Mouvement diplomatique de mademoiselle Pauline-Eugénie de Désolation
Jeune fille de dix-huit ans issue de la famille comtale (dirigeant une province de Prima, il y a 38 comtes en Prima, c'est donc de la haute noblesse) de Désolation. Elle est la fille du comte, la sœur de son successeur. Le comté est cependant pauvre et peu influent. Le nom curieux du comté n'a rien de honteux car Désolation fait simplement état d'un événement naturel qui advint dans la zone à la fin de l'Antiquité et qui la ravagea entièrement : la chute d'un météore. Pour le reste, inutile de trop en dire, le récit se suffit à lui-même
Les raisons de cette hostilité de la princesse à son endroit ? Difficile à dire. Comme chaque membre des familles comtales depuis que la voiture existe, il ne se passe pas un mois ou au moins un trimestre sans que quelques uns de ses jours ou de ses semaines soient consacrés à la cour royale. Et d'aussi loin qu'elle s'en souvienne elle toujours été en très bon terme avec le roi, lequel lui a même occasionnellement montré des signes publiques de sympathie, chose hautement inhabituelle de la part de quelqu'un comme lui qui est prisonnier de son caractère sombre, à la fois taciturne et mélancolique, que sert bien son tempérament maladif et nerveux.
L'explication la plus probable de l'hostilité de la chancellerie lui fut un jour chuchotée par sa mère : « vous êtes trop aimée par le Roy, ma fille, c'est cela que l'on ne vous passe pas ». Cette opinion fut de plus en plus confirmée à mesure que la puissance de la princesse augmentée pour balancer la placidité et la morosité de son frère. Ainsi, plus la sœur grandissait dans la cour et plus le frère devenait inaccessible à la demoiselle Désolation. Tout se trouva tout à fait clarifié quand, récemment, elle ne put plus avoir accès au Roy du tout, et ce au mépris le plus total de ses devoirs de femme du monde de saluer le roi, et e féodale de lui porter son conseil.
Ce matin, cependant, contre toute attente et à la stupéfaction générale de la maison, elle reçut un mandement impératif porté par des motards de la noblesse du palais et signé de la main de la princesse. Il lui donnait ordre de se rendre immédiatement au palais royal pour y recevoir une ambassade extraordinaire sans plus d'information. Il va de soi que l'excitation aidant il ne fallut à la demoiselle que quelques heures pour faire ses valises et organiser son équipage protocolaire sous le regard fier de son père de comte, jaloux de son frère de vicomte et inquiet de sa mère à qui la charge promise à sa fille mais non renseignée donnait moins de joie que d'appréhension.
La demoiselle de Désolation partie sous le coup des midis. Elle monta dans la limousine familiale frappée des armes du comté et flanquée de motards de la noblesse du palais envoyés par le trône pour lui faire escorte. Le tout était suivie tant bien que mal par le train des bagages qui prenait la forme d'une vieille camionnette hors d'age débordante de malles pleines à craquer de l'innombrable nécessaire qu'une personne du beau sexe et de rang comtal doit toujours à disposition : robes diverses et armatures correspondantes, le plus souvent en crinoline, bijous nombreux et variés, nécessaire de toilette, de coiffure et de maquillage. Parfumerie nombreuse. Bibliothèque de quelques centaines de titres, tous essentiels, manteaux, sous-vêtements et accessoires divers dont une bonne trentaine d'éventails, un par robe au moins pour l'homogénéité des toilettes. Et d'autres choses encore.
La demoiselle, du haut de ses dix-huit ans à peine, regardait pensivement défiler doucement le paysage enneigé de cette Prima hivernale dont les routes, mauvaises et encombrées de neige, permettaient de voir en détail. En dehors des deux autoroutes du Royaume, on dépassait que rarement les 70 kilomètre à l'heure, et par des conditions de neige comme celles de ce jour, la vitesse ne pouvait décemment excéder les 50. C'était tout de même beaucoup plus que chariots tirés par des chevaux ou des beaufs que l'on rencontrait ça et là temps que l'on était encore en dehors de l'autoroute.
Tout en observant ces conducteurs affrontant l'extérieur glacial, paysans ou commis divers emmitouflés dans de lourdes couvertures et tenant les rennes de mains crispées et ganté, elle songeait, les épaules nues mais bien au chaud, à ce à quoi songent toutes les demoiselles bien nées de son âge : les grands balles, les superbes toilettes, les amours galants et interdits, les jeux de charmes de la diplomatie, les tables servies de mille et un mets dont un grand nombre serait inconnu d'elle. Une vie noble, en somme, une vraie vie à mille lieux de la pauvre cour misérable de Désolation, comté fort bien nommé de l'horrible massif non moins misérable dit Massif Occidental comme si sa position géographique était la seule chose de bonne qu'on eut trouvé pour qualifier cet ennuyeux endroit.
La nuit est tombée depuis bien longtemps sur le pays, lequel est alors plongé dans obscurité d'autant plus complète qu'elle n'est amoindrie par aucun éclairage publique, inexistante en Prima dont la culture ne permet pas de comprendre que l'on puisse éclairer inutilement des extérieurs déserts. Aussi, quand la fille Désolation arrive enfin au palais royal, ses yeux habitués aux ténèbres se sont éblouis par les lumières qui percent de chaque fenêtre du palais malgré la neige tombant à gros flocons. Elle comprend alors : « toutes les salles sont éclairées, c'est jour de bal ! »
Sa limousine s’arrête devant le grand escalier de l'entrée noble du palais. Un page lui ouvre la portière et un vent glacial la saisie et la fait frisonner, ses épaules nues n'étaient pas l'idéal pour affronter les rigueurs de l'hiver. Elle monte donc rapidement l'escalier flanquée d'un page tenant un parapluie pour éviter qu'elle ne soit mouillée par des flocons, ce qui ne sert à rien. Rendu dans le vestibule, il fait de nouveau bon et elle peut entendre de la musique de salon se faire entendre à sa gauche, une autre à sa droite, plusieurs autres ailleurs : au palais royal, les jours de bal, il y a un orchestre par salle noble. Elle s’apprêtait à entrer dans la grande salle pour s'y présenter au Roy quand les factotum qui encadrent la porte lui interdise le passage et lui intime l'ordre de la suivre dans le petit salon de la princesse.
« Je suis toujours bannie, manifestement ... » se dit-elle avec justesse quand elle se trouve seule à attendre la princesse, humiliation suprême, dans petit salon somptueux tapissé de rose et d'or surchargé d'art et d'élégance et qu'éclairent mollement les lampes disposés ça d'une clarté tamisée par de délicats abat-jour aux motifs floraux variés et précieux.
Au bout d'une longue demi-heure de solitude et de silence, une demi-heure d'humiliation et de mépris, la princesse arrive en fin, en grade toilettes, robe à crinoline à triple pan, boucles à l'anglaise, éventail de soie et d'or et portant au cou une Rivière de Diamant valant sans doute davantage que le PIB de la République Hafenoise. « La princesse se rêve en reine manifestement » se dit-elle en elle-même tandis qu'elle se lève et opère une profonde révérence pleine de déférence feinte à laquelle la princesse répond par des signes et des paroles d'une sympathie tout autant feints. Personne n'est dupes, les deux se détestent profondément.
La princesse finit par s’asseoir en face de la demoiselle de Désolation et tout en feignant tantôt l'amitié, tantôt l'embarras, tantôt l'inquiétude, elle en arrive, enfin, aux faits. Elle a besoin d'elle pour servir de lien avec le Palais des Brumes du Grand Kah en exil en Carnaval. Mais comme Prima est en état d'hostilité avec Carnaval depuis l'affaire des nonnes, le droit de vengeance perpétuelle a été invoqué sur une des trois familles de Carnaval, la chose est donc assez dangereuse. Sans parler de la horde anarchiste du Kah qui pourrait vouloir empêcher ce rapprochement.Elle lui dit aussi que les braves gens de la cour de l'Empereur du Kah méritent bien que l'on prenne quelques risques. Elle conclue en lui tendant une feuille froissée et en disant : « Voyez ce que vous pouvez faire, voici les coordonnées et l'heure du point de rendez-vous. Pour notre part, nous sommes disposés à leur fournir autant d'aide que nécessaire dans la mesure de nos capacités limitées ». S'en suit enfin un échange d'une toxicité telle qu'il n'est pas nécessaire de le retranscrire et durant lequel la princesse sous entend à la demoiselle qu'elle ferait bien d'épouser le garçon impérial plutôt que de courir après le roi de Prima, la demoiselle lui renvoie le même propos toujours déguisé sous des apparences de sympathie. Les deux se séparent cordialement et dans les formes, la haine réciproque qu'elles ont l'une pour l'autre étant maintenant pleinement actée.
La demoiselle de Désolation quitte rapidement le palais et remonte discrètement dans sa limousine en se jurant de revenir sous invitation du roi et saluée par tout le monde. Tandis qu'elle s'éloigne du palais, le regard plongé dans les ténèbres totales de la nuit, elle se promet de gagner les faveurs de roi de Prima et de se faire épouser par lui puis de le pousser a envoyer son horrible sœur au couvent, elle se tiendrait là, dans devant elle, tandis que les nonnes la tonde publiquement pour lui faire prendre l'habit. Enfin, cela implique, naturellement, qu'elle réussissent sa mission et que ladite princesse n'ai rien prévue de son coté... Elle ouvre alors le papier froissé qu'elle lui a donné et sur lequel se trouve les coordonnées de la rencontre : "Hotel Majestic de Carnaval, chambre 1314, 20h, venez seule". La demoiselle donne ses instructions au chauffeur et se laisse conduire, elle ne tarde pas à s'endormir.
Elle arrive le lendemain vers 15h au Majestic, c'est un hôtel quatre étoiles de très grand luxe, c'est à dire qu'il est convenable pour la noblesse féodale primaine. Elle prend une chambre, y fait monter ses dizaines de malles, s'y rend elle-même et se fait aider par son personnel féminin pour se laver, se coiffer et s'habiller. Tout cela fait dans les règles de l'art associé d'un peu de zèle, elle arrive en grande toilette de gala à la chambre dite et à l'heure dite, elle y frappe et attend son destin.