Posté le : 17 fév. 2023 à 18:16:31
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Les délégués du Liberalintern écoutèrent avec attention le discours fleuve de Konrad Kreutzwald. Une véritable profession de foi qui, à bien des égards, donnait tous les gages nécessaires pour un engagement plus en avant au sein de l’Internationale Libertaire. Demeurait que tous ces beaux projets déroulaient in fine le tapis rouge à quelque chose de beaucoup plus grave : l’invasion de la Kaulthie, qu’on pouvait aussi appeler « protection du Valheim » selon son humeur, ça ne changeait pas grand-chose, le gagnant finirait par écrire l’histoire.
Sauf qu’on parlait d’un conflit entre deux des plus puissantes organisations du monde, car il n’y avait plus aucuns doutes quant au fait que les libéraux intégreraient l’ONC avec la bénédiction de tous les impérialistes du monde. Une révolution victorieuse était de nature à faire de l’ombre à un paquet de gens sur cette planète et peu étaient disposés à la laisser se produire sans réagir.
Comme on était poli, on attendit le tour de parole pour réagir, après quelques consultations à voix basses des services diplomatiques, dont quelques-uns étaient secrets, les délégations s’avancèrent vers le micro pour répondre à Konrad Kreutzwald.
Hasard de la répartition, ce fut la Commune de Kotios qui reçu la parole la première. Il y avait là plusieurs de ses représentants dont certains de ses juges, mais surtout la capitaine Varpu qui dirigeait la flotte noire et tenait la Commune à l’aide des forces de la Fraternité des mers du nord.
Varpu :
« Nous aurions tort de parler ici d’un conflit entre le Valheim et la Kaulthie, tout comme il n’y a pas eu de conflit entre Kotios et l’Empire Latin Francisquien. Ce qu’il y a, ce sont des hommes et des femmes qui se lèvent un jour pour leurs libertés, pour mettre fin à l’oppression de l’Etat et de la marchandise, souvent alliés par ailleurs. »
« La Fraternité des mers du nord dont j’ai été élue représentante, ne peut qu’apporter son soutient au Valheim, y compris dans toutes ses entreprises offensives. N’oublions jamais que c’est sur le pacte de défense de Kotios que s’est inventé le Liberalintern : un petit territoire anarchiste, menacé de toute part, et que plusieurs nations se sont engagées à défendre. »
« Si nous abandonnons la Révolution aujourd’hui, comment pourrons nous demain attendre des peuples qu’ils se soulèvent avec confiance et espoir ? Nous avons le devoir moral de ne jamais abandonner une Révolution car c’est à ce prix qu’elle se propagera encore et encore ! La Révolution est un acte de subversion, de renversement de l’ordre, ne pensons jamais que nous pourrons vivre en défense, nous sommes toujours à l’initiative ! Il n’y a donc pas à craindre d’armer le Valheim, pas à craindre de marcher sur les forces libérales, à vrai dire notre existence elle-même est déjà une conquête et la guerre est déjà déclarée. »
« Ce sera vaincre ou périr, la Kaulthie sera un drapeau planté au cœur de l’Eurysie, un de plus, auquel les prochaines générations de révolutionnaires pourront se référer. N’oubliez jamais que notre temps est celui de l’avenir et que nous posons aujourd’hui les fondations de demain. Il est de notre devoir de porter ce message impérissable : ici des hommes et des femmes se sont battues pour la liberté, ou sont morts en essayant. »
Il y eut des applaudissements du côté des pirates de Kotios mais déjà la parole était donnée au Capitaine Maunu, délégué du Pharois Syndikaali.
Maunu :
« L’expérience du Prodnov a montré à tous les clairvoyants de ce monde que l’ONC pouvait sans frémir déployer avec la plus grande violence une force coalisée et implacable pour atteindre les objectifs qu’elle s’est fixée. Le rôle du Liberalintern n’est pas d’être un vecteur d’idéologie, en cela je ne peux approuver la Capitaine Varpu, nous ne portons pas le flambeau de la Révolution. Ce que nous faisons en revanche, c’est de défendre les peuples contre la réaction. Pas contre l’oppression, nous ne sommes pas des curés, mais contre la réaction. Celle qui broie et écrase les initiatives, celle qui nivelle les rêves et contraint les corps. »
« Aussi, partout où l’ONC ou n’importe quelle force d’oppression, avancera ses pions, le Liberalintern se doit d’être une force d’opposition crédible pour empêcher son extension. Voilà pourquoi je ne m’opposerai pas à l’intégration du Valheim à notre organisation, au contraire. Il faut faire savoir au monde que tout territoire, toute population menacée trouvera à nos côtés la puissance nécessaire à sa propre survie et ce à la condition qu’elle ne soit pas elle-même oppresseur. »
« La question en revanche se pose franchement du projet de guerre ouverte avec votre voisin. J’ai peine à imaginer qu’on puisse libérer un peuple de lui-même et je crois au contraire que c’est dans ses propres forces qu’une population doit trouver la puissance de se soulever. Parlons franchement : la réussite, l’exemplarité du Valheim sont autant d’armes que les fusils, et s’il est évident que nous protégerons votre pays contre toute attaque étrangère il sera bien plus difficile de justifier une agression portée contre vos voisins. »
« Bien sûr nous ne sommes pas naïfs au point de penser que les modèles de société soient parfaitement comparables et que le plus vertueux triomphera, voilà pourquoi nous apporterons notre soutien, mais je pense que si guerre doit être menée, elle doit d’abord l’être sur le plan économique et politique, et non celui des canons. L’adhésion du Valheim à l’ONC serait déjà en soi un bouclier contre ses ennemis, inutile de le munir d’une lance pour le moment. »
Ce n’était sans doute pas exactement ce que Konrad Kreutzwald espérait entendre mais déjà la déléguée d’Albigärk prenait le micro.
Madame Marjo :
« J’ai tout écouté, voici ce que j’en pense. D’abord, Albigärk n’a ni le pouvoir ni le rôle de soutenir une guerre d’une quelconque façon que ce soit. Nous accueillerons vos réfugiés et vos orphelins au mieux. »
« Ensuite, tout projet politique fondé sur un critère de vérité est nul épistémologiquement parlant. Vraie démocratie, vraie liberté, il faut revoir votre copie cher monsieur, car nous parlons là d’engager des milliers de vies dans cette affaire et vous voudriez les parier sur une affaire de nuance sémantique ? Ce n’est pas sérieux. »
« Enfin, et je limiterai mes critiques à ces trois points. Il s’agit non seulement de frères et sœurs en humanité, mais aussi en culture, que vous projetez de tuer aujourd’hui. La Kaulthie est un pays déchiré dans une guerre civile qui semble se solder sur un statut quo que vous vous proposez d’embraser à nouveau. Il y a la une dynamique anthropophage inquiétante à l’œuvre, monsieur Kreutzwald, et j’aurai quelques connaissances expertes en psychologie sociale qui craindraient le pire car nous allons tout droit vers l’épuration et le génocide, à vouloir vous purger vous-même de vos scories. »
« Cela étant dit, je conçois l’importance de la souveraineté territoriale pour développer un projet humaniste. L’homme est pétri d’espoir, on ne se construit pas dans la précarité d’une menace militaire. Voilà pourquoi Albigärk soutiendra votre entrée au Liberalintern, mais j’insiste également sur le devoir moral que vous avez d’engager sans délais de nouveau des pourparlers avec la Kaulthie et de figer définitivement ce statut quo. Quant à savoir si les Kaulthes éliront demain un gouvernement de réunification nationale, c’est leur affaire, j’ai toute confiance dans les services secrets des pays-membres de l’Internationale Libertaire pour peser en ce sens. »
« Je vous remercie de votre attention. »