Alors on avait paré la ville de ses plus belles couleur et organisé une de ces grandes liesses populaires qui faisait tout le charme des villes de l'Union. Il ne s'agissait pas exactement d'une processus de dissimulation, mais plutôt d'une démonstration diplomatique rendue facile par l'aspect lointain de la guerre contre la Communaterra. Si des dizaines de milliers de kah-tanais étaient déployés dans ce pays, le poids économique et humain de la guerre ne se faisait pas sentir, au moins à ce stade.
En tout cas, festivités ou pas, Lac-Rouge était très éloignée de l'image que l'on pouvait se faire des villes communistes. Du moins si l'on habitait dans l'un de ces pays radicalement opposé au socialisme, où l'on confondait à dessein les dictatures d'Eurysie aux régimes libertaires présents sur les cinq continents. C'était une ville charmante, installée sur un lac. Les premiers peuples avaient drainés un marécage pour y installer leur royaume, et d'importants monuments avaient survécus à cette période lointaine : des grandes pyramides et places à l'immense digue qui séparait le fameux lac en deux. L'aéroport se trouvait sur la rive sud du lac et donnait sur de grands axes routiers dont une bonne moitié était réservée à un système de métro/tram, lesquels remontaient un avenue en ligne droite, traversant les nombreux quartiers de la ville comme une artère jusqu'à son cœur politique, la commune spéciale d'Axus Mundis. Loin des canaux et des quartiers tantôt modernes, tantôt traditionnels qui composaient l'ensemble du plan urbain, Axis Mundis était installée sur ce qui avait été le centre religieux et économique de l'empire Nahuatl, le Tribunal des Trois sièges, avant de devenir le centre de l'administration coloniale Eurysienne, puis Nazumis. Désormais c'était le centre de la révolution, et les immenses jardins et vieux palais qui entouraient la place centrale s'étaient vu adjoindre des ailes plus modernes, accueillant les innombrables commissariats et commissions administration la confédération.
Les Miridans eurent droit à une cérémonie d'accueil du plus bel effet : on fit sonner douze coups de canon durant leur remonté de l'avenue centrale puis ils traversèrent une haie d'honneur jusqu'au centre de la place, où se trouvait la statue d'un shogun colonial, couverte de banderole colorée et de tags ironiques montrant bien tout le respect que la révolution avait pour ses anciens tyrans. Arrivés sous la statut, la fanfare de la garde d'Axis Mundis, première instance militaire du Grand Kah, joua l'hymne du pays, puis on accompagna tout les représentants jusqu'à un palais contingent, où ils furent installés dans une salle de réunion moderne : une grande pièce rectangulaire, aux murs blancs et gris, éclairée par deux puis de lumière et une immense baie vitrée bordant la table basse où l'on devait s'installer. Derrière cette vitre on voyait le lac et les multiples jardins qui bordaient la structure.
La citoyenne Actée Iccauhtli, qui avait accompagné la délégation jusque-là s'absenta alors pour laisser place aux membres du Comité de Volonté Publique, à la tête duquel la citoyenne Meredith, qui faisait office de tête file officieuse du gouvernement kah-tanais. Cette dernière salua chaleureusement les représentants avant de les faire s'installer sur des coussins autour de la table. Actée réapparut avec un service à thé et commence à remplir divers tasses. Meredith acquiesça.
"Nous pouvons déjà nous féliciter d'en être arrivés là, installés autour d'une même table, à Axis Mundis." Elle sourit de plus belle. "Nous avons beaucoup de choses à nous dire mais je crois que le simple fait de nous rencontrer fait déjà beaucoup pour la paix. Alors. Souhaiteriez-vous commencer ? Je suppose que vous êtes venus avec de nombreux sujets." Elle leva les yeux et acquiesça en direction de la citoyenne Iccauthli, qui venait de lui servir une tasse. "Merci Actée."
Les autres kah-tanais ne disaient encore rien. Ils formaient un ensemble disparate et curieux, qui permettait de facilement les identifier. Viktor Anastase Miloradovitch, dit Caucase, "l'avocat des communes", Commissariat au Consensus. Visage scarifié, regard intelligent, porte un col Mao noir, se tient droit. Réputation de modéré isolationniste. Arko Acheampong "le chiffre" Commissariat au commerce extérieur, Commissariat du maximum. Architecte d'une part importante de la recomposition économique de l'Union après la crise de 2011, soupçonné de sympathie pour les libéraux. Aquilon Mayhuasca "le radical" Coordination à la théorie politique, rapporteur de la Volonté Publique auprès du Parlement, air d'intellectuel nerveux. Air dur. A manœuvré pour doter le Grand Kah d'une armée lorsque le pays était à son plus pacifique, sans doute très heureux des évènements au Commounaterra. Kisa Ixchet "madame des pavés" Commissariat aux affaires éducatives, Commissariat à la Santé. Quasiment inconnue sur la scène internationale, longue carrière dans l'humanitaire, révolutionnaire convaincue, mais empathique selon ce qu'on en savait. Styx Notario "la cryptique" Représentante de la Volonté Publique auprès de la Magistrature, Commissariat suppléant à la Sureté. Femme bizarre, au sourire vide et au regard scrutateur. Silencieuse, à la tête des services secrets de l'Union, ça au moins on le savait. Rai Itzel Sukaretto "la princesse rouge" : Commissariat aux affaires culturelles. Punk, ou gothique, ou les deux. Égérie d'une partie de la jeunesse mondiale, fille du dernier empereur kah-tanais, dictateur éliminé dans les années 90. Difficile à jauger, très présente sur la scène internationale.
Pour le moment, ils laissaient Meredith faire. Mais ils étaient là, ils observaient.