Mais, si la description du travail de mineur a l'air accessible, son application mal préparée est un plongeons dans les abîmes, dans tous les sens du terme. Creuser était simplement mettre des coups de pioche et pelle dans la terre, et c'était déjà loin d'être simple. Cela représente un effort important, dans le climat tropical de Sylva, où se plaisent les moustiques qui mettent en général quelques secondes à répondre à l'odeur de la sueur. La canopée offerte par les forêts a au moins la décence de protéger du soleil, mais les racines qui viennent avec sont une difficulté supplémentaire. Rien que là, le mineur doit s'accoutumer à son labeur, creuser, remplir des seaux, les vider ailleurs. On s'organise en chaine, réparti le travail, durant des heures et des heures, chaque jour. Ça demande une bonne condition physique et de la pratique, et beaucoup de jeunes hommes qui se pensaient en bonne santé ont été confrontés à une dure réalité : ce sont de gros sacs.
Et là les ainés ne sont pas en reste, malgré leur stature de quinquagénaires endurcis, ils sont au début loin de dépasser l'heure d'exercice avant d'avoir besoin d'une généreuse pause. Creuser avec des outils aussi rudimentaire est éprouvant.
Et il ne s'agit là que de la première réalité de l'excavation, la deuxième est que cela est loin de ne nécessiter aucun savoir faire. Creuser un trou de quelques mètres est déjà une tâche difficile, mais il faut le consolider après autrement la première pluie ruinera les efforts (et la vie d'un homme). Et de ce puit il faut faire partir d'autres boyaux dans diverses directions, donc creuser contre la paroi sans qu'elle ne s'ébranle. C'est en soit l'occasion de développer d'autres coopératives dédiées à apporter les ressources nécessaires : poutres et planches sciés encore une fois avec les outils à la disposition d'une population rurale. Mais les travailleurs persévèrent, bercés par le rêve du bauxite. Des familles entières s'articulent autour de cette activité : le père creuse, les fils portent les seaux de terre, les filles et mères portent l'eau et le repas.
La troisième réalité que tout le monde connaissait mais préférait feinter ignorer, est le risque. Se blesser avec un outil est le moins pire. Le second pire accident est de se retrouver sous un éboulis, écraser sous une lourde masse de terre une fois que le renfort en bois a cédé.
Le pire accident est d'être coincé de l'autre côté de l'éboulis. C'est LOIN d'être facile de juste creuser au travers l'amas de terre pour rallier le tunnel où est condamné un mineur. C'est n'est pas pratique de s'encombrer de bouteilles d'eau et de piles pour les lampes torche, de toute façon l’asphyxie arrive bien plus vite que les secours la plupart du temps. Avoir des vivres supplémentaires n'apporterait rien.
La quatrième réalité est que le bauxite en l'état de vaut pas grand chose en l'état. Il y a toute une chaine de production qui doit suivre, apporter sa valeur ajoute, et prendre sa part. Trop nombreux sont les travailleurs à s'imaginer piocher des lingots d'or prêts à être mis sur le marché, trop sont déçus. Les mineurs cherchent au hasard dans les filons. Les géologues leurs indiquent s'il y a des traces d'aluminium dans la région, mais ne disposent pas de senseurs à bauxite. Il faut creuser, un peu au hasard, un peu avec méthode pour quadriller avec efficience, couvrir un maximum de volume avec un minimum d'efforts, ne pas risquer l'effondrement, ne pas manquer de gisement.
Fer, aluminium, nickel, chrome, cobalt, molybdène, tantale, vanadium, hafnium, tungstène, tant de petits trésors que l'on peut trouver dans ces cailloux, alors on creuse, on ramasse, on transporte et on envoie à la fonderie qui estime la valeur du lot.
C'est d'autant plus vicieux que les familles entières s'impliquent dans ces projets, que l'entièreté de leurs revenus en dépendent. Entrer dans la mine, c'est ne plus en sortir.
Bercé de rêves, réveillé par la réalité, Thomas Delafontaine plongeait dans les entrailles de gaïa comme d'habitude. Svelte et athlétique du haut de ses dix sept ans, habitué aux travaux manuels, il tenait raisonnablement bien les efforts. Il rampait à moitié dans la galerie, creuser plus haut était perdre du temps. Il mettait de petits coup de pelle, remplissait de terre un seau passé par Jérémy, sont cadet de douze ans. Creuser, consolider, creuser, il répétait le processus interminable. Il voyait à peine, non pas que la lampe torche fournissait peut de lumière, mais elle avait un angle réduit lorsque tenue entre les dents.
Thomas fut pris d'une bouffée de stresse, un frisson terrible et dévorant dont on ne tire pour seule pensée « merde, j'aimerais revenir de quelques secondes en arrière ». Il lui fallut du temps pour ressentir la douleur, seulement après que la première bouffée d'adrénaline se dissipa. Se retourner demandait de se contorsionner, car mal consolidé, le plafond s'était effondré sur ses jambes. Il hurla, pour lui, pour sa famille, et pour Jérémy. Il était juste derrière lui ? Il était déjà parti avec son seau ? L'attente se fit dans l'ignorance du sort de son frère, il ne restait plus qu'à attendre.
Trois court, trois long, trois court, signal de détresse universel, ou l'inverse ? Trois long, trois court, trois long ? Qu'importe, il fallait juste éviter un bruit irrégulier s'apparentant à un autre éboulis, autrement c'était taper, taper, et taper pour qu'on l'entende. Il n'avait rien d'autre à faire, à part peut être geindre de ses jambes sous l'emprise de trois tonnes de terre et roches.
Il se taisait, hurlait, pleurait, et recommençait. Cloitré dans trois demi mètres cube, il n'avait rien d'autre à faire. Il attendait dans l'obscurité totale, après avoir fracassé sous la colère sa torche à coup de pelle. Au bout de trente minutes, ou deux heures ? Le temps ne semblait plus faire sens et de toute façon il allait s'en extraire. Au bout de ce qui aurait pu être trente minutes ou deux heures, il commençait à suffoquer. L'oxygène se raréfiait, le gaz carbonique envahissait la cavité. C'était un processus long et la répugnance naturelle du corps pour le dioxyde de carbone se manifestait progressivement, avec une intensité croissante. Il avait terriblement chaud, il était trempé de sueur, ses jambes n'était plus qu'un volume de souffrance connecté à son corps.
L'étouffement était de plus en plus insupportable, il commençait à délirer, le rêve se mélangeant à l'obscurité.
Non !
Non il les étendait ! Distinctement, était perceptible le bruit des pioches ! Sa famille venait le secourir ! Juste un dernier effort, tenir encore dix minutes, se manifester, taper à rythme régulier, gratter la terre, on allait l'extraire de cet enfer !
Il avait fallut quatre heure aux Delafontaine pour retrouver Thomas. Ses jambes était parsemées d'hideuses angulations, recouvertes d'une carapace de terre et sang séché. Il avait arraché ses ongles contre les gravats dans ce qui semblait être un élan de panique.
Sa mère Elsa avait pousser un long hurlement quand son mari avait extrait son fils ainé. Elle s'effondra, frappa son conjoint.