Maïgouame, département de la Cahuire, Charbonie en Nazum
En Cahuire (8e département de Charbonie, situé en Nazum), à Maïgouame (« préfecture » du département), la Villa des Trois Jardins fait face à la mer. C’est sans doute actuellement la plus belle construction de la ville. Son jardin à la française, celui à la cahuiroise et celui à l’anglaise s’étagent aussi bien sur le flanc de la colline pour regarder le vaste océan. L’azur cahuirois se baigne d’un or scintillant ou très légèrement brumeux, pour disperser goélands et voiliers dans la caresse d’un doux zéphyr déjà estival. Dans le jardin à l’anglaise, près du kiosque, ainsi qu’à l’intérieur du vaste bâtiment de la villa, majordomes et cuisiniers accomplissent tranquillement leurs tâches. L’on a déjà disposé vaisselles, plats et apparats, qui conviendront à la réception, voulue de haut standing. On n’a hélas pu échapper à ce style classique des années 1950, qui demeure celui du décor, par les meubles anguleux et raides, les grandes nappes blanches et les longs rideaux blancs dont les plis sont parfaitement réguliers, car ce style suranné est encore celui qui forme l’intérieur de ces villas au demeurant prestigieuses.
Mais cette villa n’a pas encore vu ses hôtes ni ses invités. Elle demeure encore dans un silence serein quoique affairé. Non, c’est ailleurs que les personnalités importantes, se sont donné rendez-vous. En raison de la grève des pêcheurs, la seule option était l’aéroport, même si sa piste est tout de même un peu courte et qu'elle voisine constructions et rochers. Car du rocher, il y en a, en Cahuire, étant donné que la presqu’île est une haute et vaste colline formée de reliefs secondaires, que celle-ci soit arborée ici, parée de jardins ou de villa plus loin, ou encore baignée par la vieille ville, charmante et pittoresque évocation de l’orient, ainsi que par son port traditionnel et par plusieurs gros campings pleins de tentes et de peuple comme on n’en fait plus vraiment, aubaine pour les bourses touristiques les plus modestes de la région.
Ainsi, c’est donc à l’aéroport de la Libération, que l’accueil aura lieu d’un instant à l’autre. Faisons abstraction du fait que ce n’est pas un aéroport très important. Ses équipements sont désuets ; ils manquent de dispositifs plus modernes, ce qui relativise la sécurité des vols. On voit encore ici ce qu’on ne voit plus ailleurs : ces affichages à pales roulantes ; ces détecteurs de métaux manuels que les douaniers utilisent ; ces cabines téléphoniques à pièces ; ces nettoyeurs trop nombreux pour seulement quelques saux d'eau et quelques serpillères ; ces consignes ; ces annonces dans le seul français, par d’antiques hauts-parleurs où résonne une voix bien vivante de rogomme, que l’accent local, étrange et déjà dépaysant, rend un peu plus exotique ; et ces vendeurs à la sauvette qui, aux alentours, n’attendent que l’occasion de revenir.
On a tout de même réussi à retrouver in extremis quelques spécialistes pour enfin nettoyer les vitres les plus hautes, ce qui redonne à l’ensemble (aux yeux des connaisseurs) un petit coup de jeune bienvenu.
Les plus gros avions ne sauraient se poser dans cet aéroport, parce que la piste en est un peu trop courte, comme nous disions. Il lui faut en outre des pilotes expérimentés en raison de la configuration des lieux, qui expose tout de même à un certain danger. C’est là un sujet sur lequel les autorités ont des projets qu’elles doivent davantage travailler.
Les moyens de la Cahuire sont pour l’heure bien limités. Non seulement le pays entier sort d’une période de chaos qui en a déstructuré l’économie, mais en outre la majeure partie du territoire de cet état est située très loin, de l’autre côté du monde. Heureusement que les Cahuirois ont depuis longtemps des liens étroits avec les Charboniens, car la presqu'île cahuiroise constitue, en termes de paysages et de civilisation, un territoire tout à fait différent du Pays Charbon.
L’arrivée des Stranéens est même restransmise par les télévisions, au moins charboniennes. La 3C, Ch’Aff’ ainsi que LPTV. On n’attend plus que les officiels de part et d’autre, qui devraient incessamment arriver.
Comme l’hiver austral emprisonne actuellement tout le Pays Charbon dans les glaces, il en résulte que les voyages sont devenus périlleux, et que, en conséquence, ni le ministre des affaires étrangères de Charbonie, ni son bras-droit le secrétaire à la diplomatie, ne pourront assister hélas à la rencontre. Les moyens d’accueil sont aussi restreints. Point d’orchestre de haute tenue, point de protocole impeccable ni de timing rigoureux. Il y a en Cahuire une trop grande modestie, et trop de relâchement et de douce quiétude dans la manière de vivre, pour que le département assume un degré important de mise en scène dans la manière de recevoir.
Mais, tout de même, voyons cette volonté que les locaux ont mis dans la qualité de l’accueil. On a pu réaliser dans la presqu’île même le long tapis rouge, il est à présent posé impeccablement ; et l’on a disposé tout le nécessaire sonore et cinématographique pour faire apparaître immensément, sur tout un vaste pan de mur, le drapeau stranéen flottant sur fond blanc, et pour faire résonner, de manière agréable et sans défaut, dans tout l’aéroport, l’hymne national de ce pays invité. Ce petit « spectacle » son et lumière sera peut-être, espère-t-on, une prouesse technique dont la Cahuire pourra, espère-t-elle, s’enorgueillir.
Les représentants charboniens sont, quant à eux, réunis dans une salle de l’aéroport où ils attendent ceux du Negara Strana. C’est, entre ces Charboniens, une simple conversation à bâtons rompus dont les initiés peuvent imaginer le contenu. Dès que l’avion surgira des airs et amorcera son atterrissage, les trois Charboniens entreront dans le grand hall.
Les représentants charboniens :
Eûryadève Assourdhane, le Secrétaire du Département de la Cahuire, 08 ;
Zacharie Yün, le Secrétaire Fédéral à l'Économie de Charbonie ;
Mlle Guillaumette Sombrelieu, la Secrétaire Fédérale de l’Union Nationale de la Nouvelle Économie (UNNÉ).
Mlle Sombrelieu : Avez-vous pris le temps d’étudier les documents relatifs au Negara Strana ?
M. Yün : Oui, ce genre de lecture me passionne.
Mlle Sombrelieu : J’ai aussi étudié tout cela. Et qu’en dites-vous, je vous prie ?
M. Yün : Eh bien… Cela a beau être un pays étatique, socialiste et tout le tintouin, au moins, ils ont détaillé déjà très clairement leurs besoins et leur offre en import-export, on peut difficilement faire plus clair et faire plus pratique. Ce qui n’est malheureusement pas le cas de la Charbonie. Notre documentation est très lacunaire. Il faudra qu’on s’inspire d’eux, si nous voulons favoriser le commerce ou l’investissement.
Mlle Sombrelieu : Est-ce grave ?
M. Yün : Non, nous ne voulons pas centraliser, mais mettre en rapport. Il nous faut par contre publier tout ce qui facilitera la connaissance de nos unités économiques et la prise de contact auprès d’elles. Fluidifier, libérer, et non centraliser. C’est notre rôle… de simples intermédiaires.
Mlle Sombrelieu : En attendant, nous devons centraliser. On n’a même pas encore publié une page de contact pour tout ce qui est « hors-état » (communes, associations, coopératives, entreprises…), c’est assez ridicule, pour un pays aussi décentralisé que le nôtre.
M. Assourdhane (riant) : Ma chère, la Charbonie redémarre. Chaque chose en son temps. Ce laisser-aller n’est pas nouveau, en tout cas. (Cette jeunesse !…)
Mlle Sombrelieu : La documentation manque. Un pays qui ignore sa macroéconomie. Cela manque de sérieux. Connaissez-vous seulement nos besoins ou nos offres commerciales ?
M. Yün : Tenez. (Il lui passe un document.) J’ai fait cette liste. Je l’avais transmise à ’Laïdéouébyo, des Affaires Étrangères, pour le Fjøllskot. Il a oublié de mentionner l’université d’économie, dans son message à ce pays. Nos administratifs sont encore… euh…
M. Assourdhane (avec un ton courtois mais un peu ferme) : Attention à ce que vous dites, mon cher. N’oubliez pas que vous êtes chez moi…
Mlle Sombrelieu : Ce n’est pas le seul problème. À mon avis, si les Stranéens sont intéressés par le tourisme, c’est comme s’ils étaient déjà venus hier ici, ce qui est d’ailleurs peut-être bien le cas. Donc ils ont bien conscience de l’aéroport vieillot, de l’état des routes, des embouteillages l’été, du manque de services, du côté roublard de certains restaurants, des façades décrépies un peu partout.
M. Assourdhane (s’offusquant avec bonhomie) : Mais vous devez ajouter le charme unique de la presqu'île ! Nulle-part ailleurs il n’y a cette couleur du ciel et de la mer où se mêlent l’azur, le turquoise et l’or. Et ces maisons typiques, ou, encore, troglodytes, ces ruelles tortueuses, à flanc de colline, ces escaliers, ces… éclats de buissons fleuris, ces pots de fleurs et ces jeux de mobiles sonores suspendus, que réalisent les artistes et que berce le vent, les ateliers d’art ouverts aux visiteurs, les arbres centenaires qui se mêlent au rocher. Ce doux zéphyr qui enchante. Et aussi et surtout : l’authenticité de notre Cahuire, de ses habitants, de leur manière d’être, de leurs vêtements, la douceur de vivre, et les pêcheurs traditionnels, et la gastronomie, si orientale, et si originale (quoique procédant des produits de pêche qu’on trouve souvent ailleurs) ! À l’heure d’une mondialisation effrénée, je pense qu’il faudrait que je prenne des mesures pour protéger tout ça !
M. Yün : Faites-le avec tempérance, subtilement, pour ne pas entraver l’investissement non plus.
Mlle Sombrelieu : Et on oublie aussi le côté tatillon des douaniers. Ils peuvent quand même ouvrir les bagages et les téléphones des gens.
M. Assourdhane : Ce sont les directives du ministère de l'Intérieur.
M. Yün : C’est surtout contre le trafic de drogue, d’armes ou de propagande classée impérialiste.
Mlle Sombrelieu : Et aussi contre l’immigration des communistes ou des monothéistes les plus fervents, soupçonnés de propagandisme. Je doute que ces mesures soient toutes compatibles avec une image d’ouverture, au tourisme ou à autre chose.
M. Yün : Tous les pays ont des douanes un peu tatillonnes ! Notre contexte au moins est clair, et, je trouve, des plus ouverts : pas de « social », mais… vient qui veut, pour travailler…
M. Assourdhane : Les nouvelles directives ont quand même quelque chose d’un peu abrupt à mon sens. Ça peut choquer les touristes, qui ne sont pas habitués. Bon, c’est vrai que les plus riches seront évidemment beaucoup moins l’objet de notre suspicion. Mais, maintenant, on expulse des Immigrés simplement soupçonnés de radicalisme. Moi, je trouve que la Cahuire est trop touristique pour ce genre de choses. Il faudra que nos douaniers cahuirois fassent montre de raison et de tact pour ne pas s’offusquer au moindre manifeste communiste ou au moindre coran non déclaré, qui, souvent, n’est que pour un usage personnel. Et puis, j’invoque aussi le caractère exceptionnel de la Cahuire. Vous savez, les Cahuirois sont des gens un peu anarchistes, ils savent ce qui est raisonnable, ils ne cherchent pas la petite bête, eux. Ils tolèrent beaucoup et sévissent peu, question de mentalité ! Ils n’ont rien à gagner à une douane trop intrusive. Vous rendez-vous compte ? Examiner le téléphone personnel d’un entrant, puis le refouler si l’une de ses applications est à caractère politique ou religieux… Tttt, tttt…
M. Yün : Mmm. En tout cas, on n’ouvre jamais leurs messageries, et on ne scrute aucun logs.
Mlle Sombrelieu : Mais c’est important, pour le côté humain, et accessoirement pour un lieu à vocation touristique, d’avoir cette intelligence d’assouplir dans la pratique certaines règles. Il faut notamment bien distinguer le touriste et le migrant.
M. Assrourdhane : Vous pensez à quoi ? Un visa ? Ce remède serait peut-être pire que le mal.
M. Yün : Il faudra réfléchir à tout ça. Mais vous avez sans doute tous les deux raison. Quant à vous, en tant que Liges, comme moi, consultez votre base, prenez vos décisions selon vos mandats, que chacun apporte sa contribution à l’édifice commun… Si vous le permettez, j’en reviens à ce qui est, à mon avis, de loin, le plus important : l’investissement. La Cahuire doit impérativement recevoir des investissements du Pays Charbon ou de l’étranger ou du secteur privé en lequel je crois. La Charbonie a trop longtemps délaissé la Cahuire.
M. Assrourdhane : Toujours, vous voulez dire.
Mlle Sombrelieu : Je suis moi-même en relation, enfin, je représente nombre de jeunes entrepreneurs, donc pour moi, en effet, les investisseurs privés sont essentiels. Et pour cela, il y faut un cadre favorable, juridiquement stable et ouvert.
M. Yün : Ce qui n’empêche pas l’investissement public, qui déterminera l’élan. Le Pays Charbon, une fois l’étouffement résolu, veut soutenir le développement futur de la presqu’île, notamment pour qu’elle ait mieux le sentiment d’être partenaire de toute la Charbonie. Quant aux capitaux privés, en effet, nous devons travailler à faciliter leur venue et leur déploiement par une administration et une fiscalité optimisées, des infrastructures et des services améliorés.
Mlle Sombrelieu : Exactement. Nous n’avons plus qu’à nous entendre sur les détails. D’où le prochain Forum sur l’Économie à Maïgouame.
M. Yün : Absolument.
Mlle Sombrelieu : Quand aura-t-il lieu ?
M. Yün : Aucune idée. Dès que possible… Beaucoup de tâches nous incombent. Tout le monde est assez débordé.
M. Assourdhane : Et, à propos, comment est la situation en Nivérée ?
M. Yün : Dramatique, mais pas désespérée. La pénurie demeure tout de même très bien gérée.
Mlle Sombrelieu : La disette est bien là, mais personne ne mourra de faim normalement. (Sauf quelques Gueûnes [ = membres de la caste des intouchables ] éventuellement.) Cette fois-ci en tout cas.
M. Yün : Vous l’avez tous constaté, la chaîne d’information 3C fait son travail, et, selon nos Affaires Étrangères (je l’ai entendu à la dernière séance du Conseil de la République), le Royaume de Teyla a déjà proposé une aide matérielle, qui devra arriver dès le début de l’été austral au port de Promesse. Il faut simplement que ’Laïdéouébyo ou Maheûdjane (des Affaires Étrangères et de la Diplomatie) réagisse. Avec les investissements de l’état charbonien dans des domaines-clé de la recherche, celui-ci sera en mesure de gérer l’appel d’offres qu’il va lancer pour dégager la Diagonale. Ça sauvera le pays. Du moins, je l’espère. Quant aux communications avec le Rousmala et le Shuharri, on attend le feu-vert de la météo, tout simplement. Ça se fait encore par courrier physique ou par radio, et les conditions sont actuellement absolument… épouvantables en Pays Charbon.
M. Assourdhane : …Les vents kikomoths ?
M. Yün : Tout à fait.
Mlle Sombrelieu : On va tout de même devoir payer cher les sociétés étrangères pour qu’elles viennent sauver le Pays Charbon. C’est loin du reste du monde. Et le défi est de taille.
M. Assourdhane : Si je vous suis, les investissements en Cahuire seront d’autant différés. Il faut agrandir le port et construire un nouvel aéroport, vous savez.
Mlle Sombrelieu : Je sais. On est tous d’accord. Ce sera quand le Pays Charbon respirera enfin. Mais, entre autres problèmes, figurez-vous, mais cela ne m’étonne guère, que notre pays a été classé comme « semi-autoritaire » par l’Observatoire International des Droits de l’Homme. Quand au ton de la 3C, on se croirait revenu au XIXe siècle !… Ah ! L’image qu’aura ainsi notre pays dans le monde !… Dans ces conditions, inciter les autres pays à répondre à un appel d’offres aura nécessairement un coût.
M. Yün : L’Observatoire quoi ? Jamais entendu parler. Mais, oui, en effet, les droits de l’homme, ça peut faire problème. Mais je crois que cette question est très biaisée. On se concentre sur la liberté juridique, mais à quoi bon des droits, si l’état gère plus de 50 % du PIB (comme dans certains pays), le droit n’est plus qu’une liberté de façade, à mon avis.
Mlle Sombrelieu : Ne dites pas cela aux Stranéens, en tout cas, leur économie est socialiste.
M. Yün : Ça reste entre nous ! (Ils rient.) Nous sommes pour le commerce. On ne va pas se mêler de leur manière de vivre.
Mlle Sombrelieu : En tous cas, sur la question de l’image d’un pays relativement aux droits, ce qui compte, ce n’est pas le côté objectif, mais plutôt le caractère indépendant de cet avis, non ? fût-il éventuellement « biaisé », comme vous le dites.
M. Yün (souriant) : Si ça se trouve, les Stranéens eux aussi, ils ont des dissidents encombrants. On pourrait faire échange… (Pour moi, les bagnes, c’est une absurdité économique…)
M. Assourdhane : …Hum, du coup, quant à l’état réel de notre pays, on ne va pas trop jouer « franc-jeu » avec les Stranéens…
M. Yün : Si, si ! Un partenariat économique, ce n’est pas comme une vente de maison, ça doit être profitable à tout le monde, sinon cela ne marche pas longtemps ! Ce qui n’empêche pas de savoir être un bon négociateur quand même.
M. Assourdhane (dubitatif) : Mais le sommes-nous ? Qui en a l’expérience parmi nous ?
Mlle Sombrelieu : À propos de maison, vous avez vu toutes ces superbes villas à vendre en Cahuire ?
M. Assourdhane : Le tourisme de luxe se porte assez mal. Pourtant, c’est vraiment une offre de haut standing. C’est aussi et surtout l’offre phare en Cahuire. Celle qui signe encore son ADN. Mais elle a tellement vieilli. Nos grands hôtels et restaurants s’adressaient aux rentiers charboniens du charbon, aux goûts surannés. Eux-mêmes, ces derniers temps, ont eu tendance à préférer des destinations plus modernes. Que vaut encore la Cahuire, au regard des publicités du Banairah ? Ainsi il faudrait moderniser tout cela.
M. Yün : Ou bien communiquer sur le fait qu’il s’agit d’un dépaysement « années 1950 ». Et mettre du neuf dans de l’ancien, par exemple la fibre optique, ou d’autres services supplémentaires intelligemment pensés. Je pense lancer une société pour rénover tout ça.
Mlle Sombrelieu : Mais ça existe déjà, quoique les capitaux y manquent pour le moment… Oui, après tout, le style des années 1950, ça a son charme. Et pourquoi pas des offres adaptées au cadre idéologique de chaque pays ?… Ça peut être une idée originale… En attendant, les bas prix de ces villas font que n’importe qui pourrait faire main basse sur cet immobilier ici. Il faudrait prendre une mesure pour éviter cela.
M. Yün : Pourquoi pas, mais il ne faut quand même pas une mesure trop radicale, qui entraverait le commerce et l’investissement.
M. Assourdhane : Vous avez raison, il faut être pragmatiques et mesurés… Mais je dois à présent vous dire une chose très importante…
M. Yün : Oh ! Oui ! Regadez, l’employé arrive, ça veut dire que l’avion est en vue !
Mlle Sombrelieu : Dites-moi, ils auraient pu venir en bateau après tout ?
M. Assourdhane : Les pêcheurs occupent le port, car ils veulent plus de garde-côtes contre les gros tonnages étrangers qui pêchent illégalement dans nos eaux. (Encore un de nos problèmes ici.) Ce sera donc, par défaut, l’aéroport.
Mlle Sombrelieu : Les Stranéens seront sans doute surpris de voir que l’affichage des horaires est encore à pales tournantes, ou que les contrôles s’effectuent encore avec des détecteurs de métaux manuels, ce genre de choses… Vous avez prévu un tapis rouge, une fanfare ? Ils ont répété au moins ?
M. Assourdhane : Notre orphéon est trop provincial. On s’en tient à un spectacle son et lumière. Une projection du drapeau stranéen, avec le son de leur hymne national. La foule sera au rendez-vous. Une réception « officielle », quoi. Mais vous voyez bien que ce sera dans l’esprit bon enfant des Cahuirois. Ici, on vient quand même pour la fête et la détente. Ce n’est pas du tout guindé ! (Il n’y a que les villas et leur personnel qui le sont, mais ils forment une vie à part, ici, et fort discrète.) Ce sera l’occasion d’agiter de petits drapeaux de l’un ou l’autre pays, ou encore de la Cahuire.
M. Yün : Fort bien, allons voir ça !
(FIN DE L’APARTÉ)
Commentaire du journaliste de la 3C, M. Sotérien Funquière :
« M. Ayüign Hiül, traducteur bilingue stranéen français, est déjà présent depuis un bon moment… Les Liges ( = responsables) charboniens apparaissent à présent dans le hall pour recevoir les responsables Stranéens. Oui, ceux-ci arrivent à leur tour. Au moment opportun, l’hymne stranéen retentit dans le hall, il faut dire harmonieusement, grâce aux ingénieurs du son qui n’ont pas ménagé leurs efforts. Et, sur une immense voile bien tendue, le drapeau stranéen flotte par l’effet d’une projection. Même si la lumière alentour en voile un peu l’éclat, ce drapeau demeure clairement visible. Et, à l’arrivée du tapis rouge, les responsables Charboniens tendent leurs mains à leurs invités de haute marque. La foule, en retrait derrière des cordons rouges, applaudit en agitant moult petits drapeaux. La police locale semble plutôt bonhomme et n’empêche pas certains plébéiens de crier d’une manière improvisée « Viva Negara Strana ». »
Trois caméras, aux sigles « 3C », « Ch’Aff’ » et « LPTV », ainsi que des micros, occupent le devant de la foule massée derrière le cordon de sécurité, mais à au moins cinq mètres de l’endroit de la rencontre officielle. Ces quelques journalistes et techniciens n’ont pas l’air d’être si dévorés de curiosité. Décidément, la Cahuire est un endroit plutôt tranquille.
Ainsi les officiels de Charbonie adressent leurs saluts à ceux du Negara Strana :
M. Yün : Bienvenue, bienvenue en Charbonie et à Cahuire ! Je suis Zacharie Yün, le Secrétaire Fédéral à l'Économie de Charbonie, et voici Eûryadève Assourdhane, le Secrétaire du Département de la Cahuire, 08 et Mlle Guillaumette Sombrelieu, la Secrétaire Fédérale de l’Union Nationale de la Nouvelle Économie (UNNÉ)… M. Ayüign Hiül est quant à lui traducteur bilingue stranéen français.
M. Assourdhane : Enchanté ! Avez-vous fait bon voyage ?…
M. Yün : Il y a bien quelques journalistes, mais vous n’êtes pas forcément obligés de vous approcher d’eux…
Mlle Sombrelieu : Et, au moment que vous voudrez, nous pourrons nous diriger ensemble vers cette sortie, où nous attendent des voitures avec chauffeurs, pour nous rendre à la Villa des Trois Jardins, où vous attendent l’apéritif et le repas. Cela nous permettra d’avoir un petit trajet automobile évoquant, comme la plupart de nos rues ici, le paysage…