Ici seront contés la façon dont vos expéditions tentèrent de survivre à la forêt.
Missions de Pădure
Posté le : 01 sep. 2023 à 22:06:12
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Ici seront contés la façon dont vos expéditions tentèrent de survivre à la forêt.
Posté le : 13 sep. 2023 à 20:15:07
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À ma gauche, côté couloir, somnolait un Capitaine du bataillon du Lion, qui avait incarné ma seconde source de distraction de cet infernal oiseau de fer. Je ne le connaissais que de nom avant le départ pour Pădure : Fossert, Maurice Fossert. Il devait avoir autour de vingt-cinq ans, malgré l'imposante barbe par laquelle il tentait de cacher sa fougueuse jeunesse. Sa barbe constituait sa principale fierté, malgré ses nombreux exploits militaires, et cette affection était visible dans le soin qu'il y portait. Même dans les situations les plus critiques, sa barbe demeurait impeccable par je ne sais quelle grâce divine. Cette vertu providentielle était peut-être aussi due à la trousse de toilette que le Capitaine Fossert n'omettait jamais d'emporter avec lui en opération. Ses yeux, d'un bleu ingénu, trahissaient cette masse de poils noirs affectant une grande expérience. S'y reflétait une intrépidité propre aux jeune officiers, heureux de commander et de mener leurs hommes sur les routes de la gloire. Ces grands enfants n'ont pas encore sur la conscience la disparition d'un subordonné envoyé au casse-pipe par une mauvaise décision, ni encore le regret d'un célibat forcé par ce métier atypique. Surtout, la froideur et le calme propres aux Généraux et que je commençais à ressentir à ce moment-là n'habite pas encore l'esprit des hommes comme Fossert. Sa conversation était toutefois agréable, et j'avais la sensation, à la fin de ce voyage aller, d'avoir trouvé en lui un ami. Le bataillon du Lion est une grande famille, dans laquelle chaque homme peut mourir pour son frère. Mais, paradoxalement, l'attachement faisait rougir ces soldats d'élite, provoquant en eux un vague sentiment de honte. Nous avons dédié notre vie à la Patrie : il n'y a qu'envers cette Mère que nous devons éprouver un quelconque sentiment d'amour. Surtout, personne n'est à l'abri de voir son camarade tomber à terre lors d'une opération, sans pouvoir tenter de le relever. Alors, mieux vaut se préserver, trouver de la force dans la compagnie d'un frère, mais aussi de la fierté dans son sacrifice, s'il advient. Aussi, tempérai-je cette soudaine et passagère affection envers Maurice Fossert, tout en conservant à son égard une grande estime et un certain espoir.
L'avion dans lequel j'étais embarqué était rempli des trois-cents personnes que le gouvernement avait sélectionnées pour cette grande expédition. D'autres véhicules aériens nous suivaient, pourvus du matériel nécessaire à notre installation dans la forêt. Trois centaines de personnes dans un avion, toutes venues d'horizons les plus divers, réunies à vingt-cinq mille pieds du sol nazuméen pour accomplir ce qu'on pensait être une des plus grandes découvertes de notre ère. Cela faisait un beau paquet de monde, et je m'amusais des contrastes éclectiques entre les différents personnages assis les uns à côté des autres. Un éminent professeur de biologie coude à coude avec un maçon bourru, discutant de tout et de rien, un soldat d'élite faisant la conversation avec une docteure en chimie...
Au moment où les brumes de Pădure apparurent aux hublot de cette arche de Noé volante, tout ce monde ne put réprimer son exaltation. Gagné par une effervescence collective, chacun se leva de son siège pour mieux percer les mystères que cachait cette brume impénétrable.
Le pilote de l'avion, que nous avions peu entendu depuis le début du vol, lui aussi très soucieux de la bonne conduite de son rôle, nous annonça alors l'imminence de l'atterrissage.
"Mesdames et messieurs, notre avion est sur le point de se poser aux abords de la forêt de Pădure, au camp désigné de Larges-Ailes. Merci de bien vouloir vous rasseoir sur vos sièges et d'attacher votre ceinture de sécurité."
À contrecœur, j'acceptai de me repositionner sur la pierre dure, chaude et suintante qui me servait de trône depuis de très longues heures, et attendis patiemment le choc des roues sur ce sol inconnu.
Enfin, nous allions respirer l'air de Pădure, entrer dans l'atmosphère de cette forêt que jamais les Clovaniens n'avaient exploré jusqu'alors. Cette extase à l'idée de l'inconnu nous transportait tous aux plus grandes heures de l'histoire, aux temps des plus grandes découvertes. En effet, nous avions la preuve immédiate qu'il y avait encore quelque chose à découvrir sur cette terre, quelque chose dont se revendiquer le premier explorateur, le pionnier. Mère Nature nous réservait encore des surprises, des trésors, des pièges. Un véritable regain de sens naissait alors dans le cœur des trois-cents expéditionnaires, et par extension dans l'esprit de tout le peuple clovanien. Nous éprouvions devant cette épaisse brume le même sentiment que nos lointains ancêtres éprouvaient devant l'immensité de l'océan : une paradoxale sensation de plénitude devant le vide. Le monde n'était pas clos, renfermé sur lui-même et déjà préfabriqué pour l'homme ; il contenait encore une zone d'ombre, une masse de matière que l'homme pouvait encore façonner et découvrir pour le léguer à son tour. Que le Seigneur me semblait grand à cet instant, et combien plus grande m'apparaissait sa puissance Créatrice ! Une sensation d'humidité me parcourut le visage, lorsque mon regard fixé sur les cimes de la forêt s'alourdit et se perdit dans l'infiniment grand. Cette humidité était radicalement différente de la sueur des passagers qui m'avait étouffé depuis l'embarquement, elle était nouvelle et provenait d'une zone intérieure profondément secrète et enfouie, peut-être même antérieure à ma naissance. Il s'agissait d'une larme dont le parcours se dessinait le long de ma joue, avant de se perdre dans la manche de mon vêtement, mue par un réflexe honteux de ma part. Le cadeau de Dieu était si grand, si infini, que je me trouvais bouleversé. Qu'avait fait l'humanité pour se voir accorder un pareil présent ? La mansuétude du Créateur m'apparaissait si généreuse alors qu'un besoin irrépressible de m'aplatir devant Lui me démangeait les sens.
Je me repris bientôt et me préparai à débarquer. Le travail s'annonçait encore long, mais nous avions tous été préparés pour cela. L'installation à Larges-Ailes avait été planifiée dans les moindres détails, si bien que tous les dispositifs du camp étaient étaient déjà préparés, alors même que ce dernier n'existait pas encore. Je savais pertinemment que pas même le dixième des préparatifs et des directives émanant des hautes sphères de l'état-major clovanien ne se réaliserait selon leurs vues, mais ma carrière m'avait habitué à cette faculté d'adaptabilité. Parfois, j'ai tendance à penser que mon métier consiste à gommer toutes les erreurs potentielles des plans qui m'étaient confiés.
BOUM
Le choc des roues de l'avion contre la terre de Pădure me sortit de mes hautes considérations métaphysiques pour me ramener sur le sol de la réalité. Fossert me regarda d'un regard attentif : il attendait de moi que je prenne enfin les commandes de l'expédition, que je lui confie quelque tâche à accomplir. Ne savait-il donc pas que je n'avais moi-même pas la moindre idée de ce qui m'attendait entre ces arbres ? Certes, je disposais d'un protocole d'installation du camp décidé à l'avance et mûrement réfléchi par tout l'état-major clovanien, mais il ne s'agissait que de mots sur des feuilles de papier, bien éloignés de la réalité du terrain, comme bien souvent. Cet écart entre les suppositions fixement éthérées des hauts gradés, solidement attachées dans le ciel des Idées, et la matérialité piégeuse et mouvante du terrain laissait une grande part à l'initiative, mais elle me conduisait souvent à des interrogations profondes. L'esprit humain ne peut concevoir qu'une immuable fixité, spatialisée et fractionnable à merci. Il ne voit qu'en une dimension. Ce qui lui manque, c'est la conscience de la durée, qui, elle-seule, permettait alors une appréhension éclairée des opérations à mener dans la forêt de Pădure.
Finalement, je pris mon courage à deux mains pour me plonger enfin dans la profondeur de cette opération. Ordonnant à tous les passagers de descendre de l'avion et de se ranger par groupes, j'inspectais moi-même mon matériel. Descendant le premier de l'appareil, je ne pus réprimer un certain plaisir de me voir octroyer ce privilège historique. Moi, Chevalier du Prévaut, étais le premier Clovanien de l'histoire à poser le pied sur la terre de Pădure. Certes, nous n'étions encore situés qu'à la lisière de cette mythique masse boisée, mais ma satisfaction était doublée par la profondeur de la forêt. Celle-ci m'appelait comme une mère appelle son fils : c'était l'appel de Mère Nature, parente de toute chose, qui attirait le dernier de ses enfants en son sein.
L'humidité fut la première sensation qui m'échut lorsque mes sens rencontrèrent la lourde atmosphère de la forêt. Les brumes, telles que nous les avions vues depuis les hublots, se faisaient plus imposantes vues du bas, et provoquaient en moi un vague sentiment d'appréhension. Toutefois, nous tenant plus proches de la terre, les volutes ne nous aveuglaient pas, ce qui constituait déjà une bonne nouvelle. Notre principale inquiétude résidait dans l'adaptation à cette humidité incessante, qui allait rendre les préparatifs un peu plus compliqués que prévus.
L'espace sur lequel nous nous situions était entouré de hauts pins verts qui pouvaient à certains égards rappeler ceux d'Eurysie, mais qui comportaient dans leur physionomie une élégance mystérieuse propre à Pădure. De larges masses de brume tentaient d'étouffer leurs cimes qui trônaient fièrement au-dessus d'elles, dans toute leur consistance. Les sommets de ces centenaires arboraient leur ancienneté et leur indéfectible présence, prometteuse d'un avenir et témoin d'un passé que personne n'avait pu constater jusqu'alors, toisant les nuages brumeux, éphémères, illusoires, et soumis au gré du vent, qui n'allaient pas tarder à voir leur masque menaçant se fissurer. À nos pieds, une terre humide, mais toutefois assez consistante pour permettre l'édification du camp de Larges-Ailes. L'espace était large, et une plaine plutôt favorable s'étendait à l'opposé de l'orée de la forêt.
Les expéditionnaires réunis en rangs et répartis selon les trois branches prévues par l'Empereur, je pus commencer de faire mon discours. Je savais que les mots que j'allais prononcer pouvaient être déterminants sur l'état d'esprit des troupes pour la suite des événements.
"...car dorénavant, vous avez tous le titre de soldat, peu importe le métier que vous exercez ici. Vous avez tous passé un engagement avec l'Armée Impériale, jusqu'à la fin de l'expédition. Cet engagement est source de fierté, mais il est aussi significatif de responsabilités..."
Ainsi, je leur signifiait toutes les trivialités qui leur avaient déjà été répétées maintes fois auparavant, mais qui prenaient toute leur consistance lorsque Pădure nous regardait de son œil méfiant.
"...Expéditionnaires, Pădure nous appelle ! Ce n'est pas seulement pour l'avenir de la Clovanie que nous avançons aujourd'hui, mais pour celui de l'humanité. Ceci étant dit, il est préférable que l'avenir du monde reste entre des mains clovaniennes."
Quelques rires fusèrent.
Je donnai les ordres de répartition du travail, et le montage des tentes débuta. Ces tentes allaient constituer notre lieu de vie en attendant que les bâtiments en dur - essentiellement du préfabriqué - ne soient terminés. Nous nous mîmes bien vite au travail, dans l'espoir de bénéficier d'un abri sûr et de bonnes conditions de vie avant la tombée de la nuit.
Posté le : 10 oct. 2023 à 19:57:28
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Les yeux encore engourdis, le Chevalier du Prévaut se mit en quête de la fermeture éclair destinée à ouvrir cette tente. Pratiquant une large ouverture dans le tissu, il put contempler les lueurs du premier matin passé aux abords de la forêt. Pour un destination interdite, il y avait pire. L'humidité était toujours présente, faisant scintiller le bout de chaque végétal, révélant aux yeux de l'officier une véritable constellation de petites brillances. Était-ce donc ici que les étoiles venaient se reposer au lever du jour, après avoir guidé les marins pendant toute la nuit ?
Adrien du Prévaut se leva et se commença de prévoir le programme de cette journée. Tout le camp commençait à s'éveiller, et quelques expéditionnaires lançaient des regards amicaux et respectueux au Chevalier du Prévaut. Il semblait que, dans ces premiers instants matinaux, on avait temporairement abandonné les formalités hiérarchiques devant l'immensité du phénomène dans lequel on était entraîné.
Mais bien vite, une fois que tout le camp se fut éveillé, le signal de rassemblement fut lancé, afin que les trois cents expéditionnaires se réunissent dans la plaine dédiée. Le Chevalier du Prévaut entama alors son discours matinal présentant la journée à venir et les tâches qui la caractériseraient. Au programme, il y avait tout d'abord l'établissement d'un périmètre autour du camp principal. Sur une distance d'environ trois kilomètres seraient posées par des soldats des clôtures munies de fer barbelé. Ce dispositif laissait une grande ouverture d'environ dix mètres de long sur le côté opposé à la forêt - l'entrée principale, ainsi qu'une autre issue située du côté inverse et de même dimension. Cette dernière ouverture ferait office de sortie de secours et permettrait de fluidifier les déplacements en cas de besoin. Une large route carrossable serait aussi aménagée au milieu du camp, reliant les deux issues. Les futures infrastructures seraient ainsi destinées à se disposer de part et d'autre de cette large voie. Les ouvriers et les architectes étaient chargés de débuter l'édification de ces mêmes infrastructures, avec en priorité la cantine du camp, le réseau d'eau et les laboratoires scientifiques. L'électricité avait été déjà installée au moyen de générateurs, mais il était nécessaire de relier au réseau. Ces tentes seraient transformées le plus vite possible en de petites masures de préfabriqué pourvues du strict nécessaire : couchage, électricité, et arrivée d'eau. Les toilettes sèches étaient communes. La cantine du camp s'apparenterait aussi à un lieu de vie en dehors des repas, large salle abritée et pourvue de tables et de chaises.
À la fin du premier jour, la division des tâches déjà prévue par l'état-major clovanien permettrait d'avoir déjà finalisé le périmètre du camp (soldats) et la route principale (ouvriers). Le deuxième jour de l'expédition était destiné au commencement des infrastructures (ouvriers) et prévoyait un premier et prudent tour des environs par un détachement de soldats, sur environ une dizaine de kilomètres.