11/05/2017
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Activités étrangères en Carande

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Activités étrangères en Carande

Ce topic est ouvert à tous les joueurs possédant un pays validé. Vous pouvez publier ici les RP concernant les activités menées par vos ressortissants dans la Patrie de Carande. Ceux-ci vous permettront d’accroître l'influence potentielle de votre pays sur les territoires locaux. Veillez toutefois à ce que vos écrits restent conformes au background développé par le joueur de Carande, sinon quoi ils pourraient être invalidés.
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PRÉLUDES À L’OMBRE


Il y a des guerres qui se gagnent sans fusils, sans tirer de coups de feu, sans même déclaration de guerre. Des conquêtes qui se murmurent à l’oreille d’un peuple endormi lourdement. Des victoires que l’ennemi ne voit qu’une fois sa volonté brisée, ou des victoires qu'il ne remarque jamais.

Les vagues de la Mer de Vélès charrient plus que du sel, rabote plus que le papier de verre, éclaboussent plus que le sang qui gicle. Elles portent des promesses anciennes, mystiques, mystérieuse. Elles portent des soupirs d’âmes perdues et damnées et les échos d’un empire que le temps n’a pas consumé, mais que la brume mondialiste n'a pas révélé. Les terres de Carande entendent cet appel, mais elles l'ignorent... pour le moment. Elles dansent encore sous les chandelles de sa propre illusion, dans la douce lumière et la chaleur réconfortante du déni.

Elles ne savent pas. Elles ne savent pas que son crépuscule a commencé.

Les agents sont déjà là.

Dissimulés dans la foule, glissés entre les ombres des marchés nocturnes, infiltrés dans les salons parfumés de l'aristocratie carandaise. Ils parlent peu. Ils écoutent beaucoup. Ils tissent une toile invisible et dangereuse où chaque fil est un doute, une peur, une contre-vérité, une rumeur, un frisson d’incertitude qui s’insinue dans l’âme de Carande.

Ils chuchotent dans les tavernes, où les marins usés boivent pour oublier les tempêtes et où leur discernement n'est plus qu'un vague souvenir. Ils rédigent des pamphlets, imprimés dans l’obscurité et glissés sous les portes closes. Ils modifient les bulletins d’informations, brûlent les bulletins des votes, si tant est qu'il en existe encore dans ce pays, laissent filtrer des vérités altérées, des demi-mensonges qui deviennent des réalités. La réalité n'est que l'avatar de la volonté des ombres.

L’invisible conquête a commencé. L'invisible est déjà là. L'invisible vous étrangle sans que vous en rendiez compte.

Carande ne tombera pas sous les bombes, les tirs, le feu, le fer, les chenilles, ni sous les bottes. Elle tombera sous le poids de ses propres certitudes effritées. Sous le poids de contradictions trop lourdes. Sous le poids d'inquiétudes trop oppressantes. Sous le poids d'une atmosphère à l'odeur du soufre des rumeurs.

Et lorsque la brume de la Mer de Vélès se lèvera enfin, elle n’aura plus de dieux à prier. Elle n'aura plus de larmes à verser. Elle n'aura plus de dirigeants pour la sauver. Elle n'aura plus rien. Rien à part le vide d'un côté et la Vérité de l'autre.

Le Maréchal-Régent observe, analyse, décrypte, ordonne, mais reste silencieux. Et il sait, alors tous savent, que bientôt, Carande appartiendra à la Vélèsie.

"Une nation ne meurt pas par le feu. Elle meurt par le doute."

HRPMes excuses, ce post était précédemment placé dans les Activités Étrangères en Northelm cependant le joueur est inactif et je le redirige vers Carande en conséquences ; )

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QUAND L'OMBRE S'ÉTEND



C'est aujourd'hui une nuit sans lune sur le port de Lankad. D'une obscurité presque impénétrable. Dense. Compacte. Lourde. Imperméable.

Sauf pour les ombres elles-mêmes...

L’eau noire des eaux de la mer, autrefois vectrice de prospérité dans la région, avalait le reflet vacillant des lanternes éparses qui créaient un semblant d'éclairage public. Pas un cri d’oiseau, pas un bruit d’aviron, pas un miaulement de chat, pas un grognement d'ivrogne perdu. Juste le clapotis discret des vagues contre la coque des navires anonymes dont la peinture s'écaillait et se détachait petit à petit, effleurant les quais de pierre et de briques rongés par l’humidité et recouverts de la suie aussi noire que la nuit des usines voisines. L’odeur âcre et piquante du charbon brûlé se mêlait aux relents nauséabonds d’huile de poisson, d'algue en décomposition et de bois mouillé et pourri.

Le premier pied toucha le quai, silencieux comme une ombre. Puis un autre. Puis un autre. Puis un autre. Puis encore un autre. Puis une dizaine. Tous drapés de vêtements sobres et de capes lourdes aux teintes effacées, les agents du Saint Ordre - les Mains Invisibles - s’égaillèrent aussitôt dans l’obscurité profonde du port peu engageant. Ils n’étaient pas des soldats. Pas encore des conquérants. Pas des religieux. Pas des prêcheurs. Simplement des ombres dans la nuit, des ombres parmi tant d'autre, un murmure plaintif porté par le vent glacial venu des plaines désolées par la guerre de l’arrière-pays.

Ils connaissaient parfaitement leur mission. Pas de contact immédiat. Pas d’acte ouvertement hostile. Pas d'acte trop amical. D’abord, s’imprégner. Comprendre. Infiltrer. Analyser. Décortiquer. Observer. Écouter. Noter. Assimiler.

Dans les ruelles étroites et humides, bordées d’enseignes fatiguées et branlantes, les Mains se dispersèrent sans un bruit. Certains prirent la direction des tavernes d'où sortait une lumière qui résistait à l'obscurité ambiante. L’une d’elles, "The Rusty Anchor", était un repaire de dockers et de contrebandiers où la bière tiède et le whisky bon marché se mêlaient aux conversations sur les cargaisons détournées et les descentes de police corrompues. La situation était tellement exécrable que l'économie souterraine était sûrement dix fois plus importante que celle officielle. Le marché noir et la contrebande rythmaient les ports et places autrefois marchandes du pays dévasté, ravagé et abandonné. La fumée de tabac flottait sous de basses poutres craquantes, et les chandelles posées dans les lanternes accrochées à ces poutres, par leurs lumières incertaines, dansantes, projetaient des ombres tremblantes sur les visages creusés de fatigue, de lassitude et de méfiance. Les agents s’installèrent discrètement, commandèrent sans excès pour rester totalement souverains, écoutant les murmures et les exclamations imbibées d'alcool, notant les craintes, les difficultés et les tensions. [rp futur]

D’autres Mains prirent la direction des halles marchandes. Les halles dans lesquelles les sacs de grains et les ballots de tissu passaient de main en main sans que l'on sache toujours de quelle provenance ils étaient. Là où les pièces d'argent chantaient sur les comptoirs usés et sales. L’odeur du cuir tanné, du métal chauffé des forges voisines et du poisson séché venu des ports emplissait entièrement l’air, contrastant avec l’atmosphère de pauvreté rampante et omniprésente partout à Carande. Dans ces halles, une bourse bien placée ici pouvait acheter des secrets et des indiscrétions. Elle pouvait payer une dette impayée, qui pouvait devenir une chaîne invisible enroulée autour d’un cou plus ou moins influent, ou en tout cas ayant le mérite de servir d'attache et d'encrage. [rp futur]

Une silhouette se détacha du groupe qui se répartissait dans la ville. Le Tinʹ Anton, un habitué des campagnes sombres du Saint Ordre dans la région. Le pays avait toujours eu tendance à privilégier la méthode dite du tabagisme passif. La méthode du tabagisme passif, c'est le postulat qu'à force de fumer à côté de votre ennemi, il peut développer le cancer sans s'en rendre compte. La mission des Mains Invisibles était de créer un maximum de fumée, et d'étendre le cancer progressivement, mais imperceptiblement. Le Tin' Anton s’arrêta un instant pour observer la ville grise et exposant de manière flagrante les stigmates de la décennie de guerre civile. Grand et mince, ses traits étaient taillés à la serpe, sa peau marquée par le froid de la région et le temps. Ses yeux gris, deux brasiers éteints sous un capuchon de laine grossière, détaillaient les contours de Lankad avec une lueur calculatrice et froide. Une cicatrice fine courait le long de sa mâchoire, souvenir d’un ancien devoir saint, accompli dans les ombres liées à Syl'nyy.

Lankad n’était pas encore à eux. Mais elle allait le devenir.

"Que l’obscurité nous guide. Que la lumière s’efface devant notre ombre." murmura-t-il avant de s’enfoncer dans la brume nocturne.

L’opération pouvait commencer. Carande allait découvrir qu'il était possible que le pays chute encore plus bas.


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The Rusty Anchor est un bar crasseux du port de Lankad sur la côte ouest de Carande. Les murs de l'établissement en pierres abimées et en bois pourrissant suintent de sel. Les vieilles lanternes suspendues aux poutres de la charpente crépitent et diffusent une lumière vacillante dans la salle et l’odeur de bière rance et bon marché se mêle aux murmures méfiants, aux exclamations des alcoolisés et à la musique de l'accordéon mal accordé dans le coin de la pièce. La guerre civile entre les partisans royalistes et les opposants, souvent d'obédience marxiste, avait laissé la ville exsangue comme le reste du pays. Cette ville qui avait pu jadis être prospère grâce au commerce sur les côtes du nord du continent et qui avait déjà été perturbée lors de l'instauration d'un régime replié sur lui-même en Vélèsie dans les années 1920, puis qui fut durement impactée par les politiques et les conflits nationaux ayant repoussé les marchands et les investisseurs. Aujourd'hui, le pays était dans un marasme indescriptible.

La Vélèsie qui s'est engagé dans une période de réforme relative, souhaitait profiter de l'occasion. Cette réforme n'avait rien de progressiste ni de démocrate. Elle visait à former une administration potentiellement laïque qui puisse permettre un contrôle total et absolu sur le pays. De même qu'elle devrait accompagner la reprise du développement militaro-industriel. Pour mener à bien ses projets au sein des frontières du Saint-Ordre, le Maréchal-Régent a besoin que la Vélèsie augmente ses liens avec l'extérieur d'une manière particulière. Des ressources sont nécessaires pour accompagner le renforcement de l'armée et de l'industrie nationale, et le seul pays pouvant potentiellement jouer le rôle de plaque tournante pour le commerce : la Moritonie. Cependant, Carande par sa situation rend la chose compliquée. Elle est située à 100 kilomètre des possessions du Tsarat dans le nord-nazum et à 200km du Saint-Ordre. Les marchands ont besoin de relais, et Carande ne peut pour le moment remplir ce rôle compte tenu de sa situation. D'autant que le Saint-Ordre est guidé par la Prophétie lui prédestinant de conquérir et soumettre l'ensemble du nord du continent. La première étape est Carande.

L'objectif d'infiltrer Carande, d'y placer les intérêts Vélèsiens et de créer une zone plus stable au service du Saint-Ordre est double : accompagner le commerce exclusif avec la Moritonie et préparer la domination Bolekovice sur les terres du nord du Nazum. Et Kaland avait été choisi comme porte d'entrée des Mains Invisibles pour exporter l'influence du Maréchal-Régent et lutter par ailleurs contre le communisme sur place. Cependant, cela était l'objectif à terme, la mission se déroulant en ce moment est une campagne psychologique pour affaiblir la Zone Libre de la Péninsule d'Uliatsay.

Revenons donc au bar...

Les mains invisibles viennent d'arriver et certains s'installent au bar. Le Tinʹ Anton que nous avons évoqué précédemment va s'installer au comptoir, encapuchonné et ne laissant pas voir son visage des autres clients. Il observe et écoute. Il tend l'oreille pour s'immiscer dans la conversation de deux hommes sur le côté droit du bar. Et dans l’atmosphère lourde et imprégnée d’alcool du Rusty Anchor, il écoute les deux hommes sont attablés près du comptoir. Le plus âgé est un marin à la barbe hirsute et grisonnante, au manteau usé et imprégné d'odeurs de poisson. Il gratte le comptoir usé et abîmé du bout de ses doigts rugueux distraitement. Face à lui, un homme plus jeune et n'arborant pas de pilosité faciale prononcée, au visage marqué par la fatigue et une cicatrice sous l'œil gauche, sirote lentement une bière tiède. Tous deux jettent des regards en biais vers le nouveau tavernier qui essuie maladroitement un verre, visiblement mal à l’aise.

— J’te l’dis, Arvo, c’est plus c’que c’était. Grogne le plus vieux en secouant la tête. J’aimais pas des masses l’ancien proprio, mais au moins, y savait tenir son troquet. Là, regarde-moi ça... ce gosse sait même pas comment on sert une bière.

— Hmph… Le plus jeune hoche lentement la tête. J’sais pas d’où il sort celui-là, mais il a pas l’profil pour ce boulot. Ici, faut des coudées solides et du respect. J’le vois pas tenir trois semaines.

— Trois semaines ? T’es généreux. La première fois qu’un type d’la bande d’Gavin va lui foutre un peu le bordel, il va chialer comme une gonzesse ou finir à la flotte.

Arvo jette un œil au tavernier qui évite soigneusement de croiser les regards trop insistants. Il essuie nerveusement le comptoir, feignant l’assurance, mais la tension dans ses épaules le trahit.

— Tu crois qu’il est là par hasard ? murmure Arvo en baissant la voix. J’veux dire… tu sais... qui rachète un trou pareil alors que la moitié des clients régleraient leur note avec du plomb si on les laissait faire ?

— Bah… Le vieux hausse les épaules. Un idiot ou un homme désespéré. Il a bien l'air d'être les deux à la fois.

— Ou quelqu’un qui a un plan.

— Un plan ? Qu'e s'tu veux dire ?Le vieux plisse les yeux, intrigué.

— Bah regarde-le bien. Il a pas la dégaine d’un ivrogne du coin, ni d’un marin en rade, encore moins d'un bon vivant de tavernier. Il fait semblant de pas entendre les conversations, mais il écoute. Et mon avis c'est qu'il note. Dans sa tête.

— Tu veux dire… ?

Arvo se penche légèrement, sa voix se fait plus basse, presque un murmure.

— On sait tous que Lankad est un nid à problèmes... Depuis des annérs maintenant c'est l'bordel permanent. Et c'est un vrai repère de vautours. Si un type comme lui s’est pointé par la sainte grâce des fesses du bon dieu ici, c’est pas pour servir des pintes et sentir l'air de la mer. C’est pour s’approcher. S’infiltrer si tu veux savoir c'que je pense.

— Tsss… Le vieux crache par terre, méprisant. Ça sent la merde, cette histoire. Si c’est un fouille-merde de flic ou un espion, il va pas faire long feu j'te le garantie.

— Ah ça… Arvo esquisse un sourire sans joie en vidant sa chope. J’crois bien que t’as raison.

Leurs regards se portent à nouveau sur le tavernier qui, maladroitement, casse un verre en le posant sur le comptoir. Quelques clients ricanent. Personne ne le respecte. Personne ne le craint. Son visage banal et lambda ne s'imprime dans aucun esprit. Mais si quelqu'un écoutait, s'infiltrait et notait dans son esprit, c'était bien Anton. La situation était bonne. Un tavernier peu apprécié et venant d'arriver pourrait vite être supprimé. D'autant plus qu'il avait l'air peu apprécié et que des bruits d'un double jeu à son sujet commençaient à courir. Un plan commença à se former dans son esprit. Il fallait amplifier ses rumeurs puis le faire disparaitre et le remplacer. Disposer d'une caisse de résonance telle qu'un bar serait parfait pour commencer l'œuvre psychologique dans la ville et dans la région. Il reprit son écoute des conversation alentours. Rappelons les mots d'ordre des débuts de missions : D’imprégner. Comprendre. Infiltrer. Analyser. Décortiquer. Observer. Écouter. Noter. Assimiler.


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La pleine lune de la nuit froide de janvier, voilée par des nuages épais se mouvant rapidement dans le ciel sous l'effet d'un vent vigoureux, ne parvenait qu'à peine à éclairer la ruelle étroite et sinueuse derrière le Rusty Anchor de sa lumière argentée. Les pavés humides des rues cabossées reflétaient la faible lueur des lanternes lointaines, se balançant aux poteaux de bois dans un grincement constant, créant des ombres dansantes et des motifs étranges sur les murs décrépits de bâtiments tout autour. L'air était lourd, chargé de l'odeur de la mer, du poisson, du charbon, de l'huile, du tabac et des relents d'alcool qui s'échappaient du bar.

Anton, encapuchonné dans des tissus sombres, se tenait dans l'ombre, quasiment immobile et totalement silencieux, observant attentivement les alentours. Ses yeux perçants, cachés par l'ombre de son tricorne, scrutaient chaque recoin visible, chaque mouvement suspect, chaque bruit audible. Il savait que cette nuit serait importante pour la suite de la mission. Le tavernier, cet homme nouvellement arrivé dans la ville, maladroit et peu apprécié des clients traditionnels, devait disparaître ce soir. Personne ne le regretterait, et trouver une excuse à sa disparition serait aisé. Les rumeurs avaient fait leur chemin en accrochant une étiquette d'homme suspect, potentiellement espion, et il était temps d'agir et de le faire s'évaporer.

Le tavernier, ce jeune gringalet pas entièrement dégrossi, sortit par la porte arrière du bar, un sac suintant rempli des poubelles du bar à la main. Il semblait nerveux, jetant des regards furtifs autour de lui et marchant rapidement, ne manquant pas de trébucher plusieurs fois. Il ne sentait apparemment pas en sécurité dans des ruelles pareilles la nuit, et il est possible qu'il ait senti que quelque chose n'allait pas, mais il était trop tard pour reculer. Il s'avança vers les poubelles, le cœur battant la chamade, le regard semblable à celui d'un lapin sur une route devant une voiture.

Soudain, une silhouette émergea de l'ombre. Elias sursauta, laissant échapper un cri étouffé. Anton se dressait devant lui, le visage toujours dissimulé sous une cagoule qui couvrait le bas de son visage et un tricorne baissé sur ses yeux, drapé d'une cape sombre et chaussé de bottes de cuir.

— Qui... qui êt....êt... êtes-vous ? bredouilla le jeune tavernier, la peur se lisant dans ses yeux.

— Personne, juste un marchand de passage ici.

— M...mais que faites-vous ici pa...par une heure pa..pareille ?

— Je me baladais à la recherche de quelque chose.

— Quelle... chose ?

— De quoi faire briller ma lame, murmure-t-il avec ses yeux se plissant en un sourire caché par le tissu.

Anton ne lui laissa pas le temps de répondre. Il savait que plus de mots étaient inutiles. Il fallait agir vite, efficacement, silencieusement et sans hésitation. D'un geste rapide et précis, il sortit une lame de sa manche et, en une fraction de seconde, trancha d'un coup net la gorge du tavernier. Le jeune homme s'effondra au sol, le sang se répandant sur les pavés, les yeux exorbités.

Anton resta immobile un instant, s'assurant que personne n'avait été témoin de la scène en regardant tout autour de lui. Puis, avec ses mains couvertes par des gants, il traîna le corps sans vie du gosse dans un recoin sombre de la ruelle qui descendait dans une cave abandonnée par un petit escalier, où il serait difficile à trouver et où il serait probablement dévoré par des chiens errants. Il savait que le temps jouait contre lui, s'écoulant trop rapidement. Il devait agir vite pour que le plan du Saint-Ordre se déroule sans accroc.

Quelques heures plus tard, à l'aube...


Le Rusty Anchor ouvrit ses portes comme à l'accoutumée, mais cette fois, un nouveau visage se tenait derrière le comptoir. Anton, débarrassé de ses vêtements le dissimulant, arborait un sourire affable, franc et accueillant. Les clients, habitués aux changements fréquents ces derniers temps, ne posèrent pas de questions. Ils étaient trop préoccupés par leurs propres soucis pour se soucier du sort d'un tavernier maladroit et plutôt satisfait de voir un homme paraissant plus correspondre au profil de l'emploi reprendre l'établissement.

Anton savait, tout comme les autres agents du Saint-Ordre toujours présents, que sa mission ne faisait que commencer. Il devait gagner la confiance des clients, écouter leurs conversations, et surtout, semer les graines de la discorde et de la méfiance. Le Rusty Anchor deviendrait bientôt le foyer de la propagande vélèsienne, un lieu où les esprits seraient manipulés et les volontés brisées.

Dans l'ombre, les Mains Invisibles observaient, satisfaites. Leur agent était en place, et la première étape de leur plan était accomplie. La conquête des esprits de Lankad pouvait commencer.
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Verre trouble


J’ai toujours eu du mal à dormir, c'est dans ma nature. Ce n'est pas vraiment à cause des bombes, ni des cris. J’ai grandi avec ça. Le pays était déchiré depuis longtemps. Non, c'était autre chose. J'ai l'impression depuis quelques semaines, quelque chose est… faux. Ce que je vois, ce que j'entends, ce que je mange. Ma vie a le goût du soufre. Le soufre d'une fumée qui masque la réalité et qui nous fait voir autre chose. C'était presque physique. Quelque chose racle sous la peau du monde. Une envie permanente de tousser, de cracher des poumons encrassés de peur.

Je ne suis pas le seul à le dire. Encore moins le seul à le penser. Certains disent que ce sont les drogues nouvelles, d’autres que les radios sont trafiquées, que les chiffres qu’on y lit ne sont pas des bulletins météo. Certains parlent juste de mélancolie hivernale. Quels idiots... C'est presque l'hiver tout le temps dans ce coin du monde. D'autres me disent avec un mépris à peine caché que je devrais voir un spécialiste. Mais moi, je crois que tout a commencé quand Branko a disparu. L'ancien propriétaire du bar, le Rusty Anchor. Tout le monde ne l'aimait pas forcément, c'était une grande gueule, mais c'était un vrai tavernier. Branko... le tavernier du Rusty Anchor, une brute au fond douce avec ses tonneaux, son gros rire.

Puis un soir, plus là.

À sa place, un autre.

Un type mince, plus raide qu’un pieu, avec des yeux paniqués de lapin en pleins phares. Un jeune d'à peu près mon âge était arrivé et avait repris la taverne. Elias qu'il s'appelait. Encore moins de monde l'aimait. Il n'était pas fait pour le métier.

Puis un soir, plus là.

À sa place, encore un autre.

Il n’a jamais donné son nom, personne ne lui avait demandé. Les gens allaient et venaient et tout le monde avait tellement de problèmes dans ce foutu pays que personne ne s'en souciait. Il avait un regard sec, jaune sous la lampe sale, et sa voix grave qui traînait à la fin des phrases comme une corde usée d'une vieille contrebasse. Il avait l'air d'un vieux marin. Il sortait des phrases parfois assez obscures.

« La mer ne rend pas tout ce qu’elle prend. »

Il disait ça en versant le rhum, comme s’il récitait un psaume. Il racontait des histoires, mais pas comme Branko. Pas des histoires à faire rire. Des vérités, disait-il. Des choses anciennes. Des choses que, selon lui, on aurait grand tort d'oublier. La vérité sans filtre, brute et implacable. C'était l'effet qui en ressortait en tout cas. Il disait beaucoup de chose dont on arrivait à en comprendre assez peu. Que les souterrains sous la ville n’ont jamais été construits par des hommes. Que les grincements dans les grues, la nuit, ce n’était pas le vent. Que l’eau du port était devenue trop noire pour qu’on y voie son reflet. Et que les hommes d’avant commençaient à revenir.

Tout le monde riait. Réflexe éthylique. Ils ne comprenaient pas donc ils riaient. Un peu comme si c'étaient des histoires de marins pour passer le temps. Tous riaient. Sauf moi. Moi, je cherchais. Quel était le sens de ces mots ? Est-ce que cela avait quelque chose à voir avec mon anxiété et mon isolement ?

Ce soir-là, je suis rentré chez moi plus tôt. J’avais la gorge nouée, le cœur qui cognait fort dans ma poitrine, l'estomac compressé et un ressenti fiévreux. J’ai claqué la porte, allumé toutes les lampes. Mais je n’ai pas mangé. J’ai bu de l’eau. Et même l’eau avait un goût étrange. Un goût… métallique. Comme si quelqu’un avait fait tremper un clou dans le fond de la carafe.

Je me suis couché. Et j’ai rêvé. Ou plutôt cauchemardé.

Je marchais dans les rues de Lankad, mais elles étaient vides. Vides et trempées. Trempées et poisseuses. Poisseuses et oppressantes. Le ciel était bas, presque aussi bas que les toits, on aurait dit qu’il pesait sur les cheminées, il léchait les tuiles abîmées. Il faisait une chaleur irrespirable, mais le vent était gelé.

J’entendais des cloches. Mais elles sonnaient à l’envers. Leur son tombait vers le sol comme un liquide. Le son s'écoulait par les gouttières. Les cordes avaient été coupées. Les cloches sonnaient faux. Sonnaient de bas en haut, plus de gauche à droite ou de droite à gauche.

Je passais devant le Rusty Anchor. Mais la porte n’était plus une porte. C’était une bouche. Une vraie. Avec des dents de bois, qui claquaient doucement. Il s'en dégageait une odeur putride, chaude et humide. C'était terriblement sombre, mais les variations d'obscurités, les variations de rien laissaient imaginer du mouvement. Comme si le bar était dans la gorge de cette bouche monstrueuse et que cette gorge s'activait. Comme si les muscles se contractaient dans un son humide qui me donnait la nausée. Et à l’intérieur, des rires. Des centaines de rires étouffés, comme si l’on étranglait des enfants pris en fou-rire.

Je fuyais. Mes jambes ne touchaient pas le sol, je glissais, flottant à hauteur de la rue. J'avais l'impression de tomber la tête la première. Mais je ne touchais pas le sol.

Puis j’ai vu les statues. ORDURES !

Elles étaient partout. PARTOUT ! PARTOUT !

Sur les toits, dans les fenêtres, entre les câbles électriques. Elles flottaient. Dans les airs, les égouts, dans ma tête.
Des statues d’hommes voûtés, le visage couvert d’un linge noir. Et dans chaque main, un flambeau.Mais les flammes brûlaient vers le bas. Comment est-ce possible ?

L’une d’elles a tourné la tête. Et sous le linge… rien. Pas de visage. Juste un cri silencieux. Il ne retentissait pas. Il était silencieux jusqu'à ce qu'il s'infiltre dans mon crâne et résonne.

Alors une voix a parlé. Pas une voix humaine. Une voix comme un orgue sous l’eau.

« TU ES DÉJÀ ENDORMI DEPUIS TROP LONGTEMPS. NOUS T'AVONS ATTENDU. TU NOUS ENTENDS MAINTENANT. TU NOUS PORTES EN TOI. NOUS NE TE QUITTERONS PLUS. TU ES NOUS. QUAND TU OUVRIRAS LES YEUX, TU NE POURRAS PLUS IGNORER. »

Et mon ventre a commencé à se fendre. Il se déchirait et quelque chose en sortait. Et je hurlais. Je hurlais. Je hurlais. Mes cris déchiraient le silence dense des rues. Ca grouillait. Ils sortaient. Ils étaient des dizaines, des centaines, des milliers. J'avais mal. Mon sang coulait à grand flot autour de moi. Je hurlais.

Puis, noir.

Je me suis réveillé en criant.

Il faisait noir. Très noir. Trop noir. Bien plus noir que d’habitude.

La lampe de chevet ne s’allumait pas. Toutes les lampes que j'avais pourtant allumées avant de dormir, étaient éteintes. Et la porte de la chambre grinçait, comme si quelqu’un l’avait frôlée.

J’ai regardé vers la fenêtre.

Et là, je jure que j’ai vu quelque chose glisser.

Pas courir. Pas marcher.

Glisser.

Entre la lumière du réverbère et mon rideau.

Sans bruit.

Comme une tâche sur le verre du monde.

Je vous jure que je l'ai vu ! Je ne suis pas fou. Je ne suis pas fou. PAS FOU ! PAS FOU JE VOUS DIS ! .............

...






Pas fou ?

...

Je n’ai pas osé sortir.
Je suis resté là, à écrire des mots incohérents. Là, à essayer d'écrire ce rêve, pour ne pas l'oublier. Je le sentais, ça vivait en moi. J'écrivais, je tremblais et je restais misérable sur ma chaise à regarder autour de moi et à la fenêtre en permanence, et à attendre l’aube.

Mais l’aube ne vient pas.
Pas vraiment.

Elle aussi, maintenant… elle a peur.

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