
En cette belle journée du 3 décembre, les Quartiers Mohiuddin s'activaient, traversés d'une multitude de membres du personnel organisateur de la rencontre entre les représentants milouxitans et banairais. Comme toute rencontre en sol banairais, celle-ci se devait d'être parfaitement orchestrée, de l'accueil à l'aéroport d'Al Kara aux négociations dans le palais diplomatique en passant par la visite du champ pétrolier Aadam sélectionné par l'équipe planificatrice. Le Banairah, grâce aux petits soins de l'Ambe, entretenait son image de pays de confiance et d'accueil, une image très utile lorsqu'il s'agissait de protéger ses intérêts à l'international, améliorer son soft power ou tout simplement pérenniser ses alliances et traités commerciaux lucratifs. La rencontre n'avait rien d'extraordinaire cependant, nombreux étaient les pays ouvrant des relations diplomatiques avec le Banairah dans l'objectif de s'approvisionner en pétrole, la ressource phare de l'économie contemporaine. Qu'il s'agisse de transports, de carburants, d'agriculture ou d'énergie -en en oubliant plein d'autres- le pétrole offrait une réponse facile d'utilisation, pratique et fort rentable, et la ressource n'allait pas disparaître du marché avant longtemps, c'est-à-dire lorsque l'on ne trouverait plus de réserves valant l'investissement. Autant dire que le commerce de l'or noir avait encore de beaux jours devant lui, et que celui-ci n'en finirait plus de financer le développement du Banairah qui en toute ironie réinvestissait l'argent du pétrole dans les énergies renouvelables. Après tout, dans ce monde industrialisé, celui qui possède l'énergie possède le pouvoir, alors même si cela demandait un grand effort de projection et de volonté des acteurs politiques, scientifiques et économiques, il fallait bien assurer ses arrières pour les décennies suivantes pour garder la puissance banairaise à flots. Si cela pouvait paraître triste et cynique pour certains idéalistes, ces derniers étaient forcés de constater que dans un pays où les ressources biologiques sont plus faibles que dans nombre de pays aleuciens, nazumi et eurysiens et où les ressources minérales deviennent insuffisantes, il ne reste plus que la puissance commerciale, scientifique et la carte de l'or noir. Evidemment, le tableau situationnel était quelque peu exagéré, mais l'idée était là : pour survivre en tant que nation dans ce monde, et pouvoir défendre un tant soit peu ses idéaux, il fallait prendre tous ses appuis sur ses forces pour compenser ses faiblesses et penser plusieurs coups à l'avance. Si le Caliphat puis la République ne s'étaient pas imposés dans leur région, s'ils ne s'étaient pas suffisamment développé, le Banairah aurait terminé sa course en tant que vulgaire colonie youslève, avec pour meilleur scénario un pays décolonisé en proie à des troubles constants, en un mot comme en cent, le Banairah serait devenu un deuxième Farisistan. Fort heureusement pour les habitants de la région, ce n'était pas le cas, et pour cela on pouvait remercier chaleureusement tous ceux qui, au cours de l'Histoire, avaient réussi à penser plus loin que leur vie personnelle et leurs besoins et envies de l'instant, qui s'étaient portés volontaires dans le grand projet commun qu'est la nation, inspirés par le dévouement communautaire de leurs ascendants. Mais cela ne tenait, comme toute Histoire nationale, qu'à un fil, fil qui par effet papillon, aurait pu se briser lors de la (proto)libéralisation massive du pays milieu XXème si les chefs de contestation démocratique n'avaient pas pu asseoir leurs exigences de régulation et de démocratisation de décisions économiques qui peu à peu échappaient à la sphère politique, à savoir au Banairah, tout simplement aux citoyens en général.
Quoi qu'il en soit, l'heure était aux derniers préparatifs. Comme prévu, les Quartiers du Calife Idrees el-Mohiuddin, anciens quartiers personnels du Caliphe éponyme ayant régné au IXème siècle sur la Ben Bahè, allaient servir de lieu d'échanges et de discussion entre les représentants afin de négocier un traité commercial, notamment d'exportation de pétrole depuis le Banairah vers le Milouxitania, ou plus précisément de produits pétrosourcés. Il était évident qu'il était plus avantageux pour le Banairah de vendre des produits transformés, et donc avec plus de marge, au Milouxitania plutôt que de pétrole brut ou même raffiné, les négociations allaient donc porter entre autres sur ce point. Après tout, le Milouxitania se tournait vers le Banairah pour sa fiabilité, la fiabilité de ses produits finis devrait donc séduire les diplomates milouxitans : une expertise reconnue internationalement, une stabilité exemplaire, surtout pour la corne est-afaréenne, une portée commerciale importante et une large gamme de produits en tous genres. Pour le gaz, cela allait dépendre des derniers rapports géologiques, géotechniques et économiques qu'avait le Qasse et le Khasser en leur disposition : rentabilité, pérennité de la ressource, efficacité...Le gaz, entre autres, pouvait s'avérer utile dans le dessalement en masse d'eau de mer, une ressource coûteuse en énergie mais potentiellement très rentable à la revente aux pays frontaliers et utile dans l'indépendance alimentaire, mais de tels projets d'ampleur nécessitaient des études d'envergure, ce qui avait été commandé aux différents Instituts de Recherche du pays pour une discussion auprès du Qasse et des Benbhè. Par ailleurs, une importation de gaz depuis le Milouxitania signifierait également un élargissement des partenaires d'importation : au fur et à mesure qu'un hypothétique projet de dessalement massif d'eau de mer se concrétiserait, le nombre de pays d'importation augmenterait afin de garantir un apport constant en matière première. Mais encore une fois, les études allaient trancher : serait-il rentable énergétiquement, matériellement, humainement et financièrement d'utiliser une telle ressource par rapport à d'autres sources comme le pétrole ou bientôt les champs de panneaux solaires et les centrales géothermiques ? Beaucoup de paramètres devaient être pris en compte, et le Qasse ayant pu livrer son pré-avis (avant approbation par les Benbhè qui avaient justement demandé par aux différents ministères concernés la construction d'infrastructures de production d'eau dessalée ou de traitement des eaux répondant aux besoins de l'industrie, de l'hôtellerie et de l'agriculture), il ne manquait plus qu'à voir ce que pouvait proposer la délégation milouxitane et si ses propositions suffiraient à rendre l'accord intéressant.
En l'attente, la rencontre commencerait par l'accueil à l'aéroport et par la visite d'Al Kara puis du champ pétrolier, les négociations venant terminer la rencontre : le meilleur pour la fin, comme diraient certains, et surtout le plus important. Au-delà de l'hospitalité banairaise, les mises en bouche sous forme de visites avaient pour objectif de mettre en valeur les compétences du pays mais aussi tout simplement de séduire l'auditoire, une pratique vieille comme le monde, et à la vue de la quantité d'argent que l'accord devrait représenter, le Ministère des Affaires Etrangères était prêt à payer une petite sortie en ville. En ce qui concerne la délégation banairaise, celle-ci était composée du Khasser Saroud Al'Tenhè, de la Ministre des Affaires Extérieures Siriam Amza ainsi que de plusieurs envoyés ministériels experts en leurs domaines et engagés pour aider à la négociation et à la prise de décisions.