De mémoire d'hommes, jamais on n'avait vu pareil armada. Une centaines de vedettes de la flotte noire s'étaient élancées au cœur de la Manche Blanche, tirant ses feux d'artifice comme autant de cailloux blancs sur leur passage. Depuis plusieurs mois le complexe militaro-industriel pharois crachait des navires de guerre à n'en plus savoir que faire, assez de bateaux pour équiper ses pirates, chaque jour plus nombreux. Ceux qui voguaient à présent au milieu de la mer n'avaient rien, pourtant, des faces hirsutes et dépenaillées qu'on attendait par ailleurs à la mention de "pirate", pauvres erres jetés au vent par l'infortune, devenus criminels par le jeu du hasard et du malheur. Non ceux-là avaient choisi cet vie volontairement : des gentilshommes de fortune à l'ancienne, attiré par les promesses de liberté, de fortune et d'aventure. La plupart étaient contrebandiers, déchargeaient à la nuit tombée, ou en plein jour, des caisses de produits interdits à la revente. Marchandises illégales, marchandises humaines, passeurs et revendeurs, trafiquants de faux papiers, transcendant les frontières. D'autres tenaient des sociétés off shore, boursicotaient, hackaient, volaient données et informations revendus sur les sites du marché noir. La piraterie pharoise avait, comme la mer au creux des criques, épousé la forme de ce nouveau siècle.
Il en restait néanmoins, et ceux-là étaient inquiétants, qui frayaient toujours avec les vieilles méthodes : racket, extorsion, meurtres et attaques de convois, prises d'otage avec demande de rançon, capture de cargos isolés, attaques sanglantes et éclaires contre des navires se croyant en sécurité. Le pavillon noir dressé rappelait avec effroi les siècles d'or et ce fléau qu'on croyait enterré ressuscitait revigoré comme au premier jour, puissant et revendicateur.
Le responsable de toute cette agitation était le Grand Capitaine Gabriel, l'un des seigneurs pirates élus par ses pairs pour coordonner ce petit monde bigarré et agité, rétablir le Pharois dans la paix et négocier les conditions d'un nouvel ordre régional où la Merirosvo jouerait un rôle central.
Pour asseoir la puissance pharoise, il avait convoqué une centaine d'équipages et autant de vedettes, ainsi que plusieurs navires de guerre. Sous l'eau frayaient, silencieux, les sous-marins du Capitaine Hymveri. Pour martiale qu'elle soit, la démonstration de force ne s'en voulait pas moins pacifique. Le message était clair : contemplez les loups que je tiens en laisse. Sans le Pharois pour tenir ce monde, le sang coulera, nous sommes vos seuls interlocuteurs.
Debout sur le pont d'un grand navire diplomatique tout enguirlandé de fleurs des marais, il attendait debout les délégations qui répondraient à son appel invitant chacun à le rejoindre au sommet du navire où leur était proposé divers mets raffinés. Rien de Pharois, cependant, la gastronomie de la péninsule albienne souffrant de quelques plats immondes à base de poisson salé, on avait préférer faire croquer un peu aux richesses de la piraterie et du commerce mondial. C'était chose formalisée : le marché noir faisait office de mondialisation officieuse, il outrepassait les frontières et imposait, par la ruse et la force, une forme de libre-échange total.
Ayant terminé d'accueillir les délégations et après quelques photographies de rigueur pour la presse, on invita les représentants à se rendre dans une salle couverte où chacun pu prendre place à une table ronde. Puis le Grand Caputaine inaugura la réunion par un discours :
C'est de ces liens que je souhaite vous inviter à discuter aujourd'hui. La Manche Blanche est un espace de commerce et de fortune unique au monde : l'extrême densité de nations et d'intérêts qui s'y trouvent en font une route commerciale majeure et inégalée sur terre. Toutefois, elle n'est régie par aucun ordre, aucunes lois et, paradoxalement, c'est aussi sa force. Anarchistes et conservateurs, républiques et monarchies, les régimes de toutes sortes s'y croisent et coexistent malgré des intérêts parfois plus qu'éloignés.
De l'ordre, nous ne prétendons pas en apporter. Le Pharois, nul ne l'ignore, prospère sur les libertés individuelles et non sur les carcans et les règles. Cependant, nous croyons aussi à la paix, la paix qui nous défend contre les intentions malveillantes venues de l'étranger, contre ceux qui prétendent importer un ordre et des lois qui ne sont pas les notres. Pax pirata, le mot est lâché, la Merirosvo et ses alliés, (il eut un regard entendu vers la délégation du Canta, de Zélandia et du Finnevalta) la Merirosvo et ses alliés peuvent défendre ces mers et le feront contre l'ingérence et l'impérialisme qui prétendrait à nous dicter comment vivre et travailler ensemble.
Si je m'exprime aujourd'hui devant vous c'est pour vous proposer un accord et vous offrir un cadeau : celui de mettre au service de la paix et de la prospérité de notre mer les forces du Pharois et je l'espère, de ses alliés. Sous la pax pirata, nul ne sera inquiété pour ses actes, nul n'aura à craindre une intervention militaire par les mers car ces mers sont notres et nous entendons les partager seulement avec nos amis.
Pax pirata et alliance régionale. Nous tous qui sommes réunis ici, nous pouvons nous réunir à nouveau, demain et après-demain, fonder un conseil de sécurité de la Manche Blanche dont la charge sera non pas d'harmoniser nos politiques ou de nous soumettre aux intérêts de telle ou telle puissance, mais de nous unir le cas échéant pour défendre la souveraineté de chacun de nos membres, dès lors que la Manche Blanche risquerait de devenir le théâtre d'une guerre importée.
Notre mer, nos règles, nos lois, nos négociations. Et que nul autre que nous mêmes ne vienne prétendre à mettre son nez dans nos affaires. Frères et sœurs de la Manche, c'est un pacte de sang que le Pharois met sur la table aujourd'hui, faire de nous une famille, disparate, conflictuelle, mais unie face à l'adversité et solidaire face aux menaces extérieures. Faisons de cet espace un sanctuaire et fondons le premier conseil de sécurité de la région.