Posté le : 17 sep. 2023 à 22:37:08
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Essai de poème retrouvé dans les archives de l’expédition de Cochise III - 1913 – Auteur inconnu
Elle dit : mille voix frémissent,
Des végétaux suspects ou d'un contact mordant :
Mariant aux azurs du ciel leurs verts Édens,
A travers des chemins bordés de précipices...
Rossignol, je voudrais, à l'heure où le soir glisse,
La cardère sauvage y dresse son trident ;
Mais l'églantine aussi, suave cependant,
Sont moins blancs que mon teint, qui fait jaunir les Lys.
De cette voûte alors, de frimas et d'écumes,
C'est que tu vois là-bas deux filles dont la brume
Au plus haut de l'azur l'alcyon est porté. —
Comme dans ces jardins, pleins de chants et d'arôme,
Qu'un seul pleur tombe en ta jeune âpreté,
Apporter l'espérance à plus d'un pauvre chaume !
Bulletin météo émanant de Thawan Prasarttong, météorologue de la station météorologique de Cochise IV en Pădure – Jour 1 : 20/07/2011 .
Pădure – juillet 2011 – pluvieux et doux
Les précipitations mensuelles sont excédentaires, en moyenne de 36,1% sur le secteur de Cochise IV en Pădure, allant jusqu’à 169,8 mm sur le secteur (38,8% de plus que la normale), ces pluies étant surtout concentrées en troisième décade et sur le début du mois. Ceci comblant en grande partie le déficit de juin, les sols redeviennent partout plus humides que la normale en troisième décade. Malgré tout au plus un seul jour très ensoleillé dans le mois, l'ensoleillement est proche de la normale ou seulement légèrement déficitaire (-9% à Cochise IV). Comme en 2010 et 2009 lors des premières mesures météorologiques réalisées sur Pădure, le mois de juillet est plus doux que la normale et s’explique par le climat continental et le macroclimat généré par la grande forêt. Cet écart étant surtout dû aux minimales plus douces en moyenne de 2,1°C que la normale. Dans l'ensemble, le mois n'a pas été très venté mais le passage de la tempête Oolong au sud a engendré des rafales ponctuelles et localisées à plus de 80 km/h sur presque toute la région entourant notre secteur. Ceci n’a pas perturbé le trafic aérien et la livraison de matériel outre-mesure dans la région et nous suivons de près l’évolution de la tempête, qui semble s’être déplacée dans les steppes glacées du sud. Selon nos prévisions, la ligne aérienne allant du Mokhaï jusqu’à l’emplacement de Cochise IV devrait être dégagé sur le prochain mois, sans doute possible.
Rapport n°1 de madame Mae-duna Nimithai : ingénieure en chef du projet botanique de l’expédition jashurienne en Pădure – Jour 1 : 20/07/2011 .
Pădure, frontière de l’infini, vers laquelle voyage notre expédition. Sa mission de cinq ans : explorer de nouvelles terres étranges, découvrir de nouvelles vies, d’autres civilisations et au mépris du danger, avancer vers l’inconnu.
La carlingue de notre avion ronronne doucement tandis que nous survolons les brumes qui bordent la grande forêt de Pădure. Vestige des temps anciens, l’Assoupie, comme les anciens l’appellent dans les récits mythiques, reste à ce jour un véritable mystère pour les scientifiques du monde entiers. Depuis le hublot, je peux voir la cimes de monts recouverts de conifères de Pădure déchirer le voile brumeux et annoncer sa présence. L’Assoupie ne semble pas le moins du monde troublée par notre approche et même à cette altitude, le soleil ne parvient pas à darder ses rayons sur le fuselage de notre avion.
Il y a quelque chose d’éthéré dans ces silhouettes pointues se mouvant sous la nappe de brouillard et quelque chose de menaçant dans ces montagnes déchiquetées côtoyant les monts boisés qui s’affranchissent du carcan brumeux qui recouvre la forêt. À tout moment, un dragon de brume pourrait surgir et frapper notre appareil, et nous trouverions tout ceci fascinant et éthérique. Cette forêt a quelque chose qui retient l’œil, sans pour autant pouvoir le fixer définitivement, comme une fresque impressionniste faite en camaïeux de gris.
Le regard de mes compagnons d’aventure semble lui-aussi perdu dans le lointain. Notre avion compte cinquante de mes compatriotes, embarqués fraichement depuis le port-franc du Jashuria au Mokhai, notre base arrière. Les dirigeants du corps expéditionnaire en Pădure nous ont assuré que le camp de base était déjà en cours de finalisation et que les ingénieurs pouvaient déjà emménager et travailler sur leurs projets respectifs. Au vu de l’ampleur du projet, il n’était pas étonnant que tout soit préparé à l’avance : notre pays n’aimait pas se montrer pris de court.
J’ai eu l’occasion de consulter la liste des experts envoyés sur place, ou attendus pour les prochaines semaines. Le gratin des laboratoires jashuriens … et des exploitants miniers et forestiers … Restait à savoir si nous aurions le dernier mot au sein de cette expédition ou si comme à son ordinaire, la balance pencherait du côté des exploitants miniers. Parfois, souvent, trop souvent, la protection de la faune et de la flore pesait peu de choses face aux enjeux miniers de notre pays. Il était de mon devoir de faire prévaloir nos intérêts sur cette forêt, avant que nos comparses des conglomérats miniers ne fassent main-basse sur ces terres.
Peut-être que la solution résiderait dans une alliance avec les laboratoires pharmaceutiques … ? Qui sait ?
Faible secousse … et le voyant s’allume, seule tache de couleur dans l’habitacle. Nous amorçons notre descente dans les brumes. Placée en première place, j’entends le personnel de l’air murmurer. Ils avaient beau tenter de le cacher, mais on sentait une certaine tension dans leur posture. A croire que même avec toute la technologie disponible, il restait des zones dans lesquelles même l’être humain pouvait encore avoir peur.
Notre avion amorce sa descente … L’espace d’un instant, je crois entrevoir un rayon de soleil raser la brume. Puis le néant, le flottement, qui suspend notre avion dans les airs, quelque part entre la terre et l’espace, dans un flou incertain au milieu de la brume. Je vois l’hotesse de l’air enfoncer ses ongles dans le siège : elle n’en mène pas large elle-aussi et instinctivement, je triture la ceinture qui me maintient au fauteuil.
L’atterrisage se fait en douceur. Au travers des hublots, je peux à peine apercevoir les bords de la piste nouvellement dressée et apprêtée. Les éclairages de sol ont grande peine à projeter leur lumière rassurante tandis que notre avion bifurque vers le hangar apprêté pour l’occasion. Sans l’aide de nos montres, impossible de définir l’heure du jour au travers de cette purée de pois et je peux voir au travers des vitres les silhouettes de mes compatriotes se presser pour ouvrir les soutes à bagages sous la carlingue de notre avion. La descente de l’avion se fait en bon ordre, la rampe de métal amovible grinçant sous nos pas.
Une fine bruine semble recouvrir la piste d’atterrissage. Sous la couche de brouillard, difficile de prédire les changements climatiques, les baisses de température ou tout simplement les averses. Cette pluie semble suspendue dans les airs, comme si elle refusait de tomber sur le sol déjà imbibé d’eau. Rapidement, nos bagages sont descendus et nous sommes accueillis par les instances dirigeantes. Un bref salut … un bref mot de bienvenue, et nous voilà déjà affectés à nos quartiers et avec nos briefings de mission.
Il faut bien dix minutes pour rejoindre le camp de base, dont les pilotis permettent de construire une ville serpentant entre les arbres millénaires et gargantuesques de la forêt de Pădure. Le choix des hautes autorités avait été motivé par les conditions climatiques changeantes de Pădure. Construire en hauteur était une priorité, tant le sol était traître dès que l’on s’éloignait de la piste d’atterrissage. Les habitations, les lieux de travail et les salles de réunion, ainsi que les entrepôts, avaient été construits sur des pilotis pour les isoler du sol de la forêt, éloignant ainsi les dangers des éventuels prédateurs.