08/07/2016
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Chroniques citoyennes.

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Chroniques citoyennes.


Les chroniques citoyennes mettront en avant des moments de vie de citoyens et citoyennes ou du Royaume de Teyla ou y habitant. Voici les liens des différentes chroniques :

  • La nuit change les Hommes. écrit le 19/10/2014. Une chronique qui décrit l'histoire de Marc et de Trinity.

  • Effacé - I. écrit le 15/05/2015. Une chronique qui décrit l'histoire de Thomas et Lucienne. Deux policiers de la Police Royale qui tombent sur une voiture qui semble abandonnée aux abords d'une route de campagne.


Les chroniques citoyennes mettront en avant des moments de vie de teylais à l'étranger. Voici les liens des différentes chroniques :



L'Atlas historique répertorie les différents articles scientifique, de blogs sur des éléments historique en lien avec le Royaume de Teyla. On y retrouve aussi des textes d'époques sur des évènements majeures ou mineures, mais décrivant la société teylaise de l'époque. Voici les liens des différents posts en lien avec l'Atlas historique :


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La nuit change les Hommes :

Homme


La nuit au sein de la capitale du Royaume de Teyla était pluvieuse en ce mois début d'octobre. La pluie s'abattait sur les immeubles de la capitale avec une intensité fracassante, laissant un bruit de tambour incessant quand la pluie heurtait le sol ou un bâtiment. Les passants trempés jusqu'aux os couraient pour fuir cette pluie battante et étaient à la recherche d'un abri. Certains cherchaient à atteindre leur domicile le plus vite possible, d'autres s'installaient dans les nombreux bars de la capitale, tandis que les moins chanceux et les moins fortunés s’abritaient sous un arrêt de bus. Les porches des bars et des restaurants étaient à cette heure-ci bondés par une foule immense, projetant l'immensité de la ville et de la vie humaine aux yeux des passants attentifs. De nombreux groupes d'amis, de collègues ou encore des couples riaient et discutaient dans les différents établissements de la ville, rompant avec l'éclat de la pluie diluvienne qui s'abattait sur la capitale.

Marc, cependant et étrangement, n'était pas ceux qui cherchaient à fuir cette pluie. Il marchait lentement, au milieu d'une rue piétonne, avec son parapluie à la main, contemplant la beauté de cette ville, de cette capitale. Le jeune homme, de vingt-huit ans, se disait ce soir que Manticore était sa ville, faite pour lui et y vivre durant le reste de son existence. Alors que son parapluie ne le protégeait guère, à cause d'un vent venant de face, Marc se contentait de saluer les passants installés dans les bars qui le regardaient avec insistance, ils étaient rares, mais ces personnes existaient. Il n'était guère commun de voir une personne marcher en plein milieu d'une rue, sous une pluie battante, alors qu'il suffisait de marcher, collé à une façade afin de gagner en protection. Un comportement intriguant.

Alors qu'il se baladait sous la pluie, il finit par entrer dans une ruelle étroite, accélérant la palpitation de son cœur, face à une excitation certaine mais aussi à un stress, qu'il avait du mal à refouler, mettre de côté. Ce n'était pas dû à une peur d'être agressé ou poursuivi dans cette ruelle sombre, au contraire cette ruelle était rassurante pour Marc. Malgré les gouttes de pluie qui coulaient sur son visage, il pensait à ses souvenirs qu'il avait vécus à L'Étoile Nocturne, un cabaret entre deux immeubles de la ruelle sombre. Avant aujourd'hui, il y était allé uniquement en tant que spectateur et client. Un client fidèle, régulier, il y allait au minimum une fois par semaine, malgré sa bourse qui n'était pas élevée. Il enchaînait les petits boulots, plusieurs emplois par jours, il habitait dans un appartement de trente mètres carrés, en plein centre-ville, ce qui lui facilitait la vie au niveau des temps de trajets pour ses différents emplois, tantôt commis tantôt barman et parfois homme de ménage. Malgré ces faibles moyens financiers, il s'assurait de toujours avoir de quoi pouvoir payer une entrée à l'Étoile Nocturne.

Ce soir, sa nuit allait être différente, il ne venait pas écouter les performances des uns et des autres, y boire un verre et se joindre aux applaudissements de la foule. Ce soir, il allait performer en tant que Trinity Royale. En effet, ce soir le client fidèle allait passer le pas et être devant les tables du cabaret et sur la scène en espérant recevoir les applaudissements. C'était là la raison de son stress et de son excitation qui faisait augmenter le rythme de battement de son cœur, augmenter sa pression artérielle. Ses talents avaient pris racine dans l'intimité de son appartement. Il s'était entraîné des mois durant, pendant de nombreuses nuits, nuisant à son cycle de sommeil, mais Marc et Trinity n'y prêtèrent guère attention. Malgré la dureté de ses nuits face au manque de sommeil, Marc n'abandonna pas, et mit plusieurs semaines à trouver son "déguisement" pour être Trinity. Ces hésitations portaient en majorité sur les chaussures, il avait grande peine à porter les talons et encore plus à trouver une paire de chaussures féminines entrant dans son budget.

Trinity Royale allait se dévoiler ce soir à Manticore, la capitale des amours libres où le public était toujours en quête de plus d'audace et d'idées révolutionnaires. Pour plaire aux attentes d'un public qui voulait que l'artiste casse les codes et les normes sociales, il avait choisi de se déguiser en personnage extravagant. Le béret rouge sur la tête, avec une pipe de tabac dans la main, disait tout des risques qu'avaient pris Trinity. Il n'avait rien raté des émissions de Drag Race Teyla, il s'est servi de certains shows de l'émission pour s'entraîner à défiler, faire le spectacle. Alors, il avait obtenu une certaine confiance en lui, après avoir terriblement manqué de confiance en lui, pendant sa vie de jeune adulte. Le visionnage des vidéos de ses spectacles, de ses répétitions chez lui, lui avait valu une assurance qu'il n'avait jamais connue. Il savait le message qu'il voulait transmettre ce soir au public, dans le mythique cabaret l'Étoile Nocturne.

En effet, l'Étoile Nocture est une institution au sein de Manticore. L'établissement fêtera l'année prochaine son centième anniversaire. En plein cœur du quartier artistique, dans une ruelle sombre, il était pourtant connu du grand public et des Manticoriens, chaque soirée était complète et revêtait une atmosphère de détente et de liberté à l'intérieur du cabaret. Beaucoup d'artistes connus auprès du grand public, ont commencé ici comme beaucoup d'inconnus se produisent chaque jour ici sans percer dans le monde de l'art et du spectacle. Ce qui faisait la particularité de lieu était la volonté de casser les codes par les propriétaires et le public venant assister au spectacle. Les artistes devaient sans cesse réinventer l'art du spectacle, qu'il soit humoristique ou musical, pour rappeler au public que la majorité de nos vies repose sur des constructions humaines, des structures sociales qui, loin d'être immuables, peuvent être transformées, en particulier lorsqu'il s'agit de lutter contre les discriminations.
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Raymond VI, un règne après une guerre civile, partie I :
Blog historique

La paix retrouvée





Une victoire militaire et une pensée politique

C'est dans la salle des sabres, au Palais Grayson et symbole des victoires fulgurantes du Royaume de Teyla sur le terrain militaire, que Raymond VI réunit, le 2 février 1866 ou le 3 février 1866, selon les sources historiographiques, les autorités religieuses, l'aristocratie, la bourgeoisie, la classe marchande et le peuple, représenté par des seigneurs locaux, et aussi les familles dynastiques battues dorénavant. Le but de cette réunion sous l'autorité royale de Raymond VI n'est nul autre que d'asseoir l'autorité du souverain sur le pays, dont il sait que les tensions sociales et religieuses qui ont amené à la guerre civile ne sont pas calmées. Bien que la victoire militaire soit acquise au souverain Raymond VI, ce dernier sait que le Royaume n'est pas calmé et n'est pas entièrement dévoué à sa personne, ni à sa cause. À ses yeux, la résultante politique de la guerre civile prouve le mouvement constant d'affaiblissement d'une royauté et d'une aristocratie éloignées des problèmes du peuple, qu'il considère comme la voix la plus importante dans sa proclamation du 22 février 1866.

Alors que la paix fut acquise et signée le 11 février 1866, Raymond VI et son conseiller Jean De Courbertin, comme le raconte l'historien Antoine Pierre dans son ouvrage intitulé Raymond VI, l'histoire d'un roi qu'on disait fou, estimaient que sa position restait menacée, bien que la paix fût officiellement conclue et que son pouvoir royal fût renforcé, toutes les familles prétendantes au trône ayant reconnu son autorité, ainsi que son fils de vingt-deux ans comme héritier légitime, deux des conditions du traité de paix. De plus, dans plusieurs lettres qu’il écrivit à des proches, tant parmi les Teylais que dans diverses cours eurysiennes, Raymond VI décrit, à travers plusieurs paragraphes, les intrigues et les jeux de cour qui ont résulté de sa victoire. Alors que le souverain vient d'un milieu aristocratique, il y voit en elle de nombreux défauts et péchés, dont celui de la trahison, non envers Dieu, mais bien envers les personnes qu'elle doit servir. Retour sur l'une des lettres écrites de la main de Raymond, dans laquelle il revient longuement sur la guerre civile, ses actions entreprises et les réformes qui devront être entreprises selon lui.

"Ces prétendants, qui me doivent reconnaître pour souverain légitime, ne le font point par amour du royaume ou par dévotion à la couronne, mais bien parce que leur propre intérêt y est attaché. Il est manifeste, mon cher et loyal serviteur, qu’au jour où ma force viendra à décliner, ils comploteront contre ma personne et, par cela même, contre la royauté. Il est intolérable que de tels hommes aient accès quotidien à ma personne. Ils minent mes desseins et, par ce biais, affaiblissent le Royaume de Teyla, dont la puissance décroît chaque jour, sous mon regard impuissant. Ils se montrent adversaires à l’établissement d'une constitution, tout ainsi qu’ils s’opposèrent naguère à ce que le roi frappât la monnaie¹, établît la justice², et rompît les famines en octroyant la liberté aux serfs d’autrefois.


Première note sur les propos de Raymond VI¹ En l'an 1356, Raymond III de la dynastie Courvoisier décide, afin de renforcer le pouvoir royal, que dorénavant seul le roi peut frapper la monnaie ou déléguer cette tâche royale. Tout seigneur ayant cette délégation devait s'acquitter d'un impôt. Les marchands du pays et les seigneurs n'ont pas apprécié cette décision et plusieurs soulèvements frappèrent le Royaume. Après quatre ans de campagne militaire et un royaume frappé par deux ans de famine, qui décalèrent les campagnes militaires des uns et des autres, Raymond III mit fin aux révoltes. Sa Majesté Raymond VII fait référence à cet événement marquant des débuts d'une monarchie qui se voulait absolue. Il veut montrer ainsi que l'aristocratie ne sera jamais satisfaite des décisions prises par le Roi, réduisant le rôle des aristocrates à des opposants constants, dont il n'est pas viable d'écouter, vu qu'ils sont contre tout.

Deuxième note sur les propos de Raymond VI² Avant les réformes entreprises sous le règne de Basil II, plusieurs justices s'entrechoquaient au sein du Royaume de Teyla. En outre, il existait trois justices et chacune avait ses instances et ses tribunaux, et s'organisait comme elle le voulait, indépendamment du pouvoir royal. Ainsi, il y avait la justice royale, celle qui prévalait sur les autres justices, la justice marchande et la justice seigneuriale. Le fait de dire qu'il n'y avait point de justice avant que celle-ci ne soit unifiée relève un aspect important de la pensée de Sa Majesté Raymond VI, une pensée qu'on retrouvera dans plusieurs lettres et dont on la retrouvera développée dans une correspondance commencée en l'an 1869 avec son ministre de la Justice. Ainsi, il établit qu'une justice efficace doit avoir l'acquis de la cohérence et de l'administration.

J'ai réuni braves hommes et preux guerriers pour reconquérir ce qui me revenait de droit, le trône de la prospérité, le trône de Teyla. Ils pensèrent, parce que les pillages continuaient, que je n'avais point combattu, que je voulais réformer le pays, pour y permettre une meilleure prospérité, que j’étais illégitime, un bâtard, un vilain. Les pairs du Royaume réuni autour de moi, annoncé que le peuple me voulait³, mais ils ont bafoué la volonté du peuple. Je vous jure, qu'ils payeront le prix de leurs trahisons. Un bâtard à plus de courage en son âme, que ces aristocrates qui me dévisagent, alors même que, par ma victoire sur le champ de bataille, je les ai contraints à ployer le genou devant moi.


Trosième note sur les propos de Raymond VI³ Raymond VI fait ici référence à son couronnement en 1858, dont la légitimité faisait débat déjà à l'époque au sein du clergé et des pairs du Royaume. Lors de son couronnement, une bonne partie des pairs du Royaume et de l'Aristocratie étaient absents, renforçant le débat autour de la légitimité du couronnement. La remise en cause de cet acte solennel força Raymond VI à organiser un second couronnement le 2 juin 1868, espérant par ce geste assoir son autorité. Tout d'abord, le couronnement de 1858 a lieu en privé, dans la Cathédrale de Gèvres. La tradition voulait que la foule participe à la cérémonie, en laissant ouvrir les portes de la Cathédrale, afin que la foule puisse voir et entendre les sacrements et le couronnement, renforçant que la légitimité du souverain venait de Dieu, mais aussi du peuple. Une tradition mise en place pour contrecarrer la puissance de l'Église. Le fait que ce rituel ne fut pas respecté permit à ses opposants une critique supplémentaire pour affaiblir Raymond VI, dont on peut estimer que la volonté populaire était manipulée par Raymond VI.

Si les seigneurs et preux guerriers acquis à ma cause fêtèrent plusieurs nuits la libération de la majestueuse Manticore, rendant jaloux les princes de Lyonnars, j'ai vu les larmes et les sanglots qui frappèrent les vaincus et les habitants face au désordre que nous avons amené. Lorsque nous avions dû quitter la ville hâtivement, afin de poursuivre mes desseins et reconquérir le trône, je n'imaginais pas la détresse que cela allait créer en moi. Une force inconnue m'attire sans cesse dans cette cité de toutes les lumières, dans laquelle on dit que le Saint-Esprit y dépose chaque année des enfants de sa création et dont la richesse rend jaloux les plus éminents rois et reines du monde. Pourtant, nous avons dû hâtivement, alors que les rumeurs d'une force étrangère ennemie venant me défaire parcouraient le Royaume, soumettre Manticore, quels que fussent les dommages infligés aux hommes et aux âmes⁴.


Quatrisème note sur les propos de Raymond VI⁴ Le siège de Manticore par Raymond VI, détenu par un prétendant au trône, fut le siège le plus meurtrier de la guerre civile, mais qui fut une victoire stratégique cruciale pour la continuité de la guerre tant sur le plan militaire que sur le plan politique. L'historiographie la plus récente sur le sujet estime les pertes civiles entre vingt à vingt-cinq pourcents. Cela en fait le siège d'une ville le plus meurtrier de la guerre civile Teylaise, mais aussi d'un siège d'une ville teylaise durant tout le XIXème siècle. À la suite de ces événements, les opposants de Raymond VI ont utilisé le siège de Manticore pour discrédibiliser l'action et l'autorité du souverain, même après la guerre civile, un événement qui le suivra jusqu'à sa mort dans les différentes chroniques et la presse.

Plusieurs membres à la cour écrivent sur la santé mentale de Raymond VI à la suite de cet événement majeur. Le souverain alterne entre des périodes de joie, convaincu de la nécessité de son action, et des périodes de "dépression" et de remords sur les actions entreprises pour conquérir Manticore. Plusieurs membres de la cour, dont sa femme, alertent aussi sur la santé physique du Roi, lequel perd du poids selon les écrits de l'époque. De plus, les écrits parlent de marques apparaissant sur le corps du Roi à un rythme constant, faisant penser à des actes d'automutilation. La santé physique et mentale du Roi va de mieux en mieux une fois la guerre civile terminée, mais il a tout de même des moments de grandes colères, sans explication notable.


Je dois gouverner un Royaume, depuis la plus belle cité du monde, mais dont les habitants, plus que jamais, veulent me renverser pour mes actes et ceux de mes partisans. N'ai-je point de répit dans ce monde ? Avez-vous contemplé, ne serait-ce qu'un instant d'observation dont nous sommes tous coupables, les visages de ceux que nous avons libérés des chaînes de la servitude sous le joug du mauvais seigneur ? Avez-vous vu les regards emplis de haine à notre égard, leurs corps tremblants sous notre passage, tant envers ma personne que mes partisans ? Ces gens, que nous avons libérés et qui nous ont accueillis comme des libérateurs, percez-vous sous cet accueil joué comme dans les théâtres velsniens, la crainte et la peur, gravées en eux, comme si elle ne pouvait plus partir ? Pour en finir, avez-vous vu, sous nos propres bannières, les pillages qui ont suivi la fin du siège, alors qu'il s'agit de notre propre cité, commune aux habitants du Royaume ? Consigne avait été donnée de ne point piller, de ne point tuer, de ne point souiller les vierges, cependant, ceux qui disaient se battre à mes côtés pour que la justice soit rendue, ont le cœur rempli de la même haine que sur les visages dont j'ai vu. Rendez-vous compte, j'ai dû faire exemple, en laissant pendre plus de cinq cents corps de pilleurs et guerriers dans les rues de la capitale, afin de calmer la foule.

Comment se pourrait-il autrement que des hommes, nés de ce monde, puissent être à l'origine de pareilles horreurs ? Seul le diable peut être derrière de tels agissements, rendant aux ténèbres une gloire qu'ils ne doivent jamais atteindre. À travers mon destin, se joue-t-il quelque chose de bien plus vaste que mon avenir ? Ne suis-je qu'un instrument d'un combat entre des forces qui me dépassent et vous dépassent, un champ de bataille sur lequel s'affrontent les puissances supérieures ? Comment expliquer tout à chacun et à moi-même ces malheurs qui m'accompagnent depuis mon enfance, la destruction qui me suit à chacun de mes passages et le triomphe qui est suivi du malheur ? N'est-il pas vrai que mes actes soient toujours suivis d'un malheur pour ceux qui m'entourent ou ceux que je gouverne ? Que le sort en soit décidé, car je ne peux détourner mon regard, si des puissances supérieures s'affrontent en m'utilisant. Mon combat n'est plus celui d'un simple mortel, d'un roi déchu retrouvant son trône, c'est le destin d'entités supérieures, qui à travers mes pas, décident de l'avenir du monde.



Cinquième note sur les propos de Raymond VI⁵ Lorsque la guerre civile commence, le jeune et futur Raymond VI a seulement 16 ans. Les propos du jeune roi font sûrement écho à son enfance, période durant laquelle, à partir de ses 10 ans, l'héritier du trône dut fuir le palais et la capitale, étant au cœur de trop d'intrigues et de complots. En outre, le jeune futur souverain était l'unique enfant du souverain Philippe XVI. Avec les tensions religieuses montant dans le Royaume, les multiples factions complotaient autour du jeune roi, soit pour l'enlever et le contraindre à se convertir ou le tuer, soit pour l'influencer en l'approchant ou d'autres tentatives. Face à la multitude des menaces, le Roi décida d'envoyer son fils en "exil" dans le Royaume, loin de la capitale.

L'exil de Raymond VI est très peu sourcé et les historiens ont peu d'éléments à leur disposition pour savoir l'attitude de l'enfant, de ses accompagnateurs et de leurs identités. Les sources obtenues sur l'exil sont pour la plupart contradictoires, dont les auteurs sont remis en question ou alors les écrits datent de plusieurs années après les événements, dont les historiens supposent une volonté de réécriture de l'histoire par la famille royale. Cependant, plusieurs sources contemporaines évoquent une garde rapprochée de soldats étrangers, menée par un mercenaire, qui prendra part à la reconquête du trône de Raymond VI, lors de la guerre civile.

Lorsque des sources évoquent des "mots et des gestes durs envers l'héritier" de la part des courtisans autour de lui, d'autres évoquent un exil vécu de manière heureuse, sous la protection de sa garde et de ce qui sera ses futurs compagnons de guerre. Il n'est pas possible d'établir un récit précis de la pensée du roi et de son entourage durant cette période. L'historiographie récente estime que l'héritier était contraint de se déplacer constamment, afin d'éviter qu'il soit reconnu. Cette vie nomade aurait eu des effets néfastes sur la santé mentale d'un enfant de 10 à 16 ans, obligeant les mercenaires engagés et les courtisans autour de lui à faire attention à l'enfant, plus qu'à l'accoutumée. Elle n'écarte pas que des courtisans auraient pu frapper le roi. En outre, toutes les sources s'accordent à dire que deux courtisans ont disparu après un événement troublant survenu autour de l'héritier.


[...]

Alors que nous parlons, les fervents défenseurs de la Royauté me soutiennent dans les rues de la capitale, aux yeux de leurs nouveaux électeurs, mais complotent contre moi et mon projet d'établissement d'une constitution dans les travers du Palais Royal. Ces derniers, farouchement attachés à leurs privilèges, refusent de voir se concrétiser les promesses et obligations signées en faveur de la paix, bien qu’il soit du devoir des croyants de respecter leurs engagements et de ne pas trahir la parole donnée. Il est évident, pour tous hommes éveillés, que la constitution doit permettre au souverain d'exercer des prérogatives et pouvoirs royaux sans entrave, par le parlement ou toute autre entité construite par les Hommes. Toutefois, cette constitution doit permettre au souverain de s'assurer qu'il a en lui toutes les volontés du peuple et de chacune des classes sociales, afin que ce dernier puisse émettre des décisions satisfaisant le peuple mais aussi servant le Royaume.

C’est pourquoi, après mûre réflexion, je consens à la constitution d’une Assemblée⁶, laquelle aura pour mission sacrée de représenter la nation tout entière en son sein. Cette Assemblée, véritablement nationale, sera composée de représentants investis de la légitimité du peuple, chargés de porter au Souverain l’expression fidèle des volontés de celui-ci. Or, pour que cette représentation soit sincière et fidèle à la volonté populaire, il est impératif que le scrutin, loin de toute volontés malsaine corruptives, que le bulletin soit secret et universel. L'ambitions des Hommes ne doit pas contrevenir à la sincérité des scrutins, ceux-ci doivent représenter fidèlement la volonté population, sinon le souverain aura tout un mal a établir une politique nationale prenant en compte la volonté populaire. Quant à la question de savoir si ce suffrage doit s’étendre aux seuls hommes ou embrasser également les femmes, j’abandonne cette grave décision à la sagesse et à la délibération des hommes d’État éclairés, afin qu’ils tranchent selon les intérêts supérieurs de la patrie.

[...]



Sixième note sur les propos de Raymond VI⁶ Après la guerre civile, Raymond VI consacra ses efforts à l'élaboration d'une constitution pour le Royaume de Teyla, ainsi qu'à diverses déclarations, qui demeurent aujourd'hui des piliers du droit teylais. Son objectif était de prévenir de nouveaux troubles majeurs dans le pays. Pour ce faire, le souverain convoqua dans la capitale, des représentants de toutes les classes sociales, afin qu'ils débattent des propositions royales. L'invitation à la capitale n'était pas un hasard, elle permettait au roi de surveiller les discussions, chaque délégation comptant au moins un espion, selon les historiens. Cela lui offrait également l'occasion d'exercer une pression ou de contraindre, si nécessaire, pour atteindre ses objectifs. Les historiens désignent sous le nom de "Chroniques Royales de Raymond VI" les rapports rédigés par ces espions, qui ont joué un rôle déterminant dans la réussite du monarque. Grâce à ces informations, Raymond VI parvint à faire adopter sa vision et celle de ses partisans sur la constitution, transformant ainsi la monarchie en une monarchie constitutionnel et parlementaire.




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Lorsque la démocratie n'est pas, un teylais s'éveille parmi la foule - I :

Teylais



Alors qu'il retirait lentement la cigarette de sa bouche, laissant s'échapper la fumée dans la pièce, Corentin esquissa un sourire. C'était un sourire rempli d'échos du passé, de souvenirs longuement entretenus, comme lorsqu'on jette une bouteille à la mer. On s'assure que la bouteille est étanche, fermée sans qu'on puisse l'ouvrir sans une force inhumaine. Sa vie, ah oui, il avait eu une belle vie comme dirait l'autre. Une vie unique dans l'époque actuelle, il pensait qu'on trouvait des vies comme la sienne seulement dans les livres d'histoires. Lorsque les érudits et les hommes d'armes parcouraient le monde à la recherche d'un savoir et de contrats. Non pas un contrat, cela ne correspondait pas à l'âme de Corentin, plutôt à la recherche de damoiselles, parcourir le monde pour l'amour de sa vie, voilà qui rendait le sourire de Corentin encore plus lumineux, dans ce pays bien sombre pensa-t-il.

Sa pensée éparpillée le ramena à ce jour en l'an mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, le jour où il avait assisté au couronnement de Sa Majesté Catherine III. Depuis peu, les couronnements teylais n'étaient pas ordinaires comparés aux couronnements des dynasties mondiales et eurysiennes. On pouvait s'attendre à ce qu'on utilise la grandeur et la beauté d'une cathédrale, qu'on utilise la lumière des vitraux éclairant l'autel durant la cérémonie, mais il n'en était rien. Les monarques de la dynastie Courvoisier, à l'image d'une majorité de Teylais, enclins à remettre en cause la tradition à chaque instant, avaient décidé il y a quelques décennies que le temps du changement était venu. Cela n'était que la continuité de la démocratie teylaise et l'affaiblissement de la religion au sein de la population. La population rejetant de plus en plus la religion pour se "convertir" à l'athéisme ou l'agnosticisme, on avait décidé que les symboles religieux n'étaient plus nécessaires, en dehors d'une insulte faite au non-croyant. Dorénavant, il fallait célébrer la démocratie et l'histoire de la monarchie.

On avait donc ouvert les portes du Palais Raymond VI, le palais le plus grand et prestigieux de la capitale. Durant la cérémonie, Corentin vit un détail si visible qu'il en devenait invisible aux yeux des non-observateurs. Les portes du Palais étaient restées grandes ouvertes tout au long de la cérémonie. Corentin se rappelait qu'il avait observé pendant quelques minutes des gens entrer et sortir lors de la cérémonie. Cela pouvait paraître irrespectueux, mais pas au Royaume de Teyla. Cela démontrait que la Couronne du Trône de la prospérité n'était plus une monarchie de droit divin et absolu, son autorité émanait du peuple. Cela était dangereux, pouvant faire basculer le Royaume en une République à chaque crise. Tout le monde était conscient du danger, mais tout le monde se tut. L'ironie voulait que ce peuple tant attaché à remettre en cause les traditions use des symboles à tout instant. Cela pouvait paraître paradoxal, mais les Teylais étaient ainsi constitués.

Il se souvenait, dans cette atmosphère irrespirable, d’avoir retenu son souffle comme tant d’autres autour de lui. Il était là, assis parmi des centaines de personnes attentives, toutes rivées vers le centre de la salle dans laquelle Sa Majesté Catherine III s’apprêtait à prononcer ses premiers mots en tant que souveraine couronnée. L'atmosphère était lourde non pas parce qu'il s'agissait d'un moment de gêne, d'un moment de malheur, mais parce que chaque personne présente avait compris qu'ils assistaient à un moment d'histoire. Elle s'était levée avec la grâce d'une reine, non pas en devenir, mais actuelle, prenant de plus en plus de place parmi cette foule dans laquelle s'étaient glissés des hommes et des femmes de pouvoir. Alors installée au pupitre, orné du blason du Royaume de Teyla, elle scrutait la salle de son regard.

Son regard s'était posé d'abord sur les membres du Parlement, réunis pour l'occasion. Les députés, tenant le regard de Catherine III, ne firent aucun geste, ne dirent aucune parole. Ils étaient devenus des statues. Le regard de Catherine n'était pas celui d'une confrontation, mais d'un respect immense pour les représentants du peuple teylais assistant à son couronnement. La fierté d'une démocratie devait se dire Catherine, pensa Corentin. Puis, elle avait tourné sa tête pour regarder les Nobles, de la chambre haute. Ceux-ci étaient élus par les pairs du Royaume, mais malgré l'élection, ils représentaient l'histoire de la Noblesse du Royaume et donc l'histoire du Royaume de Teyla. Leurs tenues, leurs manières de se comporter les trahissaient à chaque instant de ce qu'ils tenaient de l'histoire sur leurs épaules. Des familles qui avaient fait et font le Royaume, pour la plupart. Enfin, son regard s'était posé sur le Premier ministre de l'époque, debout en face d'elle, mais parmi la foule de l'Assemblée. Le regard était bref parce qu'il était temps de parler, de faire son premier discours en tant que tête couronnée :

Tout au long de cette journée mémorable, j'ai été encouragé et soutenu par la certitude que votre pensée et vos mots de soutien m'accompagnaient dans cette étape importante de ma vie, mais aussi de l'histoire du Royaume de Teyla. J'ai toujours été consciente que le peuple teylais et les peuples alliés étaient unis pour me soutenir dans cette tâche dans laquelle je me suis engagé avec humilité mais avec conviction. Nous sommes aujourd'hui réunis dans ce Palais, un lieu de symbole pour le Royaume de Teyla. En outre, c'est en ce lieu unique que fut signée la paix par Raymond VI et toutes les parties mettant fin à la guerre civile teylaise. Alors que vous êtes des milliers à être venus ici et des millions qui me regardaient à travers votre télévision, il m'est difficile d'exprimer mon émotion face à une telle vague de soutien. La même vague que lorsque nous mettons fin à des guerres meurtrières ou quand une mère met un enfant au monde.

Le Royaume de Teyla est une nation forte et grande. Il fait l'histoire, il participe à l'histoire chaque jour. Ne doutons jamais de notre capacité en tant que nation à changer le monde, pour un monde meilleur comme je ne douterais jamais de votre soutien envers moi et mon règne. Le pouvoir, dit-on, est personnel, je ne le crois pas. Dans ce Royaume, le pouvoir est une responsabilité partagée. Le Gouvernement de Sa Majesté doit répondre en sa qualité d'exécutif devant la Chambre basse mais aussi devant la Chambre Haute. Je veux que mon règne soit mis sous votre contrôle permanent, pour que les excès cessent, que les rancœurs s'éteignent, pour que l'union s'élève et que notre force grandisse. Mon père m'a dit avant sa mort : "Le pouvoir ne se trouve pas dans la force avec laquelle on frappe la table, mais dans la profondeur avec laquelle on sait écouter." Les mots de mon père résonnent en moi, comme la démocratie résonne en nous. Nous devons respecter nos institutions et notre constitution, je me soumettrai à chacun des articles de notre constitution, je me soumettrai à chaque corps institutionnel démocratique de cette nation.


Ce discours, ce couronnement, ils résonnaient encore dans la pensée de Corentin, comme les objets anciens et usés qu'on garde, sans qu'ils aient une utilité en dehors de réchauffer notre âme de temps en temps. C'était le cas de ces deux souvenirs précis, ils réchauffaient l'âme de Corentin à chaque fois qu'il y pensait. Tandis qu’il écrasait sa cigarette contre sa tasse de café terminée, laissant échapper un léger crépitement, il détourna le regard un instant de sa tasse et observa la pièce. La seule fenêtre de la pièce était fermée, laissant entrevoir la météo grisâtre et maussade à travers le store à moitié abaissé. Les applications météorologiques sur son téléphone avaient averti d’une pollution aux particules fines exceptionnelle, en ce jour où le vent manquait alors qu'on en avait le plus besoin.

La seule source de lumière émanant de l'écran de son ordinateur renforçait le côté austère de la pièce. Contrairement au Royaume de Teyla, dans lequel on aimait jouer avec les contrastes de couleur, modernité versus ancienneté et autres, ici, il n'y avait aucun contraste. Un appartement peint de murs blancs, si blancs qu'on aurait dit que l'appartement fut repeint durant la nuit. Les meubles autrefois modernes dans son appartement teylais, ici ne reflétaient aucune personnalité à part celle d'un magnat du pétrole, se dit-il avec malice. Dommage pour lui qu'il n'était pas un magnat du pétrole, mais un employé d'Amnistie Mondiale. Enfin, il posa le regard rempli de jugement sur son bureau. Un bureau qui lui aurait valu une remontrance de sa mère, jadis. Sa mère n'était plus de ce monde, son bureau avait perdu en propreté. On y retrouvait des tas de feuilles et de dossiers éparpillés, sans une once d'organisation dans le rangement, si on pouvait appeler cela rangement. La poussière n'était pas nettoyée, accentuant son allergie, quoiqu'il arrivait, la pollution raskenoise avait fini par terminer le travail déjà bien entamé, il compensait en se gavant d'antihistaminiques. Seule la zone où était exposée une photo prouvant sa présence au Couronnement de Sa Majesté était nettoyée, brillante.

Alors que son regard se posa encore plus durement sur son écran d'ordinateur, il se surprit à faire des ronds sur les rebords de sa tasse avec ses doigts. Cela avait sûrement un côté déstressant pour Corentin, parce qu'il avait besoin de décompresser. En outre, il travaillait sur un rapport portant sur la démocratie en Rasken. Il ne pouvait pas dire qu'il s'agissait d'un sujet de travail aisé, bien au contraire. C'était un travail long et fastidieux. Cela faisait quatre mois qu'il plongeait dans les méandres d’une société dans laquelle le mot "démocratie" n’était souvent qu’un vernis posé sur une réalité bien plus sombre. La politique raskenoise ne ressemblait en rien à la politique teylaise, beaucoup plus facile à comprendre selon lui. Mais cela venait sûrement du fait qu'il n'était pas Raskenois de nature, mais Teylais. Toutefois, les chemins sinueux étaient nombreux dans cet empire et tous menaient étrangement aux lobbys de l'industrie pétrochimique. Une bête à plusieurs têtes, bras et jambes, qui influençaient chaque jour les lois, les médias. À travers les médias et le lobbying, cette industrie influençait la pensée des citoyens, mais aussi, et plus gravement, celle des hommes politiques, des gouvernants.

La démocratie raskenoise était malade, c'était un fait. En dehors des lois environnementales, quelles lois avaient été votées en défaveur d'Apex Energie et de ses filiales ? Aucune, et encore ces lois environnementales ne déplaisaient pas à Apex, ce qui laissait penser qu'il s'agissait d'un subterfuge pour l'entreprise afin de se donner une image de marque écologique sur la scène nationale, mais aussi internationale. L'Empire Raskenois était une démocratie malade touchant du doigt l'illibéralisme avec en fond une politique nationaliste et impérialiste à l'étranger comme le prouve l'autorité militaire de Gradenbourg. Tant de choses à changer, tant de choses à combattre. Alors qu'il s'endormait paisiblement sur son rapport, il repensait comme dans un rêve à la fois où il avait rencontré Lucas Courvoisier aux abords d'une piste de course.


Effet : Le Royaume de Teyla met ses usines culturelles sur les provinces de Rasken.
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Effacé - I :

Teylais


La neige crissait sous les pneus de la voiture de la Police Royale. L'officier Thomas Levasseur, âgé de trente-cinq ans, avait du métier. Ce n'était pas l'officier le plus expérimenté de la brigade, mais en tant qu'officier de terrain, il avait dû gérer plusieurs fois des situations complexes. Malgré cela, il avait failli perdre la vie qu'une fois durant toute sa carrière. C'était il y a trois ans, lorsqu'il s'était enfoncé sur le terrain d'une maison en pleine campagne. Il s'en souvient encore. On ne risque pas de perdre la vie tous les jours et la maison lui rappelait celle de son enfance, un élément qui expliquait pourquoi il n'était pas concentré à son habitude. Alors qu'il s'enfonçait dans l'allée de la propriété, il n'avait pas vu à l'une des fenêtres l'homme qui tenait le fusil et le visait. D'un coup, plusieurs détonations retentirent dans l'air, faisant s'envoler les oiseaux, bondir les cerfs et hérisser les chats. Son premier réflexe fut de se pencher, ce qui lui sauva la vie. Après plusieurs secondes sans autres réactions, il embraya pour changer de vitesse et les pneus crissèrent d'un coup sur le bitume froid de l'hiver, tandis que la voiture reculait. Il recula sur plusieurs mètres, mais contrairement à ce qu’on aurait pu s’attendre, il ne plaça pas la voiture en travers de la route. Au contraire, il la positionna de façon à pouvoir accéder au coffre en toute sécurité, conscient qu’il devait récupérer la carabine qui s’y trouvait.

Une fois le troisième tir passé, il ouvrit la porte et courut vers le coffre qu'il ouvrit de manière brutale. Il s'y trouvait une carabine de modèle Remington 700, précise et fiable, mais celle-là était vieille, presque une antiquité qui pouvait être exposée dans un musée teylais. Mais elle était entre ses mains ce jour-là. Il jura à haute voix et appela des renforts. Qui était cet homme dont il n'avait pu apercevoir le visage que brièvement ? Pourquoi était-il armé et pourquoi avait-il crié un prénom ne laissant présager rien de bon pour le policier qui était pour l'instant bien seul et paniqué à l'idée de se retrouver face à deux personnes armées ? Il eut du mal à reprendre son souffle, une respiration normale, alors qu'il serrait bien fort de ses mains la carabine, comme si cela allait améliorer ses chances. Des bruits venaient de la maison sans qu'il pût distinguer ce qui se tramait à quelques mètres. Les messages radio s'enchaînaient alors qu'un policier royal était en danger de mort. La préfecture redirigeait toutes les patrouilles à l'endroit de la fusillade et les unités d'élite s'apprêtaient à partir.

Il jeta un rapide coup d'œil vers la maison en penchant sa tête. Ses yeux scrutaient l'obscurité derrière les fenêtres brisées. Les bruits venant de l'intérieur se faisaient de plus en plus intenses et cette voix, dont il se souvenait encore, n'arrêtait pas de crier "Jean", comme un appel à l'aide ou une menace. L'homme qui lui avait tiré dessus n'était pas seul, Levasseur en était certain sur le moment et il avait raison. Deux autres personnes, armées elles aussi, se déplaçaient dans la maison ou à l'extérieur. Trois ennemis, peut-être plus. Levasseur savait qu'il n'avait pas le luxe de se poser des questions pendant trop longtemps. Il devait agir, mais comment ? La situation était trop floue, intenable pour lui. Les renforts allaient mettre du temps à venir, alors que les chutes de neige s'intensifiaient. Pouvait-il tenir tête à trois personnes armées ? Il ne connaissait pas la réponse, mais avait le sentiment qu'il n'allait pas tarder à connaître la réponse, une réponse qu'il aurait voulu ne jamais connaître, qu'importe la situation face à lui.

Thomas avança jusqu'à un muret de pierre. La neige crissait sous ses bottes, couvrant à peine les battements de son cœur. Ce simple abri lui offrait une couverture bienvenue face à l'incertitude de la situation instable. Il regarda ses doigts qui souffraient du froid extrême malgré ses gants censés le protéger de cette situation. Ce placement offrait à Thomas une visibilité sur le côté droit de la maison en plus de l'avant de la bâtisse s'il relevait la tête par-dessus le muret recouvert de neige. Il jeta un coup d'œil. Il n'était pas sûr de ce qu'il avait vu, il devait regarder de nouveau par-dessus le muret. Il avait bien vu une silhouette, indistincte au premier regard, qui se détachait dans ce tourbillon de neige. L'homme portait une carabine de chasse, une arme lourde qui était létale comme l'arme qu'il avait entre les mains. Toutefois, l'arme de la silhouette, qui paraissait innocente avec toute cette neige, était dans un meilleur état que celle de Thomas Levasseur. Il ne le savait pas à ce moment-là et cela n'influencerait pas les prochaines décisions qu'il allait prendre.

Il n'avait que quelques secondes pour réagir. Une montée d'adrénaline parcourut tout son corps. L'adrénaline lui fit une sensation agréable, mais surtout, il sentit en lui qu'il pouvait se sortir de cette situation périlleuse. Instinctivement, il se baissa, ajusta la crosse de son arme contre son épaule, et se mit en position de tir. Le canon de son arme, froid, dépassait très légèrement du muret et faisait face à la silhouette que ses yeux voyaient comme si la neige n'était pas là à brouiller sa vision. Il ne voyait plus que la silhouette qui était devenue sa cible, la scène dura quelques secondes, mais pour Thomas c'étaient des minutes entières. Des minutes entières durant lesquelles il ne lâcha pas sa proie. Un lion de la savane, prêt à fondre sur sa proie, à la traquer sans relâche jusqu’à ce que l’inévitable se produise. Mais ici, pas de savane, pas de chaleur écrasante sans vent. Il faisait jour, gris et la neige tombait. Le froid semblait figer tous les membres de son corps.

Malgré ce froid et ce sentiment, il parvint à appuyer sur la détente tout en visant sa cible, sa proie. Il était devenu un prédateur dans ce froid, dans cette neige, sans que ses cibles puissent s'en rendre compte. Le coup puissant, propageant un bruit sourd, lourd et fort dans l'air, atteignit sa cible en plein cœur, faisant s'effondrer la cible qui ne put qu'émettre de puissants cris de douleur. Ces cris de douleur se mêlaient dans l'atmosphère glaciale, ces cris étaient presque animaux, cela brisa quelque chose dans chaque âme présente. Celle de Thomas, mais celles présentes dans la maison, qui devenait soudainement silencieuse, comme si on avait retiré un fils à sa mère. Thomas inspira profondément, tentant de calmer la montée d’adrénaline qui aurait pu faire partir un autre tir. Il n'eut d'autre réflexe que serrer son arme encore plus fort, afin de se rassurer, que la situation était sous contrôle et que cette chose qui s'était brisée en lui allait réapparaître. Mais malgré trois ans d'attente, elle était toujours absente.

Alors que les bruits reprenaient dans la maison, il put enfin entendre les bruits assourdissants des sirènes de police. Les sirènes de police se rapprochaient enfin, se disait-il, brisant peu à peu le poids oppressant de son isolement. Le son des véhicules au loin s'infiltrait parmi les arbres et les granges. Il indiquait que son calvaire était bientôt terminé. Mais ce n'était pas terminé, il en était conscient. D'autres silhouettes pouvaient surgir de la maison ou d'une fenêtre de la façade. Le calme n'était pas présent en Thomas, pas encore là, s'il pouvait réapparaître après ce qu'il venait de vivre, ce qu'il vivait. Le temps passait lentement pour Thomas, il passait encore plus lentement pour les personnes dans la maison qui voyaient leurs morts arriver ou tout du moins l'arrêt de leurs activités illégales et la fin d'une vie libre. Thomas retrouvait une respiration normale, alors que sa concentration était divisée entre les sirènes de police et cette maison dont l'enfer pouvait surgir à chaque instant. La même voix qui criait "Jean" lui cria cette fois-ci "Pourquoi être venu ? Vous avez fait une erreur terrible".

Les propos glacèrent le sang de Thomas, bien plus que le froid l'entourant. Ces propos n'avaient rien de rassurant et promettaient que la situation n'allait pas rester ainsi, au grand dam de Thomas. Il reprit une position permettant au canon chaud de l'arme de dépasser du muret, toute sa concentration était dirigée vers cette maison maudite, dont les voix le terrifiaient plus que les coups de feu qui avaient retenti sur sa voiture et failli le tuer. Les premières voitures de police s'engageaient sur le chemin, dorénavant, il y avait cinq policiers entourant la maison, permettant à Thomas de souffler et de rassurer ses collègues sur son état. La situation devenait de plus en plus calme, quand d'un coup le bruit assourdissant qui venait de tirer envahissait la maison, l'extérieur, l'atmosphère. On entendit plusieurs "merde" venant des policiers, mais Thomas ne dit rien et resta concentré sur cette maison. Il comprenait maintenant : il faisait face à une situation de prise d'otage depuis tout ce temps.

Son esprit de retour dans le présent, il regarda sa collègue qui conduisait. Encore de la neige, pensa-t-il de manière non ironique. Depuis ce jour-là, il détestait la neige alors que ses enfants l'adoraient. La vie brise des bouts des âmes. Il était heureux que la vie n'ait pas encore brisé ses enfants qui restaient inconscients des dangers du monde, mais aussi de sa violence. Sa collègue avait dix ans de plus que lui. Ils travaillaient ensemble depuis une année, mais il savait que très peu de choses sur Lucienne Vana. C'était une femme indépendante, il n'avait vu aucune alliance depuis un an et n'avait jamais entendu parler d'un mari et encore moins d'enfants. Elle semblait ne pas correspondre au profil se mettant en couple et s'enfermant dans une routine mortifère. Travail, famille et dodo. Levasseur correspondait de plus en plus à ce profil, surtout depuis ce jour terrible. Il s'était rapproché de sa famille, il avait parlé de ses horaires à ses supérieurs en faisant jouer le fait qu'il était marié. Il avait fini par gagner et obtenir des arrangements dans ses horaires, ce qui le satisfaisait.

Il ne savait pas si elle avait vécu des événements similaire. Elle ne parlait pratiquement jamais de sa vie, contrairement à lui. Il aimait en parler, il aimait sa vie. Thomas Levasseur regardait par la fenêtre, les paysages blancs défilant sous le ciel grisâtre. Il y avait un calme apparent, mais son esprit restait agité. Il secoua la tête brusquement, comme pour repousser ces souvenirs indésirables. Lucienne resta concentrée sur la route quand soudain elle s'exclama :

-"Tu comptes rester silencieux durant tout le trajet ?" dit-elle en regardant brièvement son collègue. "Habituellement, tu m'aurais déjà raconté ton week-end avec ta famille, mais cette fois-ci, rien. Il se passe quoi, collègue ?"
-"Je ressasse le passé et je réfléchis, c'est tout." Lucienne était au courant de ce que Thomas avait vécu il y a trois ans, elle avait de la compassion pour ce qu'il avait vécu, même si c'était les risques du métier, se dit-elle à chaque fois. Elle ne parlait jamais de cet événement qu'elle savait marquant pour Thomas. Ce n'était pas son rôle, les psys étaient là pour ça, mais aussi la famille de Thomas. Il faisait bien son travail, alors elle n'avait rien à redire.
-"Je vois," dit-elle froidement, ne laissant pas sa compassion transparaître dans sa réponse.

La voiture de patrouille de la Police Royale avançait doucement sur cette route de campagne recouverte d'un tapis de neige. À l'intérieur de l'habitacle, un silence lourd et pesant s'était installé. Les deux policiers savaient le sujet qu'ils évitaient de parler. La gêne était présente dans le comportement de Thomas qui se rassurait en fixant la fenêtre et se concentrant sur le bruit incessant du moteur de la voiture avançant. Le manteau de l'hiver, la neige, recouvrait tout le paysage et le gris hivernal, signe de neige, laissait apparaître un sentiment de malheur pour Thomas quand Lucienne y était neutre. Il pensait trouver un réconfort en fixant un point fixe dehors, un signe de Dieu ou du destin lui signifiant qu'il n'était pas seul. Pourtant, rien n'apparut, il semblait seul dans cet univers, ce monde, cette planète. Pendant qu'il fixait l'horizon, Lucienne tenait fermement le volant, un pied prêt à freiner à tout moment. Elle roulait prudemment sous cette neige et elle roulait encore plus prudemment tout en sachant les surprises que pouvaient réserver les routes de campagne comme celle-ci, qu'il neige ou qu'il pleuve.

Tout à coup, Thomas ressentit une légère décélération. La voiture de police ralentit doucement, avant de s'arrêter complètement. Ce n'était pas un freinage d'urgence mais bel et bien un freinage contrôlé. Thomas tourna immédiatement la tête vers la route. Devant, il y avait une voiture noire, une citadine noire qui ne bougeait pas. La neige commençait à recouvrir la voiture, ce qui voulait dire que la voiture était ici depuis une dizaine de minutes tout au plus. Les portières étaient fermées. La voiture semblait s'être arrêtée comme eux, il n'y avait pas de trace de pneu ou encore de freinage brutal dans la neige. Certes, la neige aurait pu recouvrir les traces de freinage, mais il n'en était pas sûr. Lucienne dit à voix basse, mais Thomas put entendre sa collègue : "C'est bizarre".

Les policiers faisaient le tour de la voiture et virent des traces de pas qui commençaient à être effacées par la neige. La voiture était bel et bien ici depuis peu de temps, bien qu'aucun des deux policiers ne pût mettre des minutes précises. Lucienne avertit Thomas qu'il n'y avait aucune plaque d'immatriculation à l'avant comme à l'arrière. Les deux policiers avaient les mains sur leur étui, prêts à dégainer leur arme à tout instant, si une menace se présentait. La situation semblait bizarre et rappela à Thomas la fusillade d'il y a trois ans. Il savait que chaque situation pouvait déraper à chaque instant, et la neige faisait dire qu'une fusillade allait avoir lieu dans les prochaines minutes sans savoir d'où qu'elle viendrait précisément. Des bois de la vallée ? La maison sur le bord de la route à une centaine de mètres ?

Thomas tenta de regarder par les fenêtres de la voiture, mais il ne vit rien à cause de la buée ; apparemment, le chauffage fonctionnait à l'intérieur de la voiture ou avait fonctionné, il ne le savait pas. Il mit ses doigts sur la serrure et attira la portière vers lui et étonnamment la portière s'ouvrit. Il s'installa confortablement dans le siège passager, comme si c'était sa voiture. Mais il devait fouiller pour savoir ce qui l'attendait. Il ne trouva rien dans la boîte à gants en dehors d'une photo d'une promotion de policier ; il trouva cela étonnant mais ne réagit pas sur le moment. Ce n'était ni sa promotion, ni la promotion de Lucienne, rien d'alarmant. C'est qu'en regardant sur la banquette arrière qu'il vit deux dossiers beiges, comme dans les séries policières. Cette disposition attira tout de suite Thomas, qui jeta ses mains sur les dossiers pour les parcourir, tandis que sa collègue passait un appel radio pour avertir de la situation étrange sur laquelle ils étaient tombés tous les deux. La voiture comportait en elle des mystères qui demander a être résolu. Après avoir lu les dossiers, Thomas déclara :

"Lucienne regarde-ça !" S'exclama Thomas.
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L'épée du Roi - I ( 1849 ) :
Roman historique, sortie en 1999.

Teylais


Le jeune roi Raymond VI, âgé d’à peine dix-huit ans, fixait son épée d’un regard absent, puis son regard vide se glissa lentement sur sa couronne posée sur ses genoux. Ce n’était pas celle de son père, encore moins la majestueuse Couronne teylaise, symbole du pouvoir royal teylais mais aussi de la longue légitimité héritée d'une longue lignée de souverains qui avait permis au Royaume de Teyla d'être ici. Désormais, cette couronne, symbole de puissance, était à l'abri, sous la garde vigilante de Jules XVI à Manticore. Cette couronne-là, confectionnée à la hâte une année plus tôt, n'était qu'une triste imitation, un ouvrage grossier qui devenait presque insultant pour Raymond VI, le souverain légitime et le successeur de son défunt père. L'état de la couronne, auquel on n'avait ajouté aucun ornement, aucun or, aucun métal précieux, trahissait l'état dans lequel commençait son règne. Le règne d'un Roi qui n'a pas tout son Royaume, à l'image de sa couronne qui n'a pas tous ses ornements.

Les yeux de Raymond VI lançaient des flammes envers cette vie, ce pitoyable règne qu'on lui avait offert. La haine bouillait en lui, rancune et colère étaient au rendez-vous, dans cette petite salle du château de Hurlou. La guerre civile, qui déchirait son royaume depuis deux ans, avait tout emporté avec elle. Sa jeunesse, son insouciance, son amour pour la vie et pour les femmes, jusqu'à remettre en cause sa croyance envers Dieu. Au commencement de la guerre civile, lorsque Jules XVI s'était proclamé Roi du Royaume de Teyla et était rentré dans la capitale Manticore sans faire face à une quelconque résistance, lorsqu'il reçut le soutien de certains seigneurs et nobles et en ultime insulte lorsqu'il avait reçu le soutien des partis de l'étranger, La Rimaurie, Raymond VI avait trouvé un coupable idéal sur qui rejeter la faute de la chute de son Royaume qui lui échappait des mains. Ce coupable n'était plus là pour se défendre, il avait trépassé il y a deux ans, c'était son père, le souverain Philippe XVI.

Selon Raymond VI, au commencement de la guerre civile, tout était de la faute de son père. Il n'avait aucune rage, aucune colère avant la mort de son père, parce qu'il n'avait aucun problème. Les complots étaient loin de lui, à Manticore, alors que son père l'avait envoyé dans une zone reculée du pays afin de le protéger des assassinats, ce qu'il cacha à Raymond VI pour le protéger. Philippe XVI avait laissé à son fils, aux yeux de Raymond VI, qu'un Royaume pourrissant d'année en année, dont l'autorité de la Couronne était sapée de plus en plus par les brigands, les marchands et les nobles. Les puissances étrangères voyaient un Royaume affaibli qu'on pouvait dépouiller. La troupe Efreinoise, l'avait compris en pillant le nord du pays puis s'y installant. Raymond avait maudit son père aussi bien en silence qu'en public devant son conseil. Il n'avait pas l'image d'un homme craint, mais ce jour-là, devant les conseillers qui avaient servi son père, il avait donné une deuxième mort à son père tant ses mots étaient tranchants.

"Il est le responsable, il n'y a aucun doute possible" avait-il commencé par dire, se levant devant ses conseillers médusés, alors que le visage de Raymond VI rougit, comme le rouge qu'on pouvait apercevoir sur les capes des nobles, alors que la colère avait déjà gagné face à la sagesse. Il jeta un regard assassin sur les visages de ses conseillers, ces hommes soumis qui avaient baissé les yeux. Il ne vit sur le moment que des hommes faibles, cependant ils étaient sages et savaient penser la guerre, l'économie, la gestion d'un Royaume. Raymond VI, grâce à son éducation, le savait aussi, mais il ne l'avait jamais pratiqué. Il avait besoin de ces hommes, mais sur le moment, il ne vit que des gueux.

Un silence pesant s’abattit sur la salle. Seuls les crépitements du brasero brisaient le silence laissé par le jeune roi et ses conseillers qui ne savaient pas comment se comporter face à un homme qui avait perdu ses moyens. Tous avaient décidé inconsciemment de laisser le Roi déverser sa haine parce qu'il en avait besoin. Ces hommes étaient fidèles à son défunt père, ils étaient de fait fidèles à Raymond VI sans qu'il s'en aperçût. Ces vieux hommes, pour la plupart, dont la richesse se voyait à leur tenue, étaient en partie responsables de l'état du Royaume. Ils n'avaient pas su répondre aux pillages faits par les Efreinois au nord du pays, ils n'avaient pas su redorer l'autorité de la Couronne et ils n'avaient pas su mettre un terme au conflit religieux ou calmer les ardeurs des croyants.

- Vous étiez là, répéta-t-il dans une violente colère. Vous étiez là quand les Efreinois ont foulé nos terres. Vous étiez là quand nos marchands, nos artisans, ceux qui faisaient la richesse du royaume, furent poursuivis par ces barbares venus d'ailleurs, de l'étranger. Qu'avez-vous fait, qu'a fait mon père ? Rien, vous avez prié notre dieu, mais prier ne sert à rien si nous ne faisons aucune action. Dieu nous guide dans nos actions, ne l'oubliez pas. La paraisse n'est pas une action

Raymond VI surplombait l'assemblée et sa main caressait discrètement le pommeau de son épée, pour se donner une allure de roi, de stratège. Mais les vieux hommes assis, amorphes, savaient que pour l'instant, Raymond VI n'avait aucune expérience pour être un stratège ou encore un roi. Il avait par moments montré son talent, ce dont il était capable, mais il était toujours accompagné dans ses choix, ses actions. Les hommes qu'il était en train de maudire restaient indispensables pour le bon fonctionnement des terres qu'il lui restait, de son armée prête à se battre pour le Roi légitime du Royaume de Teyla.

Combien de mots écrits à ces pillards leur avez-vous adressés dans l'espoir qu'ils laissent le Royaume en paix ? Combien de mots !? s'exclama-t-il alors que sa main qui tenait son épée venait frapper le sol. Le regard de Raymond VI était toujours rempli de frustration, de haine envers son père. Tout ça était la faute de son père, se dit-il, en boucle intérieurement. Pendant que vous êtes atones, endormis, certains avancent vers nous ! Ces mots avaient suffi pour que l'assemblée devienne la plus attentive des assemblées, la plus calme et à l'écoute du Royaume. Les Zélandais ont accosté sur nos côtes ! Ils ont, comme toujours, répondu à l'appel du Royaume de Teyla. Contrairement à vous, ils agissent.

Le silence s'abattit dans la salle du petit château. Ce n'était pas le même silence qu'auparavant, celui-ci était un silence de surprise et surtout de soulagement, presque de joie. Pour la première fois, depuis qu'il était roi, Raymond VI perçut que ses mots avaient touché au but et espérait qu'ils avaient permis de laisser son empreinte sur ces vieux hommes. Il les observa un à un, d'un regard plus conciliant, ses conseillers. L'idée que les Zélandais avaient répondu à l'appel du très jeune roi les avait rassurés et calmés. L'inquiétude laissa place à l'espoir.

L'arrivée des Zélandais changeait le cours de la guerre pour Raymond VI, mais aussi pour tous ses participants. En outre, l'état de l'armée actuelle permettait à peine de tenir les forteresses. Pour l'instant, les garnisons étaient réduites au minimum, une situation qui s'améliorait avec le temps au fur et à mesure que ses seigneurs levaient les osts, mais la situation était bien trop précaire encore. Des hommes affamés, dont l'éclat de l'armure n'était plus dû à un manque criant d'entretien. Les bruits des armes ne s'étaient pas encore fait entendre autour des troupes de Raymond VI et c'était une chance, se disaient tous ses hommes. Dorénavant, avec l'arrivée des Zélandais et les osts en train d'être levés, l'avenir s'annonçait meilleur pour Raymond VI.

Contrairement aux Teylais, les Zélandais qui avaient accosté étaient déjà prêts, déjà armés, le ventre rempli. Les combats s'annonçaient remplis de gloire avec la présence des alliés de toujours du Royaume de Teyla. C'est à une assemblée remplie d'espoir que Raymond VI annonça qu'il partirait au nord du pays pour Hellemar afin de rejoindre les troupes zélandaises et les accompagner dans leur périple. Les membres du conseil émirent des bruits de stupeur et de surprise face à la décision de Raymond VI. L’annonce de Raymond VI venait de sceller une décision que personne ne pouvait plus contester. Il partirait au nord, rejoindre les Zélandais à Hellemar.

Le jeune roi sentit l'ambiance à l'intérieur de la salle changer. Les visages de ses conseillers redevenaient inquiets face à la décision inconsciente du roi. Ils savaient que le sud du pays était tenu par Raymond VI et ses partisans, mais à aucun moment le territoire était acquis à sa cause, notamment si le territoire subissait un assaut de l'un des prétendants au trône. La volonté du Roi pouvait très bien entraîner la chute du sud du pays et de Gèvre, la deuxième plus grande ville du Royaume. Mais Raymond VI savait très bien que son armée pouvait rompre à tout moment en attendant les osts de ses seigneurs. Mais lever une armée prenait du temps, un temps qu'il n'avait peut-être pas. Les Zélandais allaient lui offrir du temps, un temps précieux pour lui et son royaume.

Par ailleurs, cela représentait bien plus que du temps et des hommes. L'arrivée des Zélandais envoyait un message fort aux ennemis du jeune roi. L'allié historique du Royaume de Teyla avait choisi Raymond VI, renforçant de fait son autorité dans tout le Royaume et auprès des nations que pouvaient influencer les Zélandais. Peut-être était-ce un signe de faiblesse pour le Roi de devoir compter sur une nation étrangère pour défendre son royaume. Mais qu'un allié historique choisisse Raymond VI renforçait son aura dans tout le royaume. Il pouvait gagner l'allégeance de certains seigneurs, comtes ou encore barons avec le soutien de Zélandia.

Il fut deux jours au Roi pour préparer le voyage dans lequel il se lançait avec une trentaine de compagnons et de chevaliers prêts à le défendre contre la mort. Le nombre de chevaliers et de compagnons avait créé un débat autour des conseillers du Roi. Une troupe importante en hommes allait être plus difficile à ravitailler, à déplacer, mais serait avant tout beaucoup moins discrète qu'une troupe petite. Mais avec une trentaine d'hommes, la sécurité du roi était assurée contre les groupes de bandits et les pillards qui pillaient uniquement en petit groupe dans le sud du pays. Une petite troupe aurait été un trop gros désavantage pour la sécurité du roi en cas d'affrontement, avaient fini par conclure les conseillers du Roi.

Alors c'est sous la brume et une petite brise qui ramenait le froid, que le Roi et sa troupe partirent du château de Hurlou sous de très nombreux regards.
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Ils ont offert leur vie, nous leur offrons l’éternité :

Teylais


Royaume de Teyla, 2016.

Hellemar était une petite bourgade maritime du Royaume de Teyla. Les industries maritimes, tant civiles que de défense, constituaient la principale activité économique de la ville aujourd'hui. Pour une ville de cinq mille âmes, le port était gigantesque, s'étendant sur plusieurs kilomètres le long de la côte, avec ses quais modernes sur lesquels on pouvait apercevoir les navires militaires s'amarrant. D'autres navires tout aussi imposants, comme des chalutiers de pêche, partaient du port et allaient pêcher en mer. La pêche n'était pas la principale activité du pays, bien au contraire, le Royaume de Teyla n'était pas une nation de pêcheurs et ne le sera jamais. C'était une nation de commerçants et maintenant de services. Le Royaume de Teyla préférait acheter la plupart de ses poissons aux nations étrangères, quitte parfois à les revendre à des nations crédules sur les prix.

Le travail des pêcheurs était ici respecté et compris. Une chose qui n'était pas le cas dans le pays plus profond ou à Manticore. On ne comprenait pas pourquoi des êtres humains s'amusaient à prendre la mer pour pêcher et gagner un salaire qui était rarement suffisant pour subvenir aux besoins d'un être humain. Nul ne connaissait un pêcheur qui gagnait bien sa vie, disait-on à Manticore. Cela était vrai et plus particulièrement à Hellemar. Il n'existait pas au Royaume de Teyla, du moins en très petit nombre, de pêcheurs indépendants. La quasi-totalité des pêcheurs teylais dépendait d'une grosse structure agroalimentaire qui payait le strict minimum légal aux pêcheurs. Un salaire suffisant dans beaucoup d'endroits du pays, mais pas à Hellemar.

La présence des industries de la défense avait fait gonfler les loyers et les prix de l'immobilier dans cette petite bourgade. L'installation de grands groupes industriels de la défense, amenant des centaines d'employés, avait bouleversé le prix de l'immobilier temporairement de toute la région en attendant que le marché se stabilise. Mais la présence de ces groupes avait eu de bons côtés pour les commerçants locaux. En outre, le centre-ville était très attractif, vraiment bougeant. Les commerçants faisaient des recettes records depuis deux ans et l'activation d'un plan de réarmement naval pour le Royaume de Teyla. On construisit d'abord les chantiers navals, puis les quais qui devaient accueillir les navires de guerre flambants neufs. Maintenant, les entreprises construisaient, tout comme les armateurs velsniens, des navires en boucle pour que le Royaume de Teyla puisse défendre ses intérêts dans la Manche Blanche et dans les océans du globe.

L'essor de la piraterie avait inquiété le Gouvernement de Sa Majesté qui voyait d’un très mauvais œil la multiplication de la piraterie aux alentours de la Loduarie et les nations pirates, bien que fortement impuissantes depuis la chute du Pharois, continuaient d'exister. Les différentes notes de renseignement à l'époque du Pharois et les revues stratégiques de cette même époque indiquaient toute la nécessité impérieuse pour le Royaume de Teyla de se doter d'une flotte de guerre capable de pouvoir affronter tant une confrontation directe avec une flotte de surface que des mini-accrochages dans toute la Manche-Blanche. Alors le Gouvernement de Sa Majesté avait augmenté les investissements militaires auprès de la Marine nationale. De nombreux chantiers navals et des ports militaires sont sortis de terre ces dernières années.

Au regard du contexte actuel, avec la montée en puissance de la Grande République de Velsna et de sa marine, les potentialités de conflits navals toujours plus hautes, la stratégie du Gouvernement de Sa Majesté avait payé. Elle n'était pas parfaite, la marine teylaise a de gros manquements, mais elle explique la croissance folle des industries navales.

Les nombreuses ruelles de la ville, au contraire des routes, étaient des rues pavées de pierre, un témoignage des siècles d'histoire gardé par les maires et les gouvernements successifs. Une plaque commémorative de la bataille d'Hellemar durant la guerre civile était étalée à la vue de tous devant la mairie. En dehors du port et du centre-ville, Hellemar s'étendait en quartiers aux maisons individuelles connues sous l'appellation de "Pavillon" avec des toits couverts par l'ardoise sombre. Malgré les coûts de l'immobilier en forte augmentation, l'activité de la ville avait repris, et pas seulement du côté de l'industrie de la défense. Plusieurs commerces et industries locales s'étendaient dans toutes les directions de la ville, en faisant une place forte de l'économie régionale.

Ce jour-là était presque différent. Des secteurs d'activités continuaient leur activité, mais la plupart avaient cessé leur activité. Le centre-ville habituellement bruyant ne produisait pas un bruit assourdissant, mais un léger bruit de fond. Les vitrines étaient pour la plupart fermées, leurs rideaux de fer baissés ou leurs lumières éteintes. Plusieurs vitrines avaient une affiche collée sur lesquelles était écrit : "En hommage aux soldats tombés au front". Les rares brasseries ou cafés ouverts avaient peu de clients à servir à cette heure-ci. Il était onze heures de la matinée.

Sur la place centrale de la ville, la foule avait pris place. Les gens discutaient, mais en mémoire des victimes, les Teylais qui s'étaient rassemblés chuchotaient. Un réflexe humain, une norme de politesse qui n'avait pas de sens, mais qui faisait du bien aux personnes présentes. Cette simple norme permettait de faire croire à cette foule qu'elle respectait les victimes en chuchotant. Les journalistes locaux étaient présents, le visage de marbre et concentrés sur la prise de notes. Le silence semblait se répandre comme un mal dans cette ville à l'habitude bougeante.

Il était onze heures, le Maire leva la main. Un frisson parcourut la foule. Le silence se fit plus présent.

- Nous sommes réunis ici, en tant que nation unie et peuple teylais, pour rendre hommage à celles et ceux qui ne sont pas revenus. Tout au long de notre histoire, notre nation a dû faire face à de nombreux défis. Nous connaissons la guerre non par les récits, mais par l’expérience, car nous l'avons vécue sur notre territoire à de nombreuses reprises. La menace persistante que représente la Loduarie communiste nous rappelle que la paix n'est jamais acquise. Elle n’est ni garantie, ni partagée par toutes les nations.

Nos braves soldats l'ont compris et ils l'ont accepté. Ils ont répondu à l’appel du devoir non par goût de la guerre, mais par loyauté envers leur patrie. Ils ont pris les armes non pas par désir de conquête, mais par conviction pour nos valeurs. La démocratie, la liberté et la souveraineté ne s'achètent pas. Ces valeurs qui font de nous un peuple uni se défendent ensemble, face à l'adversité. Lorsque nos soldats, nos frères et sœurs, sont partis en Translavya libérer cette nation de l'emprise d'un régime fasciste et la défendre face aux mains meurtrières de la Loduarie communiste, ou encore lorsqu'ils ont libéré le Hvítneslånd des mains d'un régime fasciste, ils avaient à cœur de libérer des peuples oppressés.

Ils nous ont offert leurs vies. À travers ce jour de mémoire et le devoir de mémoire, nous leur offrons l'éternité. Ce n'est pas seulement la mort de ces gens que nous commémorons en cette journée, mais aussi la vie qu'ils ont choisi de mener. Une vie tournée vers la défense de leurs compatriotes, de leur famille, de leur patrie, de leur engagement en faveur du Royaume de Teyla. S'engager pour le Royaume de Teyla constitue un acte fort, qui n'est jamais pris à la légère.

Deux Hellemariens sont tombés au combat durant les conflits que j’ai précédemment nommés. Deux visages, deux noms, deux familles à jamais marquées par l’absence. Deux enfants de notre ville ont donné leurs vies pour que d'autres puissent vivre librement. Un acte, un geste fort de la part de ces Teylais. Nous ne devons jamais les oublier, parce qu'ils étaient nos amis, votre beau-frère, vos frères et qu'ils resteront à jamais au Champ d'honneur du Royaume de Teyla.
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Antoine Carbasier décoré par la Reine :

Teylais


4 janvier 2016, Royaume de Teyla.

Il était dix heures au Palais Grayson. Antoine Carbasier respirait plus rapidement qu'à l'accoutumée. Il faut dire que cet homme, ancien Premier ministre du Royaume de Teyla en deux mille onze, durant une brève année, allait vivre une journée exceptionnelle. Il avait connu les entrailles du pouvoir : ses secrets, ses joies, ses craintes, ses peurs. Il avait connu les dîners et les réceptions d'artistes, de stars et d'officiels étrangers. Il avait connu les sourires entendus, les poignées de main, les applaudissements programmés. Il avait connu les nuits sans sommeil, parce que le leader de la Loduarie Communiste avait décidé d'une action à l'encontre du Royaume de Teyla. Cet homme avait reçu la moitié de l'onction du peuple. En effet, son parti était le premier parti du pays et de l'Assemblée nationale à l'époque, mais il n'avait pas la majorité absolue. Que cela devait être terrible pour l'homme d'avoir reçu la moitié de l'onction du peuple, mais l’intégralité du fardeau.

On a coutume de dire que le pouvoir n'adoucit pas les craintes et les peurs des Hommes, mais au contraire les renforce. L'actuel Premier ministre, Angel Rojas, pouvait témoigner que le pouvoir alourdissait la peur suite à des prises de décisions. A-t-on fait le bon choix de répliquer à la Loduarie Communiste ? Est-ce bien de se mettre à dos les patrons pour baisser la durée limite de travail ? Est-ce viable économiquement ou vais-je plonger le Royaume de Teyla dans une crise économique ? Les moyens engagés sont-ils suffisants dans la défense du Royaume ? Toutes ces décisions augmentaient le stress des Hommes qui devaient prendre ces décisions ou conseiller les Hommes qui prenaient lesdites décisions.

Il avait eu à faire face à la Loduarie Communiste, le premier acte d'une rivalité qui allait devenir historique et intense au fil des années. À l'époque, peu de monde avait compris ce qu'allait devenir la relation loduaro-teylaise. Lorsque la Loduarie Communiste entamait des exercices militaires à la frontière sans en avertir le pouvoir teylais, on parlait uniquement d'incidents frontaliers sans grande importance. Ils n'avaient pas mesuré la menace qui se montrait. Antoine Carbasier avait compris la menace que représentait cette nation à l'époque. Il l'avait compris, pas entièrement, mais il avait agi. Il avait réuni son gouvernement afin que celui-ci soit pleinement tourné vers cette menace qui se montrait et qui, à l'époque, dominait le Royaume de Teyla. Il avait décidé, avec ses ministres, de convaincre plusieurs nations, attachées aux valeurs démocratiques, de se lancer dans un projet fou : la construction d'une organisation internationale censée défendre les valeurs portées et les nations membres. Ce projet s'appelait l'Organisation des Nations Démocratiques.

Dans les couloirs feutrés du pouvoir, on le disait trop doux pour la guerre. Or, Antoine Carbasier, durant cette année au pouvoir, n'avait jamais fui le combat ou encore la guerre. L'Organisation des Nations Démocratiques ne suffisait pas pour cet homme, qui voyait bien la menace rouge de l'autre côté de la frontière. Il avait entamé un grand programme de modernisation de l'économie pour que le pays puisse connaître un miracle économique et financer des efforts de défense conséquents. Cela avait marché. En deux mille seize, le pays atteignait les cent milliards d'investissements dans sa défense annuellement. Une chose rendue possible, parce que la croissance fut telle sous son mandat et les mandats suivants que le produit intérieur brut atteignait quasiment les mille cinq cents milliards. Le Royaume de Teyla avait l'une des meilleures aviations du continent, voire la meilleure aviation du continent. Au niveau de l'armée de terre, elle faisait jeu égal avec l'armée loduarienne, permettant d'éviter une attaque désastreuse sur son sol. La Marine nationale fut le corps d'armée le plus délaissé et laissé aux partenaires du Royaume de Teyla sous le mandat d'Antoine Carbasier. La Loduarie Communiste représentait une menace aérienne et terrestre avant tout pour le Royaume de Teyla et Antoine Carbasier l'avait bien compris.

L'histoire donna raison à Antoine Carbasier. L'Okaristan, Zladingrad, la Translavya. Tous ces pays-là furent envahis par la Loduarie Communiste et son Secrétaire général Lorenzo. Antoine Carbasier et son gouvernement avaient bien tenté de négocier et de discuter avec leur voisine communiste. Mais cette dernière se refusait à tout dialogue, ne donnant pas le choix au Royaume de Teyla et à l'Organisation des Nations Démocratiques de se préparer pour la guerre. La Loduarie Communiste augmenta la pression autour du Royaume de Teyla, que ce soit sous le mandat d'Antoine Carbasier ou d'Angel Rojas. Que ce soit la surveillance des convois militaires teylais par des navires de guerre loduariens, en passant par les actes proches des territoires teylais, toujours dans une zone grise de l'agression armée à l'encontre du Royaume. La Loduarie Communiste s'en sortait toujours sans guerre parce que le Royaume de Teyla ne voulait pas la guerre.

Le point d'orgue de la rivalité avec le Royaume de Teyla fut sans aucun doute le meurtre, l'assassinat, de deux Teylais qui s'étaient trouvés en territoire loduarien. La tension était forte, le continent entier croyait que la guerre allait commencer. Le choc fut immense. Selon les autorités loduariennes, les Teylais avaient commis des actes de terrorisme envers la nation loduarienne. Aucun membre du gouvernement ne croyait en la version des autorités loduariennes et il en était de même pour la population. Oui, cela fut un choc immense. Du jour au lendemain, la population teylaise prit conscience de la menace loduarienne, se rendant compte de son impuissance. Dans la rue, la population pleura et s’indigna. Le Royaume de Teyla avait peu connu des manifestations d'une telle ampleur. Elles durèrent pendant plusieurs semaines d'affilée, se vidant petit à petit, mais restant toujours aussi fortes émotionnellement. L'opposition de droite demandait des représailles immédiatement, tout comme l'opposition de gauche.

Le Royaume de Teyla activa l'article quatre de l'Organisation des Nations Démocratiques, qui convoqua immédiatement une réunion d'urgence de tous les membres pour évoquer la situation et peut-être prendre des décisions si cela était nécessaire. Le Royaume de Teyla était vindicatif à l'encontre de la Loduarie durant la réunion. Angel Rojas faisait face à une pression immense. Il avait eu plusieurs crises de panique durant la journée, toujours à l'abri des regards. Face à la situation qui pouvait déraper, Angel Rojas fit appel à son prédécesseur et, à l'époque, président d'une instance de réflexion de l'Organisation des Nations Démocratiques pour des conseils.

- Ils veulent que je déclare la guerre à la Loduarie à entendre les oppositions, dit avec crainte Angel Rojas, le regard fixé sur un objet quelconque.

- Si c'est cela que tu veux, soit, la nation te suivra, tu le sais. Mais est-ce la bonne solution ?

- Justement, je ne sais pas. Dois-je faire ce que l'on attend de moi ou dois-je faire ce que je crois nécessaire et juste ?

- La Loduarie cherche à nous voir fauter, faire l'erreur qui lui permettra de justifier une guerre contre le Royaume de Teyla. Ne laisse jamais cette situation s'installer tant que nous n'avons pas la domination militaire sur la Loduarie Communiste. Sinon, nous ne rendrons aucun hommage aux deux Teylais morts.

Il ne voulait pas revenir à ce poste, mais l'histoire l'a rappelé elle-même. Ce qui avait commencé avec Antoine Carbasier devait se finir avec Antoine Carbasier, non ?

Il avait eu à faire face à Gary Hubert. Ce dernier n'avait pas apprécié qu'un homme du parti, pas sous sa coupe ni sous son contrôle, puisse prendre le contrôle du parti. Dans un élan de sympathie et d'empathie, Antoine Carbasier avait pris l'homme dans son gouvernement en tant que ministre des Armées et de la Défense nationale. En retour, Gary Hubert s'était juré de lui faire payer sa défaite à la tête du parti. Il avait commencé dès ses débuts à la tête d'un des plus importants ministères, au regard de la période et de la rivalité naissante avec la Loduarie Communiste. Il avait pris contact avec le Grand-Kah, sans demander l'avis du Premier ministre, pour une commande d'armement afin de s'assurer que le Royaume de Teyla envoie un message à l'internationale. Il transmettait à la presse toutes les conversations internes au gouvernement qui pouvaient nuire à Antoine Carbasier. Antoine le savait, mais que pouvait-il y faire ?

Remercier Hubert ? Cela aurait provoqué un séisme politique. Gary Hubert, malgré ses méthodes douteuses, restait populaire au sein du parti Les Royalistes et même auprès d'une toute petite poignée de députés centristes. Rappeler à l'ordre son ministre n'était pas de l'ordre du possible. Antoine Carbasier n’était pas homme à donner en spectacle les divisions de son gouvernement. Cela aurait donné un élément important sur la division interne du Gouvernement de Sa Majesté alors qu'il était en situation minoritaire à l'Assemblée nationale, un moyen de se faire censurer. Pour résister à Gary Hubert, l'aile dure du parti, Antoine Carbasier n'avait pas le choix, contre ses convictions, de durcir le ton sur le domaine régalien. Il avait choisi l'immigration et la sécurité. Une erreur qui fut terrible. Bien que le Mouvement Royaliste et d'Union se montrât ouvert à la discussion sur ces sujets-là, l'ouverture semblait de façade, car il a suffi de quelques semaines pour que l'Assemblée nationale censure définitivement Antoine Carbasier.

L'histoire retenait déjà son gouvernement comme l'un des gouvernements les plus importants pour le Royaume de Teyla et le gouvernement le plus respectueux ayant pu goûter au pouvoir. Lorsqu'il tomba à cause de l'Assemblée nationale, il ne prit pas la parole. Il fit l'acte de remettre immédiatement sa démission à Sa Majesté Catherine III sans un signe de protestation. Le parlement, et donc le peuple, s'était prononcé, il respectait ce verdict bien que ce verdict fût contre lui, une fois de plus. Les journaux n'étaient pas indifférents à sa chute. Au contraire, c'était l'événement politique de l'époque. Quand certains journaux reconnaissaient les réussites économiques et la dignité de son gouvernement et de sa personne, d'autres mettaient en avant l'échec d'Antoine Carbasier à s'imposer comme l'homme fort du Royaume de Teyla. Certains appelleraient cela la masculinité toxique, d'autres les réalités du pouvoir dans une démocratie libérale.

Quatre ans plus tard, les souvenirs de cette période remontaient en Antoine Carbasier comme une pique d'adrénaline. Son regard s'était perdu dans l'immensité de la salle dans laquelle se déroulait la cérémonie de remise de l'Ordre du Mérite de la Couronne à Antoine Carbasier. La salle des Vitraux Royaux du Palais Grayson était prête pour le moment d'histoire qu'elle allait vivre. Malgré le froid de l'hiver, le soleil, sans l'ombre d'un nuage, réchauffait la pièce. Il transportait les faisceaux de lumière dans des directions toutes différentes, projetant les films d'histoire du Royaume de Teyla des vitraux sur le mur en face, parfois le sol.

Antoine Carbasier était au centre de la pièce dans un costume trois pièces resplendissant. Derrière lui, une foule de personnes se tenait là, impatiente de voir apparaître Sa Majesté mais aussi de voir la cérémonie commencer. Dans les premiers rangs se tenaient les membres de la famille royale, les présidents des deux chambres parlementaires, l’actuel Premier ministre Angel Rojas, certains membres du gouvernement Carbasier I et des diplomates de nations étrangères. Les nations de l'Organisation des Nations Démocratiques étaient toutes représentées, mais on y retrouvait des Velsniens, Kah-tanais, Alguarenos, pour ne citer qu'eux. Ses proches étaient aussi présents dans l'assemblée. On trouvait des personnes de tout rang dans la foule, une demande d'Antoine Carbasier. Il ne voulait pas que les élites du Royaume de Teyla soient les seules invitées à participer à la cérémonie, une question de principe.

Lorsque Sa Majesté apparut aux yeux de tous, Antoine Carbasier sourit. Elle était vêtue des mêmes vêtements que lorsqu'il avait remis sa démission à Sa Majesté, quatre années auparavant. Un geste touchant, qu'il pouvait être le seul à comprendre. Cette femme aimait les symboles, décidément, se dit-il intérieurement. Un geste qui reconnaissait le travail qu'avait fait Antoine Carbasier et son équipe gouvernementale pour le Royaume de Teyla. C'est grâce à lui que Catherine III avait comme surnom auprès de la population "La Reine de la Prospérité". Lorsque Catherine III parcourut la salle, un long moment, jusqu'à son centre pour retrouver Antoine Carbasier, le silence était total. Les gardes royaux, dans leur tenue bleu et jaune de cérémonie, levèrent tous leurs sabres au passage de Sa Majesté. À droite de Catherine III, d'un pas reculé par rapport à elle, se trouvait un majordome, tenant dans ses mains un coussin sur lequel reposait l’Ordre du Mérite de la Couronne avec sa devise "Loyauté envers le Royaume".

- Chers concitoyens, membres du parlement, diplomates étrangers, dit Catherine III en regardant la foule et se tenant droite à côté d'Antoine Carbasier.

Nous sommes ici pour célébrer un homme qui a su servir le Royaume de Teyla comme il le fallait. Nous célébrons ici une manière de gouverner une nation et un peuple. Celle où le dialogue prend le pas sur l'imposition et les postures. Celle où le compromis est présent et respecte les équilibres politiques. Vous avez tant fait pour le Royaume de Teyla malgré votre mandat court. Vous avez anticipé les bouleversements à venir, notamment face à la montée de la menace loduarienne. Et plutôt que de céder à la panique, vous avez fait preuve d'une rationalité sans faille. Nous ne pouvions céder à la Loduarie Communiste, une nation qui ne partage aucune de nos valeurs. Mais nous ne pouvions lui faire la guerre ou accepter la guerre. Notre horizon, comme le vôtre, fut toujours celui de la paix. Alors vous avez bâti l'Organisation des Nations Démocratiques avec l'aide de nos partenaires du monde entier.

Désormais, cette organisation fait partie intégrante de la diplomatie mondiale et de notre sécurité. Aucune nation ne prend en compte cette organisation lorsqu'elle pense à la guerre, parce que nous savons que là où les armes s'abattent, l'Organisation des Nations Démocratiques veille à ce que les peuples ne soient pas les victimes, ne soient pas opprimés. Vous avez convaincu le Parlement que l'isolement diplomatique n'était pas une option mais une décision qui allait signer notre arrêt de mort. Vous avez œuvré à unir les démocraties pour qu'elles puissent défendre la démocratie et les valeurs liées, et cela en respectant la souveraineté de chacune des nations. Vous avez œuvré à renforcer les capacités de défense du Royaume de Teyla. Vous avez sauvé de nombreuses vies à travers le Royaume et le monde.


Elle laissa s'installer un long silence pour appuyer ses mots. Puis elle reprit.

Je me souviens encore de cette soirée où vous m'avez remis votre décision. J'y ai vu un homme digne. Je n'ai pas vu en vous un politicien ce soir-là. J'ai vu un être humain qui se retirait parce que c'était là la volonté d'une nation et que l'intérêt de cette nation dépassait son simple destin. Il en va de même pour moi. Votre humilité a marqué les esprits tout autant que vos décisions. À l'époque, les journaux ne vous rappelaient pas, maintenant on se souvient de manière nostalgique de votre mandat à l'aube d'une année charnière pour le Royaume de Teyla. J'ai toute confiance en l'équipe actuelle et en vous, Antoine Carbasier, pour que le Royaume de Teyla puisse se retrouver dans les moments difficiles. Vous n’avez jamais cherché les honneurs, et pourtant, ce sont les honneurs qui vous trouvent aujourd’hui.

Vous avez quitté votre poste avec dignité et le remerciement d'une nation entière pour l'avoir mise sur le bon chemin et lui avoir donné les outils pour se protéger face aux menaces qui se dressent devant elle. Je ne sais pas quand, mais un jour, le Royaume de Teyla aura besoin de vous. De votre sens de la décision, de votre intuition, de votre respect des institutions démocratiques du Royaume, de votre respect du peuple. Vous servez encore le Royaume de Teyla indirectement à travers vos fonctions au sein de l'Organisation des Nations Démocratiques. Merci. Vous avez tant fait pour le Royaume de Teyla. Vous méritez plus que quiconque cette décoration, cet ordre.


Catherine III se retourna vers le coussin, prit la médaille et l'accrocha délicatement sur le haut du costume d'Antoine, tout en parlant :

Antoine Carbasier, au nom du Royaume de Teyla et du peuple teylais, j'ai l'honneur de vous décerner l'Ordre du Mérite de la Couronne pour les services rendus à la nation teylaise. Qu'à travers cette médaille, les personnes voient votre sagesse, votre service pour le Royaume, votre sens du devoir et qu'elles voient votre sens de l'État. Vous êtes l'exemple de l'éthique politique.

Après ces mots, la foule applaudit comme un seul homme. Antoine Carbasier versa quelques larmes face aux émotions qui l'envahissaient. Il baissa légèrement la tête, comme pour s'incliner vers son destin. Catherine III espérait de tout son cœur que cette cérémonie allait convaincre Antoine de se relancer dans la politique sur la scène intérieure, car elle était convaincue que le Royaume de Teyla avait besoin de lui, que ce soit au Gouvernement ou à l'Assemblée nationale. Une dernière danse semblait attendre, suspendue au plafond, Antoine Carbasier. Alors qu'Angel Rojas regardait Antoine Carbasier les sourcils froncés, comprenant qu'il n'avait pas le soutien politique de la Reine et qu'un nouvel adversaire était peut-être en train de renaître de ses cendres.
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Ars est celare artem.

Teylais


Antoine Carbasier était un homme satisfait depuis le début du mois de janvier de cette même année. Il avait reçu l'onction de Sa Majesté à travers la remise de l'Ordre du Mérite de la Couronne, une distinction qu'il n'espérait plus, et qui avait pourtant couronné une vie de dévouement silencieux à la chose publique. Ce jour-là, en sortant du Palais Grayson baigné sous les perçants rayons du soleil, il souffla et prit un instant pour regarder autour de lui. Il vit une nation qui semblait toujours calme, qui attendait de ses dirigeants le meilleur d'eux pour faire face à la Loduarie Communiste et aux encombrements de la vie quotidienne. Antoine Carbasier l'avait appris lors de son mandat : bien que les Teylais croyaient au libéralisme économique, il voulait un État non pas providence, mais présent dans la vie quotidienne. Ainsi, les Teylais n'étaient pas gênés par l’idée que l’État puisse s'immiscer dans la gestion d'une poignée d'entreprises, dans la vie démocratique du pays. Cela pouvait paraître paradoxal d'un point de vue extérieur, mais cela était tout à fait explicable.

Pour Antoine Carbasier, cette dichotomie s'expliquait par l'histoire du Royaume de Teyla. À la suite de la guerre civile, les souverains et les Premiers ministres successifs ont ouvert la voie à une démocratisation du pays. La chose publique est devenue un élément essentiel des débats de l'époque, comme le démontrent les travaux engagés par Opinion De Tour sur les politiques hygiénistes, l'urbanisation qui connaissait ses premières normes, contrôles par l'État depuis plusieurs siècles. Ces normes et le contrôle via des législations votées découlaient non pas du souverain comme ce fut le cas par le passé, mais émanaient du Parlement et du Gouvernement de Sa Majesté. Le peuple jugeait nécessaire que les autorités publiques régulent certains domaines de la vie pour que la stabilité soit préservée, mais cette régulation devait se faire par une autorité démocratique et légitime. En somme, actuellement, les deux autorités principales dans l'époque moderne depuis la guerre civile sont le Parlement et le Gouvernement.

Le domaine de la défense était l'un des secteurs les plus parlants. Les électeurs, selon les sondages d'opinion, privilégieraient que les politiques libérales soient abandonnées si elles venaient à restreindre le Royaume de Teyla dans les réponses qu'il doit donner ou encore contraindre les capacités de production. Mais d'un autre côté, plus de soixante pour cent de la population se disait satisfait du système économique actuel, à l'heure de cinq années de pleine croissance. Soixante-huit pour cent estiment que la croissance économique est bénéfique pour la défense du pays et soixante-deux pour cent des Teylais estiment que la croissance économique doit être préservée pour que le Royaume de Teyla puisse investir dans sa défense. Antoine Carbasier le savait que trop bien : la Loduarie Communiste avait lancé une machine qui se préparait à la guerre de haute intensité sur son sol. Dans l'actuel gouvernement, on estimait qu'un tiers du temps de la ministre des Armées et de la Défense nationale était consacré à cette mission, c'était deux fois plus à l'époque d'Antoine Carbasier, soit cinq ans en arrière.

Quelques jours plus tard, la cérémonie avait fait le tour des médias du pays, plus que cela, elle tournait en boucle. Les chaînes d'informations en continu n'arrêtaient pas de parler de l'hommage de Sa Majesté. Les journalistes étaient partagés sur les intentions de Sa Majesté. Est-ce seulement et uniquement un hommage pour les actes de service d'Antoine Carbasier ? Pour une minorité de la classe journalistique, l'hommage était plus qu'un hommage. C'était un appel pour qu'Antoine revienne sur la scène politique intérieure et se lance dans la course pour les élections législatives de deux mille dix-sept. D'autres estimaient qu'il s'agissait seulement d'un hommage sincère et que Sa Majesté avait montré la reconnaissance du pays entier à travers elle.

Les sceptiques avançaient le fait qu'Antoine Carbasier n'avait plus aucune influence au sein du parti Les Royalistes. Pierre Lacombe, ancien Premier ministre de ce même parti, disait : "Sa ligne politique est devenue majoritaire, et pourtant le voilà sans abri au sein même de son propre foyer." Une victoire idéologique, mais un isolement personnel. Le parti avait réussi à se débarrasser du très gênant Gary Hubert, mais les fantômes du passé rôdaient encore et avaient contribué à anéantir tout avenir politique pour Antoine au sein des Royalistes. Aujourd'hui, il restait un homme influent, mais pas auprès de ses anciens compagnons (bien qu'il était toujours membre du parti). En tant que Président d'une instance de réflexion au sein de l'Organisation des Nations Démocratiques, il avait une influence sur le gouvernement actuel et même sur des gouvernements étrangers indirectement. Une fonction qu'il appréciait bien qu'elle fût parfois ennuyeuse.

Pour autant, la vie politique lui manquait-elle vraiment ? Antoine Carbasier se posait la question, certains soirs, le long des hauts bâtiments de béton et d'acier. La pluie s'invitait par moments, mais sans remettre en cause le questionnement d'Antoine Carbasier. Au fond de lui, il le savait, il était un de ces hommes attirés par le pouvoir, une idée qui le mettait mal à l'aise avec lui-même. Or, depuis qu’il avait quitté les couloirs feutrés du gouvernement, tout semblait trop lisse, trop abstrait. Les rapports qu’il lisait à l'Organisation des Nations Démocratiques étaient bien rédigés, trop bien rédigés. Là où il était, on ne ressentait aucune urgence, bien au contraire, il avait pris des habitudes, ce qui ne fut jamais le cas lorsqu'il était Premier ministre. Tout comme Angel Rojas, il pensait qu'il avait un destin en lien avec cette nation, avec ce Royaume.

Pourtant, ce n'était qu'un péché de la part d'Antoine Carbasier. Celui de croire que son destin était lié à une nation et donc à un peuple entier. Il savait qu'il était en partie responsable de ce qu'était devenu le Royaume de Teyla, parce qu'il était là à un moment charnière pour le Royaume. Mais cela ne voulait pas dire qu'il était lié au Royaume de Teyla d'une quelconque manière. Personne n'est indispensable. L'État teylais était pensé comme cela. Un poste ne devait pas concentrer tous les pouvoirs, toute la verticalité des décisions pour éviter qu'un homme puisse prendre les pleins pouvoirs, mais aussi parce que les dirigeants qui ont construit au fil des décennies l'actuel système ont compris que les hommes avaient des failles. Un homme devait pouvoir être repris s'il faisait une erreur, s'il était empêché de prendre une décision.

Il avait une envie de revenir dans les affaires du pays. Les sceptiques avaient raison quant à ses chances qui restaient très faibles. Il n'avait plus aucun soutien au sein de son parti. Il y gardait une parole écoutée, mais son influence était faible. Il comptait environ une vingtaine de députés acquis à sa cause, alors que la bataille entre Jean-Louis Gaudion et Julia Roberta pour le congrès avait déjà démarré. Il n'avait pas voix au chapitre et il le savait. Il pouvait créer un parti politique, mais à droite de l'échiquier, il n'y avait aucune voie pour un nouveau parti. En outre, tous les segments idéologiques étaient déjà occupés par divers partis, qu'ils soient de grands partis sur la scène nationale ou des partis locaux. Il était aimé, comme tous les Premiers ministres qui quittaient le pouvoir à Teyla, mais il n'était pas adulé. La création d'un parti n'aurait eu pour argument que sa personnalité et était vouée à un cuisant échec.

Alors, quand il reçut une invitation de Florian Pourta, dirigeant du Parti Monarchique pour la Liberté et le Progrès, qui avait trente-cinq sièges à l'Assemblée nationale, il ne pouvait résister et il accepta l'invitation. Le rendez-vous avait été fixé dans un hôtel discret, rue des Vergennes, à deux pas du siège de l'Organisation des Nations Démocratiques à Manticore. L’hôtel Delmont, fréquenté par quelques diplomates de passage, offrait une atmosphère feutrée dans laquelle les discussions avaient l'assurance de rester secrètes. Florian Pourta entra à l'hôtel à 10 h 22 précises, alors que le rendez-vous avait été fixé à 10 h 30. Il avait encore cette jeunesse en lui, qui lui donnait une activité hors du commun. Il en jouait pour parfaire son image auprès des électeurs. Des photos de lui en train de faire du sport, des photos de lui avec sa compagne, des photos de lui en campagne sur le terrain. Une communication cadrée et précise, même agressive selon Antoine Carbasier, qui n'aimait guère cette façon de faire en tant qu'ancien politicien.

C'était un "vieux de la vieille" en quelque sorte. Il aimait la politique, non pas à l'ancienne, car les mœurs avaient changé et fort heureusement. Mais il aimait quand les politiques prenaient la peine de feindre le naturel. Ces photos, ces posts n'étaient pas naturels pour Antoine Carbasier. Il devait reconnaître cependant que cette stratégie fonctionnait un peu. Le parti avait su profiter de la chute des Royalistes en deux mille onze et deux mille douze, non pas pour dépasser le parti en termes de voix ou lui prendre des mairies ou des circonscriptions, mais pour s'implanter localement. Et cette implantation, Antoine Carbasier la surveillait de loin, depuis ses bureaux silencieux de l'Organisation des Nations Démocratiques. Il était dubitatif sur cette implantation durant les premières années. Il pensait que le château de cartes allait s'écrouler parce que les Royalistes, lorsque le parti retrouverait son calme habituel, allaient se restructurer pour repartir à la conquête du pouvoir et remonter dans les sondages. Mais étonnamment, pour l'instant, le phénomène ne s'était pas encore produit. Alors, en cette année d'élections locales, puis l'année prochaine avec les élections législatives, si le parti gardait les gains qu'il avait faits, voire faisait mieux, alors il allait devoir revoir son pronostic.

À 10 h 29 précises, c'était au tour d'Antoine Carbasier de faire son entrée dans l'hôtel. Il salua de la tête le réceptionniste et fit signe qu'il n'avait pas besoin d'être accompagné. Il savait où se tenaient les réunions à l'abri des oreilles indiscrètes dans cet endroit, pour y être venu auparavant pour des réunions de ce genre. À la vue d'Antoine, Florian se leva d'un bond par respect pour sa stature et lui serra la main. L'accueil plut à Antoine Carbasier, qui n'était pas un homme qu'on tutoyait sans en avoir l'accord explicite. Il était un ancien Premier ministre et, comme ses prédécesseurs, il s'attendait au respect qui lui était dû. Florian Pourta, d'un ton amical et en levant la main vers le serveur, poursuivit :

- Merci d'être venu, monsieur Carbasier. Voulez-vous que je commande un verre pour vous ? Comme vous pouvez le voir, j'ai pris un café en espérant que mon impatience ne sera pas vue comme irrespectueuse.

Antoine Carbasier esquissa un sourire, discret mais sincère. Il n'était pas homme à se vexer pour quelques minutes d'avance, mais il appréciait que le jeune Pourta ait pris soin d'en faire mention. Pourta avait beau paraître non naturel, l'homme avait le sens de la politesse, une qualité utile en toute situation et notamment lorsqu'on attend quelque chose d'un ancien Premier ministre de la cinquième puissance mondiale.

- Un café également, merci, dit-il d’une voix posée. Noir, sans sucre.

Il s'installa dans l'un des fauteuils qui faisaient face à Florian Pourta et posa son écharpe et ses gants, qui l'aidaient à surmonter le froid de l'hiver, sur la table basse. Il jeta un dernier coup d'œil à son téléphone avant de faire signe à Florian Pourta qu'il était entièrement disponible pour la conversation.

Je dois bien avouer que vous êtes mystérieux pour moi, dit Antoine d'une voix calme. Pourtant, ce n'est pas tant que vous êtes discret sur votre vie. Mais votre invitation reste mystérieuse. Vous n'avez pas émis les contours de l'objet ou des objets qui vous ont conduit à m'inviter ici présentement.

Il prit dans sa main la tasse que le serveur avait déposée, puis la porta à ses lèvres et écouta attentivement la réponse de Florian.

- Vous avez raison, je peux être mystérieux assez habilement. Je dois l'admettre. Je vais vous éclairer tout de suite sur les raisons qui m'ont poussé à vous inviter. On m'a souvent dit que les hommes qui ont goûté au pouvoir ne perdent jamais le goût auquel ils ont goûté pendant plusieurs années, ou dans votre cas, durant une courte année, du moins pour votre fonction de Premier ministre. Vous avez une carrière politique complète et qui continue encore aujourd'hui, alors que vous êtes arrivé au poste suprême, dirons-nous. En un an de mandat, vous avez réussi à changer les politiques de défense de manière durable, un exploit malgré le contexte de l'époque. Bien que tout le monde n'avait pas encore compris que la Loduarie Communiste allait constituer l'une des plus grandes menaces qu'allait avoir à faire face notre noble nation. Vous avez été visionnaire et le discours de Sa Majesté le reflète entièrement.

Avez-vous des regrets, monsieur Carbasier ?


Antoine Carbasier, pensif, tourna lentement la cuillère trempée dans sa tasse de café tout en fixant Florian. Puis il répondit :

- On ne passe pas par la Résidence Faure sans avoir des regrets, vous savez. Mon plus grand regret, bien que je n'avais pas le choix d'une certaine manière, fut le durcissement opéré sur la sécurité et l'immigration. J'aurais dû durcir le ton sur la Loduarie Communiste et non sur ces pauvres gens qui traversent des tempêtes pendant que nous restons au chaud chez nous. Durcir le ton avec la Loduarie Communiste aurait pu couper net toute tentative diplomatique de leur part. Hélas, à l'époque, nous n'avions pas encore compris que le pays allait être fermé à toute tentative diplomatique. Un coup dur.

- Personne ne vous demande d'être médium, à vrai dire, répondit Florian, les mains sur sa tasse de café pour se réchauffer les mains. Nous savons tous comme il est dur de prendre des décisions face à la Loduarie Communiste, d'autant plus à l'époque. Nous n'avions pas les moyens militaires que nous avons actuellement. Nous n'avions pas la domination militaire avec l'Organisation des Nations Démocratiques. Ce qui est chose faite maintenant, et bientôt la seule armée teylaise va s'assurer de la domination militaire sur la Loduarie Communiste.

Je vous ai fait venir parce que je crois que la politique teylaise est en pleine recomposition. Le Mouvement Royaliste et d'Union reste dominant à gauche et ne sera pas challengé de sitôt par sa gauche, mais le parti opère un virage à gauche sous l'impulsion d'une ligne qui remet en cause le libéralisme économique de plus en plus frontalement. C'est pourtant le fondement de notre nation. Les Royalistes parviennent à être à hauteur de ce parti de gauche non parce qu'ils montent dans les intentions de vote, mais parce que le Mouvement Royaliste et d'Union n'arrête pas de chuter dans les sondages.


La droite, elle... Il laissa un long silence s'installer. Les électeurs de droite, face au discours agressif du Parti Royaliste, sont tentés par l'extrême-droite, oubliant leur discours sur le social. Un État-providence, où sommes-nous ? Les Royalistes sont dans une guerre interne pour l'instant, qui risque de faire perdre des plumes au candidat qu'ils choisiront. Le centre, en tant que parti, n'existe pas sur la scène nationale, il est indirectement inclus dans les trois premiers partis du pays, dont celui que je dirige, je l'admets.

Antoine Carbasier plissa les yeux pour réfléchir à l'analyse politique de son interlocuteur. Elle n'était pas insensée, au contraire, elle semblait correspondre à la réalité politique du pays. Les élections municipales de deux mille seize, ainsi que le congrès des Royalistes de cette même année, allaient aider à aiguiller ces deux hommes sur l'analyse de la situation. Florian Pourta semblait porter une compréhension politique du pays, c'était un gage important qui se confirmait. Il répondit :

- Bien, je peux partager certains points de votre analyse. Toutefois, je m'inscris en faux sur votre analyse du centre. Je rejoins que les trois premiers partis ont des députés centristes, dirons-nous. Mais le Parti Démocratique Centriste reste une force du centre qu'il ne faut pas négliger. Les politiques ont tendance à le négliger pour les élections législatives, étant donné que c'est un scrutin à "premier qui passe". Mais dans les élections à la proportionnelle, il est essentiel pour former certaines majorités. Il est présent à travers trois mille conseillers municipaux tout de même, dit-il en s'exclamant pratiquement.

Mais ce que vous m'avez décrit ne vous inclut pas.


Florian Pourta émit un petit rire face à l'observation d'Antoine Carbasier, qu'il n'avait pas cachée. Un élément qu'apprécia Florian.

- Vous avez tout à fait raison. Nous sommes un parti né en deux mille onze, avant les élections municipales, et malgré cela, nous avons eu trois mille conseillers municipaux. Nous aurions pu en avoir plus si nous avions eu plus de candidats à présenter. Mais à l'époque, nous n'avons pas assez attiré de candidats de valeur. Malgré le système de scrutin que vous avez rappelé, nous avons su tirer parti de la faiblesse du parti Les Royalistes en deux mille douze, sans vous offenser, pour faire élire trente-cinq députés. Une sacrée prouesse, j'ai envie de penser.

- Pardon de vous couper, dit-il en basculant la tête en avant pour accentuer ses propos. Vous ne m'offensez point, tout d'abord. Les Royalistes étaient pourris en interne, c'était ainsi. Toutefois, vous avez raison de dire "avoir profité de la faiblesse des Royalistes". En outre, une telle situation n'est pas certaine de se reproduire. Dans les sondages nationaux, vous restez somme toute assez loin des deux premiers partis du pays. Conquérir de nouveaux sièges ne me semble pas faisable pour votre parti, et j'estime qu'il perdra dix à vingt sièges dans le pire des cas.

- Nous n'avons pas vocation à diriger le pays en quatre élections, et alors que cela sera notre deuxième élection législative. Les gens qui pensent cela sont dans une illusion fatale pour leur esprit. Nous avons vocation à rester là où nous sommes en nous appuyant sur nos structures locales que nous avons pu monter avec les élections locales puis législatives. Nous avons vocation à augmenter notre score dans ces circonscriptions et, tout en ayant conscience de la dureté des élections, nous avons vocation à rester le troisième parti du pays et pourquoi pas challenger dans de nouvelles circonscriptions. Nous voulons être cette force pivot, comme le Parti centriste au niveau régional, qui manque tant au niveau national.

- Ainsi, vous voulez être le parti sans lequel une majorité absolue n'est pas possible ? demanda Antoine, le sourcil arqué.

- Oui, c'est cela. Nous savons que Les Royalistes n'ont pratiquement aucune chance d'obtenir la majorité absolue à cause de la région de Calcaris, qui est une région bien trop importante pour gagner la majorité absolue. Or, la division de la droite face à une gauche aussi puissante et qui fait bloc entraîne automatiquement ce scénario. L'autre scénario possible est la victoire du Mouvement Royaliste et d'Union. Angel Rojas est reconduit en tant que Premier ministre du Royaume de Teyla dans le scénario le plus probable, avec une majorité absolue. Mais si nous menons une bonne campagne, je crois qu'on peut forcer le Premier ministre à devoir composer avec une majorité relative.

Ce qui manque au parti que j'ai créé en deux mille onze, c'est une stature. Ce sont des figures politiques connues auprès du grand public et qui sachent ramener les chefs d'entreprises, les maires, les élus locaux, les députés dans le giron du parti. Attirer la lumière sur lui, attirer les gens, le peuple. Voilà ce qui manque à ce parti. Je vais le dire sans détour, vous êtes, Antoine Carbasier, cette figure qui manque au parti pour que nous obligions le Premier ministre actuel à devoir composer avec une majorité relative.


Antoine Carbasier ne répondit pas tout de suite. Il resta figé, le regard ancré dans celui de Florian Pourta, comme pour sonder son âme, tout en continuant de tourner son café. Il prit une gorgée, toujours un œil sur Florian Pourta. Puis il dit, sur un ton calme mais avec une pointe de gentillesse :

- Votre discours porte en lui une marque de vérité, assurément. Je n'ai pas vu un discours fait pour plaire, mais un discours juste. Vous connaissez votre position, celle de votre parti politique, et plus encore celle des autres partis politiques. Plus encore, vous ne méconnaissez pas la volonté générale, je crois. Vous avez posé un diagnostic juste du Royaume de Teyla.

J'accepte votre proposition, parce que j'ai lu votre programme et que nous partageons des valeurs fondamentales. Mais plus encore, j'ai vu plusieurs Angel Rojas, je l'ai même conseillé sur la Loduarie Communiste. Je peux vous le dire, cet homme n'a pas les épaules pour gouverner le Royaume de Teyla et faire face à la menace loduarienne. Il n'a pas les épaules pour, je vous l'assure. Il est du devoir de tout homme de se dresser contre lui pour le bien du pays. Que cela soit en faisant gagner Les Royalistes ou encore en nous imposant comme acteur indispensable pour une majorité absolue. Mais ne soyons pas confiants, comme en deux mille onze, les deux partis qui régulent notre vie politique ne se laisseront pas faire. Le bipartisme est un élément essentiel sur le plan national, il structure notre système politique. Ils préféreront faire alliance entre eux qu'avec nous si notre programme n'est pas pensé pour faire alliance.


Il posa sa tasse sur la table basse rouge de l'hôtel Delmont.

Je n'ai rien à perdre. J'ai un nom, j'ai un bilan acceptable en tant que Premier ministre.

- Plus qu'acceptable ce bilan, reprit Florian Pourta.

- Si vous le dites. Mais là où je veux en venir, Florian, c'est que c'est l'avenir du Royaume de Teyla qui est en jeu. Nous ne pouvons pas le laisser au pouvoir aux seules mains d'Angel Rojas. En cela, je crois que c'était le message que voulait me faire passer Sa Majesté durant la cérémonie. Le ton était grave, alors que rien ne l'exigeait. Peut-être que je suis paranoïaque, peut-être pas. L'avenir nous le dira, à vrai dire !

Bien, parlons stratégie, si vous le voulez bien. À partir de maintenant, parlons de Parti de Gouvernement pour décrire votre parti...

Une des cartes des cinquante-deux que contenait un paquet de cartes était dévoilée en cet instant dans l'hôtel Delmont. Non pas publiquement, mais secrètement, la nouvelle du ralliement d'Antoine Carbasier allait devoir attendre quelques jours encore, qu'il étudie les circonscriptions, les candidats envisagés, que les deux hommes discutent du programme et de la stratégie à adopter pour les élections municipales. Ars est celare artem.
25011
In medias res.

Teylais


L'ambiance était joviale dans le restaurant prénommé Garpette de la capitale. Antoine Carbasier continuait de faire connaissance avec les cadres de son nouveau parti, le Parti Monarchique pour la Liberté et le Progrès. Le bâtiment, d'ordinaire bruyant, était plongé dans un silence de marbre. Seule la salle principale et, par moments, les cuisines étaient plongées dans l'opulence du bruit. Florian Pourta, pour cette soirée cruciale donnant le ton pour la suite de l'intégration d'Antoine Carbasier, avait privatisé le restaurant exceptionnellement. Les cuisines étaient dédiées uniquement aux dix convives de la soirée. On retrouvait toute sorte de personnes autour de cette table où le gratin du parti s'était retrouvé pour dire bienvenue à Antoine Carbasier et entendre la stratégie d'Antoine Carbasier et de Florian Pourta.

Marc Tallier, le plus éloigné de la position d'Antoine Carbasier, se trouvait à l'écart du groupe, proche d'une fenêtre depuis laquelle il observait la vie manticorienne se dérouler sous ses yeux, nostalgique de son enfance. Lorsqu'il était insouciant et qu'il n'avait pas encore compris la violence de la société teylaise. Il avait compris dès son adolescence l'omniprésence de la société teylaise quand sa mère avait perdu son emploi. Il y avait peu de couverture sociale, d'allocation chômage. C'était une loi de la jungle et du plus fort, alors que sa mère avait juste perdu son travail. Il l'avait vu à travers sa mère, mais aussi ses amis au fil des années qui s'étaient retrouvés sans possibilité de faire des études supérieures par manque d'argent. Alors il s'était engagé tôt dans la vie teylaise, à savoir à dix-sept ans. Il avait accédé à la politique teylaise grâce à un baron local qui l'avait pris sous son aile. Hélas, ce baron mourut cinq ans plus tard, laissant le jeune homme seul dans le monde politique teylais.

Marc Tallier était resté fidèle à lui-même. Il était resté distant, mais pas indifférent aux malheurs et aux peines de ses compatriotes face à un système qu'il comparait toujours encore à un broyeur. Depuis la fenêtre, ses pensées naviguaient entre les souvenirs amers du passé et les calculs pragmatiques du présent. Son visage, à moitié éclairé par le lustre central, démontrait que l'homme avait traversé plus d'une épreuve durant sa vie. Une vie qu'il n'avait pas finie et qui allait, sans nul doute, lui laisser d'autres épreuves. Mais son visage n'exprimait ni la peur ni la crainte, juste l'indifférence face à la vie. Il était méfiant de l'arrivée d'Antoine Carbasier. Maintenant député sous les couleurs du Parti Monarchique pour la Liberté et le Progrès, il était attentif à chaque changement dans l'état-major du parti, comme l'aimaient appeler les journalistes politiques. Il reconnaissait qu'Antoine Carbasier permettait de donner une nouvelle stature au parti et que, de fait, le parti allait être beaucoup plus écouté à l'avenir, une fois la nouvelle répandue dans le pays.

Mais il savait qu'il avait rejoint le parti pour Florian Pourta après avoir quitté son poste de maire indépendant d'une ville moyenne de la région de Calcaris. Il avait accepté l'offre de Florian Pourta qui l'avait invité à se présenter en tant que député dans une circonscription de Calcaris. Le pari n'était pas si fou que cela avec l'ancrage de Marc Tallier. Le pari avait fonctionné et Florian avait gagné en deux mille douze un nouveau député. La nouvelle stature de Marc l'obligeait à s'intéresser aux dynamiques internes, rien que pour assurer sa survie, mais aussi pour s'assurer que le parti garde une importante structure sociale en son sein. C'est ce qui l'avait fait rejoindre le parti. Malgré le fait que le parti soit un simple parti de "centre droit", il avait une caractéristique particulière pour un parti teylais de droite. En outre, le parti organisait beaucoup de réunions et élaborait aussi son programme politique avec la société civile. Que ce soit autour d'initiatives populaires en ligne, de recueil des doléances dans les permanences des députés ou encore de liens forts avec les organisations syndicales, qu'elles soient ouvrières ou venant du patronat.

Les Royalistes ou le Mouvement Royaliste et d'Union travaillaient de concert avec les organisations syndicales, et encore, cela dépendait du Premier ministre. Une fois au pouvoir, ils le faisaient non par envie, mais par obligation. Ils savaient que c'était le meilleur moyen pour éviter de crisper la société civile que de discuter avec des syndicats pour faire une réforme qui allait être déplaisante pour la majorité de la population. Cela donnait aussi un côté sérieux. Outre ce fait, ces deux partis, une fois dans l'opposition, oubliaient les syndicats et faisaient leur programme dans leur coin. Antoine Carbasier, venant d'une de ces grosses structures, n'avait pas le même rapport avec les syndicats et la société civile que les membres de ces partis politiques. Alors oui, Marc Tallier restait méfiant et attendait de voir les actes d'Antoine Carbasier.

Près du centre de la table, à l'opposé exact de Marc Tallier, Sandra Dubois continuait de captiver son auditoire avec une énergie débordante. Éternelle optimiste, son ton contrastait avec celui de son collègue au visage à moitié masqué dans l'ombre. Sandra venait d'une famille aisée, protégée des difficultés financières qui avaient façonné la personnalité de Marc. Mais elle ressemblait à Marc, car elle estimait aussi que la politique était une nécessité, non pas pour venir en aide à son prochain, mais pour s'assurer que sa position soit assurée. Elle conspuait les partis révolutionnaires, méprisait les idées égalitaires, et ne supportait pas qu'on puisse remettre en cause l'ordre établi. Oui, elle aimait l'ordre établi et applaudissait secrètement les ministres de l'Intérieur qui réprimaient violemment les manifestations remettant en cause la hiérarchie sociale "naturelle" au Royaume de Teyla. Elle avait rejoint ce parti parce que les autres partis lui avaient fermé leurs portes face à l'arrogance et à l'ambition de cette femme. C'était un talent gâché, elle avait des compétences et les deux grands partis du pays l'avaient observée. Mais elle demandait trop, alors qu'elle n'était rien pour l'instant. Elle n'avait que pour elle des connaissances et de l'argent. Cela ne justifiait pas de démettre un poids lourd du parti pour mettre cette femme à la députation. Quant aux autres partis, ils n'intéressaient pas Sandra. Que ce soit parce qu'ils étaient trop à gauche, trop révolutionnaires ou pas assez ambitieux sur le plan national, Sandra ne calculait même pas ces partis politiques.

Florian Pourta et Sandra Dubois s'étaient bien trouvés pour cela. Le premier cherchait à basculer les équilibres politiques teylais, à remettre en cause le bipartisme sur plusieurs années. La seconde lorgnait sur la Résidence Faure. Selon Florian Pourta, elle ne serait jamais Première ministre, c'était clair dans sa tête, ce serait lui ou Antoine Carbasier. Nul autre. Mais sa volonté faisait soulever des montagnes d'argent et de contacts pour cette femme. Il en profitait et elle lui rendait bien en profitant de lui et du parti. Sandra connaissait parfaitement le jeu auquel elle s'adonnait avec Florian Pourta. Elle voyait clair dans les ambitions de ce dernier, mais cela lui était parfaitement égal. Elle acceptait volontiers d'être utilisée, car elle-même était une utilisatrice née. Les deux personnages jouaient à un jeu de dupes et, à la fin, il y aurait une victime. Tant que le parti restait loin du pouvoir, le calme serait présent, mais quand le pouvoir serait proche, la tension risquait de monter en flèche entre ces deux personnages.

Antoine Carbasier, quant à lui, demeurait concentré sur les enjeux immédiats, tout en sentant progressivement les subtilités des relations internes à travers cette soirée. Il avait déjà eu plusieurs réunions avec les cadres du parti ici présents. Mais ces réunions étaient dans un cadre bien différent de celui d'un dîner, presque familial, au restaurant du coin. Antoine Carbasier, le vice-président du parti, Julien Yourta, se trouvait à ses côtés, tout en savourant son plat. Julien Yourta était l'opposé de Florian Pourta. Il restait discret sur sa vie, donnant très peu de détails si on ne lui demandait pas. Une attitude qui convenait plus à Antoine Carbasier, et les deux hommes avaient discuté longuement durant cette soirée. Julien donna beaucoup d'informations utiles sur les dynamiques internes à Antoine Carbasier, et ce dernier le remercia longuement pour les informations essentielles transmises. Antoine Carbasier avait vite compris la valeur de cet homme au sein du parti. Il tranchait les conflits, conciliait les divorcés et renforçait les liens d'amitié.

Son rôle était bien différent de celui de Florian Pourta. Florian Pourta était l'incarnation du parti pour l'opinion publique et même du côté du personnel politique. Il était allé chercher Antoine Carbasier et l'avait convaincu de rejoindre sa famille politique. Il se montrait tant sur les réseaux sociaux, à travers sa vie de famille, et dans les médias pour parler de l'actualité et tenter d'imposer des thèmes dans le débat public. Quand Florian Pourta allait discuter avec les électeurs et les donateurs lors de soirées organisées pour l'occasion, Julien se retrouvait proche des patrons, des commerçants. Les deux personnages se retrouvaient toujours à parler aux personnes qui faisaient le prestige du Royaume de Teyla à travers des associations. Il n'avait pas tous les aboutissants de cette complémentarité, mais Antoine Carbasier l'avait compris.

Après plusieurs dizaines de minutes à avoir apprécié le repas et discuté de tout et de rien pour toutes les personnes ici présentes, l'heure était à la politique pour Florian Pourta. En outre, ce dernier leva son verre et, d'un geste simple, fracassa sa cuillère contre le verre pour obtenir le silence des convives. Ce qu'il obtint.

- Chers amis, s'exclama Florian Pourta. Il resta debout pour la suite de son discours. Merci d'être ici pour accueillir Antoine Carbasier, notre nouvelle recrue. Pendant quatre ans, nous avons travaillé dans le but que notre parti politique puisse survivre dans l'arène de la politique teylaise. Cette arène est féroce, dure, et notre survie démontre notre détermination et bien plus que cela. Elle démontre nos compétences. Chacun de vous ici a des compétences hors normes et nécessaires à la nation teylaise. Je n'ai aucun doute. Mais, mes chers amis, survivre nous suffit-il ? Voulons-nous survivre ou changer la vie de ce pays qui nous tient à cœur et de ce peuple que nous aimons passionnément ?

N'est-il pas temps de passer une étape, un cap, de changer de stature ? Je le crois et je l'appelle de mes vœux. Antoine Carbasier est ici avec nous pour cela. Nous faire passer un cap. Avoir un politicien aussi habile, mais aussi un ancien Premier ministre qui a su comprendre les menaces en son temps que notre nation allait devoir affronter. Il a su mobiliser une nation entière face aux menaces nouvelles qu'elle avait à affronter, alors que nous n'avions aucune économie, aucune armée, et une diplomatie à parfaire à reconstruire. Je le dis sans honte et avec fierté, Monsieur Carbasier, vous êtes un héros teylais comme le fut Opinion De Tour. Vous avez défendu la nation teylaise avec conviction et dévouement.


Marc Tallier hocha la tête avec conviction comme pour appuyer les mots de Florian Pourta. Il reconnaissait qu'Antoine Carbasier avait permis au Royaume de Teyla d'atteindre une dimension qu'il n'avait pas précédemment. Il avait fait renaître le Royaume de Teyla en tant que puissance régionale et avait permis au Royaume d'être une puissance majeure dans l'ordre mondial. Julien Yourta fit le même geste que Marc. Les deux hommes se retrouvaient dans le discours de Florian Pourta pour l'instant. Quant à Sandra, elle faisait mine d'être conquise par le discours. En réalité, elle était dubitative et même très fortement opposée à l'arrivée de Carbasier. Si un jour le parti devait atteindre le pouvoir et donc la Résidence Faure, ses chances d'être Première ministre se réduisaient à vue d'œil avec l'arrivée d'un concurrent tout à fait à sa hauteur, se disait-elle.

Il est l'homme qui permettra, sans aucun doute, à notre parti de dépasser notre stature actuelle. L'arrivée du très estimé Antoine Carbasier nous fait entrer dans la cour des grands. Et comme il l'a dit, dans la cour des partis de gouvernement. Parce que oui, nous avons l'espoir et l'envie un jour de gouverner, car nous avons des vies à changer en mieux. Nous avons un pays à réformer, à lui enlever cette violence qui parcourt notre société, une diplomatie à remettre dans le droit chemin du respect de la démocratie sans aucune concession. Une tradition que bafoue sans aucun remords le gouvernement actuel.

Florian prit une inspiration profonde, regardant un par un les personnes assises autour de la table. Il sourit à chacun d'entre eux sans aucune différence dans le regard ou encore le sourire. Puis il reprit avec une gravité nouvelle :

Pour changer véritablement ce pays, lui donner une dynamique nouvelle et le faire correspondre vraiment aux valeurs que porte l'Organisation des Nations Démocratiques, nous devons être les maîtres du jeu de la vie politique teylaise. Avec l'arrivée d'Antoine Carbasier, nous devons revoir notre stratégie, notre organisation et peut-être notre programme. Les élections municipales qui arrivent cette année seront l'un des premiers tests qui servira à démontrer si nous sommes capables de tenir notre enracinement local là où nous en avons un. Je vous ai réunis ici pour faire connaissance, il est vrai. Mais aussi pour discuter, débattre et fixer collectivement les grandes lignes de cette nouvelle stratégie.

Florian se tut et se rassit à la fin de sa phrase. Il laissa les diverses personnes chuchoter entre elles face à la nouvelle. Antoine Carbasier patientait et observait d'un œil de fer les réactions de ses nouveaux camarades. Lorsque le silence se fit, il se dit sur un ton amical :

- Merci à tous pour votre accueil. Cela me touche vraiment. Je ne suis pas le genre d'homme à m'étendre sur les relations humaines, ainsi permettez-moi de passer directement aux derniers mots de Florian, que je remercie pour sa prise de parole et les mots à mon égard. Tout d'abord, comme l'a rappelé Florian Pourta hier à la réunion de dix-sept heures, le parti n'a pas vocation à être majoritaire à l'Assemblée nationale en deux mille dix-sept. Cela est illusoire et nous le savons tous autour de cette table. Même avec une bonne campagne qui nous permettrait de prendre des voix tant aux Royalistes qu'au Mouvement Royaliste et d'Union, nous resterons à notre troisième position, sauf s'il y a une bombe politique entre-temps, mais je n'y crois pas.

Ainsi, notre stratégie doit être pensée pour que nous soyons la nouvelle force centrale. La force avec laquelle on doit discuter si on veut passer une loi, un traité ou que sais-je au Parlement. J'ai bien dit force centrale et non force dominatrice, des différences énormes existent entre ces deux termes. Nous avons actuellement un socle de trente-cinq députés, un socle tout à fait honorable. Après les études de chacune des circonscriptions avec une équipe, si nous menons avec intelligence les prochains mois et la campagne électorale, nous pourrions tutoyer les cinquante à soixante députés. Ce dernier chiffre est vraiment optimiste, ceci dit.

Comme je l'ai sous-entendu à la réunion d'hier, appuyé par Florian, nous devons tout faire pour que le Premier ministre Angel Rojas ne puisse pas gouverner seul. Mais comme je l'ai dit, les deux partis qui font notre vie politique tiennent au bipartisme au niveau national. Si nous arrivons à faire ce tour de force, qu'aucun de ces deux partis n'ait la majorité absolue à lui tout seul, soyons assurés qu'ils tenteront de négocier une alliance entre eux.


Antoine Carbasier se tut, laissant planer un moment de silence pour donner un moment grave à ses mots. Il ne pouvait pas dire à l'Assemblée les raisons qui le poussaient à combattre le Premier ministre. Si les raisons se retrouvaient dans la presse, alors c'était le Royaume de Teyla qui allait être affaibli à l'Organisation des Nations Démocratiques et, plus grave, face à la Loduarie Communiste. Il se racla légèrement la gorge, puis reprit d'un ton plus calme mais déterminé.

- Des questions avant que je continue ?

Personne n'avait de question à poser, alors il reprit de plus belle et tout aussi déterminé.

- Bien. Je peux déjà faire un bilan des discussions que nous avons eues en interne entre les différents organes du parti. Bien qu'une partie des membres estime que la stratégie actuelle n'a besoin que de changements mineurs, la majorité estime que des changements majeurs, voire une révision complète de la stratégie, doivent être pensés. Les élections législatives ne sont que dans un an tandis que les élections municipales arrivent au mois d'octobre. Ainsi, nous aurons très peu de temps entre les deux élections pour nous remettre d'une défaite, si nous échouons. Mais en cas de victoire, cela sera une bonne nouvelle et permettra que nous profitions de notre dynamique pour les législatives. Ainsi, nos stratégies sur ces deux élections ainsi que les programmes ne doivent pas être similaires mais complémentaires. En cas de défaite, cela permettra de montrer que nous avons appris de nos erreurs et compris les électeurs tout en démontrant une cohérence. Dans le cas d'une victoire, nous montrons non seulement une cohérence mais une continuité bénéfique.

- Merci Antoine, dit Marc Tallier tout en levant la main comme s'il était à l'école. Tes mots sont clairs et je crois que je me retrouve dans le discours que tu portes. Je suis de ceux qui croient que nous avons besoin d'une nouvelle stratégie et d'un nouveau programme. Mais pourquoi faire et pour quel programme ? Je crois que nous avons des valeurs, comme le montrent nos discussions constantes avec les diverses sphères de la société civile. Notre programme devra continuer à inclure cela, voire même à renforcer cet aspect pour nous démarquer. Mes électeurs, au niveau de la circonscription, ne cessent de demander des référendums sur les sujets cruciaux, y compris la Loduarie Communiste ou encore la défense. Si nous devenons cette force centrale, alors le référendum peut être une porte de sortie si nous n'arrivons à aucun accord au sein de la coalition sur un sujet important pour la nation.

L'impasse politique ne serait plus un problème pour une coalition, mais un moyen de sortir par le bas, le peuple. Je crois que notre société est violente, il n'y a pas meilleure réponse à la violence que le vote, Antoine. La violence principale vient de notre système économique qui, indirectement, pousse à la concurrence extrême entre les citoyens. Si nous n'avons plus d'emploi du jour au lendemain, pour l'ouvrier, la suite devient compliquée s'il a mal négocié avec son précédent employeur. Les réformes sont souvent empêchées par des manifestations, les syndicats patronaux, les patrons et parfois le marché. Le seul concurrent sérieux à la vox populi n'est nul autre que le marché au Royaume de Teyla. L'idée n'est pas de balayer les oppositions, bien au contraire. Les réformes doivent s'inscrire dans un cadre de discussion nationale et même de compromis.


- Il est vrai que nous avons énormément de choses à débattre, répond Julien. Il est vrai que nous avons au sein de ce parti un lien différent de celui de la société civile que votre ancien parti, Monsieur Carbasier. N'y voyez rien d'insultant, au contraire, les différences font partie de la vie et j'y vois un bien. Mais les membres de ce parti peuvent être inquiets par votre histoire. Nous avons eu l'occasion de parler toute la soirée et je sais que vous avez fait la part des choses, mais parfois l'émotionnel l'emporte sur tout. Marc, je comprends tout à fait votre inquiétude, mais nous ne devons pas nous disperser. Antoine, veux-tu continuer et peut-être répondre à Marc ?

- Merci Julien, je vais faire les deux, dit-il en affichant un rictus sur son visage. Tout d'abord, vous avez raison de dire que Les Royalistes ont un lien différent avec les associations et les organisations syndicales. Nous les écoutons lorsque nous sommes au pouvoir et, lorsque nous sommes dans l'opposition, disons que nous les écoutons lorsque cela nous arrange. C'est un comportement clairement opportuniste, mais qui s'explique par le mandat de Pierre Lacombe, comme vous le savez tous. Toutefois, je ne suis pas ici pour changer les valeurs et les idées de ce parti. Ainsi, je respecte votre lien, bien différent, avec les associations et les syndicats. Il sera préservé, à l'évidence, et pourra être accentué.

Sur la mise en place d'une démocratie directe, comme décrite par Marc, ou du moins l'augmentation de l'utilisation du référendum, il est possible d'appliquer des changements dans le programme en ce sens. Une idée première pourrait être d'appliquer ce changement au niveau local. Faire en sorte que les maires puissent proposer des référendums sur des sujets plus larges, fournir la puissance publique pour l'organisation de ces référendums, et cela équivaut à changer la loi au niveau national, je le conçois. Mais cela serait une bonne complémentarité entre nos programmes locaux et notre programme national.


Antoine laissa parcourir son regard sur la totalité des convives. Il avait réussi, pensait-il, au regard de la réaction de Marc et du sourire qu'affichait son visage. Il reprit :

Pour débuter, je vous propose de discuter d'un slogan et des thèmes de campagne que nous voulons imposer, sans oublier la Loduarie Communiste. Je crois que, pour stimuler notre créativité, nous pouvons mélanger pour l'instant tant les législatives que les municipales. Qui veut se lancer ?

- Moi !

S'exclama une voix féminine presque chantante. Il s’agissait de Giulia Bellasera, une élue au conseil municipal de la ville de Gèvre et une cadre très importante du parti depuis deux mille onze. Elle était en quelque sorte l'acolyte de Florian Pourta et faisait office de conseillère de l'ombre. Elle avait une silhouette fine, des lignes prononcées qui plaisaient tant aux hommes qu'aux femmes. Pourtant, Giulia n’appartenait à aucun de ces récits de désir : elle se définissait comme asexuelle, détachée des jeux de séduction qu’on tentait parfois de lui prêter. Elle prit la parole d'une manière assurée.

- Je vais commencer avec la Loduarie Communiste. Nous savons tous que cette nation est l'ennemi numéro un du Royaume de Teyla. Mais maintenant, comparé à l'époque d'Antoine Carbasier ou encore l'année dernière, nous avons la puissance pour résister à cette nation. Je sais que le Parti Royaliste et le Mouvement des Traditionalistes appuient fortement sur la Loduarie Communiste pour gagner des voix et cela marche, du moins dans le sud du pays. Sans dire qu'il faut abandonner la Loduarie Communiste durant les campagnes, il faut que notre programme sur les relations internationales vise large. Nous ne pouvons parler uniquement de la Loduarie Communiste ou encore de l'Organisation des Nations Démocratiques. Nous avons affaire avec l'Union Économique Eurysienne, la Grande République ou encore l'Espace Noor(d)croen. Nous devons voir large pour donner le sentiment aux électeurs que nous sommes parés à toutes les éventualités.

Selon moi, les thèmes de campagne qui doivent être abordés sont la transformation économique de la société teylaise. Comme le démontrent les implantations d'usines Melsovardiennes, l'économie du Royaume de Teyla se transforme petit à petit en une économie de services, d'industrie et d'agroalimentaire. Nous faisons un peu de tout, ce qui soulève des problématiques sociales, notamment auprès des agriculteurs qui ont peur de voir leur filière disparaître. Et ce n'est pas une peur irréaliste. Pour la première fois, la production dans l'agroalimentaire a chuté de plus de cinq pourcents. La transformation de la vie économique doit être au cœur de notre campagne électorale, tout comme l'accompagnement de l'économie vers un système plus juste. Pour cela, je crois que nous devons créer une commission au sein du parti. En outre, ladite commission aurait pour mission de proposer des idées d'aides sociales et d'un système social complet à la sauce teylaise, bien évidemment.

Je crois qu'il n'y a pas besoin de changer le reste du programme, tant que nous l'adaptons au contexte de cette année. Aucune idée de slogan, ceci dit, je dois dire.


- Je m'inscris en faux sur la transformation de l'économie, dit Sandra. L'économie du Royaume de Teyla se transforme, mais lentement, et ne pose, selon moi, aucun problème pour la population. Le marché de l'emploi est dynamique et offre des opportunités à tous et à toutes. Une chance qui n'existait pas lors de la stagflation avant les années deux mille dix. L'économie est cyclique et le cycle actuel est bon. Je suis d'accord pour dire qu'il faut réguler les marchés financiers et, plus amplement, l'économie et le marché du travail. Mais la création d'un système social complet me paraît un peu précipitée et hors de propos. Nous avons une économie prospère qui profite à tous, il ne faut pas que nous empêchions cela de continuer. Les Teylais nous en voudraient si c'est cela le résultat.

De plus, bien que je rejoigne les propos sur les relations internationales, nous devons rester focalisés sur la Loduarie Communiste tant que la situation n'est pas calmée. Cela reste notre ennemi et, si ils pouvaient, ils nous tueraient tous, pour rappel. Une chose que nous ne pouvons tolérer et baisser les yeux. Bien au contraire, nous devons leur faire comprendre que le Royaume de Teyla ne reculera plus, tout en étant ouvert à la diplomatie. Mais que l'ère Rojas est terminée.


- Humm, dit pensivement Florian. J'entends les désaccords, mais il faudra trancher à un moment, les amis. Toutefois, voici mon avis sur les questions posées par Antoine. En outre, je crois que pour plaire tant au Mouvement Royaliste et d'Union qu'aux Royalistes, si jamais nous devons faire une coalition, il convient que suivre Giulia est une nécessité absolue sur la politique économique. Je ne dis pas de bâtir un système social complet, mais de réformer le pays pour qu'il puisse suivre les transformations économiques en cours. Angel Rojas l'a fait, mais pas assez. De nombreux secteurs se retrouvent inquiets pour leur avenir à cause de cela. Outre que nous pouvons aller contre le changement économique brutalement, nous pouvons accompagner ces secteurs. Accompagner via des formations les travailleurs qui veulent changer de secteur, réduire les masters et licences dans les secteurs qui ne seront plus essentiels à l'économie du Royaume.

Sur le système social, je ne sais pas, à vrai dire. Je suis pris entre deux feux, pour le dire gentiment. Je crois que le Royaume de Teyla a besoin d'un système social, mais au regard de notre croissance économique, celui-ci doit être vraiment fait pour les classes les plus précaires. Les personnes sans emploi, qui peuvent travailler, ni plus ni moins. Cela nous permettra de pouvoir négocier avec les deux partis que j'ai précédemment cités. Sur la Loduarie Communiste, je crois qu'il faut suivre la ligne que nous proposera Antoine Carbasier. On l'a invité dans le parti pour cela,
dit-il en gloussant.

- Je tiens à rappeler, dit Marc Tallier en regardant Sandra, que le Royaume de Teyla est dans le top dix des pays avec le plus d'inégalités. Nous ne pouvons continuer sur cette voie, sous peine d'avoir des problèmes sociaux importants à l'avenir. Bien que la croissance ne profite pas à tous, la situation sociale est bonne grâce à cette croissance économique et notre économie qui se porte relativement bien. Mais quand nous serons en crise économique, alors la situation ne fera qu'empirer. Je rejoins les propos de Sandra sur les cycles économiques. Nous ne serons pas éternellement dans un cycle de croissance économique et de bonne santé économique.

L'énergie qui rejoint l'économie doit être discutée. Le plan actuel du gouvernement coûterait une fortune aux contribuables. Pire que cela, le prix de l'électricité deviendrait incontrôlable parce que le gouvernement veut trop construire et trop vite. Certes, selon les prévisions économiques, nous devons construire des centrales électriques, et avant tout nucléaires, je le concède. Mais cela doit être fait intelligemment. Voulons-nous soutenir le plan du gouvernement ? Proposer des ajustements au plan du gouvernement ou proposer notre propre plan énergétique ?

Sur les relations internationales, je crois ma collègue ici à ma droite. En outre, nous ne pouvons pas penser toutes nos relations selon la Loduarie Communiste. Cette doctrine diplomatique doit changer dans les plus brefs délais. La Loduarie Communiste n'est plus une nation de l'avenir mais une nation du passé. Le continent le plus stable après l'Eurysie de l'Ouest est sans nul doute l'Aleucie. Il y a bien sûr l'Afarée, mais il n'y a aucun pôle politique, économique ou diplomatique intéressant en Afarée pour le moment. Je crois que la Lermandie, la Westalie et plus encore la Fédération de Stérus représentent nos bases pour l'Aleucie. Ainsi, si nous affirmons nos liens avec ces trois nations, créant un pôle teylo-aleucien, alors nous serons dans une très bonne position diplomatique. Au Nazummm, meh, désolé de le dire aussi crûment, il n'y a que des nations de "merde". Aucune, à part le Jashuria, ne correspond à notre idéologie, ce qui complique toute volonté d'implémentation.


In medias res pour Antoine Carbasier !
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Servire est regnare

Teylais


Jean-Louis Gaudion était tranquillement assis dans la loge. Il se regardait dans le miroir alors qu'il venait de finir un verre de bourbon. La boisson alcoolisée avait laissé une sensation agréable dans son estomac. Celle d'une chaleur alcoolisée, mais n'ayant aucun effet sur le comportement de Jean-Louis tant qu'il se contentait d'un seul verre. Il avait pris cette habitude de boire un verre avant les grands événements ou les grandes conférences à l'Organisation des Nations Démocratiques. Un rafraîchissement pour calmer ses envies de baffer les plus chiants des représentants des États-membres ou des représentations étrangères qui venaient au siège de l'Organisation des Nations Démocratiques. Malgré cela, il était nostalgique, déjà, de ses deux ans passés au poste de Secrétaire général de l'Organisation des Nations Démocratiques. Un poste qui lui avait permis d'affiner sa pensée sur les relations internationales. Plus que cela, avec son poste au ministère des Affaires Étrangères, il pouvait, s'il devenait Premier ministre, mettre en place efficacement son programme diplomatique avec le réseau qu'il s'était constitué.

D'un son lointain et étouffé, Jean-Louis Gaudion pouvait entendre la foule acclamer Valentin Corentin, qui faisait la première partie du meeting de Jean-Louis Gaudion. La clameur de la foule vibrait à travers les murs. On entendait les cris, les applaudissements, la joie qui émanait de cette foule. Valentin Corentin, on l'entendait parler à la foule et se taisait pour que la foule puisse s'exprimer entre les phrases. "Il faut à cette nation un cœur battant chaque seconde et envoyant le sang tant nécessaire pour le bon fonctionnement des organes vitaux" tonna Valentin Corentin à la foule de vive voix. La foule rendit le sens de la formule à Valentin Corentin en l'applaudissant. Cette formule fit sourire Jean-Louis. Elle avait été testée, il y a de cela quelques années dans un colloque d'économie. Voilà qu'une formule sur l'économie se transformait en formule sur lui-même ou le parti.

Ce soir, on venait voir, écouter et applaudir Jean-Louis Gaudion et nul autre. Valentin Corentin le savait et toutes les personnes qui avaient suivi Jean-Louis Gaudion l'avaient compris. Il était l'homme charismatique du Royaume de Teyla et avant tout de la droite. Julia Roberta, qui affrontait Jean-Louis Gaudion, avait un charisme différent. Sa radicalité envers la Loduarie Communiste ou encore sa posture ferme séduisaient une frange dure de l’électorat conservateur. Elle savait séduire, mais elle ne savait pas rassembler les différents électorats. En tant que présidente par intérim depuis deux mille onze et le départ d'Antoine Cabasier, elle avait réussi l'insurmontable. Le parti était le deuxième parti à l'époque, mais à plus de quinze points derrière la gauche. À force d'efforts considérables, de radicalisation du discours contre la Loduarie Communiste et des erreurs du gouvernement actuel, Les Royalistes étaient remontés à la hauteur du Mouvement Royaliste et d'Union, à hauteur des trente pourcents, dans les sondages.

Depuis ses bureaux de l'Organisation des Nations Démocratiques, Jean-Louis Gaudion observait la reconstruction de son parti politique, qu'il avait quitté un temps, pour devenir le ministre des Affaires Étrangères du gouvernement actuel. Une situation qui lui était reprochée par l'actuelle cheffe du parti. Mais pour Jean-Louis Gaudion, le Royaume de Teyla se devait de maintenir le dialogue, qu'il avait commencé, avec la Loduarie Communiste, pour ne pas aller à la guerre. La voie de la guerre n'était pas possible pour Jean-Louis Gaudion. Une confrontation idéologique, une confrontation économique et de valeurs ? Sans doute que cela était possible et que s'il devenait Premier ministre du Royaume, le Royaume de Teyla allait mener cette confrontation d'une main de maître. Le Royaume de Teyla ne pouvait pas s'installer en Eurysie un régime aussi barbare sans le confronter face à ses contradictions, ses faiblesses tant économiques, politiques ou diplomatiques.

Il trouva la position radicale de Julia dangereuse. Elle voulait mettre des droits de douane à hauteur de cent pourcents pour les produits loduariens importés par le Royaume de Teyla. Une folie économique assurément, même si les deux économies échangent très peu. Plus inquiétant, elle voulait que les droits de douane à cette hauteur soient étendus aux partenaires et aux alliés de la Loduarie Communiste. Cela faisait potentiellement une liste de nations bien trop grande pour que l'économie du Royaume de Teyla puisse supporter cela. De plus, sa position remettait en cause le libéralisme économique, pourtant la doctrine économique officielle de Julia Roberta. S'en rendait-elle compte, se demanda Jean-Louis ? Bien qu'il ne fût pas d'accord avec les propositions de Julia sur la Loduarie Communiste, il comprenait lesdites propositions et les facteurs qui l'ont poussée à faire cela.

Le Parti Royaliste, parti d'extrême droite, avait un discours bien plus choquant encore sur la Loduarie Communiste. Déportation des Loduariens, surveillance des bi-nationaux, etc. La position très dure du parti à l'encontre de la Loduarie Communiste a permis à ce parti de monter autour des huit pourcents dans les sondages, handicapant fortement les partis de droite. Cette montée en puissance était observable avant tout dans les deux régions frontalières à la Loduarie Communiste. Il est fort probable que, lors des prochaines élections législatives, le parti d'extrême-droite obtienne de très bons scores électoraux au grand désarroi du pays tout entier. Plus le Parti Royaliste était fort, plus il était probable de voir les chances de gain des circonscriptions pour Les Royalistes se réduire à vue d'œil. Alors Julia Roberta opta pour le durcissement du discours à l'encontre de la Loduarie Communiste. Étant donné que les sondages ne sortaient pas depuis des mois, il était impossible de dire si la méthode de Julia fonctionnait.

En observant l'évolution du parti, Jean-Louis Gaudion avait longuement réfléchi quant à sa candidature pour être le président du parti Les Royalistes. Il avait clairement hésité à se présenter à la présidence du parti, ce qui sous-entendait indirectement pour ce parti politique une candidature pour être le Premier ministre du Royaume de Teyla, du moins être le leader de la campagne électorale durant les prochaines élections législatives. Il avait longuement hésité, parce que se présenter voulait dire être aux commandes d'une nation qui avait de nombreux défis à relever, et le premier de tous n'était nul autre que la constitution d'une marine assez puissante pour que le Royaume de Teyla puisse faire entendre sa voix en Manche Blanche, un défi plus que grand, au regard de l'actuelle marine de la Grande République de Velsna ou des autres puissances comme l'Empire Colonial de Listonia.

L'autre dossier brûlant pour le Royaume de Teyla, mais qui devait être en partie résolu par le Gouvernement actuel, n'était nul autre que Valinor. Suite à l'accrochage aérien entre la Loduarie Communiste et Valinor, Valinor avait accepté que les avions loduariens, remplis de troupes de cette dernière, fassent demi-tour en échange d'une protection de l'Organisation des Nations Démocratiques. Ce fut une victoire pour le gouvernement Rojas, une véritable victoire diplomatique pour le Royaume de Teyla qui a entériné la domination de l'Organisation des Nations Démocratiques sur la Loduarie. Toutefois, le nouveau Premier ministre, dans une année environ, allait devoir gérer la continuité de la nouvelle relation avec le pouvoir communiste de Valinor. Une question ardue, étant donné que ce même pouvoir est né d'un coup d'État.

Le Royaume de Teyla entrait dans une nouvelle phase sur tous les plans. Il devenait une puissance mondiale petit à petit et confirmait son rôle de puissance régionale et locale. Cela sous-entendait la nécessité de développer de nouvelles capacités. Car une puissance qui ne rayonne pas par sa pensée, par son modèle, par sa voix sur la scène internationale n'était que l'ombre d'une puissance. Le Royaume de Teyla se voulait être un modèle pour les nations qui voulaient embrasser la voie de la démocratie libérale et des droits fondamentaux humains. Il voulait être un contre-modèle face aux régimes barbares, autoritaires et dictatoriaux. Une nation d'équilibre et qui défendrait des valeurs essentielles. Mais pour arriver à cela, il fallait une vision à moyen et long terme et pas uniquement à court terme.

Jean-Louis Gaudion alla lentement vers les coulisses, amenant sur la scène sur laquelle parlait toujours Valentin Corentin avec conviction et rage. Il souriait en voyant les quelques affiches de campagne placardées à l'intérieur des coulisses et des couloirs. Comme s'il fallait convaincre les hommes autour de lui de voter pour lui, une situation qu'il trouva assez drôle pour laisser s'échapper un léger gloussement. Alors qu'il marchait progressivement, le monde s'agita comme une fourmilière autour de lui. L'ingénieur son vérifia une dernière fois le son de son micro cravate, le styliste jugea la tenue une dernière fois avant que Jean-Louis Gaudion se présente à la foule.

- Je suis convaincu qu'aujourd'hui plus encore, dit avec envie Valentin Corentin, le Royaume de Teyla a besoin d'un homme d'honneur, de conviction, et qui ne changera pas le pays brutalement, mais le réparera et l'élèvera plus haut qu'il ne l'est encore. Teylais et Teylaises réunis ici et partout dans le monde, le Royaume de Teyla a des valeurs, nous avons des valeurs communes, et cet homme que je tiens à défendre, je sais qu'il défendra toujours nos valeurs quoi qu'il arrive et quel que soit l'adversaire en face. Cet homme a vaillamment défendu le Royaume de Teyla sur la scène internationale et face à la Loduarie Communiste, dit-il alors que la foule se mit à faire un bruit digne d'un stade de football en ébullition. Cet homme n'est nul autre que Jean-Louis Gaudion, le président qu'il faut à la droite de gouvernement ! Conclut-il, ce qui enclencha une explosion sonore dans la salle.

La foule, tout en scandant le nom de son champion, agita les drapeaux et les pancartes à l'effigie de son poulain. Le Royaume de Teyla s'offrait un moment de démocratie tous les cinq ans, et les meetings politiques étaient l'un de ces rares moments où la politique s'offrait non pas en tant qu'argument rationnel ou encore de débat fatigant, mais en véritable spectacle. C'était l'occasion pour les candidats de rendre la monnaie de leur pièce à leurs opposants à travers des formules frappantes et même brutales. C'était le moment de faire valoir ses talents oratoires pour aller frapper l'adversaire là où ça faisait mal. L'adversaire devait avoir un genou à terre, et les meetings étaient cette occasion pour y arriver. Valentin Corentin descendit lentement de scène, le visage baigné de sueur mais traversé par un sourire franc, presque triomphal. En croisant Jean-Louis derrière le rideau qui s’ouvrait déjà, il lui serra la main d’un geste sec, presque inamical, et dit :

À toi de jouer, vieux con, dit-il en gloussant et avec une sincère amitié.

Les deux hommes s'étaient connus sous le gouvernement d'Antoine Carbasier. Ils étaient tous les deux ministres. L'un était le ministre des Affaires Étrangères, le second était ministre de l'Économie. Deux postes clés, pour deux hommes pas si différents. Les deux anciens ministres prenaient le temps de la réflexion pour chaque sujet. Ils n'étaient pas le genre d'hommes à réagir à l'instinct mais plutôt à réfléchir au problème qui se posait devant eux, pas toujours avec réussite. Mais cela était leur méthode de fonctionnement. Ils avaient été les figures de proue médiatique pour Jean-Louis et de l'ombre pour Valentin, du gouvernement Carbasier I. Ils étaient là à un moment crucial pour le Royaume de Teyla, forcément cela rapprochait.

Cependant, c'est seul qu'il entra sur scène, le bras en l'air tendu vers la foule comme un geste de victoire, alors qu'il était loin d'avoir gagné le parti et encore plus le pays. Alors que les projecteurs étaient braqués sur lui, il avança d'un pas lent mais assuré vers le centre de la scène, vers le pupitre. Il pointa du doigt certaines personnes de la foule et à un moment donné, il mit sa main sur son cœur, et baissa la moitié de son corps, en guise de remerciement pour leur présence à tous. Enfin arrivé au pupitre, il se tut durant une minute entière, laissant le temps à la foule de réduire ses applaudissements, de faire taire ses cris. Pendant ce temps, il observa. Oui, il observa la foule qui était là pour lui et le Royaume de Teyla. Il ne disait rien, il souriait à peine. Sa posture disait qu'il était prêt à revêtir le costume de chef de parti et de gouvernement. Elle disait de lui que ce soir, Julia Roberta avait du souci à se faire.

- Teylais, Teylaises, chers amis et compatriotes, dit-il avec un air de gravité.

Merci pour votre présence ici. Ce n'est pas une simple présence au sein d'un meeting politique, non, c'est bien plus que cela. Ceux qui ne voient que cela n'ont pas compris le fonctionnement de la démocratie et ce qui fait l'essence du Royaume de Teyla. Nul ne peut vous reprocher votre présence dans un meeting politique, car cette présence démontre votre attachement à la démocratie et aux élections. Votre présence ce soir, dans cette salle pleine à craquer, ce n’est pas un spectacle. Ce n’est pas un rassemblement de supporters. C’est un acte citoyen. Un acte de foi dans nos institutions. Votre présence dit quelque chose de beau et rempli d'espoir. Elle dit que la démocratie et le Royaume de Teyla sont indissociables et plus encore, que ces deux choses auxquelles nous sommes attachés ne sont pas près de s'arrêter de vivre.

Alors je suis fier de savoir que tous les territoires du Royaume de Teyla sont représentés dans cette salle, grâce à notre initiative. Que vous habitiez à Manticore ou à Hellemar, vous avez une voix qui porte et qui doit être entendue, en toutes circonstances. Le Royaume de Teyla est une grande nation, et de surcroît, cela nous oblige, personnel politique, à des responsabilités toujours plus grandes, toujours plus importantes. L'une des responsabilités, présente depuis le début, est votre écoute et le respect de votre volonté. Le respect du vote est l'un des fondamentaux de notre démocratie et celui-ci ne peut être remis en cause, sous peine de voir les fondations qui font le Royaume de Teyla se fissurer. Vous pouvez vous applaudir, applaudir ceux qui viennent de régions lointaines et qui nous honorent de leur présence, car oui, avoir tous les territoires représentés est un honneur pour moi et même une fierté. Nous n'abandonnerons jamais personne, telle est la volonté de la droite royaliste.

Cette volonté passe par le fait de renforcer l'appareil militaire teylais tout en assurant une diplomatie responsable. J'entends les responsables politiques, à tort je le crois, augmenter les charges envers la Loduarie Communiste. Bien que je comprenne parfaitement les raisons qui poussent à ce genre de comportement, de prise de parole, j'avertis le personnel politique teylais et même le Gouvernement de Sa Majesté. Nous l'avons vu récemment, lorsque le Royaume de Teyla et ses forces militaires, que je remercie et dont je salue le courage, font face à la Loduarie Communiste dans un contexte sensé et responsable, alors la Loduarie Communiste n'a d'autre choix que de reculer face à notre courage et notre force. Le Royaume de Teyla est une puissance régionale, a minima, et la Loduarie doit l'intégrer.

Nous sommes inquiets pour notre sécurité et cela est compréhensible au regard du bellicisme permanent de la Loduarie Communiste. Pourtant, chers Teylais, les armes ne doivent pas remplacer la diplomatie. Les armes doivent être sorties qu'en dernier recours face à nos ennemis, nos adversaires. Le Royaume de Teyla doit être la voix de l’équilibre, la voix de la responsabilité et de la paix dans le monde. À ceux qui veulent sanctionner à tout-va, qui veulent restreindre les discussions avec nos adversaires, je le dis sans détour. Il s'agit d'une grave erreur qui risque de nous emmener vers la guerre, une guerre qui sera l'une des plus meurtrières sans aucun doute de notre histoire et peut-être de l'histoire eurysienne. Voulons-nous vraiment cela ? Non, bien évidemment. Je le dis avec conviction, renoncer aux armes le temps des discussions n'est pas une faiblesse, bien au contraire. La diplomatie est l'acte mature d'une nation.

Est-ce que les tensions s'accroissent ? Oui, c'est un fait indéniable. Mais nous devons rester sur la voie diplomatique, comme nous l'avons fait avec Valinor et la Loduarie Communiste récemment. Nous avons su profiter d'un acte hostile à l'égard du Royaume de Teyla et de la République Fédérale de Tanska pour faire valoir nos sincères préoccupations autour de la sécurité tant du Royaume de Teyla que des membres de l'Organisation des Nations Démocratiques. À quoi sert d'avoir des diplomates de formation, si ce n'est plus que pour crier, comme le souhaite vraisemblablement Julia Roberta ? Ce n’est pas cela, gouverner. Ce n’est pas cela, servir la nation. En aucun cas, annuler la délivrance de visas pour les Loduariens ou encore mettre des droits de douane à cent pourcents sur les produits loduariens n'assureront la paix. Que se serait-il passé si, alors que nous interceptions les avions loduariens, nous avions crié ? Je ne puis le prédire, mais rien de bon. C'est parce que le Royaume de Teyla a activé son réseau diplomatique, qu'il a parlé avec Valinor, que le retrait des avions loduariens a été possible.

Le Royaume de Teyla a toujours prôné le libre-échange intelligent sur la scène internationale et à juste titre, parce que ce dernier assure la paix dans un monde interconnecté. Il a rapproché les peuples des États-membres de l'Organisation des Nations Démocratiques, il a assuré la paix en Eurysie de l'Ouest et pas uniquement grâce aux interconnexions qu'il crée, mais parce qu'il permet au Royaume de Teyla d'avoir une économie puissante et capable de soutenir des investissements importants dans la défense. Le libre-échange nous a permis de passer d'une économie petite et insignifiante sur la scène internationale à la cinquième économie mondiale, tout en permettant d'investir à l'étranger pour le bien des peuples. Oui, l'économie du Royaume de Teyla est due au libre-échange. Julia Roberta veut revenir là-dessus, ce qui signifiera l'arrêt de mort économique du Royaume de Teyla. Quiconque est patriote, aime le Royaume de Teyla, ne peut laisser faire une telle chose.

Toutefois, je ne suis pas déçu ou encore surpris. J'ai compris bien assez tôt que Julia Roberta n'est pas une personne qui joue le jeu d'une manière fair-play. La campagne pour le congrès du parti a commencé sans moi, par sa faute. Je ne me pose pas en victime, loin de là, chers Teylais et Teylaises. Je transcris juste les faits. Julia Roberta n'a aucune notion démocratique, de fair-play et, plus grave encore, aucune notion de responsabilité. Pouvons-nous laisser le contrôle d'un des partis les plus importants de notre histoire à cette personne ? C'est une question sincère, chers amis. Pouvons-nous confier le destin de notre famille politique, qui a une histoire et une culture riches, à une personne qui bafoue les principes de notre nation, qui fera plonger l'économie et nous fera rentrer en guerre contre le monde entier ?

Voulons-nous, comme le Parti Royaliste, être un parti populiste, qui émet des promesses intenables toutes les minutes pour complaire aux foules, ou voulons-nous gouverner avec raison et faire de cette nation une nation toujours plus grande, toujours plus prestigieuse, toujours plus belle et toujours plus forte ? Je crois profondément que nous devons faire ce second choix. Ce choix n'est pas un simple choix, il définit notre comportement. L'honneur et le respect y sont au cœur, comme ils sont au cœur du Royaume de Teyla. Oui, l'honneur et le respect. Ces valeurs essentielles définissent comment nous construisons le gouvernement et notre vision de l'État et de la démocratie. Elles dictent que nous respecterons toutes les décisions, même si elles nous déplaisent, émanant du peuple, de vous ou encore du Parlement. Ce n'est pas un simple respect de la démocratie, c'est un respect envers le Royaume de Teyla tout entier.

Ces valeurs dictent que nous respecterons toujours ceux avec qui nous parlons à l'étranger si le respect est mutuel. Elles garantissent que le Gouvernement de Sa Majesté ne soit pas au service des intérêts personnels de ses membres, mais bel et bien à votre service. Ces valeurs, chers amis, sont notre socle. Elles sont ce qui distingue une grande nation d’un État insignifiant ou d’un pays dont l'état est inexistant et par nature défaillant. Elles sont ce qui fait qu’au Royaume de Teyla, un homme politique ne doit jamais oublier qu'il est un serviteur au service du peuple, un serviteur aux services des promesses de campagne pour lesquelles on l'a élu. Si je m'adresse à vous et si j'ai décidé de me présenter à la présidence des Royalistes, c'est pour cela. Vous servir et faire, non pas ce qui est démagogique ou populiste, mais bien ce qui est nécessaire pour que le Royaume de Teyla grandisse dans ce monde rempli de tensions.

La Loduarie Communiste n'est pas le seul sujet du Royaume de Teyla. Notre vision des relations internationales doit être globale. En outre, je n'imagine pas un pays ayant la puissance et l'aura du Royaume de Teyla sans une vision globaliste, un projet d'ordre international profitant à tous. Nous l'avons fait avec l'Organisation des Nations Démocratiques, un projet sérieux ayant permis de sauver de nombreuses vies. Quand je parle d'ordre international, je ne parle pas d'une organisation internationale qui réglerait les conflits ou ferait de l'aide humanitaire. Une telle chose serait refusée par de nombreuses nations au nom de la souveraineté internationale, alors qu'en réalité les dirigeants ne voudraient pas voir leur impunité se stopper. Non, je parle d'un ordre international sain et respectueux de la souveraineté des nations, qui serait mis au profit des peuples, de l'économie et du progrès, et régi par les entités qui le veulent bien dans des zones géographiques précises. Cet ordre international, le Royaume de Teyla en a constitué une partie, sans le vouloir très certainement. Westalia, Fédération de Stérus, République de Lermandie, l'Organisation des Nations Démocratiques, l'Alguarena et j'en passe. Toutes ces nations ont vocation à se retrouver pour préserver notre monde et rendre la vie paisible et la paix bien plus présente.

Rendre la guerre plus coûteuse, voilà ce que nous devons bâtir et dire sur la scène internationale. La voix forte du Royaume de Teyla sur la scène internationale doit servir à cela. Nombre de pays ont connu la guerre depuis les années deux mille et la multiplication des crises. Face à celles-ci, les nations ont réagi en créant des organisations internationales. En somme, une conséquence logique. La multiplication des crises et de leurs natures a créé la nécessité pour les nations de se réunir afin d'engager des réponses plus grandes, avec plus de moyens, et ainsi améliorer l'efficacité de la réponse, si la coordination est bien gérée par les différents acteurs. C'est pourquoi je défendrai toujours l'Organisation des Nations Démocratiques, dont je fus le Secrétaire général pendant deux années, deux années durant lesquelles j'ai vu une organisation qui faisait le bien et qui sauvait des vies. Voilà ce que doit être l'ordre mondial. Non pas une organisation uniquement, mais un ensemble de nations qui se réunissent pour faire le bien.

Si je suis élu à la présidence de ce parti, chers compatriotes, je m'engage à ce que Les Royalistes défendent cela, défendent l'Organisation des Nations Démocratiques comme nous l'avons toujours fait. Nous avons compris, dès deux mille onze, que cette organisation allait nous sauver des ravages de la guerre et qu'elle allait repousser nos ennemis hors de nos frontières. Pas une seule nation n'a tenté d'envahir le Royaume de Teyla sur son sol, même pas la Loduarie Communiste qu'on disait à juste titre va-t-en-guerre. Je m'engage à renforcer nos alliances bilatérales, comme nos partenariats avec d'autres puissances à travers le monde. Nous devons cesser de croire que les grandes puissances imposent seules l’ordre du monde. Elles ne peuvent le faire dans l'état actuel du monde et, d'un côté, cela est rassurant. Nous devons nous rassembler avec les nations qui partagent les mêmes valeurs que nous.

Et par cela, la politique actuelle du Gouvernement est dangereuse. Pourquoi donc aller signer des traités avec le Saint-Empire de Karty qui, il y a même pas un an encore, était un régime autoritaire ? Angel Rojas n'a-t-il aucune valeur, aucune morale ? Ce pays n'avait aucune notion de démocratie, il y a de cela un an. Bien évidemment, les discussions et les réformes obtenues par Pierre Lore sont à saluer. Mais la culture démocratique ne vient pas en une année de pouvoir, de changement et de réforme. Elle résulte de longues années de travail au sein de la société civile et politique. Elle s'enrichit de ce travail et en découle, après plusieurs années, une société que nous pouvons qualifier de démocratique. Il ne suffit pas d'être une démocratie sur le papier pour pouvoir prétendre au titre de démocratie. Il s'agit d'un titre plus honorable que cela. La faute morale est sur le Gouvernement de Sa Majesté. On ne commémore pas la mort d'un homme qui n'a rien fait pour que son pays ne soit plus démocratique, on n'invite pas et ne reçoit pas les dirigeants étrangers de cette nation sur le sol teylais, ce qui bafoue totalement notre histoire et notre doctrine diplomatique.

Le Royaume de Teyla, ce n'est pas uniquement ses ouvertures sur le monde, c'est aussi vous, Teylais et Teylaises. C’est vous qui portez les valeurs de ce Royaume, vous qui faites vivre sa grandeur au quotidien, dans vos métiers, vos engagements, vos familleset vos valeurs. Le Royaume de Teyla n’est pas seulement une nation au strice pure du terme. Le Royaume de Teyla, c'est son peuple, sa diversité, sa beauté. Le peuple teylais mérite une parole forte, franche et qui grandira le Royaume de Teyla. Bien que ce soit à vous de trancher, je pense être cette parole qui fera honneur au Royaume de Teyla et au peuple teylais dans son ensemble. Vous servir sera ma priorité et mon unique but, si l'on m'élit président de ce parti.

Je crois, pour ce pays, en la liberté d'entreprendre, en la liberté d'innover et de prendre des risques, qu'ils soient récompensés ou non. Je crois en l'économie de marché. Ces notions ont fait la réussite du Royaume de Teyla et lui ont permis d'être la nation que nous connaissons aujourd'hui. Contrairement à d'autres, je ne veux pas remettre en cause ce système, mais bel et bien le faire perdurer. Mais attention, cela ne veut pas dire que notre système, si bon soit-il, est parfait. Il a besoin de réformes, rien que pour le faire s'adapter aux enjeux modernes de notre époque. La technologie est une révolution à elle seule et nous devons permettre aux acteurs économiques, tout en offrant une protection aux salariés, les moyens de cette transition technologique, comme nous l'avons si bien fait pour le secteur de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Nous devons reproduire ce modèle de réussite, d’adaptation et d’investissement dans tous les secteurs clés de notre économie. Le progrès bien utilisé est un facteur d'inclusion et non d'exclusion, que ce soit vis-à-vis de la société teylaise, de la scène internationale, du marché intérieur comme extérieur. C'est le facteur clé de la réussite. Nous n'avons jamais repoussé le progrès et jamais je ne permettrai qu'il soit repoussé au Royaume de Teyla !

Mais le libéralisme ne peut se transformer en loi de la jungle. Lorsqu'il se transforme en loi de la jungle, la crise économique, la récession et les ravages sur les citoyens ne sont jamais loin. Laisser le marché s'autoréguler est une folie pure. Cela révèle un acte profondément malveillant, je le crois, à l'encontre des contribuables et des consommateurs. La régulation couplée au libéralisme économique permet l'adéquation de deux modèles perfectibles et rend ce modèle économique plus que performant. Mais la régulation, bien qu'elle doive avoir lieu, doit se faire avec parcimonie et sur un temps moyen ou long afin de ne pas bouleverser les équilibres économiques qui font la réussite du Royaume de Teyla. Ainsi, je propose la création d'une autorité qui sera chargée de coordonner les instances de régulation du Royaume de Teyla, de veiller à la concurrence loyale et libre. Le marché doit rester libre, oui, mais il doit aussi rester loyal. Lorsqu’un acteur écrase tous les autres, ce n’est plus une économie de marché, c'est une économie socialiste régulée par un seul acteur, celui en position de domination, et à la fin ce sont les consommateurs qui font les frais de cette domination.

Le poids de la responsabilité du Gouvernement actuel est grand. Le Gouvernement de Sa Majesté, mené par Angel Rojas et le Mouvement Royaliste et d'Union, crée des programmes d'aides sociales à tour de bras, régule à toute vitesse. Mais le Gouvernement et la majorité du Premier ministre oublient, au grand dam des consommateurs et de vous, Teylais et Teylaises, qu'ils ne mettent que des pansements et ne soignent pas les blessures. La différence, c'est que Les Royalistes proposent toujours de corriger les problèmes, de soigner la maladie, tandis que la gauche fait uniquement panser les blessures et soigne les symptômes, non les causes. Nous l'observons sur la dette publique. Alors qu'elle ne cesse d'augmenter, sous le couvert de la défense nationale et de la dépense publique pour protéger les plus faibles, il ne s'agit que d'un clientélisme dangereux pour la démocratie.

Ce clientélisme, chers compatriotes, est une insulte à votre intelligence. Angel Rojas montre qu'il n'a aucune vision à long terme et qu'il ne pense qu'à sa réélection, qu'il est accro au pouvoir. En voilà un mal pour notre nation. Angel Rojas et la gauche n'ont pas compris qu'on ne construit pas une nation en faisant des chèques à la population. On le fait en lui donnant les moyens de produire, d'innover et bien plus encore. La liberté économique fait partie de ces moyens, comme le désendettement. Si nous continuons sur la voie de la dette, alors la situation pour le Royaume de Teyla sera périlleuse. Comment voulez-vous avoir les capacités d'agir face à toute urgence si vous n'avez pas de marge de manœuvre financière ? Comment voulez-vous investir sans en avoir les moyens financiers ? Cette situation contribue forcément à une augmentation des taxes et des impôts, une situation préjudiciable pour le peuple, encore une fois. Cela arrive souvent avec Angel Rojas, ne trouvez-vous pas ?


Le discours allait continuer encore une heure ! Servire est regnare Jean-Louis Gaudion.
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