les implanter dans nos téléphones. Des nouveaux modèles sortaient tous les ans R, il fallait donc recommencer le travail en permanence et se former très régulièrement aux nouvelles technologies et aux nouveaux logiciels. J'ai aussi travaillé sur de l'électroménager d'ailleurs bien que ce soit un autre clan qui les fabrique »
Plusieurs Triades du Conseil de Lingtou Tian s’occupent de contrefaçon. Il s’agit de l’une des activités les plus rentable de la Triade. Contrairement aux drogues, les contrefaçons peuvent souvent être envoyés à la vue de tous : ils sont souvent indiscernables au premier coup d'œil de l'original. Les zones de production doivent en revanche disposer d'une couverture car aucun membre de la Triade ne dispose des licences pour fabriquer les vêtements ou les téléphones qu’ils revendent à l’étranger. L'entrée de la ville de Hohhothaï dans l'union des Terres australes a paradoxalement facilité cette activité dans la mesure où ni le Vahal ni la Gyasarr ne reconnaissent la propriété privée. Des téléphones fabriqués à Hohhothaï, s’ils ne l’étaient pas par les Triades seraient complètement légaux localement. Or, il n’est pas évident de prouver les liens d’un atelier avec les Triades, c'est l'une des raisons pour lesquelles les Triades tente de rester à Hohhothaï : à partir du moment où les contrefaçons peuvent être exportées, la production de contrefaçons est relativement simple et rentable. Derrière la contrefaçon, il existe une économie entière permettant entre autres de pérenniser ces affaires et de garder une cohésion entre les différents constituants de la Triade. La Triade doit limiter au maximum ses contacts avec des intervenants extérieurs, et se doit donc de maîtriser un maximum de la chaîne de production, de la mine et du champ, à la vente en passant par le raffinage et l'assemblage. Chaque clan est loin d'être isolé et reste en contact non seulement avec les autres clans de la ville mais également aux clans de la Triade implantés à l'international. Par exemple, Qin Ning raconte :
« A un moment, nous produisions en flux tendu honorer des commandes qui n’arrêtaient pas d'arriver. Plusieurs livraisons commençaient à prendre du retard, j'ai donc été envoyé à Jacalbulco pour contacter la Triade locale et m’assurer que les livraisons arrivent à bon port. C'est là que j'ai rencontré ma première petite amie, Penélope, et c'est comme ça que j'ai appris que des Alguarenos étaient également membre des Triades. De ce que j'ai compris certains Alguarenos considèrent les Triades plus fiables et moins dangereuses que les mafias locales. On a dû repenser tout un réseau de transport transitant par Carnavale, puis Saint-Marquise où un clan n’était présent que depuis quelques semaines, en faisant appel à un opérateur fortunéen pour transporter les containers depuis Carnavale. Le tout, en restant discret, fournir des pots-de-vin en Alguarena est dangereux car cela peut donner une bonne idée de notre implantation aux mafias alguarenas. Normalement, on n’est pas concurrents, mais les négociations n’avaient pas encore réellement abouti avec elles, donc on préférait se faire petits. Ça a été un moment difficile, car une erreur pouvait rapidement provoquer un incident international. Depuis, je suis retourné à Hohhothaï, mais on est toujours resté en contact permanent avec la Triade de Jacalbulco. Si je ne suis plus avec Penélope, on est resté amis jusqu’à… Ce matin »
Hohhothaï a été une base importante pour ses Triades depuis leur création, et ce même pour les Triades internationales. On estime aujourd’hui à 135 000 le nombre de membres, affiliés ou non, des Triades Hohhothaïennes, plus de 95 % originaire de Hohhothaï ou de diasporas hohhothaïennes. Le principal changement apporté par la Révolution a été de la rendre hostile à leur présence. Beaucoup de membres des Triades ont fait partie des immigrants, et ont complètement remodelé les Triades en les internationalisant plus que jamais. Par exemple, il n’y avait pas d’implantations de Triades au Finnevalta jusqu’en 2006, ce sont les les nombreux membres arrivés là qui ont fui la Révolution qui ont depuis constitué des clans, il s’agit aujourd’hui de l’une des implantations de Triades les plus importantes en-dehors de Hohhothaï. Les Triades ont bien failli disparaître de Hohhothaï.
« La Révolution a été un moment… Cataclysmique. Les premiers jours, c’était encore simplement des manifs. Il y a eu des attentats également, mais il y en avait d’aussi loin que je me rappelle. On pensait que ça allait rapidement passer, alors on a continué les affaires. Mais ça n’a fait qu’empirer. On n’avait jamais craint la police, mais les révolutionnaires, c’était une autre histoire. [Ils voulaient] détruire toute corruption de la ville, ce qu’ils considéraient impossible tant que les Triades seraient encore présentes. [Ils voulaient] rendre la ville meilleure, mais étaient tellement fanatiques qu’ils l’ont pratiquement détruite. Je me suis séparé de beaucoup de mes amis à cette époque, la plupart sont partis, quelques-uns sont morts. Moi, je suis resté. Et j’ai vu le pire. Des quartiers entiers devenant fous, chassant de présumés révolutionnaires, ou corpos, l’énième black-out s’éternisant jusqu’à ce que l’on comprenne que l’électricité ne reviendra pas, le quartier mystérieusement mis sous quarantaine, les gens qui disparaissent, les morts, les épidémies foudroyantes, les incendies alors quotidiens… Je pourrais continuer longtemps comme ça. Un an après, la ville n’était pas meilleure, elle était en ruine. Et on est resté »
Dans les ruines de Hohhothaï, tout est à reconstruire, mais les affrontements sont encore quotidiens. La discorde règne entre les Triades, et le Conseil de Lingtou Tian survit en maintenant les clans sous une poigne de fer. S’il n’y a plus d’économie de laquelle tirer de l’argent à Hohhothaï, l’enjeu change. C’est désormais une question de pouvoir. Jusqu’en 2010, les plus grandes Triades tentent d’accaparer un terrain à eux, sur lequel ils seraient souverains. C’est un changement de paradigme majeur. Et Huo Xuefeng confirme qu’ils ont reçu de l’aide.
« Vous vous rappelez Rubis Microtechnologies ? Elle n’a jamais eu de présence physique, ça a toujours été une société écran. C’est elle qui organisait les importations qui nous ont permis de combattre. L’on a échangé avec ce qui est peut-être le seul salarié de Rubis Microtechnologies, vous le connaissez peut-être, Wan Zexi, et qui travaillait pour un mécène qu’on n’a jamais vraiment connu, même si je soupçonne fortement Pan Yang, ex-directeur de la SBNU (Société Bancaire du Nazum Uni) ou Geng Zan, investisseur dans les télécommunications »
Une note avant de continuer le témoignage : il n’y a probablement pas une seule personne derrière gestion de Rubis Microtechnologies, mais tout un réseau de gestionnaires et d’investisseurs issus de l’Elite es Survivants. Cette société est une part d'un réseau de sociétés-écrans beaucoup plus étendu, important et encore actif aujourd'hui, un article sur le sujet pourrait être envisageable, mais il s’agit d’un système extrêmement opaque sur lequel il est difficile de trouver des informations. L’Elite des Survivants est dispersé un peu partout dans le monde, il est rare qu’un de ses membres soit identifié, encore plus rare qu’il soit localisé.
« Nous avions passé un accord : ils nous fournissaient les moyens matériels de terminer la révolution, nous finissions le boulot, on ne tapait pas sur leur mercenaires (ndlr : les SMP hohhothaïennes ont maintenu les affrontements à ce jour, et sont payés par les Survivants par un autre réseau de sociétés-écrans, il a été posé comme hypothèse qu'ils ont aussi pour mission de reprendre la ville, mais leur mission actuelle reste inconnue, ça pourrait être le sujet d'un autre article), ils récupéraient leur ville et nous avions droit à notre bout de terrain. A l’époque, il était probable qu’on l’emporte. [Les révolutionnaires étaient] bien plus nombreux que nous, mais à court d’équipements et de munitions. Les révolutionnaires n’ont jamais été particulièrement bien armés jusqu’à récemment. Rubis, à l’inverse, nous fournissait des armes de dernière génération et même des armes lourdes. Les premiers assauts sur les révolutionnaires ont été dévastateurs, et pendant des mois, l’on a occupé des quartiers entiers. On se voyait déjà prendre la ville »
Les révolutionnaires se sont adaptés à ce rapport de force déséquilibré, en préférant les embuscades et les attentats à l’assaut frontal, mais ce qui a réellement a échoué, c’est l’union des Triades. La Révolution n’a pas arrêté les conflits qui les séparaient et ils se sont régulièrement affrontés même après. Des tentatives d’accord ont eu lieu, l’un d’entre eux a même failli aboutir, l’ « Accord des 6+1 » comme on l’appelle. L’un des groupes impliqués, le Gang des Bambous Rouges, a connu une scission au pire moment et soupçonné les autres groupes d’avoir soutenu les sécessionnistes. En semant la discorde, l’événement a rendu tout accord impossible, si bien que les Triades du Conseil de Lingtou Tian ne devaient pas simplement affronter les révolutionnaires, mais aussi les 44 (un groupe de Triades rival du conseil de Lingtou Tian, également à portée internationale, et très présent dans le trafic de diverses drogues, et connu pour être le groupe le plus violent de Hohhothaï), qui étaient tout aussi bien armés qu’eux. Au bout d’un an d’affrontements, aucun groupe de Triades n’était près de remporter la victoire. Les révolutionnaires quant à eux, se sont largement organisés, se sont alliés à la majeure partie des peuples autochtones de la région et ont d’un commun accord intégrer une alliance nettement mieux équipée et organisée que les Triades (à savoir, l’Union des Terres australes de Shuharri). Les rapports de force se sont inversés, et le Groupe de la Jadéite Noire ne donne plus signe de vie. Les combats continuent, les Triades sont plus unies qu’elles ne l’on jamais été, mais le but reste le maintien de zones conquises et le maintien des activités. Des affrontements parfois importants auront encore régulièrement lieu, mais les Triades ont perdu le soutien de Rubis Microtechnologies et doivent désormais compter sur leur implantation internationale pour se procurer de l’équipement et des provisions. Il leur revient de constituer par eux-mêmes un réseau de contrebande et c’est de là que viendra alors leur stratégie de survie la plus récente. Au cours de l'année 2010, les affrontements deviennent de moins en moins intensifs et les révolutionnaires récupèrent la majeure partie des territoires de la ville auparavant occupé par les Triades. Si la coalition Shuhe-Hohhothaïenne pense avoir finalement obtenir une victoire, il s’avère rapidement que c'est bien les Triades qui ont délaissé les quartiers qu’ils occupaient. Si la reconquête de la ville était désormais inenvisageable et s’il était impossible de se faire à nouveau accepter par cette nouvelle ville ou encore d’en extraire de revenus financiers, la mise en place de réseaux de contrebande s'est avérée plus aisée que jamais. La ville est en bonne partie en ruine la population est plus rurale qu'auparavant, la surveillance généralisée n'est plus de mise et les frontières sont désormais très peu surveillées. Les Triades ne souhaitent alors plus conquérir la ville mais s'y cacher. Les activités identifiées les plus récentes que l’on ait pu associer aux Triades sont un des ateliers très discrets utilisant d'anciens bâtiments actuellement abandonné et la présence de sites forestiers a également été confirmée.
« Travailler dans une Triade aujourd'hui c'est beaucoup moins de violence, et beaucoup plus de clandestinité. Ces derniers mois, la question est plutôt de trouver des endroits pour installer des ateliers que personne ne trouvera avant des mois voir si possible des années, on se déplace principalement de nuit et en émettant le moins de lumière possible et on essaie surtout de ne jamais se faire remarquer. L'ambiance dans la Triade est désormais beaucoup plus calme, l’on est moins en train de préparer des combats et de craindre pour sa vie et celle de nos proches, l'on passe désormais notre temps à regarder autour de nous. C'est une peur à laquelle je n'étais pas habitué, ce qui est beaucoup plus difficile appréhender que la simple peur d'un combat »
Les Triades restent donc relativement bien implantées à Hohhothaï et le principal problème auquel ils font face reste désormais le recrutement. Les raisons pour lesquelles les personnes entraient dans une Triade avant la révolution n’ont plus réellement de sens. La promesse de revenu financier apparaît désormais beaucoup moins intéressante dans la Hohhothaï actuelle, et bien d’autres structures sociales peuvent fournir une communauté au Hohhothaïens.
Gu Liang nous explique les principales filières recrutement encore active À Hohhothaï :
« L’intérêt pour l’argent n’a pas complètement disparu de la ville, donc quelques membres nous ont rejoint pour l’argent, mais c’est désormais une minorité. L’ancienne culture Hohhothaïenne n'a pas disparue, de nombreux habitants considèrent toujours les Triades comme des acteurs légitimes de la ville dans lesquelles une carrière est envisageable, si en plus ils sont insatisfaits de la façon dont la ville est actuellement gouvernée, ils peuvent tout à fait préférer prêter allégeance aux Triades, qui de plus exerce toujours à ce jour une véritable fascination sur les habitants. Enfin, et c'est probablement le plus important, les Triades ne sont plus désormais plus uniquement des organisations criminelles, elles sont désormais des véritables petites sociétés à part entière, dans laquelle des gens naissent et grandissent. Aujourd'hui, des couples se forment au sein de la Triade, donnent naissance à des enfants qui grandissent dans la Triade et sont éduqués par la Triade »
Posté le : 22 oct. 2023 à 02:28:17
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[21 novembre 2011]
On remonte quelques semaines plutôt. A ce moment-là, Yeke, un cultivateur thuranni sédentarisé qui travaille dans une installation hydroponique à Okkaluin change une pièce usée sur le répartiteur d’eau chaude qui alimente la serre. L’eau chaude en question est issue d’un puits géothermal dédié à une série de serres entières et est maintenue sous pression à 120 °C. Yeke, voulant rallumer la machine, se trompe de commande et dérègle le variateur de flux. Se rendant compte que la machine de redémarre pas, il comprend qu’il s’est trompé de commande et actionne l’interrupteur, mais en oubliant de remettre le variateur de flux à sa position initiale. L’eau entre beaucoup plus vite dans les tuyaux qui courent sous le plancher de la serre qu’auparavant. Au point que l’eau commence à former des turbulences, dans une plomberie conçue pour fonctionner avec un flux laminaire. Quelques minutes après la remise en marche du répartiteur, des zones de basse pression se forment dans le flux d’eau, entraînant une cavitation : des bulles de vapeur se forment et font exploser un tuyau. De l’eau chaude sous pression est éjectée dans la serre et se vaporise très rapidement. Il y avait des gens en train de trier des graines près du lieu de la fuite. Cinq personnes se font violemment ébouillanter, deux de plus sont brûlés par la vapeur surchauffée, quatre autres seront légèrement blessés par les températures montantes de la serre avant qu’ils n’aient eu le temps d’évacuer. Si le répartiteur a coupé l’arrivée d’eau automatiquement en détectant une dépression au niveau du capteur, l’eau contenu dans les tuyaux a en effet fait monter la température de la serre à plus de 55 °C. La récolte a été perdue, et Yeke, étant donné la gravité de l’erreur, a été considéré négligeant par le Bureau des Cultivateurs de la grappe de serres d’Okkaluin-Ittopal, et exclu du travail à la serre. Il semblerait que ses camarades de serre ne soient pas du même avis, puisque moins de deux heures après, une vingtaine de personnes entraient dans le bureau pour demander la réintégration de Yeke, eu grand étonnement des administrateurs. Parmi la vingtaine de personnes, trois avaient été blessées par l’accident. L’une de ces personnes, Tapeesa, une ancienne pêcheuse qui a connu les première serres, a accepté de discuter avec La Rumeur, et nous fait part de son incompréhension devant le choix du Bureau.
« Il n’y avait rien d’étonnant là-dedans, on leur avait dit que ça risquait d’arriver. Si le simple fait que les cultivateurs puissent eux aussi dormir n’était pas un argument suffisant »
Le Bureau avait en effet déjà été averti trois semaines avant l’incident que l’équipe était largement surchargée de travail et risquait de commettre des erreurs dangereuses, et ils avaient déjà été avertis un mois plus tôt, et pendant l’hiver, trois fois. Il n’a jamais donné de réponse.
L’accident de la serre se profile depuis des mois et la plupart des cultivateurs s’accordent à dire que ça aurait pu tomber sur tout le monde. Les cultivateurs travaillent 10 à 15 heures par jour selon le travail qu’il reste à faire, souvent sans réel jour de repos pendant des semaines, et l’on parle de travaux exigeants, que ce soit par des travaux qui sollicite la force et l’endurance de l’organisme (par exemple, le déneigement des serres, le transport des équipements et des récoltes, le nettoyage des zones de culture, la maintenance sur l’alimentation électrique en extérieur), ou par la concentration qu’ils peuvent demander (par exemple, le semis et la sélection des graines, la récolte de plantes très différentes, la taille, la surveillance des maladies, et des adventices, la préparation des solutions hydroponiques, leur analyse, l’entretien des ruches, la maintenance du réseau de chauffage et de l’éclairage). Le travail est donc épuisant, et ces horaires à rallonge ont des conséquences. Souvent, les cultivateurs dorment 3 à 5 heures par nuit pendant des mois, ont du mal à maintenir des relations au-delà de leurs camarades de serre, même au sein de leur propre famille et communauté, il arrive aux cultivateurs de perdre de vue leurs conjoints, leurs enfants, leurs alleux, leurs amis de la communauté ou de leur tribu ou clan dans le cas des nomades sédentarisés. Ils n’ont pas nécessairement le temps de panser leurs blessures et ne vont voir un médecin qu’en cas de complications.
« Quand on revient enfin chez nous, on se retrouve parfois à choisir entre se doucher, se faire un thé, ou dormir, et heureusement qu’on a la communauté pour cuisiner même quand on ne leur parle pas »
Le manque de temps libre pèse sur le moral de l’équipe et provoque des dissentions souvent difficiles à gérer. Une dispute peut s’étaler sur plusieurs jours avec quelques dizaines d’échanges brefs quand les personnes en conflit se rencontrent. Si un des camarades de serre commence à se comporter bizarrement ou à tenir des propos incohérents ou paranoïaques, le soutien se fait un peu comme les horaires de travail le permet. L’équipe s’organise en général pour savoir qui peut l’aider et par le mettre dans un travail d’équipe avec la personne qui en a besoin. Tout cela se fait sans que le travail ne soit interrompu, et c’est moyennement efficace. La plupart des équipes de cultivateurs organisent désormais des rencontres après le travail pour discuter entre eux et entre autres, résoudre les disputes et soutenir les personnes à la santé mentale fragile, et se divertir ensemble. Dans toute ville des Terres australes qui se respecte, on trouve des lieux qui leur servent à zoner et des « bars à cultivateurs ». C’est toutefois du temps qui n’est pas passé à dormir ou à rester au sein de sa communauté, si bien que selon les circonstances, il arrive que les cultivateurs le perçoivent comme du travail supplémentaire.
Des cultivateurs ont fait état de surmenage à l’administration des serres et à au Conseil des sages, la réponse donnée se résume en général à un « Tenez bon », depuis les années 80’, sans date de fin. Quand ils en parlent à leur communauté ou à leur tribu, ils se sentent plutôt impuissants et n’ont rien d’autre à répondre que « Tenez bon ». Il reste les syndicats, ici, plusieurs syndicats, comme le Syndicat agricole des Citées fédérées, la Fédération des travailleurs de l’Union, le Syndicat des nomades et expéditionnaires, les Communautés-unies, l’Organisation des Travailleurs Solidaires d’Okkaluin et plus d’une vingtaine d’autres syndicats de bords politiques très variés auxquels les cultivateurs peuvent souscrire. Globalement, les syndicats restent tenus par des associations de travailleurs, qui gère le syndicat sur leur temps libre. Quand les cultivateurs s’adressent à leur syndicat, la réponse est donc « Tenez bon » tant que personne n’est prêt à faire face à la technocratie shue [ndt : attention à ne pas confondre les Shus et les Shuhs, les Shus, c’est un peuple, une confédération de cité-états au sein de l’Union des Terres australes, les Shus sont Shuhs, les Kharins sont également Shuhs, pas Shus] pour améliorer les conditions de vie des travailleurs, sans même parler de remettre en cause la façon même dont les cités sont gouvernées. Sauf que, il semblerait que ce moment, finalement, soit venu, car la grève est déclarée, et de plus en plus de syndicats se joignent au mouvement.
Le Bureau des Cultivateurs de la grappe de serres d’Okkaluin-Ittopal a en effet refusé la réintégration de Yeke, et a rendu sa décision officielle. Il est demandé à l’équipe de cultivateurs concernée d’entamer les réparations de la serre tout en continuant de s’occuper des autres serres, le tout sans Yeke ni les cultivateurs blessés alors en soins ou en convalescence. Cela tient quelques jours, mais des nomades sédentarisés (parmi les cultivateurs les plus discriminés au sein des serres) se réunissent pour refuser la reprise du travail si Yeke n’est pas réintégré, argumentant sur le fait qu’ils sont plus sujets que les Shus à des sanctions lourdes en cas d’erreur. Le Syndicat des nomades et expéditionnaires (qui représente notamment une bonne partie des nomades sédentarisés) décide de les appuyer et fournissent une légitimité à l’arrêt du travail. Jusque-là, ce n’est pas encore la grève. Les cultivateurs rentrent simplement chez eux pour se reposer. Au bout de quelques jours, plusieurs d’entre eux commencent à se rentre compte des conditions difficiles dans lesquelles ils étaient plongées quand ils se mettent à pleurer sans raison apparente, à avoir mal à la tête, à avoir une mémoire erratique, avoir un comportement que leur propre communauté ne lui reconnait pas, à dormir peu, ou d’un sommeil agité de cauchemars. Cela finit par se savoir au niveau des serres et plusieurs cultivateurs font remarquer que tel ou tel collègue est bien plus cynique ou méfiant que quelques moi auparavant. Le Syndicat des nomades et expéditionnaires fait remarquer qu’une partie des cultivateurs qu’il représente est dans un état mental catastrophique, que tous les cultivateurs sont dans une situation dangereuse, et en appelle à la grève sur toutes les serres de la Fédération shue tout en incitant les autres syndicats à le rejoindre. La grève est acceptée par les syndiqués, et le Syndicat agricole des Citées fédérées ainsi la Fédération des travailleurs de l’Union décide de s’y joindre, la grève est déclarée et implique quasiment les deux tiers des cultivateurs, jusqu’à 80 % dans la cité-état d’Okkaluin. Quand on sait que ceux qui font grève sont ceux qui produisent en bonne partie ce qu’on mange, c’est une ampleur historique.
La grève chez les cultivateurs est assez différente de celle que l’on avait connu dans le secteur ferroviaire l’année dernière par exemple, déjà parce que l’agriculture est gérée par le gouvernement local et pas interethnique, si bien qu’organiser une grève sur plusieurs cités est difficile, au sein de plusieurs peuples culturellement différents, encore plus. Là, la grève touche plusieurs cités importantes de la Confédération Shue, et des équipes de l’Okhotzhe de Braha [ndt : un khotzhe désigne un agrégat de plusieurs villages claniques kharins qui s’installent côte-à-côte, formant une agglomération mutualisant les infrastructures, un okhotzhe est un khotzhe suffisamment grand pour que l’on y forme une municipalité, ce qui implique que toutes les structures d’une ville y sont, en gros, un okhotzhe, c’est une ville kharine réunissant des dizaines de villages, voire plus de 130 dans le cas de Braha] et de la citée d’Ilmarde envisagent de s’y joindre c’est dire à quel point touche un point sensible des changements qui ont affecté les Terres australes : l’agriculture a été développée à marche forcée en gérant les conséquences sociales après coup, et souvent, pas du tout. Les équipes de cultivateurs sont conscients que les serres sont importantes, et même en grève, acceptent d’y maintenir un entretien de base, un principe qui avait été développé lors des grèves précédentes, et leur permettait également d’indiquer à la population générale qu’ils ne comptaient pas tout détruire, mais bien changer les conditions de travail des cultivateurs pour le bien de tous. Les quelques destructions de serres qui ont lieu depuis les années 80’ sont surtout du fait d’antinationalistes qui voient en l’agriculture une des principales cause de destruction des cultures des Terres australes, et d’anarchistes austraux qui considèrent les serres comme un outil de contrôle des populations, surtout avec de telles conditions de travail. Les serres doivent non seulement être maintenues pour qu’elles puissent être reprises après la grève, mais également car ils fournissent un endroit chaud pour s’y installer et s’y abriter du froid. Pour le moment, les manifestations consistent principalement à aménager des endroits où les gens peuvent dormir et se reposer, et, le plus compliqué, de les tenir ! Une partie des manifestants sont dehors, pancartes à l’air, et servent de tampon entre la serre et l’extérieur, dans la serre, une partie des gens gardent la zone, la plupart dorment. Les manifestants pratiquent un roulement pour que tout le monde puisse dormir, et certains volontaires apportent leur soutien à ceux dont l’état mental est fragile. Certains apportent des boissons chaudes aux serres et à l’extérieur, ou des jeux de société pour que les cultivateurs puisse jouer, les livres aussi qu’ils n’ont pas eu le temps de lire depuis longtemps. Depuis quelques jours, les cultivateurs ont commencé à organiser des discussions et des lectures collectives, alors que les syndicats commencent à formuler des revendications. Parmi elles : une journée de travail plafonnée à 9 heures sept jours sur neuf, l’automatisation des serres, la possibilité de se faire des zones de repos dans les serres, d’amener une radio, un ordinateur, de la musique dans les serres, la non-surveillance des serres, la possibilité de contacter ses proches du travail, la possibilité de donner leur avis sur la plantation et la maintenance des serres, l’apport de nouveaux cultivateurs, la garantie que les cultivateurs ne puissent pas être retirés des serres sur une décision unilatérale et évidemment, la réintégration de Yeke.
Face à des manifestations, les cités de la Confédération shue ont toujours suivi une ligne relativement répressive au nom de la survie des cités. Il est rare que l’administration shue négocie avec des grévistes, les combats peuvent être longs. De manière générale, l’administration shue a aussi pour mission d’éviter les grèves, et de manière générale, cherche à éviter le développement de velléités de grève. Typiquement, cela passe par la promotion de leurs politiques, la mise en place de voies où poser des réclamations (bien qu’elles ne soient pas forcément écoutées), la responsabilisation des équipes de cultivateurs, dans le cas de Qikiqtaniitsoq, des entrevues entre l’administration et les équipes pour calmer les tensions, la mise sous pression des travailleurs syndiqués. Ganbold, le porte-parole du Syndicat des nomades et expéditionnaires a également constaté une autre stratégie :
« Un ancien administrateur en contact avec la Citadelle nous a expliqué que la politique agricole de la ville impliquait de pousser des gens au travail, précisément dans le but d’éviter une grève. L’idée est simple : si vous êtes en permanence sur la prochaine tâche, vous n’avez pas le temps de penser à vos conditions de travail. Il faut que quand vous rentrez chez vous, vous soyez trop épuisés pour penser à formuler des revendications »
[ndt : la Citadelle désigne à Okkaluin l’Ivhaanri de la ville (qui avait été construite comme un fort), l’Ivhaanri, c’est le bâtiment d’une cité-état shue qui contient le Conseil des Sages, les bureaux d’experts, les zones d’étude politiques et l’administration centrale. Dans le langage courant, le terme d’Ivhaanri, et donc aussi de Citadelle dans le cas d’Okkaluin, désigne globalement le gouvernement et la partie centralisée de l’administration d’une cité-état shue, généralement de hauts dignitaires censés avoir une certaine expérience et expertise dans leur domaines et capables de prendre appui sur les conseils de leurs pairs]
Un autre outil préventif utile pour gérer une grève des cultivateurs est la constitution de réserves de nourriture : l’Union dans son ensemble dispose d’assez de nourriture sur les Terres australes pour nourrir la population pendant cinq ans sans aucun autre apport, le but étant notamment de tenir un bouleversement mondial majeur et d’avoir le temps de trouver et développer de nouvelles sources de nourriture. Si une cité shue se retrouvait sans nourriture, cette réserve serait mobilisée, mais ce serait un coup dur dans la légitimité de la technocratie shue qui repose en bonne partie sur l’idée qu’ils aient l’expertise suffisante pour éviter ce genre que ce genre de situation n’arrive à cause de mauvais choix politiques. Comme la plupart des gouvernements locaux, les cité-états shues disposent de réserves de nourriture adaptées à la culture shue (deux ans, exportations vers les autres peuples et les EAU incluses, dans leur cas), qu’ils peuvent mobiliser comme bon leur semble, notamment pour compenser la perte occasionnée par la grève en continuant à honorer tous ses engagement. Les réserves de nourritures ne sont pas fondamentalement pensées pour le contrôle des grèves, mais s’avère très utiles dans de telles situations. Il faudrait théoriquement qu’une grève qui touche la totalité des serres dure deux ans avant de poser un problème d’approvisionnement en nourriture, largement assez de temps pour que les grévistes soient en impossibilité de continuer la grève.
Les réserves, la « communication », la responsabilisation des cultivateurs, leur surmenage, ou même les patrouilles de pacificateurs dans la rue, contribuent à donner l’impression que la technocratie shue n’est pas seulement légitime, mais surtout surpuissante. Qu’une grève contre eux n’est pas gagnable. Mieux vaut alors entrer dans de longs processus de discussion qui n’aboutiront dans les faits que quand l’administration le décidera utile. Et continuer le travail tant que la discussion suit son cours. Malgré tous ces outils à leur disposition, la grève a fini par monter dans les têtes pour éclore au grand jour. La grève est là, pour le Conseil des Sages, elle doit alors être interrompue.
Réprimer une grève est nettement plus difficile que la prévenir. A partir du moment où les grévistes reçoivent le soutien de leur communauté pour leur fournir nourriture, divertissement, informations, ressources, voire militants, les grèves peuvent durer des mois, parfois plus d’un an. Parmi les stratégies de répression, il est possible de citer le don de postes de direction aux travailleurs les plus loyalistes, la propagande antigrève au sein du grand public, l’écartement des grévistes du travail aux serres, voire du travail en général, mais surtout l’épuisement des grévistes.
Cela peut simplement consister à couper l’arrivée d’eau chaude d’une serre où se réfugient les grévistes, qui doivent alors prendre en charge le chauffage ou geler. Globalement, une telle action est assez rare, déjà car les travailleurs qui tiennent la régie du réseau de distribution de chaleur sont fréquemment parmi les grévistes, ensuite car l’administration et les cultivateurs s’entendent plus ou moins tacitement pour maintenir les serres en état de marche. Une serre dont l’entrée de chaleur a été coupée sans vidange des tuyaux radiants va rapidement connaître des températures glaciales, l’eau gelant dans les tuyaux peut occasionner de lourds dégâts à la distribution de chaleur qu’il faudrait réparer avant la reprise du travail. Or, la vidange des tuyaux implique un accès à la serre tenue par les grévistes.
L’épuisement des grévistes se fait de différentes manières : faire trainer les négociations, exclure les grévistes des distributions de ressources, ce qui les laisse à la charge des communautés et peut provoquer des tensions, brouiller leurs communications longue-distance, infiltrer des casseurs de grèves ou seulement des agents doubles (l’une d’entre eux, qui a fini par passer de l’autre côté, et par témoigner à un syndicat, a fini par comprendre qu’ils n’étaient pas tant là pour provoquer des arrestations de gréviste ou d’arrêter une grève, que de provoquer la dissension rien que par sa présence. Et l’une des façons les plus évidentes d’épuiser les manifestants : la répression policière. Il a fallu environ deux jours pour les cité-états pour envoyer les protecteurs en contact avec les grévistes. Ils entrent en conflit régulier, possiblement à toute heure de la journée et de la nuit, perturbant les repos et les sommeils, limitant les chances de discuter et de s’organiser. Parfois, ils organisent des charges de plus grande ampleur, ce qu’il s’est passé à Qikiqtaniitsoq, essayant carrément de prendre un point d’intérêt (une serre par exemple) tout en arrêtant des gens. Les gens arrêtés sont gardés au poste de protecteurs le plus proche, parfois une quinzaine de jours, avant d’être relâchés, parfois avec une exclusion des distributions de ressources. Ce qu’il se passe dans le poste, en général, c’est de violents interrogatoires, une personne peut être interrogée, parfois en groupe, et parfois face à plusieurs protecteurs qui se succèdent, et ce parfois 20 heures en continu. Des représentants syndicaux comme Tiqhrigasunianage Ushasi de la division des Terres australes de la Confédération Agronomique et Agricole des Trois Régions admettent avoir reçu des menaces informelles d’arrestation, de violences, de sabotage de la part des Protecteurs, et des proposition de paiement de la part du Conseil des Sages d’Okkaluin. Les syndicats n’ont jamais été très appréciés par la Fédération shue, et ont toujours essayé de les casser, que ce soit par des agents infiltré ou en fournissant des avantages visibles aux non-syndiqués (comme un accès privilégiés aux postes de direction), ou en rendant la vie difficile aux syndiqués jusqu’à les inciter à partir ou à quitter le syndicat. D’ailleurs, les syndicats s’arrangent fréquemment pour accueillir des membres sans les répertorier officiellement, les listes étant souvent purement officieuses, au sein d’une serre, il peut donc être difficile de savoir qui est syndiqué, qui ne l’est pas, qui pourrait rapporter un syndiqué en échange d’aide (en temps libre par exemple) de l’administration, qui infiltre un syndicat pour le compte des Protecteurs ou de grand administrateur de l’Ivhaanri, le sujet est donc plutôt un tabou, et dire à un de ses camarade de serre à quel(s) syndicat(s) on est affilié est un grand signe de confiance. Il est dit parmi les travailleurs de la Fédération shue que faire partie du même syndicat et le savoir, c’est déjà être amis. La bataille pour le droit de ne pas dévoiler son affiliation à un syndicat auprès de figures d’autorité, ainsi que la non-surveillance des syndiqués, fait partie des luttes syndicales depuis plus de deux décennies.
Globalement, la Fédération shue a de grande difficultés à contenir des grèves, qui apparaissent malgré tout régulièrement, et le syndicalisme reste bien présent dans la vie publique d’une bonne partie des régions un tant soit peu urbanisées des Terres australes, globalement, la grève est loin d’être un impensé. Le droit de grève n’est pas réellement garanti, et il n’existe pas réellement de mécanisme ou de structure dans les cité-états shues qui sépare l’activité économique du pouvoir de planification politique, si bien qu’en terme de régulation du travail, la technocratie est complètement en conflit d’intérêt. Toutefois, dans le fonctionnement idéologique de la technocratie, ce n’est pas un problème. Ganbold nous l’explique ainsi :
« Imaginez, vous êtes un expert embauché pour garantir la survie à long terme de la ville. Vous souhaitez produire vos produits vitaux avec des ressources que vous êtes sûrs de pouvoir produire. Vous n’avez pas besoin que tout le monde vive cent ans, mais qu’il reste toujours assez de gens en état de travailler pour que la cité puisse persister. Vous vous attendez à prendre des décisions difficiles, et vous essayez de les prévoir en avance. Pour produire assez de nourriture sans compter sur des voies d’importations peu fiables qui pourraient laisser la ville sans nourriture à la première quarantaine venue, vous avez besoin des serres, mais les maintenir demande beaucoup de travail. Vous pourriez automatiser au maximum les serres, mais cela demande une bonne quantité de matériel électronique des circuits de rechange pour la maintenance. Ce sont des ressources que l’on ne produit pas, qu’il faut importer, et qui ne sont pas renouvelable, qu’on préfère utiliser avec parcimonie. Au contraire, les humains, ils sont solides, adaptable, et on les produit localement tant qu’on a de la nourriture et de la chaleur à leur fournir, et c’est deux choses qu’on peut trouver dans l’Enclave. C’est l’une des raisons pour lesquelles les serres sont aussi stratégiques, et pourquoi on ne les automatise pas. Et à mon avis, tant que les cultivateurs n’auront pas leur mot à dire sur comment on gère les serres, ou qu’il n’y aura pas d’électronique produire localement avec des ressources renouvelables, ils nous diront de tenir bon et rien ne changera. Ils se voient vraiment comme les experts qui sont les mieux placés à diriger la ville car ils ont passé des années à être formés pour ça, et qu’ils ont la lourde tâche d’assurer la pérennité de la ville, même si cela va à l’encontre des souhaits court-termistes de la majorité de la population. Pour eux, les grèves, c’est une variable de plus à prendre en compte dans l’élaboration d’une politique, et l’état mental d’un travailleur relève quasiment d’un problème d’usure d’équipement. Dans le pire des cas, ils remplacent le cultivateur et laisse leur communauté, ou leur clan, le réparer »
La grève est ainsi un conflit entre une technocratie représentant les intérêts de leur cité (ou du moins de la façon dont ils se la représentent) plus que de leurs habitants, et les travailleurs qui souhaitent au minimum que l’on prenne en compte leur humanité dans les décisions politiques. Les cultivateurs savent pertinemment que pour espérer obtenir ne serait-ce que des concessions, ils vont devoir tenir longtemps, très longtemps, sans garantie que l’issue leur soient favorable. L’enjeu d’une telle grève est donc de former très rapidement une communauté avec sa vie quotidienne, voire de reprendre la culture des serres selon leurs conditions pour alimenter le mouvement lui-même. En plus des roulements de sommeil et de repos, les manifestants organisent également des moments pour se rencontrer, pour discuter, pour se soigner, pour lire ensemble et pour apprendre les uns des autres. Si vous passez du côté des serres depuis hier, et que vous êtes prêts à prendre le risque d’une charge de protecteurs, vous pouvez assister à des cours de langue thuranne, d’agronomie, de botanique, de tir à l’arc, ainsi que des lectures publiques, notamment de romans. Et à priori, ils ne sont pas prêts de s’arrêter. La plupart des grévistes vous le diront : quand une grève démarre, cela devient ta vie. L’on est gréviste à plein temps.
Posté le : 03 jui. 2024 à 05:09:55
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[25 décembre 2011]
A la rencontre de nos auditeurices trans de l’Althalj
Quand mes proches se tournent vers moi pour parler, je ne sais pas qui elles parlent. Personne n'a envie de m'entendre parler de moi, de qui je suis, ou même de quoi que ce soit. La personne qu'elles aiment n'est pas moi. Il m’arrive de la voir dans un miroir, mais je ne la comprends pas. Elle vient d’ailleurs. Du même endroit que mes proches peut-être. Mais je suis où alors. Je pense sans exister ? Je viens d’où ? Pourquoi c’est moi dans ce corps ? Est-ce que j’ai gâché un corps qui aurait dû revenir à quelqu’un d’autre ? Est-ce que je suis cassé ? Où est-il simplement un contenant pour un gaz sous pression, prêt à exploser ?
Vous êtes-vous demandé ce que signifiait être une femme ? Ou un homme ? Ou unne mille-voix ? Ou ine yarrie ? Pourquoi vous aviez, ou non, un genre ? Ce qui rendait des gens plus masculins, féminins, et pourquoi on ne s’occupait, se nommait, s’habillait et se comportait pas de la même manière selon notre genre ? Peu de nos sociétés pourraient fonctionner de la même manière si demain, l’on arrêtait de genrer les personnes qui les constituent. Et pour certaines personnes, le genre qu’on leur a attribué ne va pas de soi, loin de là. Ça peut prendre pleins de forme. Votre organisme, votre vision, vous dégoûte, ou alors, vous avez l’impression de vous dissocier de vous-même. Un jour l’on se trompe dans la façon de vous désigner et cela vous remplit de joie. Vous n’arrivez pas à comprendre comment être un homme ou une femme, quand bien même cela devrait être votre quotidien. Vous avez du mal à vous sentir proche de gens du même genre que vous. L’on pourrait lister longuement les manières de corrompre le mécanisme du genre, en apparence si bien huilée, dans les faits, plus grippée qu’on ne pourrait l’imaginer. Dans l’Enclave, ces corruptions font du genre un magma mouvant, dérivant, fusionnant, fissionnant, qui se dissous et se reconstruit en permanence. Mais il existe des régions du monde entières où la société fonctionne sur une conception du genre comme d’un attribut permanent, stable, qui influence un humain de manière cohérente. Dans la conception eurysienne actuelle du genre, la masculinité et la féminité sont des caractères inscrits dans la biologie de nos organismes. Les hommes et les femmes diffèrent comme les Pins Cendrés et les Pins rouges sont différents. Dans le monde islamique, ou même chrétien, le genre est un attribut fourni par la divinité unique. Dans une société où l’on doit fixer une identification du genre qui semble stable et claire à la plupart des gens, ces corruptions mènent à des… Transgenres. Des gens en opposition avec le genre qu’on leur a attribué au départ, si bien qu’il existe un conflit entre ce genre, et celui qu’iels considèrent être le leur. L’existence des transgenres entre en conflit avec les postulats de base qui permettent à une société eurysienne ou islamique de construire une organisation sociale autour du genre. Si le genre ne fonctionne pas de la même manière pour tout le monde, comment est-il possible d’en faire un repère stable, comment délimiter les gens selon leur genre, et répartir les rôles ? Comment même former communauté si l’on ne peut pas prévoir ce que ressentent ou attendent les personnes en face de nous ? Ni comment iels réagiraient selon l’action ou les propos que l’on tiendrait envers eux ? Dans de nombreuses régions du monde, la société déploie des efforts pour maintenir l’illusion que les transgenres n’existent pas, ou sont une réalité négligeable du monde.
Cela ne fait même pas dix ans que "Et puis, tout s’éteint" existe. C’est un ensemble de médias locaux de l’Enclave volcanique qui n’a jamais eu de prétention internationale. Notre auditoire, c’est l’Enclave volcanique, et depuis peu, l’Union dans son ensemble, donc un pays d’un peu plus de trois millions de gens, et dans les faits, vu les sujets qu’on traite, on s’adresse à une minorité de ces trois millions. On est vraiment des bénévoles qui faisons vivre un petit journal qui parle de sujets de niche. Vous imaginez donc notre surprise quand on regarde le trafic de notre radio Internet, et que l’on se rends compte qu’une part importante vient de l’Althalj. Sans dire que l’on est devenus l’un des médias importants dans le pays, le trafic généré par la faible population althaljire n’est pas négligeable du tout vu notre échelle. Sur certains articles, sur certains podcasts, on parle du cinquième des visites. Alors déjà, nous tenons à remercier nos auditeurices et lecteurices de l’Althalj. Ce n’est pas tout. En sachant cela, nous avons décidé de trouver des gens qui parlaient ath (des contributeurices à Tumgao s’y sont penchées) nous avons commencé à traduire des articles en ath, et créé une section en ath sur le forum de Et puis, tout s’éteint, et à ce moment-là, nous avons pu enfin entrer en contact avec les auditeurices de l’Althalj. Nouvelle surprise : la majorité était transgenre. Et quand on dit la majorité, c’est vraiment l’immense majorité. Pourquoi ? Qu’est-ce que l’on apporte aux personnes trans de l’Althalj que l’on n’apporte pas aux autres personnes (celles que l’on dit « cisgenres »). Pourquoi un segment aussi précis de la population d’un pays afaréen est prête à lire des articles en langue étrangère remplies de références culturelles inconnues pour s’informer ? Cet article est là autant pour le comprendre, que pour aller tendre l’oreille à une partie si importante de notre audience, pour leur rendre une partie de l’attention, de l’écoute qu’iels nous ont donné.
L’Althalj est bienveillante. Ma transidentité ne pose aucun problème, tant qu’on n’en parle pas, tant qu’on ne la voit pas. Si je le dis en revanche, la question va se poser. Pourquoi j’ai besoin d’un terme pour désigner mon genre, alors que la Nature [NDLR : concept compliqué, mais disons ici… Une force qui relie ce qui n’a pas été modifié, ou altéré par une action humaine] fait les choses de telle manière qu’il n’y a pas besoin de terme pour le désigner (l’on parle parfois d’étiquette, c’est l’équivalent négativement connoté). Et pourtant, dans le quotidien, on continue à me considérer comme un homme. Donc, être désignée comme une femme, c’est une étiquette, être désignée comme un homme, ce n’en est pas une. Evidemment, tu te dis assez vite que le problème n’est pas tant de se désigner par un genre, que d’utiliser un genre qui ne va pas de soi. C’est ma transidentité qui est de trop, et donc, dans la vie de tous les jours, on fait comme si elle n’existait pas. Savoir comment je me sens, c’est jamais vraiment la question. Mon rôle est de donner l’impression que je me sens bien. S’il apparaît que je ne vais pas bien, l’on va à la fois prodiguer des conseils sur la vie à la pauvre petite enfant que je suis, et m’en vouloir, parce que les gens en face de moi n’ont pas envie de se sentir comme une source de souffrance
L’idée même qu’il existe une communauté transgenre au sein de l’Althalj ne va pas de soi, et le fait même de pouvoir se désigner comme transgenre fait l’objet de luttes sociales au sein du pays depuis des décennies. Il reste difficile aujourd’hui encore de faire accepter aussi bien à ses proches, qu’à ses collègues l’idée même de transidentité, sans même parler de l’administration. Et, comme nous l’explique le militant Djilali Biska, c’est en bonne partie lié au nationalisme althaljir soigneusement entretenu par le gouvernement et les médias (un jour, l’on parlera de comment on construit une nation) qui infuse dans toutes les strates de la société. L’opposition entre le Matriarcat Ilâhmique de l’Althalj et le patriarcat qui a cours outre-althalj est un instrument central pour les communications gouvernementales, qui permet de poser l’Althalj comme distinct du reste du monde et prédisposé à une certaine supériorité morale (les Althaljires seraient guidées par des valeurs morales, plus justes que les outre-althaljirs). Affirmer que la notion de transidentité est inutile dans un contexte althaljir est un moyen de se distinguer des régions environnantes, si bien que l’existence factuelle d’une communauté transgenre qui se reconnait comme telle est une question plutôt sensible dans le pays.
Oui, je suis trans ! Rien que le dire au sein de l’Althalj peut sembler étrange. C'est censé être un concept eurysien normalement. L’Althalj, c’est aussi une enclave. Du moins, on se pense comme tel. Une forteresse matriarcale bienveillante, dans un océan de patriarcat brutal. Par conséquent nous constituons un défi face à l’hégémonie patriarcale qui a cours outre-Althalj. Et nous mettons un point d'honneur, à affirmer idée que le fonctionnement genré de notre société soit quelque chose de plutôt étrange outre-Althaj. L’on parle souvent de la Femme de manière générale, et en général on n'oublie pas de préciser qu’outre-Althalj, on parlerait plutôt d’Homme. Pas uniquement pour fournir une traduction, mais aussi pour appuyer la distinction entre notre matriarcat Ilâhmique, et le patriarcat du reste du monde. Un étranger qui dirait que la façon dont sont considérées les femmes dans l’Althalj leur est plutôt familière serait plutôt dérangeant pour un groupe d'althaljires. Et pourtant, le matriarcat Ilâhmique, s’il n’est pas équivalent ni inverse du patriarcat outre-althaljir, en partage beaucoup de logiques. C’est une société profondément genrée, dans tous les aspects de la société, divisé entre hommes et femmes, sur la base de l’observation des sexes des nouveau-nés. Et s’il s’agit d’intersexes, on les désignerait, tout de même, comme hommes ou femmes, de manière purement arbitraire. Si vous êtes une femme, on vous élèvera comme une femme, et l’on comptera sur vous pour prendre des décisions. Si vous êtes un homme, l’on comptera sur vous pour les travaux difficiles et l’élevage des enfants. Et ça va même plus loin. Il est tout à fait normal de tenter d’expliquer le comportement des gens par des hypothèses biologiques, la presse le fait tout le temps. Par exemple, les Althaljires seraient naturellement prédisposées à la Bienveillance par le Gène Doré, qui non seulement colore la plupart de nos yeux, mais selon le Docteur Ilaman Ag Echerif, aurait bien d’autres d’effets, notamment en permettant de voir plus de nuances de lumière, l’on prêterait naturellement plus attention à notre environnement, et ce qui nous rendrait plus empathiques, plus aimantes, plus protectrices. Quand on fait remarquer que ces thèses sont suprémacistes, la réponse la plus fréquemment données est « loin de moi l’idée d’avancer l’idée que ça nous rendra supérieures, au reste du monde, c’est juste une hypothèse qui existe », mais ces hypothèses-là, elles n’ont pas besoin d’être démontrées pour être propagées et elles tentent toujours d’expliquer pourquoi telle caractéristiques humaines considérées et présentées plus ou moins comme des qualités sont plus présentes chez nous, Althaljires, que chez les autres. De manière peu étonnante, on essaye aussi d’expliquer biologiquement le genre. Par exemple, les hommes disposeraient d’un instinct à la pénétration, là où la femme aurait un instinct à la circlusion, qui affecterait énormément de choses, de l’urbanisme à la doctrine militaire en passant par la musique. C’est très drôle d’ailleurs de voir des gens au pouvoir comparer très sérieusement tout ce qui est vaguement allongé et cylindriques à des pénis, pour expliquer à quel point c’est une expression de la phallocratie mondiale ambiante. Or, cette volonté d’expliquer biologiquement le comportement humain, et même de classer les gens sur des bases qui se veulent scientifiques, c’est une approche profondément liée à l’histoire eurysienne. C’est une approche qui remonte à la montée du rationalisme instrumental eurysien, et à la formation de l’approche scientifique moderne. L’on a classé des genres humains comme l’on a classé des races humaines, comme l’on a classé des races de chiens, comme l’on a classé des espèces végétales ou animales. L’approche naturaliste que l’on a des genres dans la société althaljire est un des nombreux effets de la mondialisation. Aujourd’hui, le Matriarcat Ilâhmique est assez proche dans sa conception du patriarcat eurysien ou afaréen pour que parler de transgenres ait un sens. Et si l’on souhaite un jour pouvoir vivre paisiblement nos vies de transgenres au sein de l’Althalj comme n’importe quelle autre personne, il faudra faire accepter au reste du pays que nous existons. C’est la condition à tout le reste, la priorité.
Dans les faits, la culture du voyage de l’Althalj associé à la progression de la question transgenre dans le débat public grâce à l’action de militant-es amène à une situation ou les althaljires les plus jeunes acceptent davantage le concept de transidentité, ce qui forme par ailleurs un des éléments du conflit générationnel althaljir. Cela dit, même parmi les plus jeunes, la transidentité reste en majorité pensée comme un sujet qui concerne principalement les étrangers, et qu’il ne concerne l’Althaj que dans la mesure où des diasporas étrangères y séjournent. L’idée qu’un-e ami-e, un-e voisin-e ou un-e membre de la famille puisse se penser comme transgenre est loin d’être acquise, y compris dans les plus jeunes générations. Concrètement, cette non-reconnaissance de la transidentité a des effets assez concrets. Typiquement, aucune loi dans le pays ne prévoit la situation dans laquelle une personne souhaite changer de genre.
Par exemple, le sexe à l’état civil n’est pas prévu pour être changé. On ne sait même pas nécessairement à qui l’on devrait s’adresser pour le changer. Quand on évoque une dysphorie de genre, le seul endroit reconnu par l’état pour l’exprimer est un psychologue, qui va le traiter comme une maladie psychique. Si l’on souhaite prendre des hormones ou obtenir une opération de réassignation sexuelle, il faut s’adresser à une médecin qui va tester différents médicaments avant de nous prescrire ceux-ci. La dysphorie de genre est à peu près le seul moyen de faire reconnaitre une transidentité dans ce pays, se faire soigner pour quelque chose qui n’est pas une folie n’est pas une expérience agréable, du tout. L’opération de réassignation sexuelle ne nous est accordé que si l’on démontre une souffrance suffisante avec seulement les hormones, et en espérant que les médecins ne nous suspendent pas les hormones pour essayer encore autre chose. Et quand on a enfin l’opération de réassignation, ce qui peut constituer des années de démarches, il ne faut pas s’attendre à un travail de qualité, en général, iels ne font pas la sensibilité du néovagin (ou du néopénis). Et une fois que c’est fait, l’administration nous considère toujours comme du genre qu’elle nous a attribué à la naissance, un homme avec un vagin, ou une femme avec un pénis, ce qui met une pagaille monstre pour la moindre démarche médicale, puisque l’administration n’est pas sensée prendre en charge le soin d’un vagin chez un homme. Ah oui, et il ne faut pas oublier : les médecins, l’administration, les profs, les patrons, nous mégenrent constamment, et on peut rien y faire sauf leur demander de respecter nos pronoms, mais on risque d’avoir des réactions hostiles en retour, alors on se tait. On peut être condamné-es de différentes manières pour utiliser les toilettes ou les vestiaires qui correspondent à notre genre, même quand on a fait la transition médicale, mais si on va là où on est sensé aller, on peut se faire signaler parce qu’on a pas l’air du bon genre, et on est bon-nes pour une inspection des papiers. Dans tous les cas, on l’a dans l’os.
Pour la moindre démarche administrative, le dossier est à ton genre attribué à la naissance. Donc quand j’appelle un bureau administratif avec ma belle voix d’homme pour vraiment n’importe quelle démarche, la personne en face de moi a l’impression au mieux, que je blague, au pire, que je mens sur mon identité. Si une policière regarde mes papiers, elle va rapidement me soupçonner de les avoir volés. C’est plus crédible qu’une transition après tout, non ? Ma voix, c’est un combat depuis que je suis ado, la voix que j’ai aujourd’hui, c’est ma vraie voix, celle qu’elle aurait toujours dû être, et pourtant, c’est avec elle qu’on me soupçonne d’être malhonnête. Quand j’étais plus jeune, j’étais un énorme Almahwus, et c’est comme ça que je pouvais m’exprimer sans ma voix, et aussi que je pouvais échapper un peu à la vie de famille. Et puis, j’ai voulu une vie ou je parlais pas trop, et j’ai fais ce que je savais faire… Bon, c’est pas clair, désolé, c’est confus pour moi aussi. Disons que ma voix et ma vie, c’est lié. Les gens avec qui je parle, bah, c’est les gens qui acceptent de m'entendre avec ma voix actuelle.
Pour comprendre l’histoire que raconte Ebeggi, il est utile de savoir quelques détails de la façon dont la voix change lors d’une transition de genre. Normalement, la voix mue à la puberté, la voix d’enfant va muer légèrement pour former une voix féminine, ou plus fortement pour former une voix masculine. Lorsque la personne en question fait face à une dysphorie de genre, elle ne va pas se sentir bien en se retrouvant avec une voix qui dispose d’une connotation genrée, à l’opposée de celle à laquelle elle s’identifie. Si la dysphorie de genre est connue de la personne et que la famille décide de la traiter, il est possible d’utiliser des bloqueurs de puberté pour retarder la mue, puis de faire muer la voix dans la direction voulue grâce aux œstrogènes ou à la testostérone une fois que la décision est prise de commencer la transition hormonale. La non-reconnaissance de la transidentité dans la société et dans la loi althaljire rends plus difficile pour une personne l’accès au stade où elle se questionne sur son genre avant puberté. Et si le questionnement a lieu, obtenir des bloqueurs de puberté est également compliqué aussi bien par la famille qui a charge de l’enfant et qui parfois n’a pas envie de prendre en charge ces question, que par les médecins qui peuvent ne pas prescrire les bloqueurs à temps, notamment parce qu’elles peuvent décider que ce n’est pas de ça que la personne concernée a besoin. Résultat : les transitions prépuberté sont rares, et souvent l’objet de conflits familiaux qui par ailleurs ont des effets sur leur capacités à gérer leur scolarité et leurs relations sociales, ce qui en retour provoquent d’autres conflits familiaux qui retardent la transition les mettent face à leur dysphorie de genre et compliquent leur travail scolaire d’autant plus. Les taux d’échec scolaire des ados trans ne sont pas estimés dans l’Althalj, mais des militants trans font état d’une majorité de membres qui ont connu des échecs scolaires. Les transgenres ont fréquemment du mal à obtenir un diplôme et l’on parle de milieux sociaux notoirement précaires. Les transitions médicales au sein des Tamurt n Althalj se font donc en général après la puberté, quand la personne concernée dispose des moyens matériels et financiers pour entamer un processus connu pour être long et difficile. La voix a donc déjà mué. Dans le cas d’une transition homme vers femme, faire démuer la voix n’est pas possible, le principal moyen dont la personne dispose pour la modifier un tant soit peu est l’entraînement, la rééducation de la voix est souvent réalisé avec l’aide d’ami-es ou d’associations trans. En revanche, il est possible en prenant de la testostérone de faire muer une voix féminine jusqu’à une voix masculine, c’est en fait beaucoup plus simple que de changer de sexe à l’état civil, d’où le décalage entre le genre indiqué à l’état civil et celui que l’on peut supposer à l’écoute de la voix de la personne.
La transidentité dispose au sein de la société althaljire d’une inexistence très relative, et si certaines expériences sont partagée par la majorité des personnes trans, d’autres diffèrent entre les genres. Les femmes trans sont souvent dépréciées dans les milieux féminins, exclues des milieux masculins, et sont très souvent sujettes à la solitude. Les hommes trans connaissent un déclassement social assez important quand leur transidentité commence à être révélée, car ils s’éloignent des normes de féminité traditionnelles qui leur octroie normalement de tels privilèges féminins. Par exemple, Djilali Biska a constaté que l’on avait tendance à moins l’écouter depuis que son identité de genre était connue. On l’estimait moins compétent, on lui coupait plus fréquemment la parole, et l’on s’intéressait moins à ses propos de manière générale, et ce, au corps défendant de la plupart des personnes qu’il connait. Enfin, il y a les transgenres qui ne se reconnaissent ni homme ni femme, que l’on désigne le plus fréquemment sous le terme de non-binaires. Si être trans est déjà une réalité qui tends à être niée dans le pays, la reconnaissance de la non-binarité est quasi-inexistante. Même dans les milieux trans, elle fait débat.
Même pour des hommes ou des femmes trans, ma non-binarité n’est pas toujours acceptée. Des fois, il y en a qui décide qu’en fait je ne suis pas vraiment trans. Ou alors, que je suis une femme trans en fait, et qu’il me faut simplement un stade intermédiaire pour le comprendre. D’autres fois, c’est aussi que je ne prouve pas assez que je suis non-binaire, que je m’habille de façon pas assez androgyne. Oui, bien sûr que je vais aller au boulot habillée comme une transmeuf, c’est totalement acceptable socialement, je ne risque absolument pas de perdre des revenus à ce jeu ! Iels vivent dans quel monde ces gens ? Bon, disons qu’on a l’habitude de pas se montrer. On choisit bien à qui on va se révéler. C’est une interrogation quotidienne. Je sais que je ne connaitrais pas le jour ou mon identité de genre pourrait aller de soi. On fait avec. Je ne suis pas seul-e dans cette situation, et l’on fait au mieux pour exister, parmi les femmes comme les hommes.
Bon, si l’on s’est retrouvé à se pencher sur la communauté trans althaljire au départ, c’est parce qu’elle a attiré notre attention en s’intéressant à nous. Du coup, la question se pose : pourquoi les transgenres dans l’Althalj s’intéressent à nous, et à l’Union, et même à l’Enclave volcanique particulièrement ?
La communauté trans est dans les faits loin d’être monolithique. Les deux courants dominants sont les LGBT, qui réunissent des trans, des lesbiennes, des gays et des bisexuels, et qui est plutôt d’inspiration eurysienne et aleucienne, et en opposition, les transalthaljirs, qui aspirent à créer une approche proprement althaljire de l’identité trans car, voyez-vous, nous ne vivons pas la même réalité que des Lofotènes ou des Youslèves, donc on ne peut pas simplement adapter leurs outils à notre contexte culturel, il faut réinventer la transidentité, théoriser ce à quoi ça ressemble dans un matriarcat ilâhmique, en questionnant par exemple ce que peut être une transidentité Bienveillante. Les trans qui vont écouter des podcast shuhs, c’est en majorité une sous-culture beaucoup moins connue et minoritaire fortement influencée par les Volcans du Sud, les Aljalides. En gros, les Aljalides forment un Tamurt n Aljalid (ce qui se traduirait par « Peuple des glaces », un nom calqué sur les Tamurt n Althalj mais en mettant en évidence l’influence venu de région glacées aux conditions plus rudes que les neiges de l’Althalj), qui est d’ailleurs shuh. On a plusieurs associations trans qui représentent le peuple aljalide à Shuharri et qui peuvent littéralement aller à la Zone de Rencontre négocier des accords avec n’importe quel peuple shuh. En pratique, c’est surtout pour avoir les passeports shuhs.
Le contact avec Shuharri a commencé dans l’Althalj après 2004, quand a ville de Tumgao a commencé à se développer fortement et que des nomades majeq ont commencé à passer près de l’Altalj avec des marchandises en provenance de Tumgao.
Les Shuharrs, on les a un peu découvert parce que c’est elleux qui fournissaient les hormones à pas mal de gens. Typiquement, si vous échouez à obtenir une prescription d’œstrogènes ou de testostérone ou que la forme dans laquelle les hormones sont présentées ne vous conviennent pas (par exemple, toutes les peaux ne laissent pas passer les pommades aussi efficacement), la source la plus simple et fiable vers laquelle se tourner est les majeqa… En fait, aujourd’hui, vous pouvez aussi vous fournir à l’association trans du coin, mais elle se fournit aussi auprès des nomades majeqa, qui prévoient toujours une cargaison d’hormones quand iels passent vers l’Althalj. Et l’on s’est rendu-es compte en discutant avec les majeqa que Shuharri avait un rapport au genre plutôt inattendu par rapport à ce dont on avait l’habitude. Si tant est qu’on ait regardé un seul média shuh, on sait qu’aucune des trois régions shuhes n’est exempte de patriarcat, et qu’il y a même des luttes féministes assez impressionnantes, mais à côté de ça, on a un Vahal qui conçoit littéralement le genre comme une institution sociale qui varie selon la culture et que c’est aux gouvernements locaux de les définir et de faire de la politique avec. Quand on a grandi avec le narratif selon lequel nous serions un bastion de matriarcat qui résiste vaillamment à la submersion par un monde patriarcal, avoir un pays dans la région qui admet un modèle social du genre peut chambouler quelques conceptions du monde, surtout quand t’es trans.
On a fait une virée aux Terres australes assez récemment entre potes trans. A Shuharri, on vient surtout chercher deux choses : l’opération de réassignation sexuelle, qui est facile à obtenir et surtout, en général, bien menée. Ma néochatte, je la sens quand je baise, et ça fait du bien ! Globalement, tu t’adresse à un hôpital, tu rencontre un médecin, si tout est OK dans le corps et que tu te sens prête à faire l’opération, c’est programmé et c’est parti. Le plus simple, c’est d’aller à Tumgao, mais les hôpitaux qui s’occupent des changements de genre sont débordés, et on ne va pas se mentir, la communauté trans althaljire y contribue, c’est un peu shuharri qui se retrouve à gérer les problèmes sociaux de l’Althalj. Du coup, pour ne pas surcharger encore plus Tumgao et avoir des soins plus vite, on va carrément au Sud. L’autre chose qu’on vient chercher, c’est des passeports shuhs. C’est d’ailleurs plutôt déconseillé de faire l’opération sans aller aussi prendre le passeport. La nationalité shuharrie, une fois que tu es à peu près lié à un peuple affilié au pays, c’est quasiment du déclaratif. Tu vas dans un bureau de la Gyasarr, tu demandes la nationalité shuhe, en général, en quelques heures, c’est réglé. Même pas garanti qu’iels vérifient tes affiliations, si tu veux une nationalité shuhe, on la donne, on a bien un état pour ça de toute façon. Iels ont aucune notion de patriotisme, ça me fume ! Le passeport, il est important c’est la principale transition administrative que tu peux faire. Par exemple quand je cherche à obtenir des soins gynécologiques, je peux passer mon passeport shuharr : globalement, une femme étrangère est plus gérable pour l‘administration althaljire qu’une femme trans qui est sensé être un homme et ne pas avoir besoin de soins gynécologiques. Globalement, rien légalement ne prévoit de double nationalité, et rien ne l’interdit non plus. Je peux donc vivre comme une femme shuharrie, mais pas faire corriger mes documents dans l’Althalj en me servant de mon passeport shuh, parce que l’état ne me reconnait pas comme une personne avec une double nationalité. Typiquement, l’homme althaljir et la femme shuhe, c’est deux personnes différentes. C’est très étrange, mais ça résume très bien ma transidentité.
Si la communauté transgenre althaljire s’intéresse à Shuharri et à son fonctionnement, c’est avant tout car cela leur est utile dans leur transition. Mais au fil des contacts, des échanges culturels ont largement contribué à la formation d’une contre-culture aljalide propre, très marqué par un antitraditionalisme qui vise des valeurs défendues par les autorités, notamment gouvernement, clergé, et familles.
Je vais me permettre de critiquer la Bienveillance. Et l’on peut se demander : mais comment on peu même être contre ça ? Qui est contre le Bien ? La Bienveillance peut être interprétée de bien des manières, et certaines très belles. Mais comme on a l’habitude de la penser, c’est un impérialisme. Pas uniquement envers le reste du monde ! Envers nous aussi. Quand je déprime, et en bon mec trans, ça m’arrive souvent, la réponse que l’on m’adressera est la charité. « Pauvre chérie, tu es tellement mal, je vais humblement te faire l’aumône ». Quand on te donne la charité, tu n’es plus en position égale avec la personne en face de toi. Tu es son obligé, et si elle considère par ailleurs qu’un élément de ta vie te rends malheureux, elle peut non seulement te le pointer, mais te le faire changer. Si tu résiste, c’est que tu manques de compréhension de toi-même, voire de maturité, raison de plus pour t’infantiliser. Il se trouve, que justement, un jour, cet élément qu’il fallait corriger, c’était mon étiquette d’homme, mon obsession pour la masculinité. J’ai refusé, et c’est la raison pour laquelle je ne parle plus à ma famille. La Bienveillance pourrait se résumer comme une recherche du bonheur pour autrui comme pour soi, en sachant qu’il est aussi entendu que nous les humain-es, on est un peu toustes fait-es pareil. Quelqu’un avec un comportement qui dévie de ce qui est attendu d’une personne heureuse a un problème, qu’il faut corriger, et il est du devoir de quiconque avec un minimum d’empathie de le repérer, et de l’aider. Et éventuellement, de l’aider contre elle-même, de la guider et de la changer si elle résiste. Et un certain nombre de femmes ici sont fanatisées par la Bienveillance, s’il saut sacrifier sa vie par empathie, elles le feraient, que la personne concernée l’ait demandé ou non. Résultat, par Bienveillance, on corrige les divergences. C’est un contrôle social ce truc, du début à la fin.
Ce jour-là, on rentrait d’une session de pêche, à la radio, j’entendais les infos parler de ventes d’armes, à quel point il y avait pleins de pays dans le monde qui vendait des armes de partout, sans regard pour ce que le pays en ferait, et que c’était un marché massif, et que c’était horrible, et que l’Althalj ne mangeait pas de ce pain-là. Près de la côte, on voyait passer une file de navires que l’on savait pharois que l’on savait pertinemment chargés de drogue, et je vous garantis que personne dans l’Althalj ne savait même vers où. Le gouvernement ne se pose simplement pas la question de ce que deviendrait la drogue. J’imagine qu’elle va faire plaisir à des gens. La situation était tellement absurde, j’ai failli éclater de rire.
L’un des sujets que je suis le plus sur votre journal, c’est le transhumanisme. En général, quand on m’annonce que la médecine progresse et qu’on peut transformer notre organisme de plus de façons différentes, c’est une bonne nouvelle, donc des discussions et des recherches sur comment élargir ce que signifie être humaine, ça m’intéresse. Je considère que les gens devraient avoir le droit de mener les transformations biologiques ou mécaniques qu’ils souhaitent sur et dans leur organisme. Et… Euh, c’est pas toujours facile à faire entendre ici.
Le transhumanisme est bien l’une des influences culturelles les plus radicales qu’une communauté althaljire puisse prendre des Terres australes, l’Althalj étant une terre islamique où le corps est fourni par le divin et doit être conservé dans le meilleur état possible jusqu’à après la mort. Valeur d’autant plus importante dans le Matriarcat Ilâhmique qui valorise le respect de la Nature et le soin apporté aux choses qui nous sont confiées. Dans les faits, les questions d’augmentations humaines font déjà largement débat aux Terres australes où le terreau culturel s’y prête, autant dire qu’au sein de l’Althalj la question est compliquée même chez les Aljalides. Il reste que si tous les aljalides ne sont pas transhumanistes, loin de là, il est très probable que la majeure partie des transhumanistes althaljirs soient aljalides, également car le transhumanisme permet d’affirmer une rupture importante avec les valeurs de préservation mises en avant par les autorités.
Les Aljalides forment une communauté et disposent de leur sociabilité propre.
En général, la communauté trans, elle passe beaucoup par Internet. L’on est souvent seul-es en-dehors. L’on dispose d’endroits relativement sûrs où échanger. Les Aljalides utilisent souvent des serveurs shuharris d’ailleurs, notamment parce qu’on est sûr-es que personne ne les surveille à part les modos, et qu’effacer des informations sensibles se fait assez simplement. Bon, évidemment, quand tu as des gens qui mettent la majeure partie de leur vie sociale sur le Wib, tu as des réacs qui gueulent.
Est-ce que vous avez entendu parler de la Docteure Mala ?
Non, mais vraiment, prenez cette peine hahahaha ! C’est, euh… Une Docteure en sociologie qui enseigne au Jashuria. Je l’ai entendue sur la radio « Pan Afaréenne » - et oui, je précise, c’est sensé parler à toustes les afaréen-nes – pour parler de réseaux sociaux au Jashuria. Elle a en fait sorti un livre qui, en gros, enchaîne les lieux communs réacs sur l’usage des réseaux sociaux.
Oh, pauvre jeunesse jashurienne perdue dans de fausses amitiés numérisées et une vision de la réalité déformée par des filtres alors que la vraie façon de faire du lien social, c’est d’être avec les autres, alors que vous êtes pas avec les autres sur Internet. Il faut vous soyez dans le même espace géographique parce que c’est comme ça. Ah cette jeunesse qui se fait prendre par le narcissisme ! Prenez garde les afaréen-nes ! Les réseaux sociaux sont en train de vous changer !
M’est avis qu’elle a pas du tout cherché à s’intéresser aux minorités de toute façon. Faut pas chercher, c’est… Pour celleux qui connaissent, je pense que BRL serait fier ! Mais le fait qu’on lui a donné autant de temps d’antenne en dit assez long sur la position idéologique de cette radio
Oui, parce qu’en plus, elle est revenue, pour parler d’un livre qu’elle a pas encore sorti sur l’Alguarena !
Enfin, c’est un peu le genre de propos qu’on se prends tout le temps. D’ailleurs, sur la stigmatisation des usages numériques de la jeunesse, il y a une sociologue autrement plus pertinente qui a traité le sujet (Cyrianne nous a retrouvé le lien, nous l’associons au fil des docs associés). Certaines personnes racontent même qu’on deviendrait trans parce que c’est une mode Internet
On trouve carrément des expert-es des ados qui deviendraient trans sur Internet parce que c’est la mode. Bon, je vais vous révéler LE grand secret de pourquoi les ados se mettent soudainement sur Internet avant de dire leur transidentité : bah, c’est là que tu peux en parler ! Et c’est aussi là que tu trouve des infos sur le sujet. En général, c’est pas ta famille qui va les fournir !
En fait, je pense que l’un des concepts qu’il va falloir sérieusement questionner, c’est l’opposition entre vie réelle et vie virtuelle. Internet, c’est un endroit, un vrai de vrai. C’est là que j’ai pu entrer en contact avec une communauté, c’est aussi là que j’ai rencontré Khella, et que l’on a pu partager notre musique. Ce que l’on fait sur Internet il y a des gens, des vrais de vrais, qui le reçoivent.
Globalement, le Wib althaljir est surtout utilisé pour des usages académiques et professionnels, mais il existe quelques réseaux locaux destinés à des usages plus civils. Notamment un site d’hébergement de vidéos qui contient surtout de la musique FunkA et des vidéos de voyage. Globalement, même si les Transalthaljir-es s’en servent pour diffuser leur variante de la FunkA, la FunkT, la culture Internet trans est assez différente et se réunit autour de forums parallèles. Les Althaljir-es LGBT sont par exemple très fréquents sur des sites lofotènes, saint-marquois, banairais et pharois, les Aljalides utilisent énormément les serveurs shuhs, comme on le disait, mais sont aussi présents sur l’Internet Kah-tanais. Ce sont des communautés aux culture Internet assez différentes. Il y a actuellement plusieurs tentatives de rapprochement entre ces différentes communautés trans, pour des raisons militantes notamment. Le contrôle des sites étrangers par la Sororité est en général peu apprécié de communautés minoritaires, et notamment, trans. Un certain nombre d’Aljalides se sont intéressé-es au piratage, ce qui explique d’ailleurs pourquoi des Althaljir-es ont intégré des groupes de hackers shuhs ces dernières années.
En fait, il faut bien imaginer que ce n’est pas nécessairement de la censure qui est à l’œuvre. Il y a bien d’autres façons de contrôler les sites que les gens iront consulter. Par exemple, s’il y a un site que vous voulez que les gens évitent, vous pouvez ralentir la vitesse de connexion aux pages de ce site, suffisamment pour rendre sa consultation frustrante. Vous pouvez intoxiquer une information en postent d’autres informations fausses sur le même sujet, au point qu’il soit impossible de distinguer l’information réelle de la fausse information. Il est possible de jouer avec les algorithmes de recommandation pour pousser certains contenus et faire en sorte qu’il y en ait d’autres que vous ne trouverez jamais. Il est possible de corrompre des fichiers, ou même de donner l’impression qu’une contestation existe en laissant publié des commentaires critiques, mais en supprimant ceux qui appellent à l’action ou proposent des solutions au problème. Et devinez quoi : il n’y a pas de loi claire sur l’espionnage domestique, ni sur la liberté d’expression. Donc quand la Sororité dit "L'ensemble du Wib n'est pas adapté à notre culture... il faut protéger nos brillants esprits face à certaines déviances internationales", il est très difficile de savoir ce que ça implique réellement. Notre existence est un combat. Pas uniquement sur le terrain du genre, mais aussi des médias. De la liberté du Wib. Des relations internationales. De l’économie. L’acceptation de la transidentité, ce n’est pas du développement personnel, c’est un projet de société.
Les transgenres althaljir-es sont des gens. Des gens qui ont la particularité d’être transgenres. Si traditionnellement, l’Althalj défends encore l’idée que la transidentité est une question étrangère, la communauté transgenre est présente dans son pays et construit une contre-culture riche (et même plusieurs) avec ses propres affects, questions, rêves et combats. L’histoire du cyberpunk althaljir, de son biopunk, de son horreur cosmique ou de son électro est indissociable de ses cultures trans (et nous avons bien l’intention de creuser beaucoup d’aspect de la transidentité althaljire que nous avons laissé en suspens ici), et si une quelconque autorité essaie de les dissocier, ce ne sera pas sans faire face aux gens qui jusqu’à aujourd’hui, la font.
Vous savez, j’aime mon pays. Si je ne l’aimais pas, il serait plus simple de partir à l’étranger. Si je critique le pays qui m’a vue grandir, si je m’y bats depuis tant d’années, et si je reste malgré toute la fatigue que je finis par porter, c’est que j’aime mon pays. On peut être fières de ce que l’on y a accompli jusque-là, mais on peut faire mieux. On peut le rendre meilleur. Je souhaite paix et prospérité sur mon beau pays, paix et prospérité pour les trans aussi. Paix et prospérité pour tout le monde.
Si le premier combat que l’on mène ici, c’est d’exister, le front réel où l’on lutte c’est la complexité du monde. Il n’y a pas deux genres opposés et séparables. Le genre, c’est à la fois social et subjectif. Ça change, ça s’adapte à la situation du moment. Ça se négocie et se questionne. On ne le comprend ni ne le ressent de la même manière. Le rapport au corps est complexe, parfois conflictuel. Nos goûts diffèrent, ce qui peut remplir une personne de joie peut en déprimer une autre, ce qui est inconfortable pour une personne peut en mettre une autre à l’aise. Les sentiments, c’est complexe. L’on ne peut vivre réellement nos joies qu’en reconnaissant nos tristesses, nos peurs, nos souffrances. L’on a parfois besoin d’oublier ce dans quoi on vit, ou de s’en rappeler le plus clairement possible. L’on peut décider de se lancer dans une fête infinie remplie de joie pure et inaltérée, mais pas sans sacrifier une partie de soi, et abandonner bien des gens, notamment trans, au passage. C’est par des discours simpliste qu’une poignée de gens contrôle le reste. C’est en se réappropriant toutes les complexités de la vie qu’on pourrait se libérer.
Certains noms ont été modifiés à la demande des interviewé-es, les interviews complètes sont disponibles en version podcast dans les documents associés à l'article section "interviews". Nous remercions très chaleureusement les associations Transitions AG, Les Malveillantes et Trans et Althaljir-es pour toute l’aide fournie aussi bien par les contacts, la traduction, que la documentation. Un tel article ne serait probablement pas possible sans leur soutien et elles apportant un soutien absolument essentiel à une communauté souvent isolée et marquée par des expériences difficiles à vivre, parfois traumatisantes. Si vous faites partie de la communauté trans althaljire, n’hésitez pas à aller voir leur site et à les contacter, ça ne demande rien de regarder et vous y trouverez possiblement des informations et aides utiles. Et surtout, sachez-le, vous n’êtes pas seul-es.