Pădure – Jour 1 (encore) : premières visions“-Il n’y a aucune réponse de MacCaisgein, capitaine. En fait, il n’y a aucune réponse tout court.”
Un bref silence se fit. On n’imagine pas à quel point un silence gênant peut s’établir en dépit du hurlement du vent dans les cimes et du craquement des troncs ployant sous la force du vent. La disparition du chef d’une expédition avant le début de ladite entreprise, ça avait tendance à faire faire des pirouettes et des nœuds façon voltige acrobatique au tripes de la plupart des civils. Néanmoins, votre serviteur étant alors astreint à ses responsabilités, il finit par prendre la parole :
“Messieurs… et madame, me rattrapai-je, je conçois bien que la situation n’est pas tout à fait conforme à ce que nous imaginions. Toutefois, j’espère que vous comprenez qu’en l’absence du Pr. MacCaisgein, la charge de diriger cette expédition me revient. Et ma première mission est d’assurer votre sécurité. Je vous demande donc, disais-je, et l’honorable lecteur saura à quel point ce verbe écorche le palais d’un officier des forces armées de Sa Majesté, au moins autant qu’il crève son cœur sensible et son goût pour les formulations brêves, qui font la force et la discipline de nos armées, comme chacun sait, je vous demande donc d’attendre ici en compagnie de mes hommes le temps qu’il faudra pour retrouver le professeur. Je comprendrais si certains d’entre vous veulent prêter main forte à mes hommes et moi dans nos recherches, mais je me dois d’insister pour que vous n’en fassiez rien. En fait, vous risqueriez plus de nous encombrez qu’autre chose, et il vaudrait mieux que vous vous en absteniez complétement. C’est compris ?"
En réalité, je tablais bien plus sur l’hébétement et l’état de choc de la quinzaine de scientifiques que sur leur réel accord. Il fallait agir vite, vite et bien si on voulait mettre fin au merdier dans lequel on était déjà jusqu’au cou. Et pour ça, il fallait retrouver le doctissime Professeur, qui avait eu la merveilleuse idée de se perdre dans une forêt géante avant même d’avoir inauguré “son” expédition.
“-McGregor, vous avez un endroit où on peut s’abriter ?
-Mais bien sûr mon capitaine, un vrai palace, vous allez voir.”
Les prunelles du géant roux pétillaient d’ironie. Il pouvait se le permettre, le gaillard, la discipline du Long Range Forest Group étant… différente de celle des forces conventionnelles. D’ailleurs, croyez-moi, la trentaine de gars sur le coup de Padure était bien à l’image du groupe lui-même : un conglomérat d’explorateurs, d’aventuriers et de de touche-à-tout, une joyeuse bande d’universitaires défroqués et d’amoureux des forêts meurtriers, le tout doté du meilleur équipement disponible et entrainé pendant des mois à un rythme qui laisserait n’importe quel athlète sur le carreau. Lâchez le tout dans une jungle ou une forêt boréale, et vous obtiendrez un résultat…intéressant.
“-Epargnez moi le sarcasme, McGregor, les civils ne sont pas en état.” Nous fîmes quelques pas ensemble. Quand je repris, c’était à voix basse :
“Si on ne retrouve pas MacCaisgein tout de suite, on ne le retrouvera pas du tout. Et on court au-devant des emmerdes, parce que les civils sont déjà au bout du rouleau, et que je n’ai pas besoin de vous expliquer que s’ils commencent à craquer, ça finira par affecter les gars aussi.
-C’est compris, répliqua-il d’un ton posé que trahissait une pointe d’anxiété.
-Ce qu’on va faire, c’est que je vais lancer une SAR pour le prof’ avec les trois quart des nôtres. On va se séparer en deux groupes et on va ratisser. Vous, vous restez ici avec le reste, vous établissez un camp provisoire, vous essayez de remonter le moral à tout ce beau monde.”
Il grimaça.
“-Ne faites pas cette tête McGregor, je connais tout votre répertoire de clown depuis les patrouilles en Aleucie. Je retrouve notre type, on va jusqu’au site prévu et tout est bien qui finit bien.
-Une question, capitaine : comment on fait pour les com’ ?"
J’hésitai entre le sourire énigmatique et l’honnêteté. A courte portée, les appeaux surpuissants en dotation dans le LRFG suffisaient à une signalisation diurne discrète. Dans de bonnes conditions, ils pouvaient marcher jusqu’à plusieurs kilomètres. Au-delà, le seul moyen de se retrouver était de faire un maximum de lumière la nuit afin d’être repérable. Aucune de ces deux méthodes assez spécieuses ne remplaçait vraiment la radio. Il faudrait surtout compter sur l’expertise acquise par les “gars” du LRFG dans à peu près tous les types de forêts du globe. Au final, je choisis l’option la plus facile : la fuite.