Le sectionnel grogna et tira sur la sangle de son fusil. Le fût de l’arme teinta contre la bouche de son uniforme. À côté de lui, son collègue émis un grognement. Il fouillait frénétiquement les poches de son manteau.
— Kotios, nid d'espion. Que veux-tu que je te dise : c'est le seul endroit sur Terre où on peut encore passer complètement inaperçu.
— Au moins cette fois c'est pas un citoyen de leur comité.
— Ah, répondit-il platement en faisant émerger une cigarette de son manteau. Tu pensais à cette fois. Ouais, ouais au moins ça n'a rien à voir. Briquet ?
— Tiens.
La cigarette allumée, le volontaire de la sécurité communaliste haussa les épaules, et salua d’un signe de tête deux passants qui portaient les brassards d’un des organismes syndicaux du port. À Kotios comme ailleurs, on avait tenté d’éliminer toute forme de capitaux. Dans la limite des sensibilités des gros poissons, en tout cas : il fallait bien satisfaire et les communalistes qui tenaient l’industrie, et les pirates qui tenaient la mer. Une forme d’accord qui, au regard de l’actualité, était précurseur de ce que deviendrait plus tard le Pharois.
Avaient survécu certaines formes d’héritages que l’on ne pourrait jamais sans doute pleinement éliminer. Pas de façon souhaitable, en tout cas. L’appartenance à une communauté, les contacts dont on disposait par notre nature même, continuaient de jouer un rôle. C’était pour ça que les rondes des sectionnels s’étaient organisées, aujourd’hui, avec en tête l’idée qu’il y aurait quelque-part une réunion, tenue par des amis chez des inconnus, et qu’il faudrait se tenir prêts à intervenir si jamais.
Si jamais quoi ?
Si jamais on ne savait pas précisément. Tout était très nébuleux. Ce n’était qu’une mesure de sécurité. Les kah-tanais aimaient leur sécurité. Ils aimaient aussi les plans bien pensés et on ne pouvait pas leur en vouloir de ne pas foncer tête baissée vers l’inconnu.
Révolutionnaires d’accord, mais pas téméraires. Pas en toute situation, en tout cas.
Les deux syndicalistes approchèrent du stand de hot-dog. C’était un endroit un peu improbable pour s’installer, vraiment. Malgré la proximité de l’aéroport et des nouvelles usines modèles, peu de monde passait dans cette rue. Malgré tout l’homme devait trouver sa clientèle, sans quoi il ne resterait pas ici.
— Une saucisse, citoyen.
La jeune afro-kah-tanaise qui s’était exprimée eut un sourire amusé : elle était végétarienne, c’était bien la première fois de sa vie qu’elle venait acheter de la viande. Dans sa commune natale l’acquisition des vivres ne se faisait pas exactement sous cette forme. Lorsqu’ils arrivèrent dans le bureau de liaison du groupe militaire privé, son collègue finissait d’avaler la saucisse. Ils se présentèrent – des amis des brigades internationales – et prirent place.
— Vous vouliez parler, commença tranquillement l’homme en se tamponnant la bouche avec un mouchoir. On veut bien écouter.