11/05/2017
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Déjeuner d'affaires à Peprolov-port

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Regarder l’abysse, et être regardé par elle

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En plein cœur des élections peprovites, loin des manigances et des tractations des grandes puissances, la venue à Peprolov de Jonis Selomos fut pour l’histoire un non-événement. On retint bien qu’il fut accueilli à l’aéroport militaire par une délégation peprovite, mais celle-ci, après les politesses d’usage, s’effaça vite pour laisser place aux véritables acteurs de cette rencontre. Il fallait bien avouer que la République de Peprolov avait d’autres choses en tête que de se préoccuper d’une micro-nation perdue dans la Leucytalée, dont la légitimité tenait à peau de chagrin. En fait, on n'avait serré la main à Jonis Selomos que parce que quelqu’un, quelque part, dans une commission du Bureau des Affaires extérieures, s’était dit que cela pourrait sans doute agacer le Novigrad. Pour le reste, tout le monde avait des chose plus importantes à faire.

Une délégation de la Merenlävät prit rapidement le relais et on invita le chef du gouvernement provisoire à monter dans le train de voyageur qui longeait le canal de Sever et menait à Peprolov-port, où une cabine de première classe lui était réservée. Un œil attentif aurait remarqué que les hommes en armes qui assurèrent la protection lors du voyage n’étaient pas des militaires Peprovites : la Merenlävät, comme toutes les grandes entreprises pharoises, possédait sa propre force armée, et la Merenlävät était la plus grande d’entre toutes. Au sortir du train, on marcha quelques minutes dans la ville, qui n’était gère grande, avant de voir la mer, et l’océan du nord. Bien différente des eaux calmes et chaudes de la Leucytalée, celle-ci se débattait comme un diable entre les blocs de glace à la dérive à cette époque de l’année. On était en hiver, Peprolov était blanche comme neige et chaque respiration projetait dans le vent des petits nuages de vapeur.

Dans un joli restaurant qui donnait sur la digue, la capitaine Jaana accueillit son invité avec la courtoisie adaptée à un chef d’Etat. Certes Portecios ne pesait en tout et pour tout qu’un PIB d’une dizaine de milliards d’écailles, mais sa position et l’implication du gouvernement Elpide dans la prise de contrôle de la ville lui donnait une importance dépassant largement sa stricte valeur économique.

L’envoyée de la Merenlävät s’excusa de n’avoir pas été présente en personne sur le tarmac de l'aéroport, mais promit à Jonis Selomos qu’il ne serait pas déçu du voyage. La région était en chantier, cela sautait aux yeux, tout semblait soit détruit, soit reconstruit, soit en train de l’être, ce qui donnait à Peprolov-port une impression étonnante, frustrante d’inachevés, mais également pleine de potentiel.

La Capitaine Jaana, elle, était à l’image du Pharois. La peau tannée par la mer qui la vieillissait plus que son âge, des cheveux gris et un visage dur. Elle n’en avait pas moins la voix et les gestes doux, qui épousaient l’air comme de l’eau et lorsqu’elle levait son verre, elle le faisait avec assez de lenteur pour qu’on perçoive qu’elle appréciait l’instant. Que ce soit feint ou sincère, cela donnait l’impression qu’elle vous estimait. On se sentait valorisé en compagnie de la Capitaine Jaana, et très légèrement intimidé aussi, ce qui allait bien ensemble, pour peu qu’on soit sensible au charme majestueux des icebergs.

On servit devant Jonis Selomos un grand plat chaud, sorte de soupe de poisson dans laquelle baignait des morceaux de légume. Le serveur leur en remplit deux bols, un pour lui et un pour elle. Le restaurant avait une large baie vitrée qui donnait sur l’océan mais les préservait du froid et quand la Capitaine Jaana se mit à parler, elle se tenait de biais, fixant plus la mer que son interlocuteur. Son regard toutefois revenait parfois se poser sur l’helléne, soulignant l’importance d’un mot ou d’une phrase.

« Un port d'envergure internationale se conçoit comme la part d'un écosystème, il est en interaction constante avec son environnement immédiat, cela demande du dosage et une certaine dose d’ingénierie humaine pour s’adapter aux besoins des populations, et adapter les populations à vos besoins. »

« Je n’insisterai pas outre mesure sur les différences qu’il existe entre un port pharois, un port peprovite et un port hellénique. Différentes mers, différentes besoins, différentes mentalités. Ce que vous propose la Merenlävät, c’est de travailler avec vous, de vous accompagner à chaque étape du développement industriel de votre jeune République. Ce que je vous propose, monsieur, n’est rien de moins que de mêler nos intérêts et de ce fait, chacun aura tout avantage à la prospérité de l’autre. Nous n’avons pas peur de vous recommander de prendre votre temps. On ne transforme pas une ville en mégalopole en l’affaire de quelques mois, il y a des chemins plus stratégiques que d’autres et dans un monde de plus en plus mondialisé, la clef est assurément de pourvoir des besoins dont manquent les autres acteurs de votre région. »

Elle sourit.

« Par chance, l’espace leucytaléen est paradoxalement encore préservé de certaines manœuvres ayant cour à l'international. Il y a des marchés à prendre, pour qui a des ambitions. Reste à connaître les vôtres monsieur Selomos. »
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Le voyage de Jonis Selomos n’avait pas été sans mal jusque-là, en effet même si prendre l’avion avait été une grand première pour le jeune représentant politique portécien, il avait sur garder des traits relativement impassibles ne laissant que très peu transparaître la fatigue du voyage. Seul le froid mordant de l’hiver du nord venait marquer ses joues et son nez qui se teintaient d’un rouge rosé.

A son arrivé à Preprolov il avait été marqué par les nombreuses constructions qui s’élevaient de terre, poussé sans aucun doute par les investissements du Pharois voisin. La guerre civile qui avait marqué le pays avait laissé plus ou moins de trace à quelques endroits, avec quelques bâtiments partiellement détruits. Ces traces de la guerre civile prodnoviene se voyaient de temps à autres sur les regards de passant et de quelques vagabonds transpirant la lassitude et le manque de détermination même si chez certains travailleurs du BTP les visages montraient une étincelle d’espoir... comme s’il ne restait plus que cela à s'accrocher.

Face à cette dure réalité, n’importe quel être humain aurait été touché par ce qu’il voyait, toutefois à l’image du caractère ethno-centré des hellènes, les représentants Merenlävät purent bien voir le peu de sentiment et de compassion que témoigna le jeune chef d’état à l’égard de ces gens. Le dicton « qu’importe que le nord brule, tant que les temples hellènes restent debout » transparaissait sur son visage : les mentalités anciennes étaient toujours de mise chez les hellènes.

En revanche, lorsqu’il arriva au port son visage changea du tout au tout, lâchant des sourires satisfaits. Un port en chantier avec certaines installations flambant neuves, tout ce qui lui permis de voir de ses propres yeux le travail qui était effectué. Il faut dire que le bougre avait un peu l’oeil vu que son propre frère ainé travaillait dans de la sidérurgie à Portecios.

Enfin les mots sans équivoque choisis par la Capitaine Jaana, ainsi que son caractère froid qui transfigurait à travers sa langue nordique qui lui claquait les oreilles, ne le laissa clairement pas indifférent. « Au moins avec elle, on va droit au but » se disait-il tout en écoutant la capitaine.

Lorsque Jaana lui laissa la parole, le jeune représentant se sentait curieusement très calme, sans doute bercé par le fracas des vagues de cette houleuse mer du Nord. L’air de rien il prit la peine de boire une ou deux gorgé de son café encore chaud. Alors qu’il voyait le regard quasi-inquisiteur de Jaana et de son interprète. Après avoir tranquillement reposé sa tasse il déclara, avec un air sur de lui :

« Capitaine Jaana. Avant que je n’entame pleinement les discussions sachez d’abord qu’en tant que premier contact d’envergure vous avez éveillée l’attention de notre « Protecteur » elpide. Pour tout vous avouez ces derniers ont été fort mal à l’aise que notre premier contact officiel non-hellénique soit avec une entité aussi clivante et aussi... disons... particulière que le Merenlävät. Il faut dire qu’au regard des nombreuses connexions que vous avez, que ce soit avec le gouvernement pharois ou avec ce que nous appelons "Ypógeios", que vous pourrez traduire par "le monde souterrain" votre réputation dans certaine chancellerie semble vous précéder.

Sachez toutefois que cette réputation que certaines chancelleries n’auront aucune incidence sur notre collaboration future... bien au contraire.

En effet, je suis pleinement conscience du potentiel et des limites que compte la République de Portecios que je représente. Nous n’avons que peu d’opportunité au niveau industriel et terrestre du fait de notre taille qui est un problème à ce niveau-là. Notre seule opportunité reste donc le grand large, chose qui fait cruellement défaut à notre protecteur... et dont nous comptons bien profiter pour garder une certaine indépendance.

Il est certain que les marchés classiques nous donneront de grandes perspectives de développement, avec l’investissement elpide. Mais nous savons que d’autres opportunité sur le grand large s’offre à nous et nous sommes clairement prêt à les saisir. Quitte à forcer la main à notre protecteur elpide.

Enfin pour terminer cette petite introduction, je suis d’accord avec vous qu’il est nécessaire de prendre le temps qu’il faut pour bâtir quelque chose de solide prêt à durer un millénaire. Toutefois... je ne suis pas certains de ce que l’avenir nous réserve, et je vous avous que coincé entre Elpidia et le Novigrad j’ai de grand doute sur la survie à long terme de ma jeune nation... c’est pour cela que je regarde avec ardeur le temps qui passe.

Ainsi je me demande donc ce que le Merenlävät peut offrir plus concrètement à Portecios !
»

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S’y on prenait la peine d’y regarder, les rides sur le visage de la capitaine Jaana évoquait un peu l’écume des vagues des tableaux impressionnistes. Longtemps, cette dame était parvenue à dissimuler ses émotions derrière un masque de professionnalisme mais maintenant que l’âge la gagnait, le moindre tressaillement de sa peau faisait s’agiter la mer.

« Eh bien monsieur Selomos, peut-être aurait-il fallu les inviter à cette table avec nous, qu’en pensez-vous ? La coopérative que je représente s’en voudrait assurément de compromettre d’une manière ou d’une autre une idylle si fort concrétisée. »
Le ton n’était pas moqueur, mais le visage si, retrouvant cependant sa froideur à l’évocation du « monde souterrain ». L’océan avait soudain gelé.

« On vous a bien renseigné cependant. Les secrets sont comme l’argent : entre les mains de plusieurs personnes, ils s’éparpillent. Nous ne nieront pas les liens qui nous unissent à certains milieux. Si ces liens ne vous rebutent pas, alors notre discussion s’avérera plus intéressante que prévue. »
Elle écouta ensuite le représentant portécien exposer son point de vue sur le contexte géopolitique international de son pays. Ce faisant, elle regardait au large en hochant la tête, moins dans un signe de désintérêt que donnant l’impression que l’océan l’inspirait et qu’elle y puisait des idées.

« Vous avez une vision claire de votre situation, monsieur Selomos. Le Novigrad s’est déjà rendu coupable d’impérialisme sur des terres éloignées, nous sommes nombreux à penser qu’il n’aura guère de scrupules à recommencer à ses portes. Pour ce qui est d’Elpidia, le risque est de voir votre puissant voisin hellène vouloir sécuriser ses acquis. Autrement dit, vous. Votre statut de protectorat vous épargne momentanément, mais l’éloignement d’Elpidia des instances internationales fait que celle-ci craint moins que d’autre l’opprobre mondiale que pourrait lui attirer une annexion. Certaines nations sont paralysées par le qu’en-dira-t-on, d’autres ont su s’en affranchir avec une certaine élégance. »
Son regard revint sur l’homme, sans émotion, procédurier.

« Disons les choses simplement. Si certains ne jurent que par le souverainisme, dans votre cas, celui-ci causera votre perte. Si vous déléguez vos chantiers navals à un tiers, vous vous protégerez. Pourquoi ? Portecios souverain est une proie facile : il suffit de s’en emparer pour mettre la main sur les technologie, le personnel. Autrement dit, vos deux puissants voisins auront tout intérêt à vous conquérir rapidement et plus vous vous développerez, plus leur appétit sera grand. Vous serez comme un fruit mûr et sans défense face à une nuée de petits oiseaux gourmands. »

« A l’inverse, déléguer votre expertise maritime à la Merenlävät vous mets infiniment moins en danger. Si quelqu’un cherche à vous envahir, il suffira de mettre dans la balance le départ de notre coopérative. Après tout, aucune entreprise ne souhaite investir sur un territoire en proie à la guerre. Si la Merenlävät part, elle emporte ses ingénieurs, ses brevets et une partie de ses infrastructures. Portecios n’a donc plus aucun intérêt à être conquise par la force et, Novigradiens ou Elpides, chacun perd ce qu’il était venu chercher : un port international. »

« Et ce sans compter que le Syndikaali n’aime pas trop qu’on s’en prenne à ses investissements, cela va sans dire. »

« Ceci étant posé, monsieur Solemos, il nous faut également évoquer la question de « l’Ypógeios » comme vous l’appelez, mais peut-être avez-vous des questions sur ce premier point ? »

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Les mots employés par la Capitaine était clair, net et précis tapant toujours le sujet au plus juste, et en cela Jonis voyait en Jaana un interlocutrice de qualité. Il appréciait son verbe bien que celui-ci était emplit d’une froideur déconcertante, à l’image d’un iceberg solitaire flottant sur les mers du nord.

Il jeta un œil à la mer en face d’eux qui semblait au fur et a mesure de la discussion de moins en moins froide par rapport à la représentante du Merenlävät. Il semblerait que le niveau d’information dont disposait le dirigeant portécien semblait avoir attisé une curiosité glaciale et presque pesante sur la conversation, comme si celle-ci attendait que Jonis prennent position face aux « connexion parallèle » du Merenlävät.

« Pour vous avouer, je suis pour l’instant beaucoup moins inquiet par rapport aux relation de mon pays avec Elpidia. Puisque les dirigeants elpides semble encore tâtonner sur la scène internationale et notre statut de relative indépendance en tant qu’état client donne à chacun des options supplémentaires sur la scène internationale. Notre statut de partenaire ne fait que commencer et je suis certain que tant que Méridéas Péricléïde sera en fonction notre survie est plutôt en bonne voie. De plus plein de facteurs culturel et politique limite pour ce moment une annexion forcé, mais bon... en tant que jeune dirigeant averti (enfin je crois)... je préfère doter ma jeune nation d’arme suffisante au cas ce partenariat finisse par devenir à sens unique.

Non ma plus vive inquiétude vient du Novigrad, qui je suis certains va bouger que mon pays ne fasse rien ou fasse quelque chose. Et nous avons beau avoir la protection militaire de nos amis elpides, je suis loin d’être confiant dans nos partenaires pour résister à ces chiens faussement helléniques du sud.
»

A ce moment un court blanc s’installa suite à ce léger écart de langage du dirigeant portécien. « Merde » pensa Jonis, il avait sorti ces mots naturellement, sans penser que son interlocutrice du grand nord pourrait potentiellement être irritée par son écart que d’aucun qualifierait de « rasciste ». Il enchaîna assez vite en espérant que son interlocutrice n’ait pas relevé cet écart :

« Pour revenir à ce que propose le Merenlävät au niveau économique je suis absolument en accord avec ce que vous m’avez indiqué. Une expertise nouvelle et complètement étrangère nous garantira une certaine indépendance sur lesquels notre économie pourrait se baser pour se développer.

Toutefois, sur ce point-là je préfère aussi vous prévenir, les elpides ont déjà commencé à s’investir très étroitement sur notre territoire, avec notamment la production de navires de guerres avec nos anciens chantiers navals hérité d’avant l’indépendance. Il est certain que votre expertise même si elle est au niveau civil, fasse l’objet de regard curieux voir envieux par nos partenaires elpides. Après... ça pourrait toujours être un moyen pour approcher Elpidia.

Concernant enfin « l’Ypógeios »... eh bien sachez que je pense que cela peut être une opportunité incroyable de développement pour Portecios, mais à tout investissement alléchant suppose sa part de risque. Et je ne suis pas certain que Novigrad voit d’un bon œil le développement en Leucytalée d’un marché parallèle, « parrainé » par le Pharois. Après pour l’état Portécien, le parrainage de ce genre d’affaire pourrait ne pas poser de problème surtout si cela nous garantit un levier supplémentaire pour garantir notre indépendance.

Surtout que les portéciens et même de nombreux elpides en mal d’aventure et de richesse seraient largement prêt à s’engager dans ce genre d’affaire...


(réfléchi un instant)

D’ailleurs, cela me fait penser qu’un important marché noir existe aux Nord-Ouest d’Elpidia existe dans la région de Démolène. Le marché noir elpides est plus ou moins présent dans les autres régions mais il vit un peu hors sol. Si cela peut vous intéresser, enfin vous ou vos connexions, il y a un lien à faire... sachant que l’Etat elpide ferme tacitement les yeux sur ces pratiques depuis près d’un siècle. A bon entendeur...

Enfin je parle je parle, mais je ne sais absolument comment fonctionne ce « monde souterrain » dont je n’ai entendu parlé que par bribe. Je suis très curieux, et je n'attend qu'une chose : que vous éclairiez ma torche dans en cette journée glaciale.
»

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La discussion s’était soudain comme chargée et forte d’un poids nouveau, se poursuivait à présent avec plus d’intensité. C’est qu’on parlait de choses sérieuses et qu’il ne s’agissait vraisemblablement plus d’une simple concession portuaire qui se négociait, mais d’acter un véritable changement de doctrine pour Portecios, qui ne serait pas sans conséquences sur la région.

« Trop de prudence est folie, pas assez également. » se contenta de répondre la Capitaine Jaana, faisant preuve d’une imprécision surprenante de sa part. On pouvait y voir ce drôle de réflexe pharois consistant à avoir recours à la poésie pour couper court aux questions sans importance sans avoir l’air impolis.
A la mention des « chiens faussement helléniques » il n’y eut strictement aucune réaction. Que pensait-il donc ? La Merenlävät travaillait en Loduarie, en Karpokie et avec l’Empire Listonien. Elle avait entendu plus d’horreurs coloniales en cinq ans qu’en cinquante années de sa vie, quand le Syndikaali était encore une petite nation archaïque et coupée du monde.

« Depuis le Prodnov, tous les yeux sont rivés sur l’ONC. Je ne saurai dire s’ils ont habilement agit en frappant au nord, mais ils ont révélé leur main au monde entier et nous savons désormais à quoi nous en tenir. Je ne vous ferai pas miroiter l’idée que la Merenlävät pourrait à elle seule servir de force d’appoint suffisante en cas d’invasion novigradienne, nous ne sommes qu’une simple coopérative et nos moyens d’action se limitent au service d’ordre. »

« Néanmoins, nous pouvons être un soutien diplomatique. Connecter Portecios à d’autres nations grâce au commerce est une étape fondamentale pour construire des relations d’interdépendance économique capables de vous protéger d’une invasion voisine. Plus tôt votre diplomatie signera de traités et plus vite elle s’intégrera au tissu marchand leucytaléen, plus tôt vous serez en sécurité. Nous pouvons accélérer les choses sur cet aspect. »

La nouvelle mention de l’Elpidia fit hocher la tête à la capitaine. Il semblait – et c’était normal – que le grand frère hellénique occupe une place importante dans l’esprit de Jonis Selomos et il lui faudrait en tenir compte.

« Je pense que si Elpidia parie sur Portecios, elle ne prendra pas ombrage de voir Portecios prospérer. Nous pourrions même y trouver matière à nous rapprocher également, un sommet avec les dirigeants de l’Elpidia est parfaitement envisageable. D’autant plus s’il permettait à vos voisins de mettre un peu d’ordre dans leur marché noir. L’économie parallèle est une plaie, jusqu’à se qu’on l’apprivoise, elle devient alors un outil redoutable entre les mains de politiciens habiles. »
Disant cela, elle laissa traîner son regard sur Jonis Selomos dans ce qui ressemblait à une forme de compliment, mais n’en avait aucune des formes habituelles, sourires, œillades ou connivence.

« Le monde souterrain, comme son nom l’indique, possède une part d’ombre intrinsèque. Je ne pourrai moi-même en faire la cartographie, seuls les fous pensent comprendre l’économie régulière, il faudrait être très sot pour s’imaginer saisir exactement les arcanes du marché noir. »
Et disant cela, son regard avait divagué de nouveau vers l’océan, comme si elle y avait cherché une métaphore appropriée, ou une source d’inspiration.

« L’heure est à la mondialisation, monsieur Selomos. Les marchés s’ouvrent, les douanes s’abaissent, les taxes sont rabotées. Chacun comprend, parfois contraint et forcé, que les économies s’interpénètrent et se renforcent mutuellement. Cela ne se fait pas sans violence toutefois, et les peuples se cabrent comme des chevaux, blessés par des transformations brutales. Pire, certaines nations prennent de l’avance et menacent d’écraser de leur poids leurs voisines. »

« Alors la plupart des pays demeurent fermés. Les taxes s’envolent pour protéger leurs économies, pour préserver un équilibre durement bâti et ne pas se trouver exposées à la concurrence des géants. Les blocus s’érigent, les pirates chassent dans les eaux et les pays autoritaires ferment leurs espaces maritimes aux navires étrangers. »

La poésie était terminée, son regard se reporta sur l’héllène.

« Partout où il y a des obstacles, le marché noir prospère. Chaque douane nous renforce, chaque taxe nous enrichie. Nous sommes la mondialisation noire, pure et parfaite, et dans l’ombre des règles nous prospérons, incroyablement plus concurrentiels que quiconque car la piraterie abat tous les intermédiaires hormis elle-même. Elle réalise le pilotage de la concurrence entre les acteurs du marché noir, tout en permettant leur inteconnection. Nous sommes la mondialisation sans la guerre, l'ordre sans la dictature. »

« Le monde souterrain n’est pas une plaie, monsieur Selomos. Il est la réalisation la plus froide et immorale de l’économie de marché et pour cette raison, infiniment plus rentable et efficace que n’importe quel traité de libre-échange. »
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