21/02/2015
18:43:12
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Missions de Pădure

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Missions de Pădure

Ici seront contés la façon dont vos expéditions tentèrent de survivre à la forêt.

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Pădure : jour 1

L'avion tanguait. Je me pensais sur le pont d'un trois mats. Le mien n'avait que deux ailes. Deux petites ailes. Loin de l'imposante voilure du bâtiment école que j'ai pu côtoyer pendant des mois. Une voilure rassurante, presque apaisante que l'on magnait au gré des vents. Là, ça tangue, ça m'inquiète. Quelques secondes passent, un énième tonnerre, j'ai perdu le compte. A nouveau je noie les papiers de la mallette à mes pieds. Mon estomac refuse de digérer. Je ferais pareil à sa place. Mon esprit balbutie. Ma pensée devient inaudible. Ma petite voie hésite, mon estomac moins. Mon cerveau titube comme mon foie hier. Mais la je n'ai pas pu m'enivrer, pas encore. Vivement, j'ai hâte. J'ai l'impression d'être tiraillé de part et d'autres, alors que ce n'est que de la pluie. De l'eau. Voilà ce que c'est. J'ai beau avoir navigué pendant des mois en haute mer, dans les eaux septentrionales au delà de la Manche Blanche, je commence à croire qu'après tout l'eau et moi on ne s'aime pas.

J'essaye de boire, je recrache. Mon compagnon d'en face me regarde, il me juge, il me trouve faible. Actuellement je le suis. Puis il vomit aussi. Je le trouve à mon égal, il sourit, je sourit, personne ne parle. A ma droite, un médecin. Les boyaux il connait. Mais pas quand ce sont les siens qui veulent se faire la mâle de son petit corps un peu frêle. Lui aussi a du rire quand on lui expliquait que la brève traversée serait pire qu'une traversée de l'Espérance. J'en suis certain. Mais là, le vieux même si il ne devait pas dépasser la quarantaine, il explorait chaque recoin de ses boyaux à croire que c'était la forêt de Pădure. A y regarder de plus près, le paysage visible par le petit hublot n'est pas bien différent de celui qui se mouvait à mes pieds. Une marre d'arbres battus par la pluie d'un côté, une marre de saucisse légumes battus par le vomis de mon ami médecin de l'autre.

Ce voyage c'était déjà une belle exploration personnelle. Une ballade matinale en mon moi intérieure. Une déambulation animée qui vous permet de comprendre un peu mieux de quoi on est fait. De reste de légumes, a priori. Mon moi intérieur est d'habitude flâneur, un peu caché il ne se dévoile que rarement pour mon plus grand plaisir. Aujourd'hui il se voulait excentrique, extraverti, désireux, lui aussi, de voir du pays. Si je devais décrire Pădure en quelques mots je dirais que c'est avant tout une expérience personnelle donc. Je ne dirais pas que ce fut une bonne ou une mauvaise expérience. Moi, si je devais la résumer avec vous, je dirais que ce fut d'abord une rencontre avec ce que mon intestin fait de mieux. Une retrouvaille intime avec mon flâneur intérieur. Observateur, flâneur, penseur, vous le nommez comme bon vous sciez mais aujourd'hui il s'est fait chef, cuisto, gourmet. Pas assez fin à mon goût étant donné la difficulté que certaines expressions joviales ont eu à passer ce qui normalement est une entrée en moi, et non une sortie. Plus qu'une odeur, un touché, un son ou une image, Pădure ce fut donc, pour ce début, un amer goût de gerbe.

Le temps passe, et la pluie l'emporte sur le vomis. L'un se poursuit, l'autre réduit son débit. Je commence à croire que mon estomac atteint ses limites avant les nuages que l'on franchit. Pădure un, mon corps zéro, mais ce n'est que partie remise. Après un temps que je ne saurait compter, le pilote, qui n'a pas l'air d'avoir lui aussi apprécier son petit trajet nous communique un bref message.

"S moins une minute....Je"

Je ? je quoi ? On ne saura pas. Incrédules, ou aux abonnés absents, personne ne réagit. Un soufflement, un petit rire discret et quelques crachats plus ou moins garnis de légumes. Le plat va commencer. Je regarde rapidement le hublot, la cime des arbres s'est rapprochée. On s'active, chacun vérifie ses sangles, et son harnais. Je vérifie celui des autres, enfin, j'essaie. On vérifie ce qu'on a déjà vérifié des douzaines de fois. A quoi bon ? La sécurité ? je ne crois pas que nous soyons tous dans la forme suffisante de le faire. Bref. Consciencieusement, je regarde à nouveau tout le matériel. Je ferme la mallette après l'avoir vidée tant bien que mal. Je regarde mon vis-à-vis, il tente un sourire, plutôt réussi en dépit de sa mine de pierre tombale.

A ma gauche, un vet'. Un vétéran en gros. Vasil. Novigardien de nationalité, Tanskien d'adoption. Un norvégien aussi rouillé que sa dentition. Mais on le comprend. Enfin je crois le comprendre. Son packetage est plus réduit que le mien, bien plus. L'habitude parle. Et une certaine arrogance. Il n'a pas visité son intérieur du trajet. Je ne sais pas si il l'a jamais exploré où si celui-ci lui est désormais parfaitement connu. Mais ce con me regardait en souriant. Il avait l'air gentil, il l'est. Je le détestait à cet instant. Il avait toutefois vérifié tous nos équipements. Des dizaines et de dizaines de fois. En fait il n'avait fait que ça depuis trois jours ce vieux bouc.

L'ambiance tamisée, légèrement rougeâtre, passe au verdâtre infâme. Et le vacarme. Je regarde une toute dernière fois par l'hublot, la forêt est proche, toute proche, et l'avion a ralentit. La porte arrière s'ouvre, lentement, tout le monde est debout. Mes jambes tremblent, légèrement. Le compagnon vomis, son lui intérieur a des ressources insoupçonnées que je me serais bien gardé de découvrir. Pourtant, après cela, une fois sa visite interne achevée, il me regarda brièvement, confiant. Je fus surpris. Le médecin derrière l'était aussi. Ils l'étaient tous, et moi aussi. Devant nous, un vide lent défilait et nous défiait. L'avion avait ralenti autant que possible. Comme prévu. Je n'ai pas eu le temps de trop réfléchir, la lumière venait de se couper et déjà les deux colonnes se sont mises en marche.

Machinalement, j'ai répété la formation. Elle était bête et méchante. "Vous marchez vous tombez vous atterrissez. Tâchez de pas crever". Voilà les premiers mots de l'officier. Le problème, c'est que tomber je sais faire. Sur le navire école, un matin, on vous réveille au brans-le-bas de combat, des anciens vous soulèvent comme un vulgaire sac à patates et on vous jette à l'eau. A l'époque, on pouvait y rester, aujourd'hui des plongeurs vous récupèrent. Donc tomber je sais faire, flotter aussi. Le problème c'est que dans l'air on ne flotte pas. et que tomber risquerait de me tuer. J'ai donc marché, et la chute a commencé. Tout avait été bien pensé. La forêt étant trop dense pour planifier un atterrissage en bonne et due forme, la Société de Géographie a eu l'excellente idée de nous faire sauter. Les autres ont dit oui, je ne sais comment. Au milieu de l'appareil, des rails avaient été disposés, et nos mallettes y étaient posés. L'idée est conne. La mallette tombe juste avant nous, sans parachute, et doit en partie aider à frayer un chemin, moi et mon parachute on essaye de s'y faufiler. Evidemment, ça risquait de ne pas marcher, l'idée étant conne. On a donc des couteaux, en nombre, pour couper quelques maigres branches ou nous délester du parachute. Le plus drôle, on a tous été formé à l'accrobranche. C'est dire à quel point l'idée était vraiment extrêmement conne.

La seule chose qui n'avait pas été prévue, c'est la pluie. La mission ne pouvait être annulée, et donc on sauta. Si l'expression garnie et généreuse de mes intestins n'étaient pas de tout repos, le contact de la pluie en sautant de l'avion est des plus désagréables. Mais le parachute, ouvert dès le saut, teint bon. Ils tinrent tous bon. Alléger de nos mallettes et surtout du petit conteneur qui fut lâche en premier, la descente se passa finalement en douceur. Un ensemble de trous plus ou moins larges émaillaient la canopée qui régnait à l'horizon. Maigres espaces permettant à la lumière de s'infiltrer, certains venaient d'être créer. Par chance, je réussi à m'y faufiler. Une branche me stoppa à trois mètres du sol.

Le couteau et moi c'est une longue histoire d'amour. Pour le saucisson, le fromage ou des gorges, il peut toujours s'avérer utile. Aujourd'hui, il servit donc à me découper de mon parachute et à achever, en douceur toute relative, ma descente.

Autour de moi, la plupart des autres aussi avaient finis dans quelques branchages. Vasil m'attendait déjà, tout souriant. Quelques autres se dépêchaient déjà à ouvrir les mallettes et le conteneur pour nous installer nos premiers équipements. Tant que le reste n'arrivait pas, le conteneur servi de seul bâtiment en dur de la colonie. Et bâtiment est un bien grand mot. Quelques chevilles qui se sont faites la malles et la petite vingtaine d'éclaireurs téméraires ou fous que nous étions touchait enfin le plancher des vaches. Pour beaucoup, les premiers mots furent des expressions buccales inaudibles. Moi ce fut un simple merci. Merci à la vie ou à Vasil ? Je ne sais toujours pas. Je ne pense pas qu'à cet instant la je chantait ou je dansais la vie, je n'étais que surprise. Autour de nous, la forêt, à perte de vue, mais on ne voyait pas très loin. Notre légèreté nous a sans doute sauvé de quelques possibles noyades dans quelques marres de boues. Nous n'étions qu'à une poignée de lieus de la lisière de la forêt, un emplacement défini longtemps à l'avance pour cette petite base. On se croirait déjà au milieu. Bientôt, les autres allaient eux aussi sauter, mais on serait la pour les récupérer.

Il était 9 heures du matin, jour 1, Pădure était à nous.
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Jour 1 (encore)

Un plan qui se déroule sans accroc est un plan qui se passe mal. Curieux adage qui nous était communément donné à la société de Géographie. Je n'y ai jamais cru jusque là. IL faut croire qu'il était définitivement absurde.

Ulysse 31 manquait à l'appel. Il fallait agir, vite. Il pleuvait, encore, toujours. Une petite pluie, fine, inutile. Elle humidifie sans tremper, gêne sans empêcher. Elle est inutile. Mais par un temps pareil, perdre un homme pourrait signifier de le perdre à jamais. Mais puis-je pour autant me permettre d'en perdre plus ? Question existentielle que je n'ai pas le temps de traiter. La réponse doit être binaire. Oui. Ou non. Toute autre hésitation n'est que perte de temps, de moyens.

- Les trois gars de la SAUCISSE, venez avec moi.

Vasil, le novigardien que la pluie ne semblait pas déranger d'une quelconque manière me rejoignit ainsi que les deux autres privateers.

- [b] L'un de nous est manquant. A la fin de la journée, je n'en veut pas un de plus manquant à l'appel. Vous prendrez toutes les précautions nécessaires et plus encore. Balisez chacun de vos pas. Tous. Notre petit bosquet nous est agréable, au-delà je ne sais pas ce qui vous attends. Ratissez d'abord la zone d'atterrissage autour de nous. Décelez des indices comme vous savez le faire. Vasil, t'es un vet, des sauts, t'en as fait, dans la jungle aussi je pense. Tu prends la tête du groupe. Faites parler votre instinct, votre expérience.


Pendant que je parlais, les trois hommes préparaient un peu de paquetage. Vasil ne répondait que par des hochements de tête, comme à son habitude. Fort heureusement, la mission avait prévu assez d'équipement pour pallier à la pluie, notre principal ennemi. La journée ne faisait que débuter. Cela ne justifiait pas pour autant de ne pas prendre de lampe torche. Par sécurité, je leur ordonna aussi de prendre une tente et de quoi se nourrir, et, éventuellement, le nourrir, avec d'évidents premiers secours.

- N'oubliez pas une petite pelle. Sue ce soit pour votre tente si nécessaire, quand bien même je vous veux de retour en fin d'après-midi. Pas à la nuit tombée, en fin d'après-midi. Elle servira aussi si vous le trouvez mort. Si c'est le cas, récupérez ce qu'il a sur lui, de quoi confirmer l'identité, et enterrez le dignement. Si il est trop proche du campement, éloignez vous légèrement, toujours avec de la prudence.

Je leur tendit aussi deux talkie-walkie. Deux ingénieurs installaient, dans le conteneur, un poste radio limité. Sans que je n'ai à les prévenir, ils s'étaient équipé d'une partie de l'armement à notre disposition. Nous avions six privateers avec nous dans ce groupe d'éclaireurs. Trois resteraient et aideraient à l'établissement du camp. Du moins, de ses fondations. machette, un pistolet et un fusil des plus rudimentaires, simples à entretenir, difficile à enrailler ou casser. Un possible gibier ne serait pas forcément de refus, quand bien même nous avons suffisamment de nourriture pour tout le monde.

Je regardais autour de moi. Deux autres ingénieurs installaient les prémices du système d'eau potable. Un grand réservoir et un petit ensemble de purification. La encore, rudimentaire. Nos réserves d'eaux ne sont prévus que pour quelques jours, une semaine tout au plus. Ca prend de la place et du poids, trop, la pluie nous aidera. Je ne l'aime pas, mais elle nous sauvera avant que l'approvisionnement général ne soit mis en place. Je me retourna, l'expédition venait de prendre son départ. Le talkie-walkie ne me lâcherait pas de la journée
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Pădure – Jour 1 (encore) : premières visions


Quand Vasil revint les mains vides, j'étais assis dans ma tente ouverte, le nez enfouis dans quelques rapports, une pipe à la bouche. Il lisait un papier qu'il tenait à la main très loin de son visage. Sa faible vue trahissait son alphabétisme intermittent derrière des manières solennelles. C'était le rapport que l'un des gars avait écrit, comme il disait, qui devait m'être remis puis ensuite transmis à la hiérarchie de Stjarna. Mais elle n'était pas là, Ulysse non plus.

Vasil et les autres étaient parti plusieurs jours. Il avait une pauvre mine, pire que d'habitude. Epuisé par ces quelques journées, il semblait avoir perdu quelques années de ce qu'il restait de son avenir. Il ne resta pas bien longtemps là. Un petit signe de tête, un regard fuyant l'échec qu'il n'osait admettre, un bref garde à vous formel, et il s'en alla chercher quelques heures de repos bien mérité. J'en avais fini avec Vasil pour aujourd'hui. Le reste du camp, lui, entendrait encore parler de moi. La pluie des débuts avait ralenti notre basse besogne. Elle était toutefois plutôt complète. Nous étions prêt à accueillir les nouveaux venus.

Le camp était sommaire, presque militaire dans sa nature et rustique dans son confort. Une dizaine de tentes centrées autour du conteneur faisant office de mairie, église, infirmerie, quartier général et tout ce que voudrez bien imaginer. En bref, il disposait d'un sol ferme, d'une porte hermétique et d'un groupe électrogène que l'on pouvait alimenter encore quelques temps. Suffisamment pour que la seconde vague arrive, et avec elles les ressources et d'autres bras bien utiles. Pour parer à la situation, j'avais volontairement réduit le nombre d'arbres à abattre. Nous ne dégagerions pas un bel espace de si tôt. Il fallait faire peu, il fallait faire bien. Nous n'étions déjà pas beaucoup, amputé d'un membre présumé mort, et de trois autres désormais revenus.

Je sorti de ma tente après l'écriture d'un dernier rapport quotidien. Cinq ou six hommes se trouvaient déjà à l'auberge. L'auberge, c'est un beau nom pour signifier le petit feu installer au centre de la colonie. Sous couvert d'une toile imposante et résistante attachée à plusieurs arbres, ce petit coin dans un sec relatif offrait un espace apaisant pour les hommes. Maria, l'une des trois seules femmes de la première vague, petite Järvienne blonde et bien entretenue. Une camisole par dessus sa chemise verte semblait suffir à lui tenir chaud. J'avais déjà froid à la voir comme cela. Elle était assise, sur un large banc - comprenez un tronc -, un major dormait derrière elle. Elle fumait, elle aussi. De l'autre côté du feu, plusieurs hommes discutaient en se faisant réchauffer quelques conserves. En dehors de l'auberge, trois hommes montaient la garde. Sur une série d'arbre, on avait fait installé quelques plateformes de fortunes. Trois ou quatre mètres au-dessus du sol à peine. Quelques planches de bois bien encastrées, des sacs de terres disposés jusqu'à la taille, et le soldat restait là, assis, des heures durant. Assis, il ne pouvait que l'être, la sentinelle n'offrait guère plus de place.

Le camp était finalement assez réduit, pour le moment. Il ressemblait presque à ce que l'on faisait chez les scouts Halviens dans les expéditions au nord. Et pourtant, celui-ci devait être permanent.
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Cette nuit-là, dans la tente, mon matelas, une mallette vide, mes bottes à l'entrée, un épais tapis en guise de plancher ; dehors, contre la toile, une pluie s'abat en continue et, au travers de ma tente, la lumière jaune d'une sentinelle. Lentement, elle se déplace, passe derrière moi, s'arrête quelques instants puis s'éloigne. Je me réveille, je me sens seul. Je me retourne, elle n'est pas là, je me rendors dans un espoir vain. Un nouveau réveil, une nouvelle déception. Dans le camp, nous dormons de fatigue et d'ennui et, pour certains d'entre nous, de solitude. Souvent, un homme à besoin d'être seul, un soldat aussi à besoin d'être seul, et je peux dire en toute sincérité qu'en ces nuits passés ici là je suis un homme et un soldats, et que les deux se sentent seuls. La nuit n'a rien de semblable au jour. Elle amène son lot de calme, de repos, et sa peur. Ce qui est proche, visible au jour, n'est plus. Tout devient incertain tant qu'une quelconque lumière ne vient résoudre chaque énigme que le cerveau pose. Les nuits en Tanska, au chaud auprès de ma chère, sont réconfortantes. Elle efface toute peur que la nuit apporte, elle accompagne la solitude dont j'ai besoin. Les choses, la nuit, sont différentes, mais à ses côtés elles sont semblables. Quand elle est là, il n'y a aucune variation entre le jour et la nuit, sinon que les nuits en deviennent meilleurs que les jours. Cette nuit, elle n'était pas là. Toutes ces nuits passés ici, elle n'est pas là. La nuit en devient effroyable. En Pădure, elles le sont toutes devenues. La pluie s'abat davantage, elle empêche de dormir. Au début, elle bâtait un sol devenu poussiéreux, désormais elle ne frappe que mares et flaques en tout endroit de cette terre.

Les journées se ressemblent toutes, elles occupent. Et chacun de nous se hante de la nuit qui arrive. Rares sont ceux qui ne sont pas anxieux à l'idée de prendre leur garde. Aucune sentinelle n'a disparu, aucun n'a été blessé, aucun n'a été surpris. Tous, pourtant, passent d'effroyables nuits. Quand la pluie s'abat, que l'enfer humide tente de vous noyer, que l'on ne voit plus à trois mètres alors le camp n'est plus. La sentinelle devient seule avec sa lumière en guise de seule élément de survie et d'espoir. Elle ne surveille plus le camp, elle guette son âme qui, lentement, se fait happer par la forêt et que la pluie souille davantage. J'ai connu le feu et le froid, la mort et les pleurs, je les préfère à ces nuits et ces pluies. Ce sentiment est indescriptible. Nous n'en parlons pas, et pourtant chacun de nous le sait, les visages se marquent davantage. La pluie, chaque jour un peu plus, nous rouille jusqu'à l'os.

Les quelques heures de secs, aussi brèves soient-elles, sont pour nous des moments salvateurs. Aucun ordre n'est donné lorsqu'il ne pleut pas, se serait trop leur en demander. Certains souhaitent quand même effectuer quelques patrouilles. Après tout, un soldat reste un soldat. Pour le reste, les heures de secs sont usées pour ressourcer le corps tant bien que mal. Il arrive régulièrement que ces heures de secs soient marqués par de fortes températures. Pădure, jouant avec nous, sèche les corps et les habits, dépose sur la terre une fine poussière qu'elle n'attends que de battre et des maigres espoirs qu'elle ne rêve que de noyer. Et pourtant, à chaque éclaircit, à chaque moment d'accalmie que le jour laisse entrevoir, nous ressortons, tous, et nous jouons avec ce que Pădure veut bien nous donner. Nous sommes devenus inertes, à attendre le jour et à craindre la nuit.

Pourtant, tant bien que mal, le camp a été vaguement aménagé pour cet enfer. Les chemins couverts de toile, les postes de gardes protégés par quelques tôles et feuillages. Partout, on essaye d'évacuer la pluie mais ce cauchemar revient chaque nuit et envahit régulièrement le jour. Par moment, je m'essaye aussi à la marche en dehors du camp. Elle ne sert à rien. Les menaces ne sont pas ailleurs, elles sont en nous. Plus que Pădure et la pluie, c'est en chacun de nous que l'enfer s'alimente et trouve dans cette pluie un combustible en parfaite abondance. Jouant avec nous, elle s'estompe quelques fois pendant plusieurs heures sinon une journée entière. Seuls quelques grains tombent encore de temps à autre comme autant de rappels de ce qui nous attends.

Je ne m'essaye plus à la sentinelle nocturne. Je préfère chasser mes démons dans la tente que les affronter dehors, mon rang me le permet. J'y ai mis fin suite à ma dernière tentative. Il faisait très noir et le vent était très froid. Je ne pouvais guère distinguer la moindre tente que je venais tout juste de passer. Elle était pourtant à quelques pas. La lumière semblait aspirée. Je marchais sur les planches, rencontrais parfois les flaques persistantes. Je marchait encore, tombant sur les même flaques, encore et encore. Cela dura une éternité, cela dura toute la nuit. Il ne se passa rien. Absolument rien. Un calme parfait, absolu, je n'entendais que mes seules pensées, j'aurais préféré ne jamais les entendre. Pădure, cette nuit-là, fut d'une tranquillité totale et me livra ma solitude en guise d'unique compagnie. A chaque pas, je m'imaginais la pluie tomber, s'abattre sur mes épaules et me tenir compagnie pour le reste de la nuit. La nature avait pris le dessus sur mon esprit qui ne pensait qu'à ça. L'eau m'étais devenue étrangère, pire, ennemie. Bienvenu en enfer. A la connaissance du camp, elle reste encore la seule nuit que l'on ai connu sans pluie. J'en ai depuis conclu que si la pluie nous amenait en enfer par tout ce qu'elle causait, par l'usure des habits et du corps, par l'humidité permanente, par les moisissures, la nuit parfaite, elle, représentant réellement l'enfer.

Dans la campagne norjienne j'ai aussi connu de nombreuses nuits similaires. Noires, calmes, d'une platitude absolue. Alors, si vous êtes à bonne distance de toute ville, ces nuits-là vous laissent entrevoir la galaxie et des milliers d'étoiles vous tiennent compagnie. En Pădure, rien de tout cela. La forêt, trop dense, empêche toute étoile de venir vous guider comme on guide un berger.
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Un an avait passé, ou peut être plus, il est difficile de le savoir. Stjarna ne ressemblait pas à grand chose. Mais elle ne ressemblait déjà plus à rien, et ça c'était déjà quelque chose. Une demeure de bois, que l'année avait humidifié comme si une décennie était passée, s'étendait sur quelques dizaine de pieds et accueillait le gros de la colonie. On y trouvait de quoi vivre, perdu entre les quelques pièces que l'n avait su construire à la hâte entre les planches. Quelques soucis du détail donnait un début de charme au bâtis tandis que l'odeur constante de bouteilles de whisky et de rhum qui n'étaient jamais remplies et jamais vides non plus ne gâchait pas. La salle principale accueillait tout ce qui faisait Stjarna : des tables faites de la tôle des premiers conteneurs habilement recyclés, quelques sièges robustes sans être confortable issues des troncs d'arbres que l'on avait réussi à assécher, un bar lui aussi issu de la même tôle qui s'étendait sur toute la longueur de la pièce auprès duquel n'était disposé aucun tabouret, aucune chaise haute. En dépit de l'année écoulée, personne n'avait réussi à en fabriquer un convenable capable d'endurer une nuit agitée à laquelle participe une vingtaine d'hommes, parfois de femmes, pour la plupart alcoolisés, fatigués ou las d'exister. Quand on avait rien à faire - on a souvent rien à faire, on reste là, affalé sur ces tabourets ou sur l'unique chaise longue en terrasse, jouant de l'unique guitare, un cigare toujours humide en bouche et un verre à la main à discuter ou à ce taire, cela n'a que peu d'importance, on n'est jamais sur si l'on nous écoute ou juste si l'importance de l'ennui permet à la faiblesse de la curiosité de passer inaperçu a chaque discussion. Enfin, une mezzanine fait office de centre de soin et dispose d'un matériel médical tout de même avancé en ce trou perdu du monde qui dépasse surement les infrastructures de quelques hôpitaux de capitales de pays pauvres. Trois lits et une dizaine de personnel soignant s'affairent ici bien que les activités soient finalement assez réduites.

En dehors de la demeure, qui abrite les deux uniques salles d'eaux du camp, les toilettes sèches, le seul poste radio qui reste malgré tout l'équipement le mieux entretenu de ce camp et, sans doute du continent, auquel nous vouons tous un culte discret néanmoins connu de tous auquel seul la piste d'aviation peut se frayer un chemin au sein de notre Panthéon, ainsi qu'une bibliothèque dont les livres sont progressivement consumés par l'humidité ambiante si bien que peu lisent encore, nous n'avons que trois autres bâtiment. Le conteneur originel, en partie consommé pour les bienfaits de notre consommation d'alcool, est un bateau de Thésée rafistolé avec tout ce que l'on a pu trouver. Il accueille toujours le groupe électrogène lui aussi bien entretenu ainsi que les rares cartes que nous avons pu dresser. Une cabane qui ne tiens encore debout que par la force des choses fait office d'entrée vers le grenier creusé à quelques pieds sous le sol et solidement renforcé de poutres, de soutiens et de toute forme d'ossature que nous estimons nécessaire. Et enfin une dernière cabane, perchée à quelques mètres de haut sur un imposant arbre, le seul restant dans l'enceinte même du camp. La cabane servait de première tour de garde. Il n'y a aucune menace mais la paranoïa nécessaire à la survie dans cette jungle l'eu rendu nécessaire. Autour de ces quelques amas de bois aménagés, un amas de tentes et de bricoles, de travaux entamés, abandonnés, repris, mis en pause dont on a parfois oublié le but initial. La majorité d'entre nous dorment encore dans des tentes après une année. Celles-ci sont solides, régulièrement renforcées de planches de bois, aménagées par un petit feu intérieur et la construction à la hâte de quelques cheminées batardes envers qui personne n'a vraiment confiance. Parler de tente est presque un anachronisme tant elles n'en sont plus réellement. Mi-tente mi-cabane, la majorité de la population du camp loge la dedans. Après cela, et sur quelques grandes étendues, des plantations de fruits et d'autres légumes ont donnés il y a quelques semaines leurs premiers résultats et fournissent une partie de notre alimentation nous permettant enfin de sortir des plats lyophilisés et des conserves. Ce fut sans doute la une des plus grande réussite du camp.

A quelques minutes à pieds du camp, une piste d'aviation faisait office d'unique connexion avec le reste du monde. Elle était courte, cabossée, faite de terre et de trou comblés à la hâte avant chaque ravitaillement. Ces derniers ne sont pas fréquents. Un par trimestre au mieux, deux en cas de nécessité. En réalité il est rare que tout avion se pose. Ils se contentent en général de délivrer leurs cargaisons de palettes à très basse altitude si bien que cela nous invite à ne plus entretenir la piste. Le personnel étant monté a plus de deux cents individus et ne pouvant accueillir personne, les avions n'ont plus de raison de se poser. Et avec cela s'achève la fin réelle des contacts physiques avec le monde extérieur. Les premières rotations doivent avoir lieu dans quelques semaines ou mois, je ne sais plus. Quand un avion se posera enfin, cela voudra dire que mes 18 mois ici seront passés et qu'il sera temps pour moi de quitter cette jungle verte qui n'a plus grand chose à offrir à ce monde.

Cela fait bien longtemps que je n'ai plus quitté les limites du camp. L'ennui m'a atteint et tout n'est plus qu'une lente attente du retrait. En dépit de notre nombre sur le camp, personne ne m'intéresse réellement. Ma principale occupation reste le ciel. Il est, comme toujours ici quand il n'est pas obstrué par les nuages et leur pluie perpétuelle, lumineux, vaporeux, étoilé quand il le veut, gris en général. Il reste régulièrement inchangé sur de longues durées, parfois sur plusieurs jours, tantôt d'un bleu infini, tantôt d'un gris à en mourir. Tout, ici, quand on ne trouve pas un champ à cultiver, une femme à aimer ou une cabane à construire, pousse à l'ennui de l'esprit et rend des déserts entiers plus intéressant que les tréfonds de mon imagination.
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