
Lorsque les finnevaltais étaient arrivés à l’aéroport international de Lac-Rouge, situé sur les rives de l’immense lac sur les îles duquel s’était implanté la ville, ils avaient été reçus par une délégation civile qui les avait accueillis dans les formes et les avait guidés dans un convoi de véhicules électriques jusqu’à la structure devant leur servir d’ambassade, située à proximité de l’enceinte médiévale entourant Axis Mundis, ancienne place des temples et palais nahualtèques, où siégeaient depuis l’Assemblée générale et les différents commissariats du Kah. Ils traversèrent ainsi l’un des nombreux ponts courant en ligne droite jusqu’au centre de la ville, la circulation y était assez faible entre-autre grâce à un solide réseau de transports en communs, bus et trams jouissant de voies réservées représentant environs la moitié de l’espace routier. Le pont se prolongeait ensuite dans une avenue aboutissant là où se rejoignaient les autres grandes axes routiers, soit au niveau de la commune spéciale d’Axis Mundis. Celle-là était entourée de remparts blancs et rouges, derrière lesquels on devinait les hautes formes des pyramides et palais à degrés. Le complexe palatial avait été sujet à de nombreuses modifications au cours des âges et les différents régimes ayant dominé la région ne l’avait que très tardivement considéré comme un monument historique, l’adaptant avant cela aux nouvelles inventions de la période. L’Union avait pour sa part opté pour une solution intermédiaire consistant à limiter les modifications apparentes des structures les plus anciennes : des commissariats dédiés avaient ainsi été construits sur une extension de la commune spéciale séparée du cœur historique par des canaux. C’était à proximité de cet ensemble de jardins et de bâtiments modernes qu’était placée l’ambassade du Finnevalta, bien en vue de l’ancien palais impérial, ayant d’abord abrité les princes nahualtèques, puis les shoguns coloniaux et où siégeait désormais le comité de Volonté Public, et à deux pas de la Chambre Hyper-Structure, où se trouvait le commissariat aux Affaires Extérieures et plusieurs autres ambassades et consulats étrangers sur le sol Kah-tanais.
Dans l’ensemble, Lac-Rouge était une ville verte. Construite sur plusieurs îles naturelles et artificielles reliées par des ponts, ses premiers habitants avaient creusé d’importants réseaux de canaux délimitant d’une part les calpulli, (ou "grande maison", genre de communes médiévales servant de cellule de base aux sociétés de la région), et permetant en outre de rapidement déplacer des biens et des personnes à l’aide de barques et de petits navires. Cette organisation autour des canaux avait été préservée de telle manière qu’on aurait pu comparer la cité à une Fortuna du Nouveau Monde – ce que les chroniqueurs coloniaux ne s’étaient pas priés de faire. De nombreux travaux d’aménagement avait depuis été menés pour éviter que le Lac ne s’assèche, que les fondations de la ville ne s’affaissent ou ne deviennent marécageuses, que la pollution rendre la zone toxique dans son ensemble, etc. Même les chinampa, champs cultivés sur des îles artificielles à proxitmité des calpulli, existaient toujours ici, servant aux communes de la métropole d’obtenir une part importante de leur nourriture sans avoir besoin de recouvrir à l’exportation de produits issus de l’agriculture. Le poisson pouvait être péché dans le lac, dont une partie séparée de l’autre par un vieux réseau de digue était composé d’eau salée, et la viande, consommée en quantités plus faibles que dans d’autres pays, elle, venait des communes agricoles voisines. Se promener dans cette ville c’était donc passer d’îles en îles, observer les navires qui allaient et venaient sur l’eau, l’imposant réseau de tram et métro courant entre les quartiers d’habitation traditionnels et les zones plus modernes, toutes colorées et décorées de guirlandes, d’arbres et d’espaces verts, abritées du soleil par des tissus aux motifs traditionnels, ponctués de grands panneaux où l’on affichait pas tant de la publicité que des messages des communes, d’individus, ou d’information générale. Commémoration de la mort du citoyen untel, rencontre politique sur la question du nettoyage des canaux de telle commune, point où l’on peut obtenir des disquettes de tel programme vidéoludique, telle atelier annonçant l’arrivée massive de bière Ipacaltec, etc. La vie culturelle, aussi, semblait assez foisonnante et on comptait de nombreux théâtres en plein air et manifestations culturelles, politiques ou religieuses témoignant de l’intense syncrétisme de cette grande métropole dont les plus de cinq millions d’habitants venaient de virtuellement toutes les cultures du monde. Pour reprendre les termes d’un certain auteur, Lac-rouge, de son nom révolutionnaire "Commune ville-libre", était en proie à une certaine agitation. Et ce depuis plus de deux siècles.
Bien sûr on oubliait pas les grandes pyramides, encore couvertes du sang des sacrifiés, courant de leur sommet au sol en une traînée sèche et brune. Aujourd’hui, cependant, les prêtres-juges étaient au repos. Il n’y avait pas de condamné à mort. Les monuments, aussi anciens que sinistres et magnifiques, étaient au repos : et on tuait de toute façon peu. Ces évènements étaient devenus rares, avec la fin des guerres et des drames nationaux.
Lorsque Valtter Haapalainen arriva devant l’appartement de la citoyenne Iccauhtli, il put constater que celle-là n’habitait pas exactement une résidence de ministre. Il s’agissait d’une série d’immeubles récents couverts de plaques blanches bleues et rouges, dressés autour de squares et de jardins individuels et traversés par un monorail suspendu, dans la continuité de l’Avenue de la Liberté, l’un de ces fameux axes partant d’Axis Mundis aux rives du Lac en ligne droite.
Lorsqu’il lui adressa un message par le biais de son ambassade, lui signifiant qu’il souhaitait la rencontrer, la réponse tomba rapidement, portée par un délégué du Commissariat aux Affaires Extérieures :
« Je suis très heureuse de lire que votre arrivée s'est bien passée et tiens à m'excuser de mon absence hier : la réunion quotidienne du Comité de Volonté Publique s'est éternisée et j'ai préférée ne pas vous déranger à des heures indues.
Je vais vous donner une adresse, rencontrons-nous à treize heures pour parler. C’est un établissement où l’on mange bien et où l’on sera tranquille pour aborder les sujets qui nous attendent. »
Entouré de peupliers faux-tremble plantés à intervalle régulier dans la chaussée, l’endroit dégageait un certain calme et semblait relativement isolé. La salle principale était ouverte vers la rue, en lieu et place d’une cloison elle n’avait que des piliers entre lesquels on avait dressé de voiles de coton fin. Il y avait probablement un service de sécurité dépêché pour l’occasion, des membres de l’Égide – la sécurité intérieure kah-tanaise – ou bien d’un groupe spécial de la Protection Civile, mais en l’état ils étaient invisibles.
Valtter fut accueilli dès son arrivée et dirigé vers une arrière-salle à laquelle on accédait en descendant une paire de marches. C’était un lieu où l’on mangeait près du sol, comme dans certaines cultures du nazum. Les gens s’asseyaient sur des coussins face à des tables au raz du sol, et parlaient à voix basse. Il y avait d’ailleurs assez peu de clients, peut-être que l’endroit avait été privatisé. Ou bien l’on mangeait simplement peu, à cette heures, dans cette culture. L’arrière-salle s’avéra être équipée pour accueillir un petit groupe d’individu, mais il n'y avait que deux services sur la longue table. Séparée du reste du restaurant par une porte, la cloison opposée était ouverte et donnait sur nn large canal de l’autre côté duquel on apercevait l’enceinte d’un temple shinto. Un autre canal, perpendiculaire au premier, partant en ligne droite vers le nord, donnant une perspective impressionnante sur la partie inoccupée du lac et, plus loin derrière ses rives, les grands massifs montagneux entourant la ville et au centre de tant de mythes régionaux. La citoyenne Iccauhtli était présente, se tenant sur les quelques marches qui descendaient de la pièce jusqu’à l’eau, où se trouvait une pirogue. Une petite silhouette que ses vêtements – un pull beige et une jupe noire chevauchant un pantalon de même tissus – faisaient nettement ressortir sur le fond bleu et vert de l'extérieur.
La citoyenne se retourna en entendant entrer Valtter et s’inclina brièvement, congédiant par la même l’homme qui l’avait guidé jusqu’ici. Un adage disait que les kah-tanais n'étaient pas chaleureux sauf s'ils étaient chez eux : peut-être ce dernier contenait-il un fond de vérité.

« Bienvenue, installons-nous ! »
Elle lui fit le bénéfice d’un de ses rares sourire puis s’installa en tailleur sur les coussins, indiquant du doigt deux cruches sur la table.
« Pulque, eau. Si vous buvez autre-chose ils l’amèneront. » Puis, d’un ton joyeux. « Je me suis dit que j’allais vous épargner les salles de réunion du commissariat. Et puis vous devez apprendre à connaitre notre Union, et ça passe aussi par sa cuisine. »
À côté d’elle, posé sur un autre coussin, se trouvait un épais attaché-case contenant sans doute de quoi travailler. Il y avait aussi une veste noire, soigneusement pliée et posée. Le boitier d'un personal digital assistant dépassait d'une de ses poches.