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  • Présentation de la plateforme "Voie Nôtre"

  • "Voie Nôtre" est une plateforme dédiée à la préservation, la diffusion et la revitalisation des cultures de l'aire cathayenne. Sa mission est de regrouper, transmettre et diffuser des articles de presse et des contenus enrichissants sur la cathayennité et sur le monde cathayen d'hier, d'aujourd'hui et de demain.

  • Nos Objectifs

  • - Préserver et Documenter : Conserver les traditions et l'histoire de la cathayennité à travers des articles de fond, des archives et des témoignages.
    - Informer et Éduquer : Diffuser des informations pertinentes et actuelles sur les événements, les développements culturels et les initiatives qui façonnent la cathayennité ou les cultures de l'aire cathayenne d'aujourd'hui.
    - Inspirer et Innover : Encourager l'innovation culturelle, intellectuelle, artistique ou scientifique en mettant en lumière des projets créatifs et des individus qui réinventent et redéfinissent la cathayennité.
    - Connecter et Partager : Faciliter les échanges entre les différentes communautés constituant le monde cathayen à travers le monde, en offrant une plateforme où chacun peut partager ses expériences et ses idées.

  • Ce que vous trouverez

  • - Articles de Presse : Des articles bien documentés sur divers aspects de l'histoire, de la culture, de la géopolitique, allant de l'histoire ancienne à l'actualité culturelle contemporaine.
    - Entrevues et Témoignages : Des entretiens avec des personnalités influentes, des artistes, des historiens, des scientifiques et des membres de la communauté qui partagent leurs visions et leurs expériences.
    - Dossiers Thématiques : Des explorations approfondies de thèmes spécifiques, offrant des perspectives variées et des analyses critiques.
    - Événements et Actualités : Une couverture des événements culturels, des festivals, des expositions et des initiatives communautaires qui célèbrent la cathayennité ou les cultures du monde cathayen.
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    Urbanisation : construire la Maronhi de demain

    20 mai 2013



    Suivant le plan de post-métropolisation commandé par dame Kouyouri, la Commission d'enquête d'aménagement du territoire, les pouvoirs publics locaux ainsi que les associations d'architecture et d'urbanisation lancent un vaste projet d'aménagement du territoire et de développement urbain, ayant une vision maximale de son rôle, aussi bien sur responsabilités vis à vis des écosystèmes que sur les rapports sociaux, la culture et l'identité.


    Au cœur du grand bois, un important remaniement urbanistique et géodémographique est en marche, censé recentrer notre rapport à l'innovation, notre rapport à la production, mais aussi, plus simplement, notre rapport aux autres. Le projet des Quartiers Zen, porté nationalement par la Commission d'enquête d'aménagement du territoire et localement par diverses associations d'architecture ou d'urbanisation, vise à créer des espaces urbanisés durables alliant principes moraux propres aux cultures maronhiennes et nécessités d'espaces urbanisés attractifs et modernes. Ce projet entre dans dans un plan plus grand de démétropolisation du territoire. En effet, la métropolisation est un modèle singulier d’urbanisation, celui de la ville-monde, avec un rythme de croissance des villes, quasi exponentiel depuis quatre à cinq décennies. Ceci est le fait d'une ère dans laquelle les activités urbaines se dématérialisent, la rente immobilière s'accroît et les économies urbaines évoluent par tertiarisation et tri des populations. Ce fait géographique global est aussi total, car les citadins sont encouragés à modifier leurs modes de vie, et ce par nombre de projets urbains similaires, avec toujours plus de mouvements et de fluidité, de connexion et d’agilité, de divertissement et de festivités. Sur le plan politique maintenant, ces agglomérations se dotent de nouveaux pouvoirs avec, dans de nombreux pays, des réformes dites “territoriales” qui entérinent ce processus de croissance urbaine par de nouveaux échelons institutionnels et éloignent toujours plus les habitants de leur capacité de peser sur les politiques d'une localité. Enfin, il apparait que l'artificialisation requise pour massifier les peuplements, l’exploitation totale des ressources pour tenir à ce point toutes et tous agglomérés, et donc faire fructifier la richesse métropolitaine, dévastent tous les milieux et les écosystèmes, mais aussi, aggravent les risques sur la santé des urbains. Ainsi, ce vaste projet à visée quasi post-urbaine cherche à prendre la tête du cortège de l'innovation, pour que la modernité en Maronhi ne soit plus subie, mais entièrement sienne.

    Le premier site qui devrait voire l'arrivée ce ce projet n'est autre que l'aile du levant de la commune de Mawikiko, en amont des marais de Kouhou, choisi pour sa topographie plate et son faible impact sur les forêts environnantes, se veut un modèle de durabilité. Cette ville innovante se déploiera sur près 324 miles carrés, intégrant harmonieusement l'environnement naturel et les besoins modernes. Avec ses 27 criques, Mawikiko doit composer avec des débits fluviaux variables, accentués par les importantes saisons humides. Ce premier plan urbain intègre ces variations naturelles, transformant les défis en opportunités. Après examen du fonctionnement de la dilatation et de la contraction des rivières locales, des choix ont été fait dans le plan d'aménagement pour faire place à cette eau, traiter cette force comme un organisme à part entière. Au-delà des partis pris purement techniques sur la responsabilité du milieu et la relative autonomie matérielle et politique de ce nouveau modèle, le plan pour Mawikiko a mis en valeur la nécessité de se réapproprier les intentions sociales et sociétales attachées aux architectures et plans d'urbanisme types des constructions contemporaines. Les Quartiers Zen chercheront ainsi à mettre en avant l'identité locale et nationale, tout comme les principes injectées dans l'architecture ylmasienne et créole maronhienne, n'hésitant pas à allier les anciennes et les nouvelles voies, mais aussi à recentrer les habitations et quartiers autour de la famille et de la communauté, dans une certaine visée personnaliste, et ce par la disposition des espaces, la mise en place de lieux de sociabilité et la centralisation des habitations autour des espaces communs. Une modernisation de la maison de bourg créole maronhienne avec cour centrale semble particulièrement privilégiée, capable d'accueillir trois à quatre générations d'une même famille, et donc rêvé pour le renouveau de l'idéal sédentaire, car, en effet, ce n'est plus la massification de l'interconnexion qui est recherchée pour pallier aux problèmes liés à l'enclavement du territoire, mais bien une nouvelle répartition de la population, des ressources et des activités pour une démocratisation des villes moyennes et de leur autonomie partielle. Ainsi, la ville de demain se doit de porter la famille d'hier, déjà bien plus préservée en Maronhi qu'ailleurs dans les parties du monde opérant une poursuite du progrès technique.

    Infrastructures types envisagées pour le projet des Quartiers Zen, visualisations 3d, 2013.
    Infrastructures types envisagées pour le projet des Quartiers Zen en Maronhi, visualisations 3d, 2013.

    Le projet des Quartiers Zen ne se contente pas de répondre aux exigences environnementales ; il cherche également à revitaliser l’économie locale. « Certaines parties de l'arrière et d'avant pays sont quelque peu déprimées sur le plan économique. Dame Kouyouri s'inquiète du fait que des jeunes quittent leur terre natale pour se concentrer dans les métropoles côtières du pays. L'enclavement étant tel, ceux qui chercheraient à changer de situation socioprofessionnelle en dehors de la voie côtière ne voient pas d’avenir en raison du manque d’opportunités d’éducation et d’emploi. Son Excellence veut les ramener », explique sieur Akasariko, rapporteur à la Commission d'enquête d’aménagement du territoire. Pour retenir cette jeunesse, la ville offrira des emplois dans la recherche, l’innovation et d'autres secteurs prometteurs, alignés avec les critères que sont le bien-être psychologique, la santé, l'utilisation du temps, l'éducation, le niveau de vie, la diversité écologique et la résilience, les offres culturelles, la bonne gouvernance, la vitalité de la communauté. Les Quartiers Zen se distingueront par leurs infrastructures innovantes. Les bâtiments seront construits avec des matériaux naturels d’origine locale, comme la pierre, le bois massif et le bambou guadua. Des modèles de ponts sur fleuves et rivières, véritables symboles de ces audacieuses initiatives, seront non seulement des structures de transport, mais aussi des lieux de rassemblement communautaire et de production énergétique. Certains plans d'aménagement verront sans doute l'ajout d'un barrage hydroélectrique, en remplacement ou en appoint des centrales à biomasse, pour fournir l’énergie nécessaire à l'autonomie du nouveau quartier ou de la nouvelle ville, tout en générant des revenus grâce à la vente d’électricité à d'autres territoires, tandis que dans le même temps, la côte semble se tourner vers les dernières générations de réacteurs nucléaires burujois ; une initiative qui posera la question d'une future implantation dans l'arrière-pays tant la solution hydroélectrique poserait des soucis sur les axes de communication et les milieux si elle se trouvait massifiée.

    La réalisation de cette vague des Quartiers Zen se fera par phases, sur une période de 20 à 30 ans, nécessitant des partenariats public-privé et des investissements soutenus. La première phase devrait être achevée dans les deux à cinq prochaines années pour les plans initiaux, posant les fondations de villes où la modernité respecte au mieux l'identité de ses habitants, ainsi que son milieu, et où le développement économique va de pair avec le bien-être de ceux-ci. En accord avec le principe de subsidiarité, le grand mandat mannal vise à chercher l'avenir de la Maronhi dans une opposition à la concentration, à la monopolisation, à la métropolisation, ce en encourageant des formes de ruralités inventives. C'est donc une urbanité sociale qui vise à être mise en terre, un modèle entre la ville et le village, un modèle favorable au maintien du famialialisme, de la verticalité éducatrice ainsi qu'à la démocratisation de la propriété et des initiatives de coopératives. Alors que la démarche de l'État pourrait sembler curieuse, proche d'une forme de simplicité volontaire tant la promesse de succès semble incertaine, la Gran Man, dame Awara Kouyouri a tenu à affirmer que la Maronhi pouvait se permettre et se devait d'en faire le pari. « Le désir est le problème principal, si vous savez vous satisfaire de désirs limités, alors le bonheur s’installe. Vous devez connaître la différence entre besoins et envies. L'étude des valeurs maronhiennes apprend le rejet des trois poisons : le désir, la colère et l'ignorance » a t-elle ajouté au sujet de la résilience qui incomberait sûrement à toutes les Maronhiennes et à tous les Maronhiens. En intégrant une position maximale de la place que doit prendre l'éthique et la moralité sur le développement urbain, notamment en injectant quelques principes bouddhistes à la nature du projet, les Quartiers Zen représenteront sans doute une vision audacieuse d'urbanisation durable, identitaire et contemporaine. Ce projet pionnier pourrait bien devenir un modèle pour de futures ambitions urbanistiques en milieu équatorial et au-delà.




    L'article ci-dessus, rédigé par Yangwa Lyuhian, journaliste indépendant, a été publié dans le journal Hintārando Toshi-ka.

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    Recherche : les raisons du rejet du scientisme

    14 juillet 2013



    Mondialement, la domination croissante du scientisme, où la méthode scientifique est appliquée de manière inappropriée à des domaines non scientifiques, vient à dévaloriser l'intuition et l'expérience humaine. Ainsi, l'obsession pour les chiffres et les statistiques conduit à une perte de la compréhension intuitive et qualitative des comportements humains. L'intuition et le ressenti sont essentiels pour appréhender pleinement la nature humaine et préserver la dignité et le sens de l'existence.


    Nous, êtres humains, nous sommes humains justement parce que nous ne tenons pas entre les uns et les zéros. Nous avons tellement laissé à la science le monopole de la vérité que nous ne nous considérons même plus capable de comprendre quoi que ce soit de manière légitime si cela n’a pas été "validé" par une étude. Nous n’avons aucunement besoin d’études pour comprendre intuitivement ce qui se dégage dans un regard, et qu’un regard effectivement, nous dit beaucoup de la personne que l'on observe. Nous ne pouvons prouver notre ressenti, mais le seul fait de le ressentir suffit à nous donner l’intime certitude que notre ressenti est conforme à une réalité. La science jouit d’un prestige qui est celui de l’exactitude, tandis que la nature humaine perd de plus en plus de crédit du fait qu’elle est faillible et sensible. L’intuition a le sens inouï de ne pas être chiffrable. La linguiste Ai Chikusa, chercheuse pour le laboratoire Wakiya, parle d’une tentation au scientisme qui se traduit par les chiffres. « Pour certains de nos collègues, sans chiffres, sans statistiques, il n’y a pas de connaissance scientifique. » Nous pouvons définir ledit scientisme comme la l’imitation de la méthode scientifique dans des domaines qui ne sont pas ceux de la science, comme la croyance que la science est la seule voie d’accès à la vérité, que la science serait en mesure de tout expliquer, et que ce qu’elle ne pourrait expliquer, n’existe tout simplement pas. Petit à petit, c’est l’intuition qui se perd, la capacité de sentir et de comprendre au-delà des chiffres et des statistiques. Cette fascination pour la science en vient à détruire le sens commun et nous, à rejeter toute croyance non-scientifique, ce qui équivaut à une négation de la valeur et de la dignité humaine. La vérité, c’est que notre expérience est à mis chemin entre les faits et les opinions. Le monde compris par la science n’est pas tout à fait celui dans lequel nous habitons. Si nous voulons comprendre les comportements humains et les institutions sociales, c’est notre rapport au monde et nos croyances qu’il faut interroger. La même vérité se retrouve généralement partout où nous avons à expliquer la conduite humaines envers les choses : elles ne doivent pas alors être définies d’après ce que nous pourrions découvrir à leur sujet par les méthodes objectives de la science, mais d’après ce que la personne qui agit pense à leur sujet. Autrement dit, ce qui doit compter en sciences humaines, ce n’est pas tant la « vérité objective » des énoncés que nous tenons pour vrais, mais le fait que les gens les croient vrais et agissent en conséquence. Il y a quelque chose proche du sentiment de sécurité dans la rigueur scientifique, et il est vrai quand de nombreuses circonstances nous ne baserions pas notre confiance, particulièrement en matière de santé, à un énergumène faisant l’éloge de son intuition. Mais, pour tout ce qui touche à l’Homme dans ce qu’il a de plus immatériel, de plus réfractaire à la statistique et aux angles droits, l’intuition, la compréhension par sympathie, demeurent toujours ce que nous avons de mieux.

    Renouer avec l’intuition, c’est soigner la nature humaine, et conserver à la nature humaine un espace d’expression. Parce que en dépit du ridicule qu’il semble y avoir pour certains à parler d’âme ou d’esprit, chacun sent bien, dans sa manière de vivre le monde, de vivre la vie, qu’il n’est pas qu’un assemblage d’atomes et que quelque chose en lui résiste à la matière. Le réductionnisme matérialiste résume le monde à ce qui est visible, et donc, le langage, fait humain et spirituel par excellence, devait faire les frais du scientisme et de son encombrante maladresse. Ainsi, certains parlent du langage comme d’une pratique dont les ressorts se situent entièrement dans notre cerveau, et à un niveau si bêtement mécanique qu’il échappe à nôtre contrôle. De façon symptomatique, les adeptes de ces pratiques ne disent pas « nous », en faisant référence aux gens comme à des personnes, ils disent « notre cerveau », comme si nous nous y réduisions. Les études qui s’appuient sur ces visions et ces pratiques sortent le langage de son fonctionnement normal pour le placer dans les conditions artificielles de l’expérience scientifique. Alors, tout naturellement, moyennant phrases incongrues et protocoles orientés, nous faisons des découvertes étonnantes. Mais, la nature soit louée, nous ne parlons aucunement comme dans les laboratoires de ces expériences. Nous sommes des êtres vivants, avec un corps, des yeux, une conscience, nous parlons toujours dans un contexte, que nous vivons, que nous ressentons, et à partir duquel nous interprétons les phrases, un contexte qui lève, dans la plupart des cas, toute ambiguïté quant à la manière dont il faut interpréter. Nous pouvons comprendre ce genre de cas à partir de la distinction faite entre intelligence et intuition. L’intelligence, qui est solidaire de la méthode scientifique, doit figer ses objets, conjurer la fluidité du vivant pour opérer ses divisions. Ce que l’intelligence fait, c’est toujours séparer et compartimenter. L’intuition, quant à elle, est justement la voie d’accès à ce qui est vivant et fluide. Le changement pur, la durée réelle, est chose spirituelle ou imprégnée de spiritualité. L’intuition est ce qui atteint l’esprit, la durée, le changement pur. Or, le langage, dans la réalité pratique de tous les jours, procède nécessairement de la durée, c’est-à-dire de la vie. Cela ne fait donc peu de sens de chercher à savoir ce qui pourrait se passer dans la tête des individus en dehors de cette réalité, puisque ce n’est qu’en elle que le langage fonctionne. Chaque phrase que nous entendons, que nous prononçons, que nous lisons, nous l’entendons, nous la prononçons et nous la lisons dans le flux continue de l’existence sensible. Ainsi, le vrai langage baigne dans des odeurs, des bruits, des désirs, des préoccupations, des intentions, des regards, des tons, soit tout ce qui est absent des conditions où nous prétendons cibler ses failles.

    "Blancheur sur les vagues et les vents folâtres", photographie, 2013. / "Le contact et l'intuition", estampe encre et couleur sur papier, 1876.
    (Gauche) "Blancheur sur les vagues et les vents folâtres", photographie, 2013.
    (Droite) "Le contact et l'intuition", estampe encre et couleur sur papier, 1876.

    Le cas du langage est particulièrement révélateur du complexe des sciences humaines vis-à-vis des sciences dures, qui les poussent à en imiter les méthodes et à troquer la compréhension pour un savoir dégradé. Le scientisme est hostile à la compréhension parce qu’il évacue par principe le cadre de toute compréhension. Nous comprenons, au sens propre, à partir de notre articulation charnelle et affective au monde. Dans toute situation, nous sommes toujours, d’abord, saisis par une impression d’ensemble ; et le caractère affectif de ce que nous percevons n’est pas une conséquence de la perception mais sa condition de possibilité. Nous percevons d’emblée quelque chose qui vibre comme agréable ou triste, paisible ou inquiétant. Et ce n’est qu’ensuite, grâce à son atténuation progressive, que nous pouvons détacher de cette impression affective originelle, des qualités sensibles, des informations objectives. Le fond affectif fonde le champ de l’objectivité. Toute découverte s’effectue à partir de l’affectivité. Voilà pourquoi le scientisme ne peut qu’échouer à rendre compte de l’expérience humaine, parce qu’il est dans la nature de son fonctionnement d’en négliger l’essentiel. L’expérience humaine est fondamentalement qualitative ; or le scientisme se distingue par le fait de tout réduire à la quantité, et de considérer que tout ce qui ne s’y réduit pas, d’une certaine manière, n’existe pas. Il y a dans certains aspects de la modernité, encore plus en Occident, une hostilité au mystère, une phobie de l’incertain que nous recherchons à éradiquer au prix même de notre raison d’être. Parce que, ce qui disparait avec l’intangible, c’est tout ce qui donne du sens à la vie. En perdant de vue l’aspect qualitatif des choses, nous perdons de vue le fond moral de l’existence. Le fait que nos manières de vivre le monde, de vivre les autres, n’ont rien à voir avec la géométrie ou la physique des particules. Ce qui nous guide d’abord, c’est le sens commun, le sentiment intuitif de certaines valeurs, l’évidence continue que nous n’habitons pas le monde de la même manière que les objets. Le dernier effet du scientisme, et le plus pervers, c’est de miner la distinction fondamentale entre personne et objet. La science, en se détournant des évidences, aboutit à une sorte de passion du souterrain. Ils oublient que nous ne réagissons pas en fonction de ce qui se trament dans nos cerveaux, mais en fonction de que nous ressentons, vivons, percevons. Ils mettent alors sur pied des expériences pour mettre au jour le biais caché qui met à mal nos convictions. Cela s’explique très bien car la science est par essence tournée vers la découverte, elle est par essence dans un rapport d’opposition au sens commun. C’est très bien comme cela s’agissant de la science au sens propre ; nous ne faisons pas de la science pour découvrir ce que nous savons. Mais donc, lorsque nous jouons au scientifique, nécessairement, nous jouons à découvrir. Une étude sur un domaine neutre n’est quasi exclusivement portée par le vœu d’en découvrir le vice caché.

    Donc, la science humaine, qui veut fonctionner comme la science dure, finit par remplacer son mandat de transmission par un mandat de découverte, et plutôt que d’œuvrer au partage d'un ensemble de connaissances, elle travaille le cœur léger à son saccage méthodique. Si la science nous a permis de sortir d’un état sauvage, elle risque de nous y reconduire en étouffant l’esprit auquel elle avait d’abord donné de l’air. Le scientisme confine à une perte totale de sens, et voir la vie selon ses lois, c’est faire une croix sur l’enthousiasme. À partir du moment où nous pensons l’amour en termes d’ocytocines et de circuit de la récompense pour prendre un autre exemple, d’une certaine manière ça ne vaut plus la peine de se lever le matin. Pour tirer sainement profit de la curiosité qui nous pousse à examiner des rats, il faut ne pas être un rat soi-même. À force de mesurer ce qu’il se passe dans les têtes, nous perdons de vue de qui pourrit dans les cœurs. La science est incapable de répondre aux questions qui comptent le plus et les acteurs des sciences humaines qui s’en inspirent se tuent à être exact dans l’inessentiel. Comment ne pas ruiner tout sens des valeurs, quelles soient morales ou esthétiques, à partir où nous disons croire au Mal ou au Beau dans la seule mesure où nous pourrions en découvrir l’existence au microscope ? Le règne de la quantité, c’est nécessairement celui du relativisme, de l’équivalence générale. L’obsession des moyens, et l’oublie total des fins, sans lesquelles la technique n’a aucun sens, c’est l’essence du relativisme scientifique et le terreau d’un monde sans vérité. La valeur est ressenti, elle est fonction de l’intuition, elles est inscrite dans le fond affectif de l’existence, et donc, écarter le ressenti, c’est supprimer la valeur. L’intuition est à la raison ce que la conscience est à la vertu : le guide voilé, l’éclaireur souterrain, l’avertisseur inconnu, mais renseigné, la vigie sur la cime sombre. Là où le raisonnement s’arrête, l’intuition continue. Est voué à systématiquement échouer celui qui n’en tient pas compte, et qui n’emploie pas à sa philosophie et à la sagesse ce regard fixe de l’aigle intérieur sur le soleil moral. Il y a quelque chose d’éternel dans ce qui est juste, beau et bon, et c’est tout ce que le scientisme ne peut pas voir, par l’essence de son élan qui est celui de la nouveauté et de la découverte : découvrir à tout prix, au prix même de ce qui rend la vie digne d’être vécue.




    L'article ci-dessus, rédigé par Takefusa Hagiwara, directeur du pôle humanités à l'université d'Habata de Fujiao, a été publié dans le journal Habata Kyanpasu.

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    Compte-rendu d’ouvrage

    Un monde en partage : Récits d'une rencontre Orient-Occident dans le Sud-Est nazumi (XVIe-XVIIe siècle)


    Introduction

    Publié en 2011, Un monde en partage : Récits d'une rencontre Orient-Occident dans Le Scintillant (XVIe-XVIIe siècle) est un ouvrage fondamental de Mibu Tadauji, directeur de recherche au Centre de recherches historiques à Siwa lors de la publication dudit ouvrage, spécialiste du Sud-Est nazumi et du Scintillant, ainsi que des processus de colonisation. Cet ouvrage a marqué un tournant dans les études historiques maronhiennes sur les interactions entre Nazumis et Eurysiens, en se concentrant sur des « récits croisés ». Il a été récompensé par le prestigieux Prix Nissho en 2012, consacrant ainsi sa contribution méthodologique et épistémologique aux sciences historiques. Ses travaux postérieurs poursuivent cette réflexion méthodologique en explorant les perspectives croisées et les récits des acteurs, dans la continuité de son engagement pour une lecture connectée des événements historiques globaux.

    Le courant historiographique dans lequel Mibu Tadauji inscrit son ouvrage explore les interactions, les circulations, et les connexions entre espaces géographiques et cultures. Inspirée par des travaux pionniers de Chikanari Oganiwa, il conteste les approches cloisonnées des rencontres. Dans cette perspective, Tadauji réévalue les récits de ces rencontres en adoptant une posture d'« égalisation des voix ». Il met l’accent sur l’analyse des sources nazumies (burujoises, jashuriennes, wanmiriennes notamment), souvent négligées dans les récits occidentaux, et propose une approche multipolaire. Organisée en une série d’études de cas, son travail s’efforce alors d’explorer des interactions emblématiques en mettant en lumière les adaptations mutuelles, les négociations commerciales et les malentendus culturels

    Un monde plus vaste

    Tadauji examine le contexte politique des iles et de la cote la corne Sud-Est nazumie, carrefour commercial majeur, ce au moment de l’arrivée des Eurysiens. L’une des dynamiques centrales de la région est le conflit entre les pangeran (aristocrates) et les ponggawa (marchands et administrateurs locaux). Ce conflit reflète les tensions internes d’un pouvoir où les élites aristocratiques cherchent à contrôler les ressources économiques et les routes commerciales, tandis que les marchands aspirent à une plus grande autonomie, ce en plus d‘une divergence de valeur sur les rapports à l’argent, aux mœurs ou aux traditions locales avec une zone de contact entre bouddhisme et islam notamment. Ces rivalités ont fragilisé les structures locales, rendant l’intervention étrangère plus probable, que ce soit sous la forme de diplomatie commerciale, comme l’ont pratiqué les Listoniens dans la seconde moitié du XVIe siècle, ou d’interventions plus agressives, comme celles d'autres puissances eurysiennes au XVIIe siècle. Ceux-ci observaient avec étonnement les formes de gouvernance. Les élites dirigeantes pour beaucoup, dans ce contexte, se méfiaient des influences mystiques, craintes pour leur potentiel de division sociale. La tension entre mystique et politique était une constante, les dirigeants cherchant à limiter l’importance des courants ascétiques et les tentations personnelles de connaissance du divin pour préserver l’unité sociale et le pouvoir politique. Tadauji met ici en lumière des thématiques communes aux textes eurysiens et nazumis, telles que le tyrannicide, l'inspiration mystique ou le rôle de l'astrologie en politique. Cette comparaison révèle la proximité inattendue des modèles politiques des deux mondes, avant le « tournant anti-mystique » de l'Eurysie au XVIIe siècle, montrant que l’exotisme réside parfois davantage dans notre propre passé qu'ailleurs. La méthode d’histoire symétrique démontre ainsi sa pertinence.

    L’arrivée de nouvelles puissances eurysiennes dans la région à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, si marquante dans leurs récits d'aventure, n’a pas la même résonance dans les sources locales. Tadauji souligne que, pour les Nazumis du Sud-Est, habitués à un environnement d’échanges intensifs et anciens, l’apparition de nouveaux acteurs et concurrents est perçue comme un événement parmi d’autres. Contrairement à ce que suggèrent les récits eurysiens, qui traitent cette arrivée comme une rupture historique majeure, les archives wanmiriennes ou jashuriennes n’en font pas un sujet central. La région, déjà en contact avec des marchands burujois, ushongs, banairais et listonniens, intégrait l’arrivée de nouveaux acteurs sans les sacraliser. Les acteurs de ce monde se reconnaissaient d’ailleurs, non par des identités religieuses, mais principalement par leur allégeance personnelle à un protecteur, leur appartenance à des corps constitués comme des confréries, guildes ou milices, ou encore leur affiliation à une cité spécifique. Tadauji démontre ainsi que l’étude minutieuse d’événements locaux peut s’articuler efficacement avec une compréhension des flux globaux.

    Il éclaire également la compétition féroce entre les diverses puissances eurysiennes sur le plan technologique et scientifique, notamment en matière de cartographie et d’instruments de navigation. Les Listonniens, grâce à leurs décennies d’expansion maritime, avaient accumulé un savoir considérable, qu’ils considéraient comme un secret d’État. Les cartes listoniennes de cette partie du monde étaient précises et détaillées, permettant aux navigateurs de s’orienter dans cet archipel complexe. Mais les puissances nouvellement entrées sur la scène maritime mondiale entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècles, cherchaient à rattraper leur retard. Nombre d'expéditions marquent une étape clef de cette course au savoir. Bien qu’elle ait été une catastrophe sur le plan humain et économique — pertes humaines massives dues au scorbut et conflits avec les locaux — elle a permis à quelques une de ces puissances de collecter des informations essentielles sur les routes commerciales et les ports nazumis. Tadauji montre comment cette expédition a non seulement permis aux pays eurysiens de mieux comprendre les réalités nazumies, mais a également renforcé leur ambition maritime. En effet, plusieurs de ces acteurs eurysiens ont utilisé cet échec apparent pour mobiliser armateurs, marchands et autorités publiques autour de l’idée d’un empire commercial, transformant une débâcle en triomphe symbolique. Tadauji montre que cet échec apparent a été réinterprété comme une victoire politique et symbolique.

    Imaginaires et perceptions

    Un autre aspect crucial exploré par Tadauji est la manière dont les habitants du Sud-Est nazumi, et plus largement du Scintillant, ont perçu et jugé les Eurysiens. Ces derniers étaient souvent réduits à des stéréotypes basés sur les comportements de certains d’entre eux. Par exemple, les marins, souvent indisciplinés et motivés par des gains rapides, se sont rendus coupables d’actes de brigandage, notamment en attaquant des navires marchands jashuriens ou burujois. Ces actions, bien que commises par des individus ou de petits groupes, ont contribué à forger une image négative des Eurysiens, perçus comme brutaux, cupides et indignes de confiance. Tadauji souligne que cette essentialisation n’est pas un phénomène unilatéral : de même que les Eurysiens projetaient des stéréotypes sur les populations nazumies, ces dernières interprétaient les actions eurysiennes à travers leurs propres cadres culturels. Ce processus montre comment les interactions interculturelles étaient façonnées par des perceptions mutuelles.

    Les Eurysienss abordent souvent les sociétés sud-est nazumies au prisme de récits de voyage marquants. Ces récits, remplis de descriptions exotiques et parfois fantastiques de l’Orient, contribuent à modeler une vision des locaux comme des adversaires redoutables et stratèges redoutés. Cette perception est en partie nourrie par l’inconnu. La plupart de ces récits, par exemple, soulignent la richesse et la sophistication des cours nazumies, mais exagèrent souvent leurs pouvoirs et leurs ambitions. Les objets et les animaux venus rapportés de ces contrées jouent aussi un rôle crucial dans la construction de l’image eurysienne de la région. Des produits comme les épices, textiles, objets en laque, et porcelaines, mais aussi des animaux exotiques tels que les perroquets ou les singes.

    Pour rendre compte de ce qu’ils observent, certains acteurs eurysiens recourent à des analogies familières. Par exemple, le Cantais Gijsbert Sap, en décrivant dans ses récits de voyage ce qui constitue aujourd'hui la partie listonienne de ce Sud-Est nazumi, établit une comparaison erronée avec Roune. Il dépeint la vie politique comme une forme de municipalité démocratique idéale, un lieu où règnent ordre et prospérité sous une organisation politique « comparable » à celle d’une grande ville eurysienne. Ce prisme d’analyse projette sur les réalités Sud-Est nazumies des conceptions eurysiennes, négligeant les particularités locales telles que le rôle des élites marchandes (les ponggawa) ou les luttes de pouvoir avec l’aristocratie (les pangeran). Loin d’être une démocratie municipale à l’eurysienne, l'archipel qu'il dépeint au cours de son voyage est une mosaïque complexe d’intérêts concurrents. Dans l’autre sens, quelques philosophes eurysiens illustrent l’erreur opposée en décrivant les quelques sultanats installés plus à l'ouest comme des théocraties despotiques dépourvues de droits ou d’organisations sophistiquées. Cette vision ignore cependant les systèmes juridiques locaux, notamment les formes coutumières de droit comme l’adat, qui régissent les rapports sociaux et commerciaux.

    Un récit wanmirien étudié par Tadauji évoque une dimension spirituelle pour comprendre le rapport de ces Nazumis des iles et de la corne sud à la colonisation. Ce texte décrit un plan cosmologique mystique, dans lequel la puissance étrangère n’a pas de place durable. Cette vision s’inscrit dans une cosmologie où la défaite matérielle face à des forces coloniales n’annule pas la permanence d’un ordre spirituel supérieur. Ce récit reflète l’importance accordée au monde immatériel et à l’ascèse, valeurs spécifiques à l’aristocratie locale, notamment les pangeran. Ces élites privilégiaient une quête mystique, inscrite dans des pratiques d’autodiscipline et d’éloignement volontaire du pouvoir temporel, qui leur permettaient de transcender la domination étrangère.

    Les récits insulindiens ont intégré des personnages de conquérants antiques eurysiens, connus jusqu'en Extrême-Orient, des personnages centraux dans les échanges culturels islamiques et Sud-Est nazumis. Ces représentations, largement diffusées via des traductions et adaptations du Coran et de récits de conquérants, mêlent des éléments historiques à des motifs mythologiques. Un héros peut y être perçu comme un roi universel, unificateur des terres et protecteur des peuples contre les forces du chaos. Ces récits l’intègrent dans une cosmologie où il incarne un héros quasi-divin, mais aussi un acteur associé à des valeurs perçues comme « occidentales » : la conquête, la rationalité et la maîtrise des éléments. Dans le contexte qui est le notre, cette image a été utilisée pour comprendre et interpréter l’arrivée des Eurysiens. Ceux-ci, bien que perçus comme puissants et capables, n’étaient pas toujours assimilés à des figures extraordinaires. Au contraire, ils pouvaient aussi incarner des forces perturbatrices, des opposants aux ordres cosmologiques locaux.

    Certains acteurs eurysiens étaient associés à des figures monstrueuses ou chaotiques dans les récits populaires et artistiques. Ceux-ci étaient parfois représentés comme des raksasa (ogres) ou des démons, figures mythiques du théâtre d’ombres wayang kulit. Ces associations traduisaient des perceptions locales de la violence ou de la brutalité des étrangers, notamment à travers des récits de brigandage maritime ou de comportements brutaux des marins. Dans le théâtre d’ombres, les Eurysiens étaient figurés par des marionnettes grotesques, mettant en avant des traits physiques exagérés ou perçus comme déformés. Les nez proéminents, les vêtements incongrus ou les comportements irrévérencieux des marins étaient caricaturés, soulignant l’altérité de ces acteurs dans un univers cosmologique structuré.

    Penser la rencontre

    Dans les archipels de ce monde Sud-Est nazumi, les échanges commerciaux et diplomatiques s’appuient sur un cadre linguistique complexe. Tadauji met en lumière l’importance du jashurien comme langue d’échange majeure, utilisée largement par les communautés locales pour commercer entre les îles. Ce rôle linguistique facilite les interactions entre marchands wanmiriens, jashuriens, burujois, et autres acteurs régionaux, créant un socle de communication partagé. Cependant, les nouveaux arrivants eurysiens se trouvent souvent démunis face à cette réalité linguistique. Incapables de parler le jashurien, ils doivent parfois recourir à des membres d’équipage parlant le listonien, qui reste une langue comprise par certains marchands et aristocrates locaux en raison de l’ancienneté de la présence listonienne dans la région. La difficulté majeure des ces nouveaux Eurysiens est de parvenir à s’insérer dans des réseaux déjà établis sans une maîtrise adéquate des outils de communication locaux, ce qui contribue à leur sentiment d’étrangeté et de dépendance.

    Un autre obstacle pour les nouveaux venus est la complexité des systèmes d’étalonnage utilisés dans le commerce. Les Wanmiriens et Jashuriens emploient des mesures spécifiques, souvent différentes selon les types de produits échangés : poids pour les épices, dimensions pour les textiles, ou encore volumes pour les denrées alimentaires. Ces variations ajoutent à la confusion des Eurysiens, qui perçoivent souvent ces pratiques comme une tentative de tromperie de la part des marchands locaux, déjà accoutumés à ces systèmes. Tadauji met ici en avant le problème de la commensurabilité : comment des mondes aussi différents peuvent-ils établir des bases communes pour le commerce ? Cette difficulté pratique illustre un enjeu plus large des rencontres interculturelles, où des systèmes de valeurs et de normes divergents entrent en conflit.

    Contrairement à la navigation en haute mer, celle dans les eaux des archipels Sud-Est nazumis demande une connaissance fine des côtes, des courants et des passages étroits. Les Eurysiens découvrent rapidement que les cartes marines traditionnelles, utiles en pleine mer, sont insuffisantes dans ce contexte. Ceux-ci doivent alors adopter des pratiques locales, comme le kidnapping de pilotes locaux. Ces derniers, experts des zones géographiques spécifiques, sont forcés de guider les navires eurysiens jusqu’à une certaine destination. Une fois arrivés, un nouveau pilote local est kidnappé pour poursuivre le voyage. Cette dépendance montre à quel point la navigation en ce milieu exige une mémoire visuelle détaillée et une expérience intime du territoire. Pour pallier leurs lacunes, les explorateurs eurysiens commencent à produire des dessins de profils côtiers, des représentations visuelles des côtes servant de points de repère. Ces croquis deviennent des outils précieux pour naviguer dans des eaux où les cartes conventionnelles échouent.

    Parallèlement, les Eurysiens découvrent les avancées technologiques locales. Les cartes impressionnent par leur précision, démontrant une compréhension avancée des dynamiques maritimes régionales. Les Nazmis de la régions ne se limitent pas à la cartographie : leur expertise en construction navale se révèle également remarquable. Les navires jashuriens, souvent vastes et solidement bâtis, symbolisent non seulement une capacité technique, mais aussi une puissance politique et économique. Les puissances eurysiennes doivent constamment adapter leurs méthodes et techniques pour s’insérer dans ce monde déjà structuré et compétitif. Voulant donc rendre compte des conditions de la rencontre sans prendre un point de vue qui serait parti pris, Tadauji entend « naviguer » entre les deux mondes, faire un mouvement de va-et-vient de l’un à l’autre.

    Conclusion

    La portée de l’ouvrage est finalement considérable : Tadauji réévalue les récits de la première mondialisation en insistant sur la pluralité des points de vue et sur l’importance des dynamiques locales. Il privilégie une approche centrée sur l’exploration thématique et la mise en parallèle des perspectives plutôt qu’une comparaison structurelle rigide. Ce choix méthodologique s’avère efficace pour repenser les premières rencontres de la période moderne. En mobilisant une histoire des pratiques, Tadauji met l’accent sur les outils, les instruments et les perceptions des acteurs en interaction, permettant ainsi de restituer ces échanges dans toute leur complexité. Certaines limites peuvent être au bout du compte mises au jour. Si la reconstitution des récits locaux enrichit la compréhension des événements, l’inégalité des sources disponibles entre ces sociétés reste un défi méthodologique ; l’interprétation appuyée par une recherche anthropologique et ethnologique doit alors combler le vide. Par ailleurs, la focalisation sur des cas d’étude spécifiques peut laisser dans l’ombre d’autres dynamiques importantes, comme les interactions entre acteurs nazumis eux-mêmes. En somme, cet ouvrage marque une étape importante dans la manière d’appréhender les interactions entre sociétés, tout en ouvrant la voie à de nouvelles interrogations sur la complexité des échanges culturels et politiques dans un monde interconnecté.


    Par Horie Uesato, maitre de conférence en histoire moderne à l'Université de Fujiao.
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    Compte-rendu d’ouvrage

    Une histoire recomposée de la Maronhi pré-nazumie


    Introduction

    Dans cet ouvrage publié en 2015, Une histoire recomposée de la Maronhi pré-nazumie, les chercheurs Namba Masami et Liawang Yongaki s’unissent ici autour d’un travail commun pour défendre l’idée selon laquelle la prise en compte de la tradition orale dans l’écriture de l’histoire maronhienne serait un indispensable pour les chercheurs contemporains et futurs. Le premier, amba Masami, est archéologue et directeur de recherche au laboratoire « Archéologie maronhos », travaille depuis une quarantaine d’années dans la région des savanes noyées. Il s'inscrit principalement dans les courants de l'ethnoarchéologie, et de l'archéologie environnementale. Le second auteur, Liawang Yongaki, est quant à lui anthropologue associé au programme « Mythologie kuli'na et awanapi en Maronhi ». Il a participé à différents programmes eurysiens et nationaux sur des thématiques liées à la technologie culturelle pour enfin s’intéresser aux mythologies maronhos pour lesquelles deux ouvrages sont en préparation.

    Cet ouvrage a eu pour impact de participer à valoriser la place de cette tradition orale dans la construction du savoir historique des périodes coloniale et précoloniale pour les chercheurs spécialistes de la Maronhi. Si des tentatives ont déjà vu le jour, elles se sont toujours bornées assez strictement à l’histoire d’une ethnie en particulier. De plus, jusqu’ici, les chercheurs en histoire maronhienne rechignent encore à faire rencontrer sources écrites et sources orales. Finalement, il offre de nombreuses pistes pour user de cette démarche.

    De l’importance de la prise en compte de la tradition orale

    Les auteurs soulignent un désintérêt progressif des sources pour les Maronhos, particulièrement dès le tournant du XVIIe siècle. Ce phénomène serait lié à plusieurs facteurs : la baisse de l’intérêt des Nazumis pour l’exotisme des populations locales et, plus fondamentalement, à la chute démographique massive causée par les pandémies. Si je peux entendre cet argument pour ce qui est des sources des administrateurs coloniaux ou autres sources de laïcs qui sont de moins en moins en contact direct avec les populations autochtones, je pense que l’on ne peut faire abstraction des sources religieuses, en particulier des bonzes zen missionnaires, qui donnent aux Maronhos une place non négligeable. Quoi qu’il en soit, ces bouleversements ont transformé une société de contacts et de périphéries en une société coloniale structurée autour de la domination nazumie. Dès lors, les récits écrits sur les populations maronhos se raréfient, et ceux sur leurs histoires encore plus. Face à cette absence dans les archives burujoises, la tradition orale s’impose comme une source essentielle pour reconstituer l’histoire des peuples autochtones-maronhos. Si elle ne suit pas les méthodes de transmission classiques du savoir nazumi, elle est toutefois révélatrice, selon ma conception, même dans ses biais, de transformations, d’influences et de discours.

    Repenser l’aménagement du territoire ancien par les mythes

    Le long des côtes de la Maronhi, la découverte de champs surélevés initialement attribués à la culture makami (900-1300 après notre ère) illustre un aménagement ancien. Bien que les premiers Nazumis, comme les chroniqueurs burujois, n’aient pas directement mentionné ces structures dans leurs récits, l’existence de mottes apparaît néanmoins sur une carte de datant de 1665, sur la presqu'ile du Couchant. Cependant, cette carte ne précise pas si ces champs étaient encore en usage au XVIIe siècle. D’autres sources décrivent des pratiques agricoles similaires en Maronhi, tandis qu’au Grand Kah, les chroniqueurs nazumis et eurysiens notent encore au XVIIe siècle l’utilisation active de champs surélevés. Les auteurs avancent deux hypothèses liées à la baisse importante de l’utilisation de ces champs, l’une associée à la chute démographique des autochtones-maronhos au XVIe siècle, et l’autre associée à un changement climatique au XVe siècle. De plus, les recherches archéologiques, corroborées par des descriptions nazumies et des récits autochtones, ont aussi mis au jour des modèles de bêche en pierre ou en bois.

    Enfin, les traditions orales des villages maronhos de la région des Savanes de Maronhi éclairent une autre dimension de cet aménagement du territoire : la route nationale côtière, anciennement la route coloniale, pourrait suivre un ancien « Sentier de la Guerre », reliant les territoires des Kuli’nas et des Awanapis. Les roseaux dits « à flèches », observés en grand nombre le long de cet axe, témoignent semble-t-il d’un usage humain ancien, liés aux conflits entre ces peuples, renforçant l’idée d’une continuité entre paysages culturels et mythiques et de vastes réseaux routiers dans le grand bois.

    Repenser les conflits autochtones par les mythes

    Les sources burujoises, comme les rouleaux de bonzes ou les rapports de gouverneurs, décrivent des conflits brutaux et constants entre les ethnies maronhos. Pourtant, aucune guerre de grande envergure n’a été directement observée par les Nazumis. Cette absence de témoignage oculaire soulève des questions sur la nature de ces récits. En confrontant ces descriptions aux mythes maronhos, notamment ceux relatant la naissance des Kuli'nas et une période de guerres héréditaires et sanglantes ; les auteurs avancent que les Burujois auraient amalgamé des escarmouches contemporaines à des tensions ancestrales profondément ancrées dans les mythes et parfois ressenties par une méfiance latente. Ces grands affrontements auraient donc disparu peu avant l’occupation nazumie du plateau maronhien, probablement en raison d’une reconfiguration des modalités et des échelles de conflit liées aux épidémies. Cette hypothèse est corroborée par un décalage frappant entre l’équipement traditionnel des guerriers décrit dans les récits oraux kuli'na et awanapi et les observations nazumies, qui mentionnent rarement des équipements sophistiqués. Les traces archéologiques de ces équipements guerriers restent en effet rares en raison de l’utilisation majoritaire de matériaux végétaux périssables.

    Enfin, les auteurs s’interrogent sur la coexistence des deux ethnies mentionnées, suggérant que certains villages pouvaient servir d'avant-postes. Par exemple, des sources nazumies évoquent la présence d’un village awanapi en territoire kuli'na, et inversement un village kuli'na en territoire awanapi. Ces observations, bien que rares, pourraient indiquer une forme de codification des conflits, confirmant que les relations entre ces deux peuples étaient bien plus complexes qu’une simple opposition belligérante dans ce qu’elle pourrait avoir de plus « barbare ». Bien que l’hypothèse ne soit pas mentionnée, j’envisage aussi l’idée que ces villages avant-postes aient pu servir à une forme de diplomatie, des sortes de villages-ambassades affublés de rôle de représentation diplomatique entre ethnies.

    Conclusion

    ​Cet ouvrage marque une avancée significative dans l’historiographie maronhienne en réhabilitant la tradition orale comme source historique à part entière. En confrontant récits mythiques, données archéologiques et sources écrites, les auteurs démontrent la richesse et la pertinence des savoirs autochtones pour reconstituer les dynamiques sociales, territoriales et conflictuelles de la Maronhi pré-nazumie. Cette approche pluridisciplinaire invite à repenser les méthodes de recherche en histoire coloniale, en intégrant pleinement les voix et les perspectives des peuples autochtones. Une légère critique que nous pouvons apporter serait la tendance des auteurs à parfois dénoncer le mépris de certaines sources nazumies envers l’autre – ici les populations autochtones de Maronhi – fondé sur son contexte et son étrangeté culturelles tout en affichant parfois maladroitement leur propre mépris basé sur l’autre – les auteurs desdites sources – dans son contexte et son étrangeté historiques ; le « barbare » sur le plan temporel remplace le « barbare » sur le plan spatial.


    Par No Inouye, chargé de missions en archéologie pour la société Sokonashi.
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