21/02/2015
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Une rencontre qui a trop tardé [Pharois X Jashuria]

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Une fois de plus, le temps était à l’orage. Un chercheur d’Albigärk avait quelques années auparavant mené une large étude pour mesurer le taux d’ensoleillement de la région ouest-albienne et parvenir à la conclusion déprimante que les Pharois manquaient très clairement de vitamine D. Deux jours sur trois étaient couverts. Un sur trois était pluvieux. Quant aux tempêtes, elles avaient leurs mois de prédilections, frappaient la péninsule entre septembre et novembre, puis de février à fin mai. On s’était depuis des siècles habitué à sortir couverts et les fabricants de parapluies renforçaient systématiquement leurs baleines pour résister aux bourrasques marines.

Sur le tarmac, la délégation pharoise était sous feu nourri de pluie. L’un des lieutenants du Grand Capitaine Gabriel bataillait depuis deux minutes pour fermer son par-dessus dont les pans se gonflaient sous le vent ou venaient se plaquer contre son torse, quand ils ne menaçaient pas carrément de le faire tomber par terre. Hormis ce petit détail, on demeurait stoïque. Le pied marin n’était pas un mot creux, et qui avait navigué par gros temps savait camper ses deux semelles dans l’asphalte, les jambes imperceptiblement arquées pour épouser le roulis des vagues ou, en l’occurrence, de l’orage.

- J’espère qu’ils ne vont pas s’écraser, maugréa le Grand Capitaine, ça me la foutrait mal d’avoir attendu tout ça pour rien. »

Dans le ciel noir les lumières de l’avion jashurien se dessinaient comme une petite traînée d’étoiles filantes, improbables au milieu de la tempête. Quelques mâchoires se crispèrent quand l’appareil entama sa descente et épousa, non sans un léger cahot, le tarmac de l’aéroport militaire avant de freiner doucement sur la piste, escorté par des petits véhicules chargés de s’assurer qu’il ne dérapait pas. Quand finalement il s’immobilisa à quelques dizaines de mètres de la délégation pharoise, le Grand Capitaine s’agita, secoua son parapluie, puis clopinant s’en alla au pied de la passerelle qu’on venait d’ajuster devant la porte arrière de l’appareil.

- Laissez tomber les hymnes nationaux, de toute façon ils seront gâchés avec ce temps.

- Vous êtes sûr ? demanda le quartier-maître, c’est la fanfare inter-lycéenne de Pharot, ils seront déçus.

Gabriel balaya la remarque comme une mouche. « Ils joueront quand tout le monde sera au sec. Les Jashuriens nous en seront reconnaissant et moi aussi. Dites leurs d’aller se mettre à l’abri et de prendre du vin chaud, qu’aucun n’éternue dans sa trompette, ça ferait mauvais genre. »

Son second hocha la tête alors que la porte de l’avion s’ouvrait, le Grand Capitaine ouvrit les bras, canne à la main, dans un geste d’accueil.

- Bienvenue ! Bienvenue au Pharois… !

Un bourrasque de vent emporta la dernière de ses syllabes, lui arrachant une grimace. « Venez donc, on se serra la poigne à l’abri, foutu pays… on aurait dû organiser ça au Jashuria. »
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Les Jashuriens arrivèrent sur le tarmac, les roues de leur avion de ligne glissant sur le macadam dans un sinistre chuintement tandis que les moteurs meurtris par l’orage mugissaient une dernière fois. Les lourds nuages de plomb formaient une chape beaucoup trop proche du sol pour que les pilotes et les contrôleurs aériens n’autorisent un nouvel vol de sitôt. Tant que cette tempête durerait, nul avion ne s’élancerait dans le ciel de Pharot sans une raison valable.

La délégation jashurienne était arrivée dans la plus grande discrétion. Les récents évènements au Prodnov avaient jeté un froid entre les différents partenaires historiques du Jashuria et le pays tenait à ne pas ajouter de l’huile sur le feu en annonçant en grande pompe qu’il rencontrait l’instigateur secret du conflit du Prodnov tandis que les forces de l’ONC continuaient leur retraite vers le sud du pays. Si cette rencontre n’était pas secrète, le pays n’avait aucune intention de la médiatiser à outrance, du moins, tant que les différents sujets en souffrance entre le Pharois et le Jashuria n’étaient pas réglés définitivement.

Lorsque la rampe de débarquement s’arrima à l’avion diplomatique, les Jashuriens maudirent le fait que les Pharois n’aient pas prévu une rampe couverte donnant directement accès aux halls d’embarquement, comme c’était le cas dans de nombreux aéroports. La pluie s’engouffra dans l’habitacle au moment où le personnel de bord ouvrit la porte de l’avion, manquant de faire trébucher l’un des stewards. A peine protégés par les parapluies – inefficaces au vu de la situation – la délégation nazumie s’engouffra tête baissée dans les véhicules noirs de leurs hôtes, sans aucune autre forme de procès.

Lalana Preecha, Première Ambassadrice du Jashuria, était accompagnée pour l’occasion par Nantipat Sisrati, le discret Premier Ministre du Jashuria, plusieurs fois réélu à la tête du Cercle Intérieur. Les sorties officielles du Premier Ministre étaient rares et les codes de la diplomatie jashurienne étaient fait de telle sorte que son rôle soit essentiellement en retrait par rapport aux organes diplomatiques officiels. Pourtant, dans de rares cas, notamment lorsqu’il s’agissait d’enjeux prioritaires, le Premier Ministre prenait lui-même l’initiative de venir à la rencontre des interlocuteurs de son pays.

« J’ai bien peur, Grand Capitaine, que notre pays ne soit en pleine mousson. Les conditions météo sont au moins dignes du temps qu’il fait ici … la fraicheur en moins. »déclara le Premier Ministre d’un ton pince-sans-rire.

Il essuya les gouttes qui perlaient sur son veston et prit la serviette que lui tendait l’ambassadrice avant de plonger sa tête dedans. L’ambassadrice, quant à elle, ne s’était pas départie de son sourire habituel. Il semblait que même la pluie torrentielle l’avait évitée ... Elle remercia d’un ton poli son hôte.

« Grand Capitaine, c’est un plaisir de vous rencontrer enfin. J’espère que nous ne vous avons pas trop fait attendre. »
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Tout le monde allait finir trempé, si ce n’était pas déjà fait, et tandis que le Grand Capitaine échangeait quelques politesses pressées, ils invitèrent prestement les Jashuriens à les suivre vers un hall couvert. A peu près tout ce que la rencontre comptait de protocolaire s’était réfugié dans celui-ci, la fanfare, les diplomates et les petits fours – ces-derniers n’aillant heureusement pas été touchés par la pluie.

- Bien la première fois que je souhaiterai être un canapé, commenta le vieux pirates d’un œil maussade, alors que se précipitaient vers eux du personnel diplomatique avec des serviettes. « Mieux aurait valu des parapluies. Il se tourna vers le Premier Ministre. Excusez nos manquements, quand un gouvernement tombe il emporte certains savoir-faire dans sa chute. La moitié du service diplomatique est composée de marins rustres. Mais nous avons encore quelques professionnels dans la poche, ne vous en faites pas héhé, au moins ceux qui rédigent les contrats. »

Le pirate blanchi et calvitié donnait, mouillé comme il était, l’air de s’être ratatiné. Ça avait pourtant été un homme de grande taille, dont la posture laissait deviner qu’il avait autrefois eut de la carrure. Aujourd’hui toutefois, hormis un bon goût vestimentaire certain et son ton tranquille, ne restait du pirate de jadis qu’une ruine, brisé par le travail physique et dangereux, rongé par la mer et la paranoïa.

- Vous voulez entendre la fanfare maintenant ? Je m’en passerai bien je vous avoue, tout le monde connaît son hymne national ici, pas besoin de se rafraîchir les idées. Mais on laissera quand même les petiots le jouer à un moment, ça leur fait plaisir.

Il hocha la tête, comme s’il confirmait ses propres paroles, et attrapa une tasse de thé qu’on leur présentait chaud.

- Il y a du Jashurien si vous aimez votre propre poison, mais si vous voulez quelque chose d’exotique nous avons également des spiritueux ou du café.

Lui se saisit d’un thé.

- Je ne bois que celui-là, consommer quelque chose de bon, ça vous donne moins envie de vous fâcher avec ceux qui le produisent, n'est-ce pas ? Bon, nous parlons du Prodnov ? Ou vous voulez commencer par du blabla ?
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Les diplomates jashuriens finirent de s’essuyer avec les serviettes tendues par le personnel diplomatique. Le grand hall couvert procurait un abri parfaitement acceptable et il aurait été de mauvais goût de faire remarquer à leurs hôtes que la délégation jashurienne était habituée à mieux. Le Hall des Ambassadeurs ne pouvait se formaliser d’un décorum foutu en l’air par la pluie. A l’impossible, nul n’était tenu et les Jashuriens n’étaient pas des gens désobligeants.

« Ces manquements ne nous gênent en rien Grand Capitaine, reprit le Ministre Sisrati. Au moins, nous sommes au sec et en bonne compagnie. Quant à la fanfare, nous l’écouterons plus tard, une fois que nous serons secs, si vous le voulez bien. Je m’en voudrai de repartir sans avoir écouté ces jeunes gens qui ont bravé les éléments pour nous.

Les Jashuriens acceptèrent volontiers les boissons présentées. Pour la Première Ambassadrice et le Premier Ministre, du thé, bien évidemment. On ne changeait pas une équipe qui gagne. Les deux comparses échangèrent des regards entendus tandis que le personnel pharois s’agitait pour satisfaire leurs goûts en matière de boisson chaude.

Le Grand Capitaine n’y était pas allé par quatre chemins et avait décidé de couper court aux salamalecs habituels pour se concentrer sur le sujet le plus brûlant de la diplomatie pharo-jashurienne : le Prodnov …

« Mais de quel Prodnov parlons-nous, Grand Capitaine ? déclara la Première Ambassadrice sans se départir de son sourire. Voulez-vous parler du Prodnov de Belleski, des deux Prodnov, ou du futur Prodnov ? Il me semblait que nous avions tout dit au sujet du Prodnov de Belleski et assumé une décision claire par rapport aux deux Prodnov … Je suppose donc que vous voulez parler du Prodnov réunifié qui est actuellement en train de se dessiner … A moins que vous ne souhaitiez ressasser le passé ? »

Les Jashuriens avaient quitté le Prodnov libre depuis belle lurette. Il était hors de question pour la République des Deux Océans de mourir pour un pays aussi peu stratégique et dont la population était un foyer de révolution violente. Les Jashuriens s’étaient repliés en bon ordre et étaient repartis au Nazum, où le pays avait fort à faire pour gérer les retombées de la présence communiste au Mokhaï. Ce qui intéressait les Jashuriens dans cette affaire n’était pas le maintien de leurs activités au Prodnov, mais la préservation des bonnes relations avec le Pharois, qui s’était toujours révélé un partenaire, certes éloigné, mais globalement fiable. De manière générale, les deux pays n’empiétaient pas sur les plates-bandes de l’autre et le Jashuria entendait bien à ce que la situation reste ainsi.
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Gabriel balaya l'air d'un geste de la main.

- Non non, le passé est le passé, je ne tiens pas plus que ça à voir ressurgir le fantôme de Mainio de sa tombe. C'est d'avenir dont nous causons. Et un avenir chaud, si vous voulez mon avis. Je voulais m'assurer qu'il n'y avait pas... disons de rancœur, entre nos deux nations. Manquer de se trébucher dessus sur un champ de bataille, ça peut laisser des traces.

Il avala une gorgée de thé, grimaça, tendit la tasse à l'un de ses subordonnés pour qu'on y ajoute un nuage de rhum.

- Par ailleurs, et en gage d'amitié, j'ai ici quelques "documents" disons, tombés du placard, hein. Coup de bol, quelqu'un a eu l'intelligence de les plastifier donc la pluie n'y fera rien.

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- Par ailleurs mais gardez cela pour vous, j'ai discuté avec ce monsieur Malyshev au Prodnov. Il se dit disposé à négocier, le cas échéant, la non saisie des investissements de certains pays en RLP. Ce qui n'a pas été détruit dans la guerre, bien sûr. D'après lui cela pourrait passer par un rachat pur et simple des actions, ou par une reprise des activités économiques pré-guerre. Je trouve cela arrangeant m'est avis, selon si l'on désire continuer d'investir dans ce bourbier.

Le vieillard eut un sourire carnassier.

- La RSP nous a lâché quelques monopoles sur place, c'est la moindre des choses étant donné que nous lui avons fourni le gros de son armée...
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Les deux officiels jashuriens échangèrent un regard entendu.

« Une vedette pharoise aurait-elle tué un pêcheur jashurien par mégarde ? Si tel est le cas, nous n’en avons pas connaissance, déclara le Premier Ministre avec facétie. Le Pharois aurait-il commis quelque action de nature à attirer notre mécontentement ? Vous m’en trouverez fort surpris, Capitaine Gabriel ! »

Les Jashuriens savaient parfaitement où était leur intérêt. Les Pharois n’avaient jamais véritablement menacé les intérêts de la Troisième République. Le Prodnov, même si la situation était complexe, n’avait pas vu le moindre soldat jashurien tomber sous les coups d’un insurgé de RSP ou d’un soldat pharois. Les deux pays … s’évitaient … Ce qui permettait aux Jashuriens, aujourd’hui, de ne pas arborer la moindre rancœur vis-à-vis des Pharois. Bien entendu, la catastrophe n’était pas passée loin et les relations entre les deux pays en auraient été irrémédiablement entachées. Mais au final, l’absence de conflit direct et le rattrapage diplomatique allaient peut-être permettre aux deux pays de se rapprocher. C’était une opportunité que les Jashuriens entendaient bien saisir.

Les Jashuriens acceptèrent de bonne grâce les dossiers « égarés » de la CARPE. La Sérénité serait contente de voir que les yeux des Pharois s’attardaient parfois sur ce qu’il se passait au Nazum … et procèderait probablement un audit interne pour réévaluer le sujet de Macao, qui ces dernières années, avait été complètement étouffée par la présence du Jashuria et du Fujiwa dans les environs. La métropole listonienne était suffisamment entourée et muselée pour ne plus poser aucun problème, mais il se murmurait dans les arcades du pouvoir que les choses pourraient bien changer sous peu. Les Jashuriens, en secret, activaient progressivement de nouveaux réseaux diplomatiques et clandestins pour remettre Macao dans le giron des Nazuméens …

« Concernant le Prodnov de Malyshev, je pense que vous vous méprenez sur notre fonctionnement, continua le Premier Ministre. Ces investissements appartiennent à des entreprises jashuriennes qui ont eu la mauvaise idée d’investir dans une zone instable. Nous perdrions au change si notre État devait rattraper les bourdes d’entreprises avec si peu de jugeote. Ceci étant dit, il serait aussi très peu sagace de la part du Jashuria d’accepter de revenir au Prodnov et de participer activement à la politique de Malyshev après avoir laissé le Prodnov Libre se débrouiller seul. Nous passerions pour des opportunistes sans aucun honneur, ce que nous ne pouvons nous le permettre en ce moment. La Troisième République du Jashuria a acté son départ du Prodnov et compte s’y tenir. Nous ne passerons aucun accord avec Malyshev, surtout si c’est pour venir en aide à des entreprises qui se sont brûlées en jouant avec le feu. »

Le Premier Ministre n’allait quand même pas pleurer pour les entreprises jashuriennes avec peu de hauteur de vue. S’étant ruées sur le Prodnov Libre sans s’assurer de sa viabilité, elles avaient pêchées par orgueil et impatience et s’en mordaient désormais les doigts. La vie économique jashurienne était faite de ces petits contretemps et de ces petits échecs qui permettaient de … purger … les entreprises qui ne savaient pas planifier correctement leurs actions. L’orgueil était une mauvaise manie. Il était bon de voir que de temps en temps, l’arrogance se payait.

”Maintenant que nous avons clarifié notre position sur le Prodnov … Comment les capitaines pharois imaginent-ils l’avenir vis-à-vis de la République des Deux Océans ?” ajouta la Première Ambassadrice sur un ton plaisant.
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- Bien bien, grogna Gabriel face au flegme des diplomates Jashuriens. « C’est une bonne chose qu’il n’y ait pas d’ambiguïtés. »

Il se laissa malgré tout remettre en place sans râler, se contentant de hocher la tête d’un air entendu aux explications de la délégation nazuméenne sur les restes économiques de ce qu’avait autrefois été la RLP.

- Le dossier est clôt dans ce cas. Je passerai le message à ce monsieur Malyshev.

Il failli ajouter quelque chose sur l’opportunisme diplomatique mais eut la sagacité de ne rien dire. Gabriel était peut-être un sale type, du genre bileux et rancunier, mais on ne faisait pas carrière dans la piraterie sans un minimum d’intelligence sociale et ces Jashuriens, mieux valait les avoir de son côté. Or le danger est notre affaire.

Il enchaîna avec satisfaction.

- Nos pays sont éloignés d’un monde, c’est peu de le dire. Deux océans et une mer nous séparent et pourtant là où d’autres seraient rebutés par le voyage, j’y vois moi une source d’opportunités car même si la navigations de nos jours est plus sûre et bien… la mer reste un lieu de danger.

Il eut un rictus mauvais.

- Alors voilà, l’ONC a sanctuarisé ses routes commerciales, blablabla, la vérité c’est que vous ne pouvez pas avoir un navire militaire derrière chaque cargo. Plus de 13 000 kilomètres séparent le Pharois et le Jashuria à vol d’oiseau, c’est une sacrée trotte et la mer Blême et l’océan des perles ne sont pas les régions les plus civilisées du monde. Sans même parler de l’océan du nord, cela peut rebuter. Ce que donc j’avais en tête, c’est un accord bilatéral avec une partie officielle et une partie officieuse.

L’officielle, c’est un accord pharo-jashurien de sécurisation de la route commerciale reliant nos deux nations. Un axe vertical, littéralement. Nous pouvons par ailleurs mettre le Banairah dans l’équation, avec la commune de Jadida ils sont placés pile poile au milieu. Sécurisation du commerce dit marchands confiants, dits plus d’échanges et un enrichissement mutuel. Nos flottes conjointes sont largement capables d’assurer l’ordre dans toute la région sans souffrir de concurrence et je connais un certain nombre d’équipages pirates qui seront trop heureux de se reconvertir en corsaires.


Gabriel marqua une pause.

- L’officieux maintenant, c’est le pillage volontaire et parfaitement délibéré de la concurrence économique. Les navires jashuriens passent les navires non jashuriens ont des accidents. Pas de bol, la mer est vaste, il peut arriver tout un tas de problème imprévus. Tempête, pirates, je ne vous les énumère pas. Avec les bons renseignements et un peu de savoir-faire, dans six mois tous les pays de cette route sauront quel pavillon il vaut mieux battre pour ne pas avoir d’emmerdes. Vous attirez les investisseurs étrangers, écrasez la concurrence et nous, nous nous enrichissons sur les malheureux qui n'ont pas encore saisi les règles du jeu.
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Les capitaines pharois étaient fidèles à leur réputation peu enviable de pirates, mais cela n’était pas pour déplaire aux Jashuriens. Ces derniers savaient pertinemment à qui ils avaient à faire et n’imaginaient pas que leurs interlocuteurs se comportassent autrement qu’en dignes représentants de la piraterie moderne en complets gris et cirés jaunes. La délégation jashurienne était cependant bien consciente qu’un pas vers les Pharois était un prérequis à une amélioration de la capacité commerciale vers les routes nordiques, un point que leur envieraient certainement leurs propres alliés de l’Organisation des Nations Commerçantes.

Car il ne fallait pas s’y tromper. Sous leurs dehors affables et leurs manières élégantes, les Jashuriens avaient tout appris des Fortunéens et faisaient preuve d’une virtuosité certaine dans l’art délicat de manger à tous les râteliers sans se faire pincer. Pire encore, si les Pharois passaient pour des ogres mangeurs d’enfants auprès de nombreuses nations, les Jashuriens n’étaient pas en reste, mais avaient su cacher de nombreuses exactions avec brio, si bien que leur image à l’international était celle d’une nation bien sous tous rapports.

C’était bien entendu si l’on omettait le pillage de l’or du Plantar, les négociations en sous-main pour s’assurer du contrôle des îles limésiennes tenues par le Fujiwa, les tentatives de déstabilisation de Macao, l’humiliation publique des forces armées listoniennes, l’extorsion d’un port-franc au Mokhai, l’intervention au Prodnov, les réseaux d’espionnage aux quatre coins du monde, les prisonniers militaires loduariens, les connivences avec le Kah, le rapprochement diplomatique avec le Suprême de Thidarie, la disparition du Centron suite à l’apparition d’un drone de reconnaissance, l’échec du premier congrès des nations afaréennes, le largage en beauté du Prodnov, le financement de l’Union des Travailleurs de Kotios et l’organisation du Port de Nulle-Part, …

La République des Deux Océans était loin d’être aussi immaculée qu’elle ne le laissait paraître, mais ces scandales étaient suffisamment discrets pour que peu s’en émeuvent. Cela permettait aux Jashuriens de continuer leurs affaires en toute quiétude tandis que le reste du monde brûlait. Mais les Pharois étaient loin d’être dupes des faux-semblants jashuriens et il paraissait de moins en moins utile de maintenir les masques, sauf pour un aspect purement performatif et de bonnes convenances.

Le Premier Ministre jashurien avait beau être un politicien discret, il n’était pas arrivé à son poste en serrant des mains et en offrant de beaux sourires à son peuple. Sans se départir de sa bonhomie naturelle, il répondit avec honnêteté au Capitaine Gabriel :

”Vous avez parfaitement saisi notre problème. Bien que l’Organisation des Nations Commerçantes soit attentive, elle n’est pas omnisciente … D’ailleurs, qui pourrait affirmer contrôler l’ensemble des routes, mmmmh ?”

Une petite pique inoffensive à l’adresse du Capitaine Gabriel. Car si la surveillance de l’ONC n’était pas complète … elle jouissait de l’appui de tous ses membres. Le Pharois, lui, était relativement isolé, ou s’appuyait sur des pays dont la capacité de contrôle restait douteuse. Certes, le poids économique et militaire du Pharois était incontestable … mais lui aussi ne pouvait avoir un navire militaire derrière chaque cargo.

”L’idée de sécuriser une voie commerciale partant d’Agartha jusqu’au Pharois est des plus enthousiasmantes. Le développement de la plateforme logistique de Destanh avec le Banairah et le port-franc de Galiya au Mokhai nous offre un appui stable à partir duquel sécuriser un accès jusqu’au détroit et au-delà. Oh, bien sûr, il aurait été préférable d’avoir un point d’appui au port de Nevskigorod, mais malheureusement, il n’y a plus de Jashuriens dans la ville pour une raison qui m’échappe, ce qui est bien dommage …Mais il parait qu’il y a un charmant port prodnovien nommé Peprolov qui serait idéal pour faire mouiller nos navires. Nul doute que si de sympathiques Capitaines au nez fin faisaient jouer leurs relations et offraient à nos transporteurs une zone de mouillage là-bas, des Jashuriens bien inspirés ouvriraient grandes les portes de leurs plateformes logistiques. Néanmoins, nous attendrons que les tensions soient retombées … Nous ne voudrions pas brusquer les choses, n’est-ce pas, monsieur le Premier Ministre ?” déclara Lalana Preecha d’un ton doux.

Cela faisait des années que les Jashuriens investissaient dans les ports et les plateformes logistiques de l’océan des perles et ils étaient à leur aise dans ces eaux, mais la possibilité de profiter des installations portuaires de Peprolov et d’un accès direct à l’économie pharoise était beaucoup trop tentante, malgré les remarques du Premier Ministre sur l’image du pays, qui serait irrémédiablement ternie si les Jashuriens discutaient ouvertement avec le régime prodnovien à peine Staïlgad reprise. Mais … la Première Ambassadrice savait que ces tensions ne seraient que de courtes durées. Sitôt la poussière retombée et le Prodnov réunifié, le business reprendrait … et les Jashuriens pouvaient aisément profiter de l’influence pharoise pour obtenir des contrats de mouillage plus qu’intéressants.

Le Premier Ministre lui lança un regard éloquent. Le Hall des Ambassadeurs avait largement plus d’influence que l’exécutif jashurien sur les questions internationales et à ce titre, même si Nantipat Sisrati n’était pas né de la dernière pluie, c’était bien la Première Ambassadrice et ses sbires qui menaient la danse jashurienne à l’international. Bien que leurs relations de travail aient toujours été au beau fixe, il arrivait que leurs violons ne soient pas parfaitement accordés. Si Nantipat recommandait plutôt une scission claire avec les intérêts prodnoviens pour éviter l’ire des collaborateurs de l’ONC, Lalana, elle, envisageait clairement repositionner les intérêts jashuriens sitôt que les esprits se seraient calmés et que le commerce pourrait reprendre.

Quant à la question … officieuse …

”Il est vrai que les mers et les océans sont dangereux … ”

Il plongea son regard au-dehors. La pluie ne cessait toujours pas et les nuages semblaient toujours aussi lourds.

« Nous n’allons pas vous cacher qu’il s’agit-là d’une proposition des plus intéressantes, qui permettraient à nos deux pays de s’enrichir sans se porter mutuellement préjudice. Quelque chose de tout à fait profitable en somme … A supposer qu’il existe toujours des imprudents pour se risquer à braver les nouvelles règles du jeu. »

La proposition pharoise était des plus alléchantes, sur le court terme. Car dès lors que les pavillons n’arborant pas le drapeau blanc barré de cyan auraient disparu comme les baleines rouges, il ne resterait peut-être plus suffisamment de navires à piller. A moyen terme, le risque était de devoir payer une redevance aux capitaines pour éviter les attaques sur les navires battant pavillon jashurien, si d’aventure plus aucun navire de transport n’osait franchir la Mer Blanche. Mais les Pharois pratiquaient la piraterie depuis des siècles. Ils connaissaient parfaitement la manière dont gérer leur écosystème et savaient quels fils tirer pour générer suffisamment de trafic étranger pour pouvoir délester quelques navires sans affoler les autorités internationales et régionales.

”Ce type d’arrangement nous convient parfaitement. Il n’y pas meilleur accord que celui où nous sommes mutuellement bénéficiaires.”

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