Posté le : 11 sep. 2023 à 23:19:32
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J'ignore qui fut le plus éprouvé par l'atterrissage, moi ou les lamas ? L'avion avait beau être pensé spécialement pour ce genre de manœuvres, je fus tout de même particulièrement inquiété par la brutalité avec laquelle il toucha le sol. C'était d'autant plus éprouvant que je n'avais pas de temps pour mes états d'âmes, les animaux se débattant nerveusement. Je devais vérifier qu'aucun de se défasse de ses harnais, certes vérifiés déjà maintes fois, mais dont la moindre faiblesse serait terriblement coûteuse. Comment dirais-je à mes supérieurs qu'on avait perdu une bête de somme, acheminée depuis seize bons milliers de kilomètres ?
Je balayais la soute du regard, et fut d'une certaine façon rassurée de voir d'autres compagnons partager mon inquiétude. Mes yeux se posèrent sur les soldats du comté Sablier, blason à l'épaule. Ils étaient calmes, ou du moins en donnaient l'illusion. Eux s'y connaissaient, tant qu'ils ne paniquaient pas, je n'avais pas de raison de faire de même. Je me retourna sur mes lamas, en me remémorant en une fraction de seconde comment j'étais arrivé jusqu'ici. Cet atterrissage dura combien de temps ? Même pas une minute de chaos avant de rouler doucement pour s'arrêter à une place intéressante ? J'eu quand même le temps de repenser à ma bourgade, où j'élevais des lamas pour la laine, avant qu'une commande ne soit passée officiellement par le comté. Il leur fallait des bêtes de somme rustique et adaptées au froid, en plus d'un expert pour s'en occuper. C'était là une offre d'emploi bien payé et, m'avait il convaincu ou contraint, mon père me poussa à l'accepter.
Un crachat me tira de ma rêverie, puant, gluant et collant. L'avion s'était arrêté, et un des lamas tendus m'exprima clairement sa volonté que je lui lâche le licole. Et de toute façon, il y avait à faire. Tentes, vivres, 4x4, pick up, lamas, il y avait énormément de choses à débarquer, et le camp devait être rapidement monté.
Une brise glacée me saisit et m'arracha un incontrôlable claquement des dents. Le climat était plus froid que dans ma bourgade, pourtant en altitude et empreinte d'humidité. J'enfila sans attendre ma veste et repensant à l'officier qui nous avait dit de le faire une heure avant. Tout le monde s'était exécuté et, comme moi, beaucoup avaient renoncé après une trentaine de minutes. On était bien au chaud quand l'avion était fermé, trop même. Je me sentais presque tourner de l'œil avec cette épaisse veste, doublée, coupe vent, tout ce qu'il faut pour se protéger du froid.
"Bougez vous !"
Je sursauta à l'instar de mes compagnons sous les vociférations de Frédéric Sablier, commandant de l'expédition mandaté directement par la comtesse. On acheva d'enfiler nos gants et bonnets avec célérité avant de nous affairer au labeur. Le soleil se couchait déjà derrière l'horizon, ou en sortait t'il ? Peut être même était il à son point de culmination, quoiqu'il en soit ses rayons étaient loin de réchauffer substantiellement l'atmosphère, à peine s'il la passait tant brume et nuage formait une couche épaisse. Par contre le vent et la pluie eux faisaient leur office et nous glaçaient les os. Mon pantalon, bordel il est trempé ! Foutu pluie de merde, mon manteau a beau descendre bas il ne peut pas tout couvrir. Moi qui suait y'a pas longtemps, me voila frigorifié, trempé sur toutes les épaisseurs. Mais putain de pluie ! Elle est gelée ! Je n'ai rien connu de tel, même durant les pires pluies de ma montagne, il fait combien ? Quinze degrés minimum ?
C'est dans cet inconfort ambiant que je prépare un enclos pour les lamas, on plante prestement des barres dans le sol et les lie avec du fil de fer. Pas de clôture électrique, heureusement ce sont les bêtes les plus dociles qu'on a emporté, des mâles castrés pas trop jeunes et bien dressés. Mon ami Daniel m'attrape par l'épaule à un moment en me tendant un paquet.
"Les répulsifs contre les mouches et moustiques. Attention c'est rationné, donc gère tes stocks. Ah et le magasinier a dit de faire attention aux tiques aussi. On ignore si ça marche contre ces saloperies donc vérifie bien ta peau tous les soirs, même entre les fesses il a dit."
Bordel, c'est vrai qu'on devra se laver, donc se déshabiller avec ce froid insupportable là. Purée, moi ça sera à l'éponge, hors de question que je me trempe dans de la flotte glacée. De toute façon, on en aura pour se baigner ? On va forcément devoir se rationner.
"Gaston !!"
Putain mais ils vont arrêter de me faire sursautter ! C'est le manageur de mes deux là, j'ai oublié son nom.
"T'as fini avec tes lamas ?! Vient filer un coup de mains avec le pétrole !"
Le pétrole ? Ah, l'essence pour les groupes électrogènes et véhicules. Je me dépêche de venir aider à décharger les barils. Purée, je n'en peux déjà plus, et ça va durer combien de temps l'expédition ? J'en ai aucune idée. Bordel j'en ai marre, je regrette déjà. Je suis fatigué, j'ai froids, je suis bousculé en permanence, là les manutentionnaires me prennent pour un mongol parce que je suis hésitant à trainer leurs jerricans de merde. Bah oui connard, explique moi où je dois le caller le jerrican, dans mon cul ? Moi je m'occupe des lamas, soit déjà content que je t'aide. Putain mais quel con, tous le monde me fatig...
"Mais t'as pas un mouchoir le crasseux ?!"
Ah bah maintenant c'est le commandant qui en rajoute une couche. C'est d'autant plus insupportable que cette fois ci il a raison : les restes de crachat du lama coule sur mon visage comme une morve dégueulasse avec la pluie. Purée si même mes lamas me foutent dans l'embarras. Papa je te déteste ! Je suis sûr et certain que tu savais dans quoi j'allais être embarqué ! Je veux bien que tu voulais me voir bouger de la maison, mais là, au point de m'envoyer dans le trou du cul du monde ! Putain mais même les fonds marins vont être davantage explorés que Padure, avec les expéditions pétrolières qui scannent les sols, tu m'as littéralement envoyé dans le trou du cul du monde le moins exploré parce qu'il PUE LA PISSE.
Puer... non en vrai il ne pue pas, en fait c'est même l'une des deux seules choses qui me plaisent ici. Les odeurs sont nouvelles et rafraîchissantes, celles des forêts. Pas des bois tropicaux que je connais, c'est inconnu pour moi. Et la vue, pareil, alors mes jungles aux fougères arborescentes et aux arbres enchevêtrés de lianes n'en ont rien à envier, mais ça a quand même de la gueule. J'aimerais pouvoir me poser un instant pour contempl...
"Mais bordel tu vas te bouger le trou du cul !"
Bon sang mais j'en ai marre d'être en permanence sous tension ! D'avoir toujours ce frisson de stresse dans le cœur, dans les veines. Toujours le même débile.
Il aura fallu trois bonnes heures pour décharger le matos et installer le camp. L'avion est reparti tout aussi sec, apparemment il était déjà en retard et devait au plus vite rejoindre un ravitailleur envoyé en amont. Sacrée logistique. Maintenant, je peux enfin souffler pour de vrai. Bon, Daniel est un peu lourd à me charrier mais on rigole quand même. En tant normal je lui aurais rendu la pareil mais là j'en peux plus. Tout le poids de la journée me tombe d'un coup dessus. De la journée ? De la semaine oui ! On a eu une semaine pour nous former de façon expéditive à l'expédition ! Avec des cons de militaires, qui nous gueulaient comment monter une tente, tenir un camp, allumer un feu, collecter de l'eau. Tiens, l'eau, là pour le coup je ne me plains pas. Moi je profite enfin de mon repos, mais y'a des gars qui sont déjà envoyés en reconnaissance voir si y'a de la flotte à côté. Vraiment, s'il pleut comme ça tout le temps, contentez-vous de laisser des bidons dehors.
Maintenant je profite d'un semblant de chaleur dans ma tente avec mon pote, et deux inconnus. Ça va ils sont sympas, on rigole, échange sur la journée. Je suis encore une fois rassuré de voir que mon ressenti est partagé et que je ne suis pas particulièrement douillet : la semaine a bien été notoirement pénible. Ceci dit un point qui m'inquiète, c'est que personne d'autre que moi a l'air surpris d'à quel point c'est pénible. Suis-je le seul inconscient, petit jeune embarqué dans une aventure où il n'a pas sa place ?
Bon, pas le temps pour ces questions, on profite tranquillement du reste de la soirée pour se reposer, manger nos rations. Il n'y a plus rien à faire pour ce soir... putain les lamas ! L'autre connard avec ces jerricans me les a fait les oublier ! Ils n'ont pas mangé les pauvres, ils n'ont même pas d'eau, je ne sais même pas si on leur a monté leur abri. Bordel ma seule responsabilité vraiment à moi, j'y échappe ! Bon ça va, ils n'ont pas l'air fâché les bestiaux, et m'accueillent même chaleureusement. Faut dire qu'ils sont soudainement amicaux quand j'ai à manger, bande d'enfoirés...
Allez c'est fait, je leur ai installé avec l'aide de Daniel (quel bro quand même) leur abris, ils ont à boire, à manger. Je leur ai mis leurs couvertures aussi, là il caille sévèrement et la pluie n'aide pas. Bon, normalement avec l'humidité, la température doit être stable et la nuit ne sera pas tant pire que la journée... j'espère. La nuit n'est pas très claire. Je ne me souviens plus, on est à quel quartier de Lune aujourd'hui ? Ou c'est les nuages qui masquent les lueurs de la nuit ? Je distingue vaguement la forêt. Même là elle est belle, hypnotique même. Je suis presque pressé de m'y aventurer. Après tout je serais de la partie, c'est moi qui m'occupe des lamas pour porter le matériel. Parce que bon ouais, leurs véhicules à roue là, c'est mort, ça a beaucoup de racines, d'arbres, et probablement des reliefs. Mes lamas seront indispensables. Aurais-je droit à un peu de considération après ça ? ... Ouais non je rêve, au contraire plus de responsabilité voudra dire plus de pression, et les cons de petits chefs complexés n'hésiteront pas à me rabaisser.
Bon, ça y est, la journée est enfin, définitivement, terminée. Même les officiers ont arrêté de crier, et Daniel s'est un peu calmé sur ses blagues. On fait une petite partie de carte (même si elles sont toutes bien trempées) avant d'aller se coucher. J'applique juste un peu de répulsif, avant de me plonger dans mon sac de couchage. C'est bon, il m'aura fallu peu de temps, je descend déjà les marches dorées, direction Kadath.