26/02/2015
21:14:06
Index du forum Scène Internationale Diplomatie internationale

Rencontre clandestine en Carnavale entre l'Empire Kahtanais et le Royaume de Prima

Rencontre clandestine en Carnaval entre l'Empire Kahtanais et le Royaume de Prima

https://media.discordapp.net/attachments/1089615739180294194/1127322657969410159/caa7fe3640fa77f4ce30bfbecc2e2c18.jpg?width=433&height=662
Mouvement diplomatique de mademoiselle Pauline-Eugénie de Désolation

Jeune fille de dix-huit ans issue de la famille comtale (dirigeant une province de Prima, il y a 38 comtes en Prima, c'est donc de la haute noblesse) de Désolation. Elle est la fille du comte, la sœur de son successeur. Le comté est cependant pauvre et peu influent. Le nom curieux du comté n'a rien de honteux car Désolation fait simplement état d'un événement naturel qui advint dans la zone à la fin de l'Antiquité et qui la ravagea entièrement : la chute d'un météore. Pour le reste, inutile de trop en dire, le récit se suffit à lui-même

Introduction coté Prima

Mademoiselle de Désolation, fille du comte à la tête du comté du même nom, a toujours été cordialement méprisé par le sœur du roi qui est aussi l'actuel chancelier du Prima. L'humiliation suprême aura été le refus subtile opposé à sa demande d'intégrer le parage de la princesse. A cela s'ajoute qu'elle a toujours eu beaucoup de mal à se faire inviter aux réceptions royales et autres festivités publiques.

Les raisons de cette hostilité de la princesse à son endroit ? Difficile à dire. Comme chaque membre des familles comtales depuis que la voiture existe, il ne se passe pas un mois ou au moins un trimestre sans que quelques uns de ses jours ou de ses semaines soient consacrés à la cour royale. Et d'aussi loin qu'elle s'en souvienne elle toujours été en très bon terme avec le roi, lequel lui a même occasionnellement montré des signes publiques de sympathie, chose hautement inhabituelle de la part de quelqu'un comme lui qui est prisonnier de son caractère sombre, à la fois taciturne et mélancolique, que sert bien son tempérament maladif et nerveux.

L'explication la plus probable de l'hostilité de la chancellerie lui fut un jour chuchotée par sa mère : « vous êtes trop aimée par le Roy, ma fille, c'est cela que l'on ne vous passe pas ». Cette opinion fut de plus en plus confirmée à mesure que la puissance de la princesse augmentée pour balancer la placidité et la morosité de son frère. Ainsi, plus la sœur grandissait dans la cour et plus le frère devenait inaccessible à la demoiselle Désolation. Tout se trouva tout à fait clarifié quand, récemment, elle ne put plus avoir accès au Roy du tout, et ce au mépris le plus total de ses devoirs de femme du monde de saluer le roi, et e féodale de lui porter son conseil.

Ce matin, cependant, contre toute attente et à la stupéfaction générale de la maison, elle reçut un mandement impératif porté par des motards de la noblesse du palais et signé de la main de la princesse. Il lui donnait ordre de se rendre immédiatement au palais royal pour y recevoir une ambassade extraordinaire sans plus d'information. Il va de soi que l'excitation aidant il ne fallut à la demoiselle que quelques heures pour faire ses valises et organiser son équipage protocolaire sous le regard fier de son père de comte, jaloux de son frère de vicomte et inquiet de sa mère à qui la charge promise à sa fille mais non renseignée donnait moins de joie que d'appréhension.

La demoiselle de Désolation partie sous le coup des midis. Elle monta dans la limousine familiale frappée des armes du comté et flanquée de motards de la noblesse du palais envoyés par le trône pour lui faire escorte. Le tout était suivie tant bien que mal par le train des bagages qui prenait la forme d'une vieille camionnette hors d'age débordante de malles pleines à craquer de l'innombrable nécessaire qu'une personne du beau sexe et de rang comtal doit toujours à disposition : robes diverses et armatures correspondantes, le plus souvent en crinoline, bijous nombreux et variés, nécessaire de toilette, de coiffure et de maquillage. Parfumerie nombreuse. Bibliothèque de quelques centaines de titres, tous essentiels, manteaux, sous-vêtements et accessoires divers dont une bonne trentaine d'éventails, un par robe au moins pour l'homogénéité des toilettes. Et d'autres choses encore.

La demoiselle, du haut de ses dix-huit ans à peine, regardait pensivement défiler doucement le paysage enneigé de cette Prima hivernale dont les routes, mauvaises et encombrées de neige, permettaient de voir en détail. En dehors des deux autoroutes du Royaume, on dépassait que rarement les 70 kilomètre à l'heure, et par des conditions de neige comme celles de ce jour, la vitesse ne pouvait décemment excéder les 50. C'était tout de même beaucoup plus que chariots tirés par des chevaux ou des beaufs que l'on rencontrait ça et là temps que l'on était encore en dehors de l'autoroute.

Tout en observant ces conducteurs affrontant l'extérieur glacial, paysans ou commis divers emmitouflés dans de lourdes couvertures et tenant les rennes de mains crispées et ganté, elle songeait, les épaules nues mais bien au chaud, à ce à quoi songent toutes les demoiselles bien nées de son âge : les grands balles, les superbes toilettes, les amours galants et interdits, les jeux de charmes de la diplomatie, les tables servies de mille et un mets dont un grand nombre serait inconnu d'elle. Une vie noble, en somme, une vraie vie à mille lieux de la pauvre cour misérable de Désolation, comté fort bien nommé de l'horrible massif non moins misérable dit Massif Occidental comme si sa position géographique était la seule chose de bonne qu'on eut trouvé pour qualifier cet ennuyeux endroit.

La nuit est tombée depuis bien longtemps sur le pays, lequel est alors plongé dans obscurité d'autant plus complète qu'elle n'est amoindrie par aucun éclairage publique, inexistante en Prima dont la culture ne permet pas de comprendre que l'on puisse éclairer inutilement des extérieurs déserts. Aussi, quand la fille Désolation arrive enfin au palais royal, ses yeux habitués aux ténèbres se sont éblouis par les lumières qui percent de chaque fenêtre du palais malgré la neige tombant à gros flocons. Elle comprend alors : « toutes les salles sont éclairées, c'est jour de bal ! »

Sa limousine s’arrête devant le grand escalier de l'entrée noble du palais. Un page lui ouvre la portière et un vent glacial la saisie et la fait frisonner, ses épaules nues n'étaient pas l'idéal pour affronter les rigueurs de l'hiver. Elle monte donc rapidement l'escalier flanquée d'un page tenant un parapluie pour éviter qu'elle ne soit mouillée par des flocons, ce qui ne sert à rien. Rendu dans le vestibule, il fait de nouveau bon et elle peut entendre de la musique de salon se faire entendre à sa gauche, une autre à sa droite, plusieurs autres ailleurs : au palais royal, les jours de bal, il y a un orchestre par salle noble. Elle s’apprêtait à entrer dans la grande salle pour s'y présenter au Roy quand les factotum qui encadrent la porte lui interdise le passage et lui intime l'ordre de la suivre dans le petit salon de la princesse.

« Je suis toujours bannie, manifestement ... » se dit-elle avec justesse quand elle se trouve seule à attendre la princesse, humiliation suprême, dans petit salon somptueux tapissé de rose et d'or surchargé d'art et d'élégance et qu'éclairent mollement les lampes disposés ça d'une clarté tamisée par de délicats abat-jour aux motifs floraux variés et précieux.

Au bout d'une longue demi-heure de solitude et de silence, une demi-heure d'humiliation et de mépris, la princesse arrive en fin, en grade toilettes, robe à crinoline à triple pan, boucles à l'anglaise, éventail de soie et d'or et portant au cou une Rivière de Diamant valant sans doute davantage que le PIB de la République Hafenoise. « La princesse se rêve en reine manifestement » se dit-elle en elle-même tandis qu'elle se lève et opère une profonde révérence pleine de déférence feinte à laquelle la princesse répond par des signes et des paroles d'une sympathie tout autant feints. Personne n'est dupes, les deux se détestent profondément.

La princesse finit par s’asseoir en face de la demoiselle de Désolation et tout en feignant tantôt l'amitié, tantôt l'embarras, tantôt l'inquiétude, elle en arrive, enfin, aux faits. Elle a besoin d'elle pour servir de lien avec le Palais des Brumes du Grand Kah en exil en Carnaval. Mais comme Prima est en état d'hostilité avec Carnaval depuis l'affaire des nonnes, le droit de vengeance perpétuelle a été invoqué sur une des trois familles de Carnaval, la chose est donc assez dangereuse. Sans parler de la horde anarchiste du Kah qui pourrait vouloir empêcher ce rapprochement.Elle lui dit aussi que les braves gens de la cour de l'Empereur du Kah méritent bien que l'on prenne quelques risques. Elle conclue en lui tendant une feuille froissée et en disant : « Voyez ce que vous pouvez faire, voici les coordonnées et l'heure du point de rendez-vous. Pour notre part, nous sommes disposés à leur fournir autant d'aide que nécessaire dans la mesure de nos capacités limitées ». S'en suit enfin un échange d'une toxicité telle qu'il n'est pas nécessaire de le retranscrire et durant lequel la princesse sous entend à la demoiselle qu'elle ferait bien d'épouser le garçon impérial plutôt que de courir après le roi de Prima, la demoiselle lui renvoie le même propos toujours déguisé sous des apparences de sympathie. Les deux se séparent cordialement et dans les formes, la haine réciproque qu'elles ont l'une pour l'autre étant maintenant pleinement actée.

La demoiselle de Désolation quitte rapidement le palais et remonte discrètement dans sa limousine en se jurant de revenir sous invitation du roi et saluée par tout le monde. Tandis qu'elle s'éloigne du palais, le regard plongé dans les ténèbres totales de la nuit, elle se promet de gagner les faveurs de roi de Prima et de se faire épouser par lui puis de le pousser a envoyer son horrible sœur au couvent, elle se tiendrait là, dans devant elle, tandis que les nonnes la tonde publiquement pour lui faire prendre l'habit. Enfin, cela implique, naturellement, qu'elle réussissent sa mission et que ladite princesse n'ai rien prévue de son coté... Elle ouvre alors le papier froissé qu'elle lui a donné et sur lequel se trouve les coordonnées de la rencontre : "Hotel Majestic de Carnaval, chambre 1314, 20h, venez seule". La demoiselle donne ses instructions au chauffeur et se laisse conduire, elle ne tarde pas à s'endormir.

Elle arrive le lendemain vers 15h au Majestic, c'est un hôtel quatre étoiles de très grand luxe, c'est à dire qu'il est convenable pour la noblesse féodale primaine. Elle prend une chambre, y fait monter ses dizaines de malles, s'y rend elle-même et se fait aider par son personnel féminin pour se laver, se coiffer et s'habiller. Tout cela fait dans les règles de l'art associé d'un peu de zèle, elle arrive en grande toilette de gala à la chambre dite et à l'heure dite, elle y frappe et attend son destin.

groom service

Un message pour mademoiselle Pauline-Eugénie de Désolation accompagné d'une bouteille de vin et de deux muffins chocolat-noisettes a écrit :Mademoiselle,

On m'a dit que vous intriguez contre moi. Si c'est vrai c'est très grave et je vous demande d'arrêter.

Les gâteaux que je vous ai fait servir sont une création Dalyoha Compagnie un mélange très puissant de psychotropes synthétiques et d'aphrodisiaques de notre invention. Leurs effets sont bien plus intenses que tout ce que vous avez pu connaitre ou expérimenter dans votre vie. Quand vous en aurez mangé une bouchée vous vous rendrez compte qu'il y a trop de plaisirs ici bas pour gaspiller notre temps à ces enfantillages.

Si malgré tout vous pensez qu'essayer de vous attaquer à mes intérêts a encore du sens alors buvez le vin. C'est un poison indolore qui vous fera dormir et mourir. L'honnêteté et la charité chrétienne m'obligent à vous assurer qu'il vaut mieux une mort rapide que compter parmi mes ennemis. Il y a à Bourg-Léon des corps que je garde en vie pour mieux les punir.

J'espère que ces cadeaux auront réglé nos affaires. Si on m'avait menti à propos de vos intentions alors veuillez accepter mes excuses et partager les muffins avec qui bon vous plaira.

Veuillez agréer mademoiselle de mes sentiments distingués
Blaise Dalyoha

https://media.discordapp.net/attachments/1089615739180294194/1127322657969410159/caa7fe3640fa77f4ce30bfbecc2e2c18.jpg?width=433&height=662
mademoiselle Pauline-Eugénie de Désolation


La demoiselle laissa tomber le pli en s'oubliant une instant sous le coup d'un sentiment de panique presque incontrôlable car elle connaissait ce genre de message froid qui en Prima est souvent la préfiguration d'une Vendetta. Mais elle se ressaisie bien vite, comprend que ce n'est qu'un avertissement, contre une menace imaginaire qui plus est. Elle se ressaisit donc, constate sans surprise que le serviteur est parti sans demander son dû, et cache dans son sac un des gâteaux donc elle serait curieuse de connaitre les effets concrets. Elle se dit qu'elle vient d'échapper certainement à un coup de la princesse qui a compté sur les relations diplomatiques mauvaises du Royaume avec la Ville pour la faire tuer. Elle sourit puis frappe derechef à la porte afin de poursuivre sa mission diplomatique, heureuse d'être en vie et se promettant de tondre elle-même la princesse quand elle aurait conquis le roi et qu'elle aurait obtenue de lui qu'on la place en couvent.
https://i.pinimg.com/564x/88/4c/15/884c15772c04f7deb7b7c229f503ca42.jpg

À l’époque du monarchisme triomphant il y avait, chez les nobles d’empires, une certaine rancœur entretenue à l’égard des nobles plus traditionnels. Une conscience aigu, presque sociologique, de la nature artificielle des classes. Un semblant d’héritage révolutionnaire qui faisait croire à ceux qui avaient obtenu leurs titres dans le grand partage des conquêtes impériales qu’ils étaient en fait représentatifs d’un élitisme triomphant, d’aucun diront positiviste : non pas fantasmé dans une quelconque idéologie du sang et de sa pureté, mais mérité par l’action concrète et renforcée par le service prolongé au sein de l’Empire. La vérité était plus simplement que la noblesse ancienne n’avait jamais pardonné à l’Empire d’exister, considérant sa nature arriviste et dangereuse pour ses propres intérêts, et que tout ça était, dans le fond, une bagarre de nantis pour la possession de terres au Nouveau Monde.

Pour autant la rancœur persistait, et c’était peut-être parce qu’il la ressentait plus vivement que la plupart de ses pairs qu’Ernest Bario Vidal était le favori d’Aldous Sukaretto, régent de pacotille qui avait soudain, après presque vingt années d’exil, décidé de rassembler ses troupes à Carnavale. Pour ça aussi qu’il était l’un de plus respectés de ses pairs. Pour ça, enfin, qu’il voyait l’organisation même de cette entrevue comme une corvée dont il ne pourrait probablement pas ressortir grand-chose de bon.

Qu’est-ce qui les rassemblait, vraiment, avec les gens de l’Union Médianes des Traditionnalistes ? Leur Empire n’était-il pas lui-même révolutionnaire ? C’est là bien son péché capital, un péché qu’on ne lui avait jamais pardonné. Les premiers de la famille impériale ne s’étaient-ils pas convertis au christianisme ? N’avaient-ils pas occidentalisé leurs mœurs malgré leur ascendance burujoase ? Et pour quel résultat ? Du mépris, du rejet. Des guerres. Et qui, dans les années 80, avait aidé à remettre l’empire au pouvoir ? Les capitalistes. Le camp d’une certaine forme de progrès. Non. Il y avait, dans l’impérialisme Sukaretto, quelque-chose de définitivement moderne, dans l’air absolu d’un temps industriel, qui le séparait à jamais de Prima et des autres populations consanguines et poussiéreuse de cette vieille noblesse. Celle-là mourrait dans le silence éteint de sa propre dégénérescence. Pour les Sukaretto et leurs suivants, au moins, il n’y aurait pas de fin de race : on avait disparu dans une explosion superbe de violence et de panache. C’était une mort d’homme ayant vécu, ayant attrapé la queue du tigre.

Pour autant il fallait parfois être pragmatique. Le duc sans terre l’était aussi. Il était trop intelligent pour avoir les mots de ses idées, et trop conscient des enjeux et de la situation des siens pour apposer son veto à une telle rencontre.

Bien sûr il l’avait organisé loin du Palais des brumes, simple mesure de précaution qui témoignait en fait de la paranoïa propre à l’ensemble de son genre. Dans cet autel, il y avait plus de chance d’être entendu par les agents kah-tanais, bien évidemment. Mais au moins cela n’amènerait pas ceux-là jusqu’au cœur du Kah Blanc. Un choix à pleurer.

On toqua à la porte. À l’heure, jaugea-t-il. Il indiqua à un serviteur d’aller ouvrir la porte tandis qu’il finissait d’essuyer le verre teinté de son monocle. Grand, jeune, avec des cheveux blonds coiffés en arrière, des gants blancs et un tuxedo d’un impeccable raffinement, il était l’image idéale d’un certain surhomme. En d’autres temps, le bon Ernest aurait fait fureur dans certains salons d’Eurysie centrale, où l’on rêvait de "régénérer" la race blanche à grand renfort de violence et de conquête. Ses rêves n’étaient pas moins sordides, mais l’époque s’y prêtait moins, aussi son élégance lui servait surtout à briller dans la société cosmopolite de Carnavalle, où l’on retrouvait en fait bien plus d’homme d’affaires étranger que ceux-là n’auraient voulu l’admettre ;

Lorsque l’on toqua à nouveau à la porte, il haussa légèrement un sourcil et capta le regard interrogatif de son interlocuteur. Le primain était-il pressé ? Il lui fit signe de continuer et se désintéressa de la porte, lui lançant tout juste un regard lorsqu’elle fut ouverte. Ce qu’il vit de l’autre côté dû éveiller son attention, car il lui prêta aussitôt plus d’attention. Une femme. Jeune. Qu’est-ce c’était que ça ? Le duc fit marcher sa mémoire. Quel était le rôle des femmes, à Prima ? Est-ce que sa présence n’était pas comme une insulte faite aux siens ? Difficile à dire à ce stade. Quand-même, elle ne devait pas avoir vingt ans. Il nota tout de même le soin avec lequel elle s’était préparée, et esquissa un pas dans sa direction, s’adressant à elle d’un ton parfaitement cordial, et dans un français parfait mais toujours marqué de l’accent exotique de la Grande Union.

« Je vous en pris, entrez. Timothée va vous débarrasser. »

Précision inutile, car le serviteur s’afférait déjà à retirer tout ce qui aurait pu encombrer l’invitée. Une jeune asiatique en tenue sombre l’accompagna ensuite jusqu’à son maître, qui la salua à nouveau, très respectueusement et dans les formes, en profitant aussi pour se présenter car, à vrai dire, « je doute qu’on vous ait dit grand-chose à mon sujet.» Et pour cause : la décision de l’envoyer avait été prise assez tardivement, de ce qu’il avait compris.

La discussion allait se tenir sur la terrasse de la chambre, située dans la continuité d’un salon décoré dans le style art déco typique de la ville. Car l’air de Carnavale était toxique, la terrasse était protégée d’une verrière qui laissait clairement apparaître la silhouette cauchemardesque de la ville. Un genre de procession religieuse suivait son cours dans l’avenue plus bas. Si on entendait à peine l’écho des chants, on devinait aisément la catastrophe qui suivrait inévitablement son aboutissement. C’était dans la nature des choses, ici.

Les deux s’installèrent sur des sièges confortables disposés autour d’une petite table où l’on avait disposé mignardise et deux tasses de thé. Les kah-tanais, qu’ils fussent impériaux ou révolutionnaires, ne se séparaient pas de cette tradition apportée du burujoa. La jeune asiatique s’enquit d’ailleurs des goûts de l’invitée, avant de disparaître. Quelques instants plus tard, deux tasses étaient servies, et le duc pris la parole. Son ton était celui d’un homme qui prenait de son temps pour en accorder à quelqu’un, comme on lui faisait une faveur un peu affectueuse. Il souriait avec professionnalisme.

– L’attention de sa majesté le Roi nous ravi, il est vrai que nous ne sommes certes plus les hommes d’une famille régnante, mais par deux fois déjà les sukarettos ont retrouvés leur trône : je crois qu’il est dans l’ordre des choses qu'ils reproduisent l'exploit. Ce qui m’amène à devoir vous poser la question suivante, et vous m’excuserez de son aspect direct : je dois savoir si nous sommes ici pour discuter ou pour négocier et, en fonction de votre réponse, jusqu’à où s’étend votre mandat.
La demoiselle de Désolation savourait les douceurs qui leur étaient servies en camouflant sa gourmandise derrière l'éventail de cour qu'il convenait d'avoir et d’agiter dans ce genre de situation mondaine. Alors, prenant son temps et préparant ses airs, elle s'accordant une grande mais discrète inspiration puis elle pris la parole en adoptant le ton solennel et précieux qu'il faut impérativement prendre quand on appartient à l'aristocratie primaine, à plus forte raison quand on est persuadé d'être une personne importante investie d'une mission non moins importante :
« Monsieur, je vois que vous êtes homme à aller droit au but, il n'y a rien dans cette méthide qui puisse me déplaire puisque vous devez savoir certainement que vous ressemblez en ça au Roy de Prima, lequel, cependant, est certainement plus direct encore que vous ... Ma mission est claire et je n'ai aucune raison de vous la cacher puisqu'elle n'inclut rien qui soit contraire à l’honnêteté ou à l'honneur. J'ai reçu du Roy de Prima, mon maître, par l'intermédiaire de la chancellerie, l'Ordre de prendre contact avec vous et de chercher à faciliter votre vie et la réussite de votre retour au pouvoir. Le Roy ne serait pas du tout fâché que voir le retour d'un empereur sur le Grand Kha. C'est à vous de nous dire si vous consentez à ce que nos relations se normalisent et que vous nous donniez connaissance de vos besoins. Nous ferons, dés lors, notre possible pour vous apporter notre assistance... »

La demoiselle achève son discours sur un minaudage un peu ridicule mais charmant en affectant une pose ravissante de beauté et d'élégance, pause qu'elle trouva certainement après de longues recherches solitaires devant un miroir de sa chambre…
Je vois.

Le premier réflexe d'Ernest Bario Vidal fut de ressentir un dégoût instinctif, presque animal, devant cette jeune représentante de ce que l'empire avait haïs. Cette noblesse d'héritage imbécile, qui minaudait comme si l'on avait jamais inventé le moteur à réaction, l'arme à répétition, la violence industrielle.

Pour autant il ne détestait pas la femme. ni son roi, même. Il détestait ce qu'ils représentaient. Une forme d'erreur exécrable de jugement, mais avec laquelle on pouvait peut-être faire affaire. Sans rien laisser paraître, l'homme acquiesça et se répéta. Je vois. Un tic de langage proprement kah-tanais.

Son excellence ne doit pas douter de notre foi dans la restauration prochaine de l'ordre au Grand Kah. Cependant cette sale confédération se renforce crise après crise. Il faut croire qu'elle est de ses animaux qui refusent effectivement d'être affaibli par ce qui ne les tue pas.

Il eut envie de se lever et de marcher, comme un fauve en cage. De parler face à cette ville, derrière la vite, et de lui expliquer en détail toute la difficulté qu'il y avait à confédérer un mouvement aussi divers que les blancs en exil. Sans même parler de les organiser efficacement contre l'Union. Au final la mission du mouvement impérial était moins de reprendre le pouvoir par ses propres moyens que de confédérer ce qui existait de réactionnaire en vue de se voir servir le pouvoir sur un plateau. Avec, si possible, la tête du Comité de Volonté Public.

Et via quelles méthodes ? Le dernier coup d’État avait raté. Peut-être par excès de confiance, par faiblesse. Non. La vérité c'est que le pays ne voulait plus d'un empereur. Il faudrait sans doute exploiter sa démocratie maladive. Sur ce point, Antigone avait raison, même si son mouvement s'était fait arrêter. Elle avait scarifié la belle confédération en prouvant qu'on pouvait travailler contre son système, tout en le respectant.

Rien que la femme lui faisant face n'aurait pu comprendre. Elle était aux antipodes d'une Antigone. Un outil utile et stupide, probablement. Dont les talents ne lui permettaient pas de survivre en dehors de l'écosystème particulier de la noblesse poussiéreuse. Inflexible donc imbécile. Inutile dans le grand ordre des choses modernes. Il repense à cette phrase qu'il avait lu dans un ouvrage socialiste.

Dans la famille, l'homme est le bourgeois ; la femme joue le rôle du prolétariat.

Elle fixa cette femme, et s'accorda pour ne pas lui en dire plus qu'une prolétaire ne saurait le comprendre. Il sourit.

Il faut bien que nous nous entendions. Il se resservit du thé, lui en proposa. Continua d'un ton égal. Nous avons plus en commun qu'en différences, et on voit bien comme nos ennemis se coalisent contre nous. Les rouges se haïssent mais peuvent travailler ensemble. Apprenons donc à nous aimer.

La décision dépendra du régent, mais – que cela reste entre nous et son excellence le roi – il était déjà question de nous rapprocher de l'union médiane des traditionalistes. Cette initiative sera sans doute l'ultime preuve qu'il fallait aux plus réfractaires pour accepter l'inévitable.

La demoiselle qui, comme la plupart des précieuses de la cours de Prima, n'était superficielle qu'en apparence, saisissait assez bien le mépris contenu de son interlocuteur. Elle venait de comprendre, non sans s'être trompée de prime abords que malgré les apparences d'élégance qu'il offrait à la vue cet homme n'était en rien un vrai noble, un vrai dominateur, un bellator authentique, un vrai chef et guerrier, serein et distingué, mais qu'il n'était qu'un bourgeois.

La bourgeoisie, cette roture vulgaire mais enrichie que les normes de la modernité, reposant essentiellement sur l’âpreté au gain, avaient suscité et que la décadence des Ordres Anciens dont on avait négligé partout sauf en Prima la régénération régulière, avait permis l'ascension au pouvoir. Ces impériaux du Kha n'étaient que des bourgeois qui jouaient à se faire passer pour des aristocrates. Des marchands, des artisans et elle dut contenir un sourire en pensant au ridicule de la situation qui la poussait sans doute à montrer ses meilleurs airs à un petit fils de marchand de bois ou d'un boulanger ….

Cela dit, il fallait jouer la comédie, et faire en toute choses comme si l'on était entre égaux, et surtout, surtout, se laisser mépriser, son mépris abaissera ses défenses, il n'y a rien de plus précieux que de manœuvrer un homme persuader d'être maître de la situation. Elle répugnait habituellement à toutes ces manœuvres de cour mais puisque la mission l’exigeait et qu'elle souhaitait plus que tout retourner auprès du Roy en ayant réussie, elle se promit de tout mettre en œuvre pour atteindre ses objectifs. A l'exception notable de l’exploitation des sens et de la pratique de l'impureté qu'elle laissait à la sœur du roi dont elle ignorait pas la déplorable qualité des mœurs et au sujet de laquelle elle avait eu vent qu'elle couchait volontiers avec son interlocuteur, et que ça avait été la méthode pour se rapprocher du rejeton Dalyoha en Carnavale.

Elle déjà avait envoyé anonymement le dossier salé des impuretés de la princesse aux modernistes en exil au Milouxitania. Un libelle incendiaire avait circulé dans tout le Royaume et avait consterné tout le beau monde puis on était passé à autre chose … A croire que tout le monde était déjà au courant et que la manœuvre avait été inutile. La seule solution c'est de réussir cette mission diplomatique et de pouvoir retourner dans l'intimité du roi et de prendre la place, à tout point de vue, de son horrible soeur… Elle se retient de visualiser la scène de tonte de la princesse et de son envoie au couvent qu'elle lui réserve comme vengeance, et reprend des airs un peu moins nobles et un peu plus penaud pour mettre plus en confiance son interlocuteur :

Monsieur, vous me voyez ravie de voir votre empereur dans de telles dispositions concernant l'UMT ! Une telle demande sera assurément reçue favorablement ! Cela dit, ce n'est pas le seul genre de service que nous pouvons nous rendre. Sa Majesté le Roy de Prima pourrait fort bien envoyer ses gens d’influence en votre terre et orienter sa production culturelle pour la défense de votre cause. Depuis que nous sommes engagés dans la Gondo, je me suis laissé dire que le trône avait pris conscience de notre pouvoir d'influence dans le monde.

Évidemment, cette aide en terme de produits culturels et de services de renseignement et d'action sera le signe de notre bienveillance envers vous et envers votre cause. Un mariage entre votre Empereur et l'une des filles de la maison de Prima vous assurerait un lien solide entre nos deux nations en plus de donner une motivation supplémentaire à notre action future dans le Grand Kha. Voulez-vous, monsieur, que je vous parles de nos trois demoiselles à marier ou bien les connaissez vous déjà ?


Tout en finissant sa phrase, la demoiselle sort du décolleté, dans sa poitrine entre ses seins, un petit carnet dont elle sort trois photos qu'elle pose sur la table face à son interlocuteur. Ce sont les photos des filles de Prima  avec quelques écritures au dos :

https://cdn.discordapp.com/attachments/1089615739180294194/1134001815449522258/image.png
Le régent, rectifia-t-il avec un sourire qui signifiait tout à la fois la courtoisie et la lassitude. Le dernier empereur et mort, et son seul héritier en âge de monter sur le trône parade comme une putain dans des défilés et au comité qui régit cette gueuse d'Union. Quant à son... Fils, il faudra encore quelques années pour être dans la moindre disposition politique. Cela étant cela ne change rien : oui, la tête de la famille impériale veut se lier d'amitié avec ce qu'il reste d'ordre au sein du chaos.

Puis il se redressa dans son fauteuil, et sembla réfléchir. La notion de déployer des espions primains afin de pousser l'Union dans un sens correspondant aux aspirations impériales était intéressante, au moins sur le plan technique. Sur le plan pratique, il tendait à se demander, non sans un certain cynisme, ce qu'un peuple au demeurant arriéré pourrait bien faire pour faire changer l'avis d'un autre, dont les valeurs et le mode de vie étaient aux antipodes du sien. La question était moins de savoir si le "bon roi" avait les moyens de ses ambitions affichées, mais bien s'il en aurait la finesse. Il se souvenait du mouvement du Lys d'Argent, que cette adorable journaliste avait montée en vue de pousser l'Union vers des chemins plus favorables au retour à l'Ordre. Des échauffourées, de la politique, une appropriation de la politique à des fins fermement anti-politiques. Et tout ça pour quoi ? Quelques succès d'estime, mais la lame de fond restait révolutionnaire. Ce qui, dans l'Union, était conservateur, nationaliste, ce qu'il devrait trouver moralement bon, était aussi et surtout une mutation répugnante de la peste brune, qui mélangeait la révolution sociale et la violence des camelots. Peut-être serait-il possible de générer des ligues nationalistes, mais elles graviteraient toujours autour de ces brigadiers et de ces sections défenses.

Pour autant c'était mieux que la Sociale. En tout cas, c'était moins mauvais.

Il fronça les sourcils, soupira, sourit à nouveau. C'était comme une façade de légèreté sur laquelle remontaient parfois quelques courants océaniques profonds, plus acerbes ou mélancoliques.

Le prince est encore jeune. Au point que certains de ces partis pourraient être inexploitables lorsqu'il sera en âge de consolider l'alliance. Mais il se trouve d'autres gens du sang impériale, ou de la très haute noblesse. Avec un peu de manœuvre ne doutez pas que l'on trouvera un compromis. Par chez nous le sang à moins d'importance que l'idée.

Il fit un geste en direction des vignettes.

Expliquez-moi donc.
Haut de page