Posté le : 10 sep. 2023 à 21:09:56
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Pădure : jour 1
L'avion tanguait. Je me pensais sur le pont d'un trois mats. Le mien n'avait que deux ailes. Deux petites ailes. Loin de l'imposante voilure du bâtiment école que j'ai pu côtoyer pendant des mois. Une voilure rassurante, presque apaisante que l'on magnait au gré des vents. Là, ça tangue, ça m'inquiète. Quelques secondes passent, un énième tonnerre, j'ai perdu le compte. A nouveau je noie les papiers de la mallette à mes pieds. Mon estomac refuse de digérer. Je ferais pareil à sa place. Mon esprit balbutie. Ma pensée devient inaudible. Ma petite voie hésite, mon estomac moins. Mon cerveau titube comme mon foie hier. Mais la je n'ai pas pu m'enivrer, pas encore. Vivement, j'ai hâte. J'ai l'impression d'être tiraillé de part et d'autres, alors que ce n'est que de la pluie. De l'eau. Voilà ce que c'est. J'ai beau avoir navigué pendant des mois en haute mer, dans les eaux septentrionales au delà de la Manche Blanche, je commence à croire qu'après tout l'eau et moi on ne s'aime pas.
J'essaye de boire, je recrache. Mon compagnon d'en face me regarde, il me juge, il me trouve faible. Actuellement je le suis. Puis il vomit aussi. Je le trouve à mon égal, il sourit, je sourit, personne ne parle. A ma droite, un médecin. Les boyaux il connait. Mais pas quand ce sont les siens qui veulent se faire la mâle de son petit corps un peu frêle. Lui aussi a du rire quand on lui expliquait que la brève traversée serait pire qu'une traversée de l'Espérance. J'en suis certain. Mais là, le vieux même si il ne devait pas dépasser la quarantaine, il explorait chaque recoin de ses boyaux à croire que c'était la forêt de Pădure. A y regarder de plus près, le paysage visible par le petit hublot n'est pas bien différent de celui qui se mouvait à mes pieds. Une marre d'arbres battus par la pluie d'un côté, une marre de saucisse légumes battus par le vomis de mon ami médecin de l'autre.
Ce voyage c'était déjà une belle exploration personnelle. Une ballade matinale en mon moi intérieure. Une déambulation animée qui vous permet de comprendre un peu mieux de quoi on est fait. De reste de légumes, a priori. Mon moi intérieur est d'habitude flâneur, un peu caché il ne se dévoile que rarement pour mon plus grand plaisir. Aujourd'hui il se voulait excentrique, extraverti, désireux, lui aussi, de voir du pays. Si je devais décrire Pădure en quelques mots je dirais que c'est avant tout une expérience personnelle donc. Je ne dirais pas que ce fut une bonne ou une mauvaise expérience. Moi, si je devais la résumer avec vous, je dirais que ce fut d'abord une rencontre avec ce que mon intestin fait de mieux. Une retrouvaille intime avec mon flâneur intérieur. Observateur, flâneur, penseur, vous le nommez comme bon vous sciez mais aujourd'hui il s'est fait chef, cuisto, gourmet. Pas assez fin à mon goût étant donné la difficulté que certaines expressions joviales ont eu à passer ce qui normalement est une entrée en moi, et non une sortie. Plus qu'une odeur, un touché, un son ou une image, Pădure ce fut donc, pour ce début, un amer goût de gerbe.
Le temps passe, et la pluie l'emporte sur le vomis. L'un se poursuit, l'autre réduit son débit. Je commence à croire que mon estomac atteint ses limites avant les nuages que l'on franchit. Pădure un, mon corps zéro, mais ce n'est que partie remise. Après un temps que je ne saurait compter, le pilote, qui n'a pas l'air d'avoir lui aussi apprécier son petit trajet nous communique un bref message.
"S moins une minute....Je"
Je ? je quoi ? On ne saura pas. Incrédules, ou aux abonnés absents, personne ne réagit. Un soufflement, un petit rire discret et quelques crachats plus ou moins garnis de légumes. Le plat va commencer. Je regarde rapidement le hublot, la cime des arbres s'est rapprochée. On s'active, chacun vérifie ses sangles, et son harnais. Je vérifie celui des autres, enfin, j'essaie. On vérifie ce qu'on a déjà vérifié des douzaines de fois. A quoi bon ? La sécurité ? je ne crois pas que nous soyons tous dans la forme suffisante de le faire. Bref. Consciencieusement, je regarde à nouveau tout le matériel. Je ferme la mallette après l'avoir vidée tant bien que mal. Je regarde mon vis-à-vis, il tente un sourire, plutôt réussi en dépit de sa mine de pierre tombale.
A ma gauche, un vet'. Un vétéran en gros. Vasil. Novigardien de nationalité, Tanskien d'adoption. Un norvégien aussi rouillé que sa dentition. Mais on le comprend. Enfin je crois le comprendre. Son packetage est plus réduit que le mien, bien plus. L'habitude parle. Et une certaine arrogance. Il n'a pas visité son intérieur du trajet. Je ne sais pas si il l'a jamais exploré où si celui-ci lui est désormais parfaitement connu. Mais ce con me regardait en souriant. Il avait l'air gentil, il l'est. Je le détestait à cet instant. Il avait toutefois vérifié tous nos équipements. Des dizaines et de dizaines de fois. En fait il n'avait fait que ça depuis trois jours ce vieux bouc.
L'ambiance tamisée, légèrement rougeâtre, passe au verdâtre infâme. Et le vacarme. Je regarde une toute dernière fois par l'hublot, la forêt est proche, toute proche, et l'avion a ralentit. La porte arrière s'ouvre, lentement, tout le monde est debout. Mes jambes tremblent, légèrement. Le compagnon vomis, son lui intérieur a des ressources insoupçonnées que je me serais bien gardé de découvrir. Pourtant, après cela, une fois sa visite interne achevée, il me regarda brièvement, confiant. Je fus surpris. Le médecin derrière l'était aussi. Ils l'étaient tous, et moi aussi. Devant nous, un vide lent défilait et nous défiait. L'avion avait ralenti autant que possible. Comme prévu. Je n'ai pas eu le temps de trop réfléchir, la lumière venait de se couper et déjà les deux colonnes se sont mises en marche.
Machinalement, j'ai répété la formation. Elle était bête et méchante. "Vous marchez vous tombez vous atterrissez. Tâchez de pas crever". Voilà les premiers mots de l'officier. Le problème, c'est que tomber je sais faire. Sur le navire école, un matin, on vous réveille au brans-le-bas de combat, des anciens vous soulèvent comme un vulgaire sac à patates et on vous jette à l'eau. A l'époque, on pouvait y rester, aujourd'hui des plongeurs vous récupèrent. Donc tomber je sais faire, flotter aussi. Le problème c'est que dans l'air on ne flotte pas. et que tomber risquerait de me tuer. J'ai donc marché, et la chute a commencé. Tout avait été bien pensé. La forêt étant trop dense pour planifier un atterrissage en bonne et due forme, la Société de Géographie a eu l'excellente idée de nous faire sauter. Les autres ont dit oui, je ne sais comment. Au milieu de l'appareil, des rails avaient été disposés, et nos mallettes y étaient posés. L'idée est conne. La mallette tombe juste avant nous, sans parachute, et doit en partie aider à frayer un chemin, moi et mon parachute on essaye de s'y faufiler. Evidemment, ça risquait de ne pas marcher, l'idée étant conne. On a donc des couteaux, en nombre, pour couper quelques maigres branches ou nous délester du parachute. Le plus drôle, on a tous été formé à l'accrobranche. C'est dire à quel point l'idée était vraiment extrêmement conne.
La seule chose qui n'avait pas été prévue, c'est la pluie. La mission ne pouvait être annulée, et donc on sauta. Si l'expression garnie et généreuse de mes intestins n'étaient pas de tout repos, le contact de la pluie en sautant de l'avion est des plus désagréables. Mais le parachute, ouvert dès le saut, teint bon. Ils tinrent tous bon. Alléger de nos mallettes et surtout du petit conteneur qui fut lâche en premier, la descente se passa finalement en douceur. Un ensemble de trous plus ou moins larges émaillaient la canopée qui régnait à l'horizon. Maigres espaces permettant à la lumière de s'infiltrer, certains venaient d'être créer. Par chance, je réussi à m'y faufiler. Une branche me stoppa à trois mètres du sol.
Le couteau et moi c'est une longue histoire d'amour. Pour le saucisson, le fromage ou des gorges, il peut toujours s'avérer utile. Aujourd'hui, il servit donc à me découper de mon parachute et à achever, en douceur toute relative, ma descente.
Autour de moi, la plupart des autres aussi avaient finis dans quelques branchages. Vasil m'attendait déjà, tout souriant. Quelques autres se dépêchaient déjà à ouvrir les mallettes et le conteneur pour nous installer nos premiers équipements. Tant que le reste n'arrivait pas, le conteneur servi de seul bâtiment en dur de la colonie. Et bâtiment est un bien grand mot. Quelques chevilles qui se sont faites la malles et la petite vingtaine d'éclaireurs téméraires ou fous que nous étions touchait enfin le plancher des vaches. Pour beaucoup, les premiers mots furent des expressions buccales inaudibles. Moi ce fut un simple merci. Merci à la vie ou à Vasil ? Je ne sais toujours pas. Je ne pense pas qu'à cet instant la je chantait ou je dansais la vie, je n'étais que surprise. Autour de nous, la forêt, à perte de vue, mais on ne voyait pas très loin. Notre légèreté nous a sans doute sauvé de quelques possibles noyades dans quelques marres de boues. Nous n'étions qu'à une poignée de lieus de la lisière de la forêt, un emplacement défini longtemps à l'avance pour cette petite base. On se croirait déjà au milieu. Bientôt, les autres allaient eux aussi sauter, mais on serait la pour les récupérer.
Il était 9 heures du matin, jour 1, Pădure était à nous.