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ACTIVITÉS INTERNES
Φήμες για τον Ιάγκομπ
Rumeurs du Yaghob

Dernière mise-à-jour : 21/08/2012

Fleuve Yaghob en Iskandriane (fleuve Indus en Inde)
Le fleuve Yaghob et ses nombreuses vallées sont la colonne vertébrale de l'Iskandriane continentale.

Sur les berges du Yaghob se tiennent les grandes villes de l'Iskandriane continentale, mais aussi ses points géographiques les plus caractéristiques. De l'extrême-nord du pays où le fleuve-monde prend sa source jusqu'à la mer Blême où il se jette dans le delta du Yaghob, la société iskandriote se trouve adossée à cette particularité topographique si distinctive de l'Iskandriane. Le contrôle de l'eau est de plus un élément crucial dans la société iskandriote où le sous-développement n'a d'égal que la barbarie. En Iskandriane, d'aucuns diraient que « l'humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village ».

SOMMAIRE
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RÉCIT
Kaliyuga

05/05/2014

Qilapur, chef-lieu du Qilastan, Iskandriane (ville détruite, Afghanistan)
Débutée fin 2011 par la campagne militaire dite de la Marche du Nord par les révolutionnaires, la bataille du Qilastan se poursuit.

Midi et quart. Les balles s'écrasent dans un fracas sourd à travers la boue qui jonche les rues de la ville, alors que l'escouade du capitaine Bhakta s'enfonce dans les méandres du quart septentrional de la cité. Qilapur, autrefois joyau de la vallée du Yaghob, était aujourd'hui le dernier champ de bataille de la première séquence de la Marche vers le Nord, cette campagne militaire sanglante menée avec hargne par les troupes révolutionnaires du régime de Gordhangas Katsariades contre les sécessionnistes au nord. Dans les décombres de la cité anciennement en plein développement, des petites troupes comme celles du capitaine Bhakta sont tout ce qui empêche encore la ville de basculer complètement à l'ennemi révolutionnaire. Les nationalistes yaghobs, soulevés il y a plus d'un an contre la tyrannie du régime Katsariades, comptent leurs morts dont le nombre s'accumule de jour en jour, à chaque seconde que se poursuit l'infâme bataille de Qilapur.

Le capitaine Bhakta, abrité derrière un immeuble, compte ses hommes. D'une escouade d'une trentaine, une petite quinzaine demeure, après une terrible rencontre surprise avec des soldats révolutionnaires embusqués à un croisement de la ville. Ici, chaque mètre compte dans l'esprit des hommes, tant en avant qu'en arrière. Les combattants trop timorés se voient infliger de lourdes sanctions par leur hiérarchie, avec comme motivation ultime de ne pas se faire assassiner pour désertion en cas de renâclements trop fortement exprimés. Les balles d'en face n'ont d'égal que la baïonnette dans le dos de ces hommes, tenue par la police militaire qui veille au grain au respect des dures lois de la mort sur le champ de bataille. Les effectifs sécessionnistes, bien que drastiquement drainés par la léthalité du champ de bataille, souffraient d'un faible taux de désertion. Les hommes qui reculaient, reculaient vers l'avant et se voyaient sanctionner par l'adversaire.

Hypnotisé par le caractère vertigineux de son dur labeur de commandant, le capitaine Bhakta ne voit plus les balles, les ennemis franchir les lignes et s'effondrer sous le feu nourri de ses ouailles. La guerre au Qilastan, initialement lancée en fanfare avec tous les moyens possibles et imaginables de cavalerie du régime révolutionnaire d'Iskanderabad, s'en est bien vite réduit aux affrontements primaux à la baïonnette, à la pelle et aux armes de poing dans des ruelles et tranchées des boyaux de la cité de Qilapur. Si en rase campagne les révolutionnaires ont rapidement balayé tout espoir de contre-offensive yaghobe, les sécessionnistes ne lâchent les rues de Qilapur qu'au prix de centaines de vies. Un coût extrêmement élevé pour des artères reprises le lendemain. En dépit de cette stratégie jusqu'au-boutiste des sécessionnistes, les révolutionnaires avancent.

Depuis plusieurs mois, la cavalerie est stoppée aux portes de la ville, tandis que le peu d'artillerie dans les mains des deux camps ne chante plus que rarement tant les denrées nécessaires se font rares. Peu de pays veulent se mouiller à fournir des obus en quantité à l'un des deux côtés. Les combattants étrangers, qui faisaient florès au début également, se font plus rares. Le capitaine Bhakta a entendu parler d'opérations de choc portées par des auxiliaires révolutionnaires étrangers, mais ces forces restent parcellaires, contingentées et peu adaptées à l'éreintante bataille des rues. La ville, devenue inhabitable pour partie, est un charnier humain où seuls les plus patriotes s'aventurent, portés par l'idée soit d'unifier l'Iskandriane sous le règne révolutionnaire soit d'amener la Yaghobie vers une indépendance totale. Dans les deux cas, la ferveur, amplifiée par la peur, donne des scènes de combat ignobles.

Le capitaine Bhakta avait ainsi vu plusieurs de ses soldats balayés par une attaque suicide d'un enfant ceinturé d'explosifs, tandis que le recours aux enfants soldats est devenu une exception de par le monde. Au contraire, l'Iskandriane, comme à reculons du sens de l'histoire, s'enfonce dans des pratiques militaires barbares et ranime les antiennes du totalitarisme et du cynisme machiavélien. Le capitaine Bhakta, encore accroupi derrière son immeuble, protégé par ses hommes, laisse égrainer ces pensées terribles alors que son instructeur radio l'informe des évolutions de la situation de leur zone. Revenant à la réalité, le capitaine écoute attentivement son attaché de liaison, dont le rôle, bien que mal défini par toute la machine administrative essoufflée de l'armée yaghobe, est précieux.

« Mon capitaine, une escouade va nous relayer pour conserver le point de contrôle. Le quartier général nous informe que nous ne pouvons pas rester là, ils redoutent un raz-de-marée humain des révolutionnaires dans les prochaines heures, nous ne pouvons pas rester sur place sans renfort.

- Et l'équipe de Rahul, à l'ouest ? Ils ne peuvent pas rappliquer ?

- Mon capitaine, le caporal Kagalwala et ses hommes ne répondent plus, ils ont probablement été tués.

- Bon... Mais le quartier général compte nous extraire comment ? Quand est prévue cette fameuse relève ?

- Ils n'ont pas précisé... Ce pourrait être dans plusieurs heures.

- Tu vois bien que nous n'avons pas les moyens de tenir ! En face de nous ils arrivent par dizaines, nous ne sommes pas assez nombreux !

- Je... Je vais leur dire mon capitaine », ânonne le soldat, pendant que son supérieur hausse les épaules avec colère et se retourne vers sa troupe. S'approchant, toujours accroupi, d'un homme sans casque gisant au sol blessé, le capitaine Bhakta lui tend un morceau de galette qu'il tient en main. Sans un mot, le soldat le remercie, hochant la tête avec reconnaissance. Derrière le blessé, des hommes s'affairent autour d'une porte qu'ils essaient d'enfoncer. Dans un craquement sinistre, les gonds du portail lâchent, dévoilant avec fracas et poussière soulevée l'intérieur du bâtiment auquel sont adossés les soldats de l'escouade du capitaine Bhakta.

Tandis que les orgues d'Iskanderabad se mettent à chanter en arrière-plan, les membres de l'équipée du capitaine se placent à travers le bâtiment, sécurisant les différents étages et s'en informant à grands renforts de beuglements. La queue du militaire cortège pénètre à son tour dans l'édifice, non sans laisser derrière elle un combattant, encore un, tombé sous les balles de l'adversaire révolutionnaire. La situation de la troupe, plus que précaire, paraît désormais intenable. Les renforts, inespérés, n'attendront probablement pas le groupe à temps, tandis que l'étau révolutionnaire se resserre autour de la baraque devenue casemate et baroud d'honneur des combattants sécessionnistes. L'instructeur radio, déboussolé, transmet déjà le signalement du repli de la quasi-totalité des forces nationalistes yaghobes du secteur. Se raclant la gorge, le capitaine Bhakta éructe des ordres à l'attention de ses soldats.

Plus loin, en amont du front, les forces sécessionnistes sont sur le qui-vive. La lutte dans la cité, qui bat son plein, ne s'annonce pas gagnée pour les révolutionnaires, mais la victoire semble également étrangement lointaine pour les troupes yaghobes. Le combat, perdu d'avance, est une véritable plaie démographique à vif sur le flanc de la jeune nation du Yaghobistan. La jeunesse du pays enfin libéré se relaie sur un front d'une guerre interminable pour espérer assurer la subsistance de leur descendance future, qu'ils n'auront peut-être pas la chance de côtoyer si le conflit venait à s'éterniser. Au croisement de deux rues aux portes nord de la ville, le camp de base de toutes les troupes yaghobes présentes sur place trône fièrement, comme menaçant par son existence-même l'occupation par les révolutionnaires de la ville de Qilapur.

Mais en dépit de toute la ferveur nationaliste des deux camps, le moral des sécessionnistes est au plus bas. Les défaites, qui s'amoncellent, ne sont doublées en quantité que par les regrettables pertes humaines que connaissent les yaghobes. Une tragédie pour la guerre, une tragédie pour la paix. Des charniers humains sont déjà signalés de part et d'autre du front urbain par des journalistes et humanitaires indépendants s'étant risqués à l'exercice périlleux de sillonner la ville en guerre, tandis que la hiérarchie militaire yaghobe remonte quotidiennement des découvertes macabres d'exactions révolutionnaires. Le projet d'unification nationaliste revendiqué par Iskanderabad prend progressivement les tours d'un nettoyage ethnique en bonne et due forme.
20120
RÉCIT
Bras de fer à Sozb

05/05/2014

Sozb, capitale des îles Chesmites (Bandar Abbas, Iran)
Sozb est la capitale de la République des Îles Chesmites, située sur l'île homonyme à l'ouest de l'archipel.

L’ambiance était calme dans les rues de la capitale de l’archipel des Îles Chesmites. Les longues avenues d’inspiration varanyennes du chef-lieu insulaire, Sozb, étaient baignées par les rayons du soleil brûlant, qui venait anesthésier les rares badauds osant parcourir ces grandes artères désertes. Les quelques malheureux bravaient l’astre solaire et ses ardentes émanations pour se rendre d’un point à l’autre, d’une boutique à un appartement ou inversement. Dans ce cadre aride circulaient quelques véhicules, dont l’armature en acier captait goulument la chaleur du point central de la voûte céleste pour la distribuer, avec une terrible et malheureuse générosité, aux occupants de l’habitacle.
C’est dans cette scène étouffante que progressait la berline noire de Aimilios Zenlis, haut-représentant de la Principauté de Cémétie dans les Îles Chesmites. Son véhicule, une imposante cylindrée de service de la marque cémétéenne Gerotis, se laissait traîner avec une nonchalance mécanique certaine dans les allées de la cité insulaire, vrombissant légèrement et laissant miroiter le plein potentiel de son moteur. Les vitres teintées de la voiture officielle ne laissaient transparaître au quidam que l’importance de l’occupant de l’arrière de la voiture, dont le rôle était rapidement devenu connu sur l’île de Sozb. La ville, en proie au flegme de toute cité maritime, s’ouvrait comme par enchantement sous les roues de la Gerotis.
Le véhicule conservait un cap précis, abordant les rues avec la certitude de se porter dans la bonne direction. Les pneus crissaient aux virages et la voiture se dirigeait d’un air décidé vers le Kākh-e Jomhouri (کاخ جمهوری), le Palais de la République, situé en plein cœur de la cité. Dans ce centre historique en marbre tirant ses inspirations architecturales du monde helléno-varanyen, Sozb n’avait rien à envier à ses cousines du nord de l’Afarée ou de Leucytalée. Le monde hellénistique était bien vivant dans l’archipel du sud de la mer Blême. Les colonnades qui peuplaient les frontons de bâtiments, officiels comme résidentiels, rappelaient fortement le cœur du monde hellénique et ses repousses aux extrémités du monde antique.
Le Kākh-e Jomhouri se présentait sous un jour plus raffiné, plus complexe que le reste du cœur historique de Sozb. Là où les colonnades et le marbre marquaient la ville ancienne d’une trace hellénique indélébile, le Palais portait l’héritage, lourd et chargé visuellement, de l’occupation impériale varanyenne. Le passage des empires avait fait de Sozb un joyau sur la mer Blême, une porte de l’Orient vers l’Occident, une sorte d’ouverture perpétuelle au commerce et à la circulation en forme de pied de nez aux routes continentales d’échanges. Là où ces dernières avaient apporté de redoutables envahisseurs venus terroriser les populations d’est en ouest ou inversement, l’archipel des Chesmites avait toujours été le confins des empires.
Une sorte d’extrémité utile à tout empire, une façade commerciale bénéfique au commerce interne mais toujours, toujours portée vers l’extérieur et son lot d’inattendus. La soie, la poudre à canon, les épices. Aujourd’hui, les opiacés, l’armement et les finances occultes. Sozb conservait cette particularité d’être une plaque tournante, au-delà des époques et en dépit des circonstances parfois défavorables. Le Palais, construit au dix-huitième siècle lors des premiers soulèvements de l’archipel contre la puissance impériale varanyenne, avait survécu à toutes les invasions, toutes les destructions.
Le centre-ville de Sozb en lui-même s’était figé aux alentours du vingtième siècle avec la fin des massacres et des représailles sournoises du pouvoir impérial varanyen contre les populations locales pour leur insoumission chronique. Les Îles Chesmites avaient pour seul malheur d’être un territoire désiré par tous, y compris ses propres habitants. Une tension donc inévitable entre une population locale helléno-varanyenne, christianisée pour partie, et des autorités impériales anti-particularismes et centralisatrices en leur temps. Le Palais républicain, sorte d’affront à taille gargantuesque du mouvement républicain insulaire contre l’empire varanyen sans cesse présent, était devenu le siège des institutions diverses et variées de l’hybride politique formé par la relation de subordination à reculons des îles Chesmites au joug impérial.
La berline, dans un ultime et théâtral crissement de pneus, s’inséra avec élégance entre les grilles épaisses et anciennes de la cour du Palais pour finir par s’échouer, comme lasse, sur les emplacements de garage des véhicules devant le Palais. Le véhicule connaissait désormais les lieux comme sa poche et semblait être un résident habituel de cette place précise. Emergeant de l’arrière de la voiture par la classieuse porte de la berline, Aimilios Zenlis, en costume bleu marine aux couleurs du drapeau cémétéen, scruta les alentours, avec ce faux regard de stratège qui convient aux politiques intéressés par les basses œuvres et ayant fini propulsés sur la grande scène.
Sur une chemise blanche impeccable trônait une cravate noire des plus sobres, contrastant avec le brillant de la croix cémétéenne, l’ankh, épinglée fièrement sur le col droit de la veste de costume du haut-représentant cémétéen. La veste, cintrée au niveau de la taille, lui retombait de façon convenable sur les épaules, sans apparaître ni trop soignée ni trop de mauvais goût. Une apparence des plus banales, accompagnée par un physique typiquement hellénique. Des sourcils épais mais encadrés barraient un front au teint hâlé, surplombant de petits yeux bruns sans aucune particularité. Des joues rasées de près et un nez légèrement crochu finissaient de former un haut de visage des plus classiques pour cet individu originaire du nord-est de la Cémétie.
Le diplomate nord-afaréen pénétra dans l’enceinte du Palais, se rendant à la rencontre d’un homme au teint hâlé, visiblement endimanché dans un grand costume entièrement noir. Ce dernier, à l’apparence malingre, s’adressa au diplomate cémétéen avec de grands égards, lui témoignant d’une importance notable, allant jusqu’à oser un large sourire et une affabilité infinie. La déférence de son interlocuteur ne parut pas désarçonner le représentant cémétéen, visiblement habitué aux bondieuseries et aux aménités de la population locale. Son interlocuteur le pria de patienter quelques instants, avant qu’un second factotum palatial ne vienne le prier de le suivre. S’engouffrant à la suite de ce deuxième petit personnage quasiment semblable au précédent, le haut-représentant scrutait avec nonchalance les atours imposants du palais.
Si la République des Îles Chesmites avait quelque peu souffert de la lutte pour l’indépendance contre l’empire varanyen puis avait connu un véritable déclassement en s’associant momentanément à la satrapie d’Iskandriane pour survivre, son indépendance nouvelle avait rendu ses lettres de noblesse à l’archipel qui paraissait comme revivre après de difficiles années. Les tapisseries du Palais, certes vieillies, conservaient un éclat qui rappelait la grandeur d’antan de l’institution impériale. La Cémétie, elle aussi, avait connu le joug impérial et ses conséquences et conservait les marques du passage de l’empire et de ses émissaires sur son territoire.
Perdu dans ses pensées, le haut-représentant se ressaisit de ses esprits au moment d’entrer, sur l’invitation du factotum, au sein d’un grand salon où une grande table centrale trônait en son milieu. Cette table, garnie de part et d’autre de quelques hommes souriants et vêtus avec cérémonie, paraissait somptueuse au milieu de ce salon en très bon état en dépit de l’âge visible des choses qui y siégeaient. Après avoir brièvement aperçu tout cela par la porte ouverte devant lui, le haut-représentant se racla la gorge, pénétra dans l’antre, serra une à une les mains qui se tendaient à lui et s’exprima ainsi, en hellénique :
« Messieurs, je vous transmets les plus vives salutations du gouvernement cémétéen et du prince Dimitrios III. La Cémétie est honorée, comme toujours, d’être le soutien le plus fervent et le plus solide de la République des Îles Chesmites. La Principauté de Cémétie tient à réitérer ce soutien et à réaffirmer sa volonté de faire entendre la voix de l’archipel dans le monde et de l’aider à se soustraire au joug arbitraire des empires territoriaux. Ce serment séculaire que nous prêtons est aujourd’hui de nouveau mis à l’épreuve et nous persistons dans notre souhait.

Messieurs, je viens aujourd’hui, comme vous le savez, étudier les questions de la forme future de la souveraineté des Îles Chesmites. Archipel sous protection de la Principauté, les Îles ne sont pas sans ennemi par-delà ses frontières. La République a elle-même exprimé à plusieurs reprises son souhait de voir ses frontières garanties et son avenir assuré par son allié la Cémétie. J’estime que nul autre Etat que la Principauté ne cultive un lien si grand et si précieux avec la République insulaire. Il convient pour nos deux Etats d’acter cette alliance sacrée par la voie de l’union et de l’entente des forces. Pour ce faire, il est nécessaire d’établir avec la plus grande clarté les termes de cette entente. »

Au centre de l’assemblée réunie des tenants du pouvoir local, Bahram Nicolalis, un homme à la moustache fournie et aux sourcils broussailleux plus régulièrement froncés que relevés, consulta ses pairs d’un regard panoramique, acquiesça du chef puis se leva et répondit au cémétien.
« Votre Excellence, je vous remercie de votre venue. Mes confrères et moi-même avons estimé utile de mener à bien cette rencontre tant qu’il en est encore temps afin de garantir la stabilité et la pérennité du pacte qui unit déjà, tacitement, nos nations. Comme vous le savez, l’archipel et ses habitants n’ont jamais caché leur souhait de trouver en la Cémétie un avenir certain et une voie vers l’autonomie et la garantie de notre existence. Les Îles Chesmites, partiellement hellénisées, sont par ailleurs unies dans leur souveraineté à la cité-état d’Ictre, comme le savez, où la population à grande majorité hellénique en appelle déjà de ses vœux à une union avec la Principauté.

Néanmoins, les Îles Chesmites ne sont pas une république bananière. Le peuple des Chesmites est un peuple farouche, qui a plus d’une fois écrasé les oppresseurs qui prétendaient libérer l’archipel en le soumettant à un nouveau joug, plus farouche et plus hostile encore que le précédent. La danse des empires n’est pas nouvelle pour l’archipel et moi-même ainsi que mes compatriotes tenions à vous rappeler que l’engagement pris par la Cémétie sur la voie de l’entente est un devoir pour Héraclée, et non pas un fardeau pour Sozb.

- Bien entendu », affirma le haut-représentant cémétien. « La Cémétie ne saurait tolérer que la souveraineté des Îles Chesmites et leur intégrité, tant politique que territoriale, ne soit amoindrie par un accord avec la Cémétie qui, en tout sens, doit être bénéfique à la République insulaire. Il paraît ainsi clair qu’en rejoignant une entente avec la Cémétie, l’archipel se verrait grandi de participer à la Principauté, non pas amoindrie d’y être additionnée.

- Concernant les clauses d’un tel accord d’entente, l’archipel souhaiterait se voir accorder un statut évidemment spécial. L’autonomie financière, avec la gestion d’un budget et l’élection de représentants locaux. En fait, nous pensions même à nous inspirer du statut déjà existant en Cémétie pour le Gouvernorat autonome de Kiniakeia. L’archipel souhaite également formuler une demande de rattachement administratif de la cité-état de Ictre au sein du futur gouvernorat autonome insulaire. Il apparaît que l’adjonction de Ictre ferait de l’archipel un véritable contrepoids à tout souhait de centralisation, en raison de poids cumulé des deux entités ex-iskandriotes qui rejoindraient ainsi la Principauté.

- Je suis d’accord avec vos propositions et je les transmettrai aux plus hautes autorités cémétéennes, à qui il incombera de trancher en la matière. Je ne peux vous garantir une réponse positive mais les probabilités sont fortes pour que le découpage proposé et le statut demandé soient tous deux acceptés. Par ailleurs, le statut d’autonomie gouvernatoriale existe déjà au sein de la Constitution cémétéenne et l’intégration de l’archipel se verrait garantie par là même.

- D’autre part, votre Excellence, nous estimons nécessaire que la présence militaire provisoire des troupes de la Principauté telle que définie dans le cadre de l’opération militaire Harsomtous, lancée depuis 2012 qui vise à garantir la souveraineté territoriale de l’archipel par sa défense militaire par la Cémétie. Nous nous doutons qu’il est bien évidemment dans l’intérêt stratégique de la Principauté de conserver une présence militaire dans l’archipel y compris une fois le conflit en Iskandriane fini.

Nonobstant, la guerre civile poursuit son œuvre et l’Iskandriane continentale n’est pas en chemin vers la paix à l’heure où nous nous parlons. Dans tous les cas, les Îles Chesmites ont besoin de garanties solides, y compris dans ce domaine. Par ailleurs, nous souhaiterions que la deuxième flotte cémétéenne, qui mouille actuellement dans les ports blêmiens de la Cémétie et dans l’archipel des Chesmites par intermittance afin d’en assurer la défense dans le cadre de l’opération Harsomtous, soit installé de façon permanente dans les bases navales cémétéo-chesmiennes de l’archipel.

- Il s’agit d’une demande particulièrement forte que vous adressez là à la Principauté. En ma qualité de haut-représentant, je ne peux que transmettre votre demande ; le gouvernement de la Principauté se chargera d’y apporter une réponse. Si votre demande est tout à fait cohérente, son caractère exorbitant pour les forces navales de la Principauté est à souligner. Une surextension stratégique de la sorte pour la Cémétie est à entretenir avec précaution. Je m’engage néanmoins à défendre fermement cette demande qui, je l’estime, rentre dans les plus profonds intérêts de l’archipel des Chesmites.

Si une telle concession venait à être faite à l’égard de l’archipel, vous comprendrez aisément que la Cémétie ne sera pas en mesure de fournir d’autres gages à l’archipel sans que rien ne lui soit donné en retour. En ma qualité de haut-représentant envoyé dans votre archipel depuis plusieurs années maintenant pour y mener une mission tant d’observation que de supervision des activités de coopération, j’ai remarqué la prégnance, partout, de l’adhésion au christianisme et à l’hellénisme de vos concitoyens. Si je comprends bien que la particularité de votre territoire est à conserver au sein du plus grand ensemble qu’est la Principauté, une inévitable uniformisation est demandée par certaines autorités. »

Regardant ses collègues avec attention pour chercher leur approbation, Bahram se fendit d’une réponse consensuelle : « Les Îles Chesmites disposent d’un ferment culturel fort, qui ne saurait être sujet à un recul ou à un écrasement. Au vu de nos racines communes, il est difficilement imaginable que nos cultures respectives ne soient pas conciliables au travers d’un système scolaire, linguistique et culturel compréhensif de nos différences mais nous rassemblant autour de nos valeurs communes. La Cémétie n’est par ailleurs pas une puissance connue pour une centralisation à outrance ou des pratiques antinationales.

- Certes. Si les institutions culturelles et éducatives sont consenties pour une fusion avec une prise en compte des spécificités insulaires comme cela peut être le cas à Kiniakeia, les Îles ne feront pas exception.

- Votre Excellence, maintenant que ce dossier est clos, nous souhaiterions échanger, en quelques sortes en aparté, sur la question de la politique étrangère commune à venir, notamment sur le dossier iskandriote. Au vu du passif de l’archipel avec Iskanderabad, nous supposons que vous souhaitez faire tourner la page de l’héritage varanyen à l’Iskandriane en trouvant un moyen de normaliser les relations sans évoquer la question d’un retour de l’archipel dans le giron iskandriote, ce que nous ne souhaitons pas par ailleurs.

- C’est une question très juste. Je ne suis personnellement pas le plus à même de gérer ce genre de sujets mais je peux néanmoins vous éclairer sur ce qui est prévu et sur ce que nous souhaitons mettre en œuvre à l’égard de la guerre d’Iskandriane. Tout d’abord, le régime révolutionnaire de Gordhangas Katsariades n’est pas, sur le court-terme du moins, un interlocuteur préférable aux autres parties. Néanmoins, le régime d’Iskanderabad est en bien meilleure position pour unifier l’Iskandriane et amener la paix, aussi difficile soit-elle, avec les monarchistes à l’est et les séparatistes yaghobs au nord.

Le Yaghobistan n’est pas non plus un interlocuteur que nous jugeons pertinent. La radicalité du discours anti-occidental et anti-hellénique adopté par Suraz Asher et sa clique tribale à la tête de la République yaghobe nouvellement formée ne semble pas compatible avec une normalisation des relations. Les récentes échauffourées du Yaghobistan avec la Translavie ne nous inspire guère à ouvrir le dialogue diplomatique et sécuritaire avec ce gouvernement. Ne reste alors plus, pour l’instant, que la faction des monarchistes réunis à Kshatrapolis.

La situation de la prétendante au trône Magdalini, dont les forces militaires sont plus qu’amoindries face aux géants yaghob et iskandriote en train de s’affronter, est précaire. Nous ne pouvons garantir la survie de la monarchie satrapique, d’autant plus que feu le satrape Sophoclès IV s’est attiré les foudres d’une grande partie de la population iskandriote comme chesmienne par sa gestion autoritaire. La Cémétie se trouve donc dans l’impasse concernant la guerre d’Iskandriane, à savoir que la Principauté pourrait bien se trouver face au fait accompli de la victoire sans partage du camp révolutionnaire.

Or, Katsiarades et sa junte ont déjà montré leur hostilité farouche aux monarchies conservatrices du bassin blêmien. D’autre part, Suraz Asher mène une politique anti-cémétéenne dans ses discours, qu’il ne pourrait pas remanier en raison d’un coût politique trop important, quand bien même la Principauté se mettait à soutenir l’indépendance de la République yaghobe. Enfin, concernant Magdalini, sa position beaucoup trop précaire et l’autoritarisme de la dynastie satrapique ont provoqué la chute de la monarchie, à l’image de ce qu’il s’est déroulé avec l’empire varanyen il y a bientôt dix ans. La Cémétie ne peut pas se permettre d’accueillir tous les monarques en exil de la planète, d’autant plus que la monarchie princière pourrait se sentir menacée par un effet domino contre les monarchies de la mer Blême.

Nous voilà donc dans une impasse concrète concernant la résolution de la guerre. Une issue diplomatique est peu probable au vu des velléités expansionnistes des deux principaux acteurs du conflit, alors que les monarchistes maintiennent également le doute sur un possible retour au pouvoir d’un ou d’une satrape. Il se pourrait toutefois qu’à terme, face au fait accompli, la Cémétie ait à normaliser ses relations avec le régime révolutionnaire victorieux et ce, plus tard que les pays ne s’étant pas impliqués dans la guerre.

- Ces considérations sont tout à fait justes, votre Excellence. A vrai dire, l’archipel était plutôt satisfait du règne satrapique, et bénéficiait parfois même de traitements de faveur et d’exceptions notables. Le coup d’Etat de Katsariades est tout à fait regrettable et est seule et unique responsable de la situation actuelle. L’archipel se pliera aux considérations cémétéennes en matière de politique étrangère dans la mesure du possible.

- Bien. Maintenant, il me paraît essentiel d’échanger au sujet de l’opinion publique insulaire et de sa perception de la situation. Nous savons qu’il existe un camp fermement convaincu de la nécessité d’opérer un rapprochement entre la Principauté de Cémétie et les Îles Chesmites. Nous supposons que ses dimensions sont suffisamment puissantes pour vous avoir mené jusqu’ici dans les négociations communes mais nous souhaiterions savoir de votre stratégie politique et de la possibilité d’une montée de souhaits particularistes forts et d’un camp anti-cémétéen dans l’archipel. Le gouvernement princier est soucieux d’assurer la pérennité de notre association.

- Concernant le Hzb 'Edalt w Azada (HEA, « Parti de la Justice et de la Liberté »), notre parti politique qui est aujourd’hui majoritaire avec ses alliés au Parlement, nous estimons pouvoir tenir la majorité absolue pour une période allant jusqu’à la résolution du conflit en Iskandriane. Cela n’arrivera ainsi pas avant plusieurs années. D’autre part, nous estimons que le camp des « rattachistes », si vous me permettez l’expression, est plus que majoritaire dans la population. Les Îles Chesmites sont cémétophiles, la crise l’a montré. Nous estimons qu’à un référendum, la population pourrait largement voter le rattachement.

- Soit. Nous nous en remettons à votre gouvernement et votre analyse sur ce volet, la Cémétie ne souhaitant pas s’ingérer dans les affaires insulaires. Je pense que les principales questions sont expédiées. Mes assistants se chargeront de vous faire parvenir tant la réponse du gouvernement central concernant vos différentes demandes que la version finale des accords prévus. Ces accords feront bien évidemment l’objet d’un vote au Parlement cémétéen.

- De même, ces accords, décisifs par leur nature, feront l’objet d’un vote au Parlement puis par référendum. Nous serons dès lors fixés pour l’avenir commun, ou non. Nous réclamons également l’organisation d’élections régionales locales afin d’assurer l’élection d’individus émanant du peuple des Îles pour en assurer la plus pure représentation.

- Ce sera transmis. Messieurs, je vous remercie pour votre coopération en ces heures de crise. La Principauté est heureuse de pouvoir compter sur un allié de la sorte en mer Blême. Je vous souhaite une bonne continuation et espère vous revoir prochainement. »

Serrant les mains tendues tout en se levant de son siège, Aimilios Zenlis se dirigea avec calme vers la sortie de la pièce. Semblant voler sur ses pieds, le haut-représentant ne pouvait contenir sa satisfaction d’avoir mené à bien quelque chose dont il avait le sentiment de l’importance. Gonflé à bloc dans son égo, Aimilios Zenlis s’embarqua dans la berline noire, dont l’armature en acier s’était gorgée de la chaleur solaire dans ce four urbain, et soupira un grand coup. Sans mot dire, son chauffeur le sortit du Palais et du centre-ville pour se diriger vers l’ambassade de la Cémétie.
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