22/02/2015
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La fraternité des mers du Nord, le Meremme et le "Vieillard" [RP]

20 Mai 2004,
Pharois Syndikaali,
Port "fantôme" de Makkarie,
Quelque part sur une île isolée dans les mers du nord,

Rififi à Makkarie



Portrait nocturne du port de Makkarie durant son âge d'or au XIXe siècle
Portrait nocturne du port de Makkarie durant son âge d'or au XIXe siècle

Les mers du nord n'avaient pas la réputation d'être accueillante, c'était là le moins que l'on puisse dire. Des reliefs côtiers atypiques voyant coexister larges falaises et divers promontoires avec des plages éphémères se donnant en spectacle au gré des marées en étaient la première caractéristique. Ajoutons à cela la présence de nombreux récifs et pics rocheux s'élevant traitreusement depuis les hauts fonds afin d'emporter sous les flots les navigateurs imprudents, un climat où la pluie, la brume et parfois même la neige étaient omniprésents, et nous avons déjà des éléments de réponses quand à la raison du pourquoi du comment, peu étaient ceux à désirer naviguer par ces eaux. Mais la cerise sur le gâteau revenait assurément au fait que ces dernières étaient infestés de la pire engeance qu'il ai été donné de voir à tout marin se voulant appartenir au monde civilisé, des pirates, ni plus ni moins. En effet, il était de notoriété publique que ci de nombreuses côtes, et surtout des îles des mers du nord se voulaient inhospitalières et théoriquement rendus à la nature depuis fort longtemps, la réalité était toutefois plus nuancée. Ceci dû au fait qu'il y avait là de véritables havres de paix pour les équipages désirant trouver un point de chute ou établir un repaire à l'abri des regards indiscrets. Après tout, des îles isolés accessibles par des voies navigables particulières où de multiples dangers menaçaient d'envoyer par le fond les imprudents, que demander de plus ? Pas grand chose à dire vrai.

Ainsi, le port de Makkarie était l'un de ces lieux emplie de forbans, flibustiers et autres maraudeurs des mers, abritant entre autre l'une des bases de la tristement célèbre Fraternité des Mers du Nord, reconnue pour ses actions audacieuses sur un fonds d'idéologie anarchiste clairement affirmée et qui faisait, ces derniers temps du moins, couler beaucoup d'encre. Ceux ci se servaient ainsi du port que l'on pouvait désigner sous le terme "fantôme" comme point de relais et lieu d'escale entre deux virées en mer, toutefois ce n'était là qu'un état de fait assez récent à dire vrai, remontant à peine à quelques années de cela. En effet, Makkarie était à l'origine un de ces nombreux humbles villages de pêcheurs présents depuis le moyen-âge dont les habitants avaient vue le passage des raids vikings, les révolutions renverser des gouvernements et la technologie se développer tant et si bien que les moeurs et les us en furent bouleversés. Et tant qu'à parler de bouleversement, il fallait dire que les lieux devinrent très vite en vogue au cours du XIXe siècle, l'industrie de la pêche en pleine expansion associée à un besoin constant en huile, graisse et autres composants que la chasse aux baleines dans les eaux du nord pouvait procurer procurèrent au village un essor économique et démographique important. Tant et si bien que vers la fin du siècle, le village était devenue une véritable ville tournant autour de l'industrie portuaire des baleiniers. Mais comme l'on pouvait s'en douter, une prospérité tel qui ne tournait que autour d'un domaine ne pouvait être éternel, les nouvelles technologies et habitudes qui avaient offert un nouveau souffle à la région furent à leur tour évincés par une nouvelle vague d'innovation, causant le début d'un lent déclin qui s'acheva au début du XXe siècle avec le départ, ou la mort des derniers habitants, d'irréductibles entêtés qui avaient choisis de passer l'arme à gauche là, où qui se décidèrent à partir en quête de meilleurs conditions de vie.

En soit, l'arrivée des pirates de la Fraternité des Mers du Nord n'avait pas rendue aux lieux leur prestige ni même leur activité, mais au moins étaient-ils moins vide sur les anciens abattoirs de baleine et dans la rade principale où d'antiques vaisseaux pourrissant sont la source de bien des contes de poltergeist et autres spectres. Pourtant, au delà des animaux sauvages et des légendes ayant pris possessions de quartiers entiers désormais en ruine, une autre faune a pris pied en ville en cette nuit de mai où la pleine lune s'élève dans les cieux. Les simples d'esprit auraient très certainement criée au démon, désignant des paires de lueurs rouges et des ombres grisâtre et noirâtre se mouvoir à la faveur de l'obscurité nocturne, évitant coûte que coûte les rayons lunaires baignant certains lieux d'une douce lumière. Ils n'auraient pas eu tord à dire vrai d'employer une tel désignation, mais pas totalement raison non plus, car il s'agissait là d'une espèce de fantôme bien vivante dont les représentants avaient pris position au sommet d'un large ensemble de maisons encore en construction et jamais achevés pour certaines, trônant sur un promontoire surplombant la Makkarie dans son ensemble.

Dans les faits, il ne s'agissait pas vraiment d'une engeance satanique sortie tout droit d'une faille terrestre en quête de quelques âmes à dévorer, à vrai dire, si il y avait encore quelques habitants en ces lieux, ils auraient trouvés ces "fantômes" fort humain pour être honnête. Fort humain, mais arborant des casques et des tenues de combat avec gilets pare-balles à la mode avec des teintes conçu afin de mieux se dissimuler la nuit. Et c'était là sans compter sur l'armement qui à lui seul prouvait que les individus étaient loin d'être des amateurs, des fusils d'assaut et armes de poings de dernières générations, un ensemble de grenades tantôt fumigènes tantôt explosives, une procession de radios, des fusils snipers et même ce qui semblait s'apparenter à une paire de mortiers. Non décidément, ces créatures là étaient bien vivante, et surtout prête à l'action.

Lorsque l'on s'approchait des demeures occupés où la majorité des invités se trouvaient sur les toits à moitié emportés par le temps et les vents, ce qui frappait avant toute chose, c'était le silence de mort qui régnait, à peine perturbé par quelques grésillements au sein des radios. La soldatesque, car c'était selon toute vraisemblance le meilleur terme pour décrire cette assemblée, n'osait laisser émerger un mot, ni même bouger à dire vrai, à peine avaient-ils pu se mettre en position à leur arrivée. Snipers, observateurs, opérateurs radio, et quelques guetteurs, un véritable orchestre militaire dont il ne manquait que l'officier afin de débuter une symphonie, ou en l'occurrence ce qui se rapprochait d'un officier. Et l'individu concerné ne tarda pas à arriver, un long manteau d'ébène sur le dos, une sombre capuche sur le crane et un masque de céramique arborant les traits d'un vieil homme afin de dissimuler son faciès.


L'individu dénommé "Le vieillard", membre de la Cour de Céramique
L'individu dénommé "Le vieillard", membre de la Cour de Céramique

Son arrivée mis un terme immédiat au silence alors que d'une voix ferme et grave il prononça quelques mots à l'attention d'un des opérateurs radios.

??? - Sommes nous prêt ?

Opérateur -
Si Signore. Les escouades Alpha, Bêta, Gamma et Epsilon sont en place et nos tireurs d'élites en soutient.

L'homme masqué hocha verticalement la tête, semblant acquiescer avant de poursuivre.

??? - Fort bien. Il ne reste plus qu'à attendre les invités d'honneur et nous pourrons débuter les festivités.

Les invités d'honneur en question, c'était en cette sinistre nuit un second équipage pirate, d'un tout autre genre que ceux de la fraternité ceci dit, ou plus précisément l'exact opposé de l'échiquier politique, aux antipodes de l'anarchisme, ni plus ni moins que d'odieux fascistes qui n'avaient toutefois rien à envier à leurs confrères forbans. Meremme, c'était là le nom qu'ils donnaient à leur groupuscule de maraudeurs maritime, et ce soir, un de leurs équipages s'en venait rendre visite à l'un de ceux de la Fraternité en son propre repaire. L'information était on ne peut plus certaine car dans les coulisses, la position des lieux avait été discrètement et surtout indirectement divulguée aux intéressé par les fantômes du promontoire, et ce de tel manière à ce que l'on ne puisse remonter jusqu'à eux à dire, si tant est que ce soit possible. Car après tout, l'ensemble de ces gens étaient mort, du moins officiellement. Soldats et mercenaires de carrières, célibataires, sans enfants, tous le même profil, portés disparus, déclarés mort dans des circonstances suspectes dont les enquêtes chargés d'élucider ces dernières étaient bien souvent classés sans suite. Désormais, ils arboraient tous de nouvelles identités et étaient dévoués à une cause "supérieure" en tant qu'employée d'une puissance société secrète. Si l'on peut la désigner ainsi du moins. De son nom complet, la Cour de Céramique, un véritable mythe au sein de Fortuna, un conte destiné à effrayer les enfants, des hommes de l'ombre arborant des masques et agissant dans l'ombre de la république. Ni plus ni moins. Mais ces gens là, en ce soir, étaient bien loin du Fortuna, et ce à la suite d'une histoire rocambolesque qui à elle seule pourrait donner naissance au script d'un film. Une sinistre histoire de vol de documents codés et de disques cryptés confidentiels au cours d'une attaque de pirates en Haute-Mer sur un navire de croisière voguant à destination du Walserreich. Histoire dont les brigands mentionnés se trouvaient être la Fraternité des Mers du Nord dont l'équipage, dans sa grande sagesse, s'était mis en tête de déchiffrer leur étrange prise, convaincu d'avoir trouvé un bon filon à exploiter, laissant une large piste à exploiter par la concurrence qu'étaient le Meremme qui se mit en tête d'aller leur arracher des mains, débutant dès lors un jeu du chat et de la souris au sein des divers ports et planques des mers du nord.

Pour autant, les experts et individus contactas s'étaient tous montrés incapables d'offrir une solution au casse-tête qu'était le chiffrage des documents. Mais surtout, avec autant de monde impliqué dans cette histoire, une véritable piste visible à des lieux à la ronde fut laissé aux véritables propriétaires desdits documents. La Cour de Céramique, irrité par cette intervention extérieure dans ses affaires suivait de près les pirates de la Fraternité dans leur quête, réduisant progressivement au silence les tiers impliqués de façon très artistiques parfois. Une véritable traque qui dura plusieurs semaines et qui après des manipulations conséquentes devait s'achever en cette soirée, avec le déploiement d'une débauche de moyens que toute personne saine d'esprit aurait considérée comme absurde et indécente pour s'occuper de quelques flibustiers. Mais la cour ne faisait pas toujours dans la dentelle, c'était là un fait indéniable, et puis sa patience était épuisée à dire vrai, à peine en restait-il assez afin de donner un mandat à son représentant, dénommé vis à vis des traits de son masque "Le Vieillard", afin qu'il mette un terme final en une nuit à cette embarrassante affaire. Mais voilà désormais que au loin, les gens du Meremme pénétrait en ville, ayant débarqué à la faveur de la nuit le long de la côte et gagné Makkarie à pied, ils semblaient bien déterminés désormais à aller occire leurs rivaux et s'emparer de leurs possessions au nom de leur cause. Tout ceci, en ignorant bien évidemment la présence d'un troisième partie.

La nuit s'annonçait mouvementée...
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Maintenant.




- "Drôle d'affaire, hm ?"

Le vieil homme se redressa dans un craquement d'articulation, pris le temps d'épousseter sa doudoune rouge couverte de neige et de remettre en place son nœud papillon avant de se tourner vers celui qui venait de parler :

- "Cela me semble à moi plutôt clair, Miilo." D'un geste ample, il indiqua la position des différents cadavres retrouvés dans la rue. "Nos amis ont été pris dans une embuscade de la Meremme et en ont emporté une poignée dans la tombe avec eux. Gloire à nos camarades tombés face à la peste brune."
- "Gloire à nos camarades." Répéta l'autre sans conviction. "N'empêche, cette affaire pue, vous trouvez pas ?"
- "Nous avons perdu un équipage entier, je ne peux pas dire que je suis heureux."
- "Au delà de ça..."

D'un geste un peu rageur, celui s'appelait Miilo donna un coup de pied contre un morceau de débris qui jonchait la place. Ces villes-fantômes foisonnaient sur la myriade de petites îles au nord du Syndikaali. Le développement des navires à moteur et la fin de l'âge d'or de la pêche à la baleine en avaient dépeuplé la plupart, seule Valaiden Portti était parvenue à échapper à la ruine en se reconvertissant comme ville-dortoir pour les travailleurs des plateformes d’exploitation marine du pays, mais même comme cela de vastes quartiers restaient désertés et inhospitaliers. Alors ici... tout pouvait arriver.

Ce n'était d'ailleurs pas pour rien que la Fraternité s'en était servi de base arrière. En fait, les lieux étaient assez vastes pour accueillir plusieurs équipages en même temps sans qu'aucun n'ait besoin de se croiser ou ne remarque même la présence de l'autre, et tellement silencieux qu'on tirait les armes au moindre pet de goéland. Ça faisait des années qu'ils venaient ici, toujours à la faveur de la nuit, circulant moteurs coupés dans une discrétion quasi-fantomatique. On ne vivait pas longtemps révolutionnaire sans un minimum de discrétion. Alors que ces crétins de la Meremme les aient pris par surprise... L'idée contrariait Miilo.

- "N'empêche que je connaissais ces types. Pas le genre à tomber dans un piège, c'était pas des bleus."

L'homme au nœud papillon haussa les épaules d'un air attristé.

- "L'alcool, la fatigue, la lassitude, la confiance en soi... autant de choses qui peuvent faire relâcher son attention à un homme. Et le perdre."
- "J'aimerai une contre-expertise."

L'homme soupira. Autour d'eux, une dizaine d'individus vêtus de fourrures blanches prenaient des photos de la scène. Quand ils auraient terminé, on ferait disparaitre les corps avant l'arrivée des autorités pharoises... si elles arrivaient. C'était rare que les garde-côtes s'aventurent dans ce genre de coin et même si on avait entendu les coups de feu, aucun citoyen du Syndikaali n'était assez fou pour s'inviter au milieu d'un règlement de compte entre pirates. Mieux valait laisser les crapules se réguler seules, et personne ne voulait gaspiller sa vie en jouant les héros pour une cause perdue.

- "Nous sommes frères, Miilo, je n'ai aucune autorisation à te donner, fais ce que tu veux avec tes hommes, mais pour moi l'affaire est classée."

Miilo grogna.

- "Mes hommes sont occupés en Lutharovie, tu le sais, je vais avoir besoin de..." Il baissa d'un ton. "De nos amis communs."

Ce fut au tour du vieux de grogner.

- "Ils ne feront pas cela gratuitement, et nos fonds ne sont pas illimités."
- "Ils le feront s'ils jugent leurs intérêts menacés."
- "Et pourquoi cela serait-il le cas ? Ils traitent aussi bien avec nous qu'avec la Meremme, ils ne prendront pas parti.
- "SI... c'est bien la Meremme."

Le vieil homme désigna un corps à quelques mètres de lui. Vêtu également de blanc, il arborait sur sa veste rembourrée l'écusson des nationalistes d'Albi, des gens rendus dangereux par les nombreuses armes qui circulaient dans la région et le caractère revanchard de la mission qu'ils s'étaient donnée.

- "Ce sont leurs cadavres."
- "Mais pas leurs méthodes. Trop propre, trop efficace et pour quoi ? Juste tuer ? Cet équipage n'avait rien de valeur, la Meremme ne met pas en danger ses hommes juste pour faire couler le sang."
- "Peut-être ne savaient-ils pas qu'il n'y avait pas de butin ?"
- "Dans une embuscade aussi bien préparée ? Ils n'auraient pas assuré leurs arrières ? Et puis il y a ce document dont on nous a parlé, qu'on essayait de décrypter..."
- "Sans doute rien."
- "N'empêche, je veux y voir plus clair."

L'homme au nœud papillon soupira.

- "Je te l'ai dit, fais ce que tu veux, mais pas avec mes fonds. J'ai des tyrans à rançonner, moi, et pas de temps à perdre avec les obsessions idéalistes, n'oublie pas, seule..."
- "... seule compte l'infrastructure, je sais." Compléta Miilo d'un air las. "Mais les hommes sont des hommes et ceux-là étaient nos frères. J'ai simplement besoin d'un nom et tu pourras retourner à la pêche aux fascistes tranquillement."
- "Un nom... et tu partiras à la poursuite de fantômes. Qui frappera les communistes pendant ton absence ?"
- "La cellule Tempête peut s'en charger, ils se sont bien débrouillé à Makt."
- "Couler un navire au port est assez différent d'aborder un cargo en pleine mer..."
- "Oh, aux abysses tes excuses !" s'emporta-t-il soudain. "J'irai avec ou sans ton aide, mais si tu ne me donnes pas de nom, cela prendra bien plus de temps et c'est du temps que nous offrons à nos ennemis. Les bruns ne dorment jamais."

Il y eut un silence, seulement troublé par le cliquetis discret des appareils photos au flash qui illuminaient la scène de crime.

- "A Kanavaportti, rends-toi au bar des trois écluses et demande Silja, c'est notre contact local.

Miilo hocha la tête.

- "Merci mon frère. Je ne partirai pas longtemps."

Et ceci étant dit, il s'éclipsa silencieusement.



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20 Mai 2004
Pharois Syndikaali
Port "fantôme" de Makkarie
Quelque part sur une île isolée dans les mers du nord





Heikki était tout ce qu'on pouvait raisonnablement appeler un homme prudent. Les équipages de la Fraternité des mers du Nord se réunissant spontanément par affinité stratégique, aussi n'y avait-il pas deux capitaines au caractère semblable : certains étaient impétueux, d'autres fourbes, certains cruels mais Heikki, lui, avait été désigné au commandement pour son invariable, inamovible, imperturbable stoïcité. Chaque matin, il se levait à l'aube, prenait un café fort et lisait le journal scrupuleusement. Il vérifiait ensuite ses outils de mesure, se renseignait sur la météo et demandait par radio des nouvelles à ses hommes, dispersés à travers les mers du Nord, afin d'avoir une vue la plus précise possible des évènements qu'il allait devoir affronter aujourd'hui. Il ne prenait jamais une décision sans y réfléchir longuement, évitait les situations jugées dangereuses ou peu sûres et répétait à qui voulait l'entendre que mieux valait un anarchiste vivant que deux fascistes morts, aussi rechignait-il plus que tout à sacrifier ou mettre en danger ses hommes. D'aucun avaient trouvé ce caractère horripilant, voire lâche, mais Heikki avait su rapidement éloigner de lui les chiens fous et s'était construit petit à petit un solide équipage loyal et qui partageait son point de vue. A son mérite, il était l'un des rares capitaines de la Fraternité à pouvoir se venter de n'avoir jamais été défait au combat et sur le long terme ses prises de guerre n'étaient au final pas moins grosses que les autres, plus modestes mais plus constantes dans le temps.

- "Vous me faites gaffe aux caisses les gars, c'est p't'être que d'la vaisselle mais c'pas une raison pour négliger l'butin.

De la vaisselle, rien que ça. Une misère, oui, récupérée par contrebande dans un entrepôt de la côte nord du Syndikaali. La revente de ces assiettes suffirait à peine à couvrir les frais des dockers qui avaient aidé à détourner le magot. A leur décharge, on avait donné aux hommes exactement la même instruction qu'il le faisait maintenant : "attention c'est précieux", forcément les bougres s'étaient imaginé quelque chose de valeur... Tu parles. On avait pas toujours la chance de tomber sur des munitions ou des explosifs. Il faudrait se contenter de porcelaine pour cette fois, et puis, il avait autre chose en tête en ce moment.

Un étrange document crypté découvert quelques semaines plus tôt dans un abordage beaucoup plus lucratif celui-là. Plus amateur de monnaie et d'objets de valeurs, il aurait sans doute pu passer à côté des disques durs si leur détenteur n'avait pas choisi de mettre fin à ses jours prématurément, par ingestion de cyanure lui avait-on expliqué plus tard. Heikki mettait un point d'honneur à mener ses rançonnages sans effusions de sang inutiles, pariant sur la peur et la coopération des civils, alors quand un de ses hommes était remonté des cabines en lui expliquant qu'ils avaient un cadavre sur les bras, cela l'avait contrarié et attiré son attention.

D'abord il avait pensé à une attaque cardiaque, cela pouvait arriver parfois chez les vieux émotifs, mais le walsrreichien était encore dans la force de l'âge et sa bouche débordant de bulles et ses yeux écarquillés ne laissaient pas grand doute sur ce qui lui était arrivé. Empoisonnement, hm. Heikki avait donc fouillé sa cabine, histoire d'y voir plus clair, et comme il est difficile de cacher grand chose à un contrebandier, il n'avait pas tardé à découvrir le double-fond dans la valise du mort, et les disques qu'elle contenait. Le reste s'était révélé encore plus intrigant. Merenelävät disposait d'un réseau de hackers tout à fait capables de casser les défenses d'un cryptage classique mais celui-ci avait résisté à la plupart de ses experts, renforçant à chaque échec la conviction d'Heikki qu'il avait mis la main sur quelque chose de crucial.

Comme on lui rendait le disque dur une nouvelle fois, accompagné de tout un tas d'explications techniques auxquelles il n'entravait rien sur pourquoi le soit-disant professionnel avait été incapable de casser le code, Heikki avait décidé de faire une petite pause dans ses recherches et de profiter d'être dans le coin pour récupérer une part d'un butin détourné qu'on lui devait... qui n'avait finalement été que des caisses de vaisselles. Décidément, tout cela était contrariant, aussi fut-ce de mauvaise humeur qu'il accosta ce soir là à Makkarie, l'un des lieux de stockage de la Fraternité. La ville fantôme regorgeait de planques, de caves et de recoin où entreposer ses marchandises le temps qu'un autre équipage, spécialisé dans le recel et la vente, ne passe les récupérer. Tout cela était assez bien organisé et il n'y avait aucune raison de douter du bon déroulement d'une opération qu'il avait déjà effectué des centaines de fois. Stationner leur navire à quelques milles des côtes, ramer en canot jusqu'aux docks, à la faveur de la nuit, invisibles, silencieux, une vague parmi tant d'autres.

- "Gaffe avec les caisses, j'dis."

Il n'avait pas envie de s'attarder. Un mauvais pressentiment, quelque chose qui chatouillait son vieux caractère d'homme paranoïaque et qui plus que tout autre chose haïssait se trouver dans une situation dont il n'avait pas une vue claire et dégagée. Comme en mer, en fait, un œil braqué sur l'horizon, un autre sur la météo, on évitait bien des tempêtes.

D'un geste machinal, Heikki porta la main à sa boucle d'oreille. Un anneau d'argent qu'il faisait tourner dans son lobe lorsqu'il réfléchissait, une manière d'enfant peut-être, mais qui avait à force eu le don de rassurer son équipage. Quand Heikki triturait son oreille, rien de bien méchant ne pouvait arriver. Devant lui, ses hommes continuaient d'avancer, pataugeant à pleines bottes dans l'eau froide du port, débarquant les caisses unes à unes pour les poser sur les pavés branlant de la vieille rue. Ruine, rien que des ruines, et des fantômes. Ils étaient seuls, il n'y avait pas à s'en faire.

Dans la nuit, il entendit le déclique caractéristique du chien d'une arme à feu.
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Maintenant.




Lentement, Miilo laissa glisser son indexe et son pouce le long de l'une de ses moustaches. Pour son malheur, il semblait qu'il avait eu du flair sur ce coup-ci. Néanmoins, maintenant qu'il était là, se disputait à la légère satisfaction d'avoir eu raison de s'obstiner à remonter la piste de Heikki, la répulsion que lui inspirait la scène qu'il avait sous les yeux. A moitié immergé dans l'eau de sa baignoire, la peau blafarde et gonflée, un homme reposait les veines taillées. La mort avait certainement dû survenir il y avait des jours de cela car le sang avait largement coagulé sur les rebords de fonte, tournant en gruau noir et le tout dégageait une odeur à vous soulever le cœur. L'homme qui avait accompagné Miilo jusqu'au cadavre ne s'y était pas trompé et plaquait sur son nez un mouchoir brodé à carreau tout en se tenant dans le coin de la pièce le plus éloigné de la baignoire.

L'anarchiste grimaça.

- "Et vous n'aviez plus de nouvelles depuis quand ?"

L'homme haussa les épaules d'un air morose.

- "Une bonne semaine à vue de nez, je dirai. Je suis pas sa mère, hein."
- "C'était quand même un collaborateur à vous." répliqua Miilo.

L'autre eut un nouveau geste de dédain.

- "De la Merenelävät, ça oui, ça va les intéresser, mais moi je le connaissais pas vraiment ce type."

Poignets tailladés, bain chaud, Miilo ne serait pas surpris si on retrouvait dans ses affaires une lettre de suicide. Tout semblait indiquer de manière très claire que le hackeur s'était donné la mort tout seul, et que l'histoire pouvait et devait s'arrêter là. Mouais. Sauf que c'était le troisième cadavre sur lequel tombait le capitaine de la Fraternité depuis qu'il remontait la piste de l'assassinat d'Heikki. Oh bien sûr tous étaient décédés de causes tout à fait naturelles et rien n'indiquait qu'il y ait eu quoi que ce soit de suspect dans leur trépas. Rien hormis le timing. Deux, passait encore, trois ça n'était plus une coïncidence.

- "Je vous le laisse." dit-il soudain avant de se diriger vers la porte. L'odeur lui donnait la nausée.
- "Hein ? Eh, et j'en fais quoi moi ?" demanda l'autre.
- "Vous appelez les flics." Il allait passer le cadre de la porte lorsqu'il suspendit son pas. "Hm, vous devriez contacter Merenelävät avant quand même."

Si on tuait les agents de la Coopérative, il était peu probable que cette dernière apprécie et pour élucider rapidement l'affaire, à choisir entre les services de police pharois ou les pirates de la Merenelävät, Miilo aurait parié sur les seconds sans hésiter une seule seconde. Au delà de son antipatriotisme viscéral, pour ce qui était de garder un œil sur les mers du Nord aucune organisation ou État ne pouvait concurrencer avec l'influence de la multinationale.

Il descendit l'escalier de l'immeuble d'un pas rapide et débouchant dans une courtine, sortit son paquet de cigarette et s'en colla une entre les lèvres. Il avait espéré que le goût du tabac aiderait à faire passer l'odeur du mort mais il n'y parvint pas complètement, laissant à Miilo la désagréable impression d'avoir passé sa langue sur le corps. Il cracha par terre. Une vieille concierge lui hurla de dégager, que ce n'était pas une porcherie ici et que de son temps, on avait des manières. Le capitaine porta sa main au bord de sa capuche pour la saluer d'un geste d'excuse et s'éclipsa dans une rue adjacente.

Pour le moment il égrenait les suicides, chacun sonnant peut-être comme la confirmation qu'il avait posé le pied dans une affaire bien louche, mais sans pour autant lui apporter plus d'informations que cette simple conviction. De sa poche, il tira une liasse de feuilles. Les impressions du journal de bord personnel d'Heikki, qu'il tenait depuis son bateau. Ceux qui l'avaient abattu avaient peut-être coulé le navire mais les pirates de la Fraternité avaient comme n'importe qui su tirer parti de la modernisation du Syndikaali, et pas seulement en termes d'armes et d'explosifs. Heikki sauvegardait chaque jour son journal en ligne, crypté et déguisé sous la forme de banales et innocentes lignes de code d'un serveur de rôle-play géopolitique en ligne. Il avait suffit à Miilo de récupérer les dernières entrées et de craquer l'encryptage avec l'une des clefs de la Fraternité pour accéder à l'emploi du temps détaillé de son camarade sur les trois derniers mois.

C'était tragique à dire, mais d'une certaine façon le capitaine avait eu de la chance que se soit Heikki qui se fasse assassiner. D'autres membres de la Fraternité, à commencer par Miilo lui-même, se montraient un peu moins réguliers et rigoureux dans leurs rapports, les torchant souvent à la va-vite en fin de mois quand ils n'oubliaient tout simplement pas de les rendre. Cela faisait râler à coup sûr les comptables mais eh, ils étaient pirates, pas notaires. Heikki avait été d'un autre genre. Prudent, calme, protocolaire, autant de traits de caractères qui rendaient sa mort d'autant plus étrange. A en croire le journal, il avait contacté plusieurs agents de la Merenelävät au cour du mois derniers, patientant souvent plusieurs jours dans les environs avant de changer de ville. Tous ceux avec qui il était entré en contact voyaient leurs noms de codes précédés d'une mention (I), indiquant des compétences en hacking et informatique. Heikki prévoyait-il de mener une cyberattaque ? Si oui, à quelles fins ? Se pourrait-il qu'on l'ait liquidé pour l'empêcher d'agir ? Mais qui aurait eu une telle capacité de contre-espionnage ? Certainement pas le Pharois, le Syndikaali avait certes une police secrète efficace, mais elle était bien trop gangrenée par la Merenelävät pour lui trucider impunément trois de ses hommes, et puis les assassinats n'entraient que rarement dans ses méthodes. Les citoyens préféraient les arrestations spectaculaires et les exécutions publiques.

En marchant sans y penser, les pas de Miilo l'avaient mené jusqu'à la terrasse d'un café où il s'installa tranquillement. Il savourait chaque occasion de profiter des lieux publics, sachant parfaitement que si un jour son visage venait à filtrer jusqu'au gouvernement, il ne pourrait plus jamais s'accorder ces petits instants de paix. D'un geste il commanda un grand chocolat chaud avec une dosette de sucre supplémentaire puis lorsque le serveur se fut éloigné, ressortit les feuillets. Avant d'être venu ici, Heikki avait déjà rencontré deux "expert" de plus. Miilo ne se faisait pas trop d'illusions quant à l'état dans lequel il allait les retrouver, il soupira. Chose peu coutumière à cette latitude et en plein mois de mars, le soleil brillait haut dans le ciel et il faisait bon. Dans la rue, des jeunes gens se promenaient vêtus de simples vestes légères en bavardant et il semblait régner une atmosphère doucement paisible.

Presque comme mus par un spasme machinal, le capitaine plia et déplia ses doigts. Des doigts qui avaient trop connus la crosses des fusils et les répercussions des tirs jusqu'à son épaule, au point que parfois lorsqu'il se concentrait, il pouvait les sentir vibrer fantomatiquement. Pour le moment, il n'avait aucune idée de ce que cachait cette affaire mais une chose était certaine : il n'y aurait aucune pitié pour les ennemis de la liberté.
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Maintenant.




- "Mes condoléances pour vos pertes, Capitaine Miilo." dit l'agent de la Merenelävät.
- "Mes condoléances pour les vôtres." répondit Miilo.

Il en avait ras-le-cul des mondanités. Ras-le-cul de remonter tout seul une piste qui jour après jour ressemblait un peu plus à un foutu sac de noeuds en plein brouillard. Ras-le-cul des entrevues, des interrogatoires avec des citoyens peu coopératifs et qui avaient autre chose à penser, vu les derniers événements politiques qui secouaient le pays. Ras-le-cul aussi des concierges endeuillés qui vous répétaient qu'ils n'y comprenaient rien, qui pleurnichaient que ça allait leur poser des problèmes. Et surtout ras-le-cul de perdre son temps alors que de l'autre côté des mers, ses camarades entraient en action, de nouveau, portant coup pour coup aux fascistes et aux tyrans... enfin, essayaient.

La perte de la cellule Tempête avait été un choc, indéniablement, d'autant que c'était le deuxième groupe qui se faisait décimer en moins de deux mois. A croire que la Fraternité avait la poisse, où qu'il y avait des informateurs dans leurs rangs. Ca non plus, c'était jamais négligeable, malgré les précautions qu'ils prenaient. Des camarades, on en recrutait à la pelle sur les docks du Syndikaali, pas de soucis pour ça, mais des camarades fiables, qui ne soient ni des lâches ni des flics, ça... c'était une autre paire de manche. En tout cas, les gars et les filles de la cellule Tempête avaient été des braves et des amis de confiance. La disparition de trente d'entre eux... Bon, on n'y pouvait plus grand chose malheureusement, maintenant. Quoique Aukusti parlait d'aller prendre quelques otages parmi les civils francisquiens qui vivaient sur les côtes et négocier une libération. Miilo n'y croyait pas. C'était s'embourber encore plus dans une affaire déjà pas bien propre, la cellule Tempête savait à quoi elle s'exposait, elle connaissait les risques. Et puis au moins, eux, on savait comment ils étaient mort. Heikki, par contre, c'était toujours pas clair et pour ça au moins Miilo pouvait faire quelque chose.

- "Les nôtres ?" demanda l'agent d'un ton naïf.

Miilo n'était pas dupe. S'il avait été autorisé à arriver jusqu'à ce bureau alors que la Coopérative mettait généralement un point d'honneur à multiplier les intermédiaires entre ses services et la Fraternité, c'était que quelqu'un quelque part savait pourquoi il était venu et accordait au moins un minimum de crédit à ce qu'il avait à dire. L'anarchiste émit un bref grognement. Il n'avait pas envie de jouer. L'architecture massive de la pièce, de style brutaliste, et ses meubles polygonaux épurés le mettaient mal à l'aise. Le Syndikaali n'avait pas beaucoup d'arts qui lui soient propre, ayant passé des siècles à piller et ramener les travaux des autres sur son sol, mais le béton, les formes dures, ça il savait faire et en abusait un peu trop au goût de Miilo. Les villes l'emmerdaient et les villes brutales encore plus. Lui était un homme de la mer, des grands espaces dégagés où l'on pouvait voir venir l'ennemi et les seules masses qu'il aimait c'étaient les masses prolétariennes et peut-être un peu celles des iceberg, aussi.

- "Citoyenne Karoliina, Citoyen Leevi, Citoyen Lemminkäinen, Citoyen Margareeta..." commença-t-il à énumérer. "Et je vous parie ma chemise que si vous vous rendez au domicile du Citoyen Roopertti c'est un cadavre qui vous ouvrira la porte."

L'agent hocha la tête d'un air entendu.

- "Gardez votre chemise, Capitaine Miilo, le Citoyen Roopertti s'est défenestré hier matin. Une histoire de femme."
- "Tous des agents à vous."
- "Des collaborateurs de la Merenelävät." corrigea l'autre.
- "Ça fait une différence ?"

L'agent eut une moue embêtée.

- "Dans les faits pas vraiment, mais il ne vous appartient pas de connaitre en détail notre arbre hiérarchique. Tous sont morts de causes accidentelles néanmoins. C'est chose courante vous savez, et rien ne permet de relier leurs décès les uns aux autres."
- "Votre lien, je l'ai là." répondit Miilo et se faisant, sorti une clef USB de la poche de son manteau et la déposa sur la table. "Votre lien c'est mon camarade, le Citoyen Heikki, il les a tous visité quelques semaines avant leur mort..."
- "Sous-entendez-vous que ce serait ce fameux Heikki qui les aurait tué ?"

Le sang de Miilo ne fit qu'un tour.

- "Il est mort aussi, espèce de connard ! Tous morts ! Je pensais que la Merenelävät avait plus de couilles que ça pour pas se laisser liquider ses hommes sans broncher mais faut croire que pour des putains de capitalistes ça n'a pas d'importance ??"
- "Cela en a."

La voix de l'agent s'était soudain faite beaucoup plus froide mais il sembla à Miilo que c'était moins ses insultes qu'un désir de couper court à la plaisanterie qui avait motivé ce changement de ton. Miilo s'en foutait. Il avait regardé droit dans les yeux un paquet d'enfoirés dans sa vie, des bourreaux, des tarés, des petits chefs et des fascistes purs et durs, aucun ne lui avait réellement fait peur. Ce qui le faisait flipper, lui, c'était l'inhumanité du monde en général, ce putain de système qui fabriquait des machines vides et prêtes à renier tout et n'importe quoi pour un peu de pouvoir et un peu de fric. Mais les gens qui gravitaient dedans... c'étaient des victimes, avant tout. Leurs idées ne comptaient pas, c'étaient de simples scories, les conséquences prévisibles du raclement des contradictions du système. Ce qu'il fallait, c'était abattre l'infrastructure générale, faire table rase des modes de production pour opérer un pas de plus vers la société sans classes. Alors quand on affrontait un géant aussi colossal que ça, ce n'était pas un petit fonctionnaire qui allait l'intimider, fut-il de la Merenelävät.

Le fonctionnaire, de son côté, semblait bel et bien avoir fini de jouer. Il avait entré la clef dans une petite machine, certainement pour éviter les virus, elle-même reliée à un ordinateur dont il fixait désormais l'écran, sourcils froncés.

- "C'est le journal de bord d'Heikki." cru bon de préciser Miilo.

L'agent hocha la tête.

- "Oui cela corrobore à peu près nos soupçons." Concéda-t-il d'un air concentré. "Les hackers sont rarement les gens les plus stables du monde mais pas de là à commettre des suicides collectifs par concertation télépathique à plusieurs centaines de kilomètres de distance les uns des autres."

Imperceptiblement, Miilo se détendit un peu. Pendant toute son investigation, il avait sourdement craint que ça puisse être la Merenelävät elle-même qui faisait du ménage discrètement et que Heikki pour une raison ou une autre ait pu se trouver impliqué. Dans ce cas-là, lui-même n'aurait sans doute pas fait long feu s'il entendait percer le secret de la mort de son camarade. La Fraternité était crainte dans les eaux du Nord où elle avait ses cachettes et ses habitudes, mais loin de la banquise et des glaciers elle devait compter comme tout le monde sur les réseaux de la Merenelävät et ce n'étaient pas les deux-trois amis ici où là qu'ils se faisaient parmi les locaux qui les sauveraient si la Coopérative décidait soudain qu'ils étaient persona non grata dans sa zone d'influence.

Ça n'avait néanmoins pas l'air d'être le cas, sauf si l'autre essayait de le bluffer, mais Miilo ne s'était heureusement pas encore enfoncé à ce stade de paranoïa.

- "Donc il y a bien quelqu'un derrière tout ça ?" demanda l'anarchiste.
- "Il semblerait, quoique pour l'heure nous ignorions encore de qui il s'agit. Au vu du mode opératoire cependant nous écartons d'emblée la plupart des équipages pharois. Nos amis sont de formidables aventuriers mais des tueurs discrets et méthodiques, voila qui est moins dans leurs cordes.

Miilo hocha la tête, il en était arrivé aux mêmes conclusions. Il y avait bien Eero "trois putains" qui n'hésitait pas à faire disparaitre pendant la nuit ceux qui marchaient sur ses plates bandes, mais même lui ne pouvait résister au plaisir de signer ses lugubres forfaits. Dans la piraterie, la terreur qu'on inspirait à ses concurrents était plus utile que de rester anonyme et les institutions relativement permissives - d'aucun diraient corrompues - du Syndikaali encourageait plus à la frime qu'au silence. En fait, seule la Merenelävät préférait rester dans l'ombre et encore de manière très relative. Après tout, ses logos et étendards flottaient sur la moitié des chantiers navals de la région et sa flotte était quasiment aussi importante que la marine militaire d'un petit pays.

- "J'ai besoin de vos réseau." dit Miilo de but-en-blanc. "Mon enquête piétine pour le moment mais si vous me laissez avoir accès au reste de vos services... je retrouverai celui qui a assassiné mon camarade, et vos agents par la même occasion."
- "Collaborateurs." corrigea l'autre d'un ton absent. Miilo ne releva pas. "Nous allons faire plus que vous donner accès à nos réseaux, Capitaine Miilo." dit-il finalement. "Nous allons vous proposer une collaboration."

L'anarchiste grogna. "Je préfère agir seul."

L'autre ricana. "C'est faux, sinon vous ne seriez pas capitaine. Et c'est notre condition pour vous ouvrir un accès total à nos services, vous n'ignorez pas les privilèges que cela offre, n'est-ce pas ?

Comment l'ignorer ? La Merenelävät rendait jalousement haineuse la moitié du Syndikaali, l'autre ne rêvait que de rejoindre ses rangs. L'entreprise avait étendu ses tentacules sur l'ensemble du pays et sur un bon paquet des côtes de la mer du Nord par la même occasion. La plupart des services, équipements et divertissements que celles-ci proposaient vous étaient offerts de bon cœur sur simple présentation de leur carte d'accréditation, aucun équipage ne vous refusait une traversée, même pour des endroits officiellement fermés d'accès. C'était littéralement un passe-droit pour tout ce qui touchait à la mer dans cette région, vous entriez dans une nouvelle aristocratie.

Miilo cracha.

- "Je me fous de me faire sucer la bite gratuitement par vos putes, je fais ça pour Heikki et pour la liberté, c'est vos espions qui m'intéressent, pas le reste !"

Qu'on puisse imaginer l'acheter avec quelques tricornes de bonne facture et des verres de gin gratuits l'exaspérait. L'agent eut un sourire entendu.

- "Libre à vous, Capitaine. Mais certaines de nos "putes" sont également des espionnes et des espions alors ne faites pas tant la fine bouche."

Puis l'entrevue fut terminée. Cela se lisait sur le visage de l'agent qui se ferma soudain, retrouvant une face impassible et des yeux morts de bureaucrate. Il pianota quelques secondes sur son ordinateur, retira la clef USB et la tendit à Miilo.

- "Prenez-vous une chambre à l'hôtel Luksusta, près du port. Nous y enverrons notre agent, vous n'aurez pas à vous en plaindre." Puis, sans doute parce qu'il sentit que Miilo allait protester, il ajouta. "C'est notre unique offre, capitaine. Refusez-là et nous mènerons notre propre enquête de notre côté. Libre à vous de retourner faire votre deuil dans les eaux du Nord, ou d'attaquer à nouveau l'Empire Latin Francisquien et d'y périr, cela ne nous concerne plus."

Il y eut un instant de silence, puis l'anarchiste hocha la tête.

- "Soit. J'attendrai votre agent."

Il ramassa la clef, la fourra dans la poche de son manteau de fourrure et sans un regard, tourna les talons vers la sortie.
[Redacted], [Redacted],
Sérénissime République de Fortuna,
[Redacted], [Redacted],
Quelques semaines avant les évènement de Makkarie


Portrait crépusculaire de Redacted, l'un des lieux de rassemblement privilégiés de la Cour de Céramique
Portrait crépusculaire de [Redacted], l'un des lieux de rassemblement privilégiés de la Cour de Céramique


De faciès et d'ombres



Le soleil disparaissait doucement au loin, lui qui baignait jusqu'à présent cette face du globe de sa douce lumière s'en allait désormais accomplir sa destinée vers d'autres horizons. C'était ainsi là le signal pour les gens du secret qu'ils pouvaient marcher à découvert, la nuit, période de tous les dangers voyaient s'accomplir divers méfaits. Toutefois, vol, meurtre, viol et autres considérations du commun des mortels n'étaient pas les seules évènements à se dérouler dans l'ombre de l'astre solaire. Les bandits lambda faisaient en effet bien pâle figure face aux barons des ténèbres, qui eux même se faisaient fort petit face aux prédateurs du monde secret, et quel monde secret ma parole. Les faits divers et avis de recherche sur de les têtes connues du crime organisées n'était que la face émergée d'un iceberg bien plus grand comprenant à des milliers de mètres sous un océan de mensonges, de péchés et surtout d'actes inhumains qui vaudrait à toute âme un allez simple pour les enfers de toute mythologie confondue.

Et des poissons figés dans cette glace profonde, il y en avait, beaucoup plus que les théoriciens du complot à travers le monde ne pouvait l'imaginer. Cartels, ligues d'assassins et de tueurs à gages, cultes sanguinaires, concordat de groupes mafieux et cetera, et cetera... Toujours est-il que malgré la variété de la faune, celle qui avait à faire en cette fin de journée était en somme assez particulière, même pour les habitués des bas-fond. D'authentiques fantômes, des échos parmi les légendes, des on-dits à moitié étouffés, des gens du secret dans leur forme la plus authentique. Et dans les faits, une véritable société secrète en complots et en mystères à défaut de chaire et d'os. Quoique...

La cour de céramique était son nom "officiel" aux yeux du peu de personnes au fait de son existence en tant que tel et qui connaissait un tant soit peu sa véritable nature, ou tout du moins pensaient connaître ce qui n'était en fin de compte qu'une part de la vérité destinée uniquement à contenter un besoin d'assurances constant. Organe secret de la république Fortunéenne, seules les plus anciennes et prestigieuses dynasties patriciennes auraient pu se targuer d'être initiée à ce grand secret, mais bien évidemment et ce pour des raisons évidente, nul ne s'y risquait, pas même sur un accès de colère ou au cours d'une soirée un peu trop arrosée, ce n'était pas là quelque chose qui devait finir en ragot même si en somme, cela aurait pu faire l'effet d'une superbe blague complotiste. Si les objectifs de La Masquarade, car tel était son sobriquet officieux, étaient largement inconnus de tous, de même que les méthodes, quoique l'oligarchie se tamponnait à dire vrai allègrement l'oreille avec une babouche de ces détails car après tout dans leur esprit la fin justifie les moyens, son dévouement aux intérêts républicains n'était cependant plus à démontrer. C'était là en somme son rôle principal, soutenir la République, assurer depuis les ombres sa sécurité et faire prévaloir ses intérêts par tous les moyens à disposition, même et surtout via les moins moraux.

Prudente, avec des us, des coutumes et des procédures bien rodés afin de préserver un anonymat de ses membres, et ce même les uns des autres, il n'était jamais bon signe que l'organisation se réunisse "massivement" dans l'un de ses sites de réunion désignée qui changeait à chaque fois que l'on convoquait les porteurs de masque. Et oui, l'une de ces coutumes commandait à chacun des participants aux rencontres d'arborer un masque, tantôt en pierre, tantôt en bois, ou plus communément en céramique, et généralement ceux ci arboraient des traits spécifiques permettant de distinguer une personne d'une autre et de les nommer en fonction de ceux ci. Ainsi, c'était là une véritable fane à nul autre pareille voyant défiler de multiples bêtes, réelles comme mythologiques, qui auraient fait pâlir n'importe quel zoologue. Et c'était là sans compter la processions des multiples faciès du genre humain voir des légendes qui suivait de près. Une bien étrange assemblée de comploteurs encapuchonnés et dissimulés sous des soieries d'ébène dont une partie siégeait autour d'une immenses table ronde qui malgré sa taille imposante n'était guère suffisante pour accueillir tous les participants, et ce malgré que plusieurs sièges attitrés demeurent vides. Aussi, les malheureux n'ayant point droit de siéger se retrouvaient à observer depuis des alcôves surélevés en partie tandis que d'autres voyaient leurs masques à peine émerger de coins d'ombres isolés sur les bordures de la salle. Salle qui en toute somme ressemblait à une antique crypte à peine aménagée pour accueillir un "tel évènement".

L'Ibis- Qui parmi les lames des ombres demande une audience ?

La proclamation venait d'être faites par l'un des individus attablé qui s'était levé de son siège, ainsi un masque disposant d'une longue excroissance faisant office d'un très long bec.


L'Aigle - Qui parmi les égides des ténèbres convoque les servants de l'Ordre ?

Un autre faisait de même.

Le Tigre - Qui parmi les sages et les illuminé du voile nocturne en appelle à ses pairs ?

Déjà, un relatif brouhaha commençait à naître au sein de la salle alors que les murmures allaient bon train entre les porteurs de masques relégués aux abords des lieux qui depuis leurs alcôves hautement perchés et sous d'obscures arches émettaient déjà de multiples hypothèses que les raisons d'une telle réunion, assez rares d'ordinaires et jamais d'une tel ampleur.

Le Cerbère - Les trois dogues du tartare font appel aux honorables membres de la Masquarade afin de porter à leur connaissance de regrettable et préoccupantes nouvelles.

L'assemblée d'une voix commune -
Vos pairs écoutent.

Le Cerbère - L'un de nos collaborateurs dans les mers du nord, en voyage vers le lointain Walserreich a trépassé lors d'une croisière qui s'est vue interrompre sauvagement en son cours par l'irruption de pirates. Et les possessions qu'ils détenaient, CELLES de la cour sont introuvables. Pire encore, nos oisillons s'agitent et nous ont murmurés qu'il y a quelques heures de cela à peine les réseaux sous-terrains locaux ont reçu d'étranges requêtes.

Le vacarme environnant s'intensifia et des ton consternés, voir colérique commencèrent à s'élever.


L'Ibis - Inutile de passer par quatre chemin, nous seront partiellement compromis si nos secrets venaient à s'ébruiter. Que préconise l'honorable Cerbère ?

Le Cerbère - Que la Cour me donne mandat afin de régler cette affaire dans les plus brefs délais.

L'Aigle - Un seul mandat, une seule chance. L'un de vos pairs vous accompagnera afin d'accomplir la volonté de la Cour.

Le Tigre - Le Vieillard est tout désigné, il connait les mers du nord et a fait ses preuves à de multiples reprises. Allez donc, que le vent océanique vous porte et restaurez le Statut Quo.

L'ensemble de l'audience et de l'assemblée acquiescèrent d'un commun accord. La chose était actée et le cerbère, présent à la table s'éclipsa immédiatement sans demander son reste, la cour ne tergiversait pas et la décision était acté, les porteurs de masques se moquaient bien des détails et des circonstances tant que le mystère demeurait et qu'on leur rapportait leurs précieux documents, ce peu importe les méthodes.
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