Il faisait chaud, mais l’air n’était pas lourd et suffocant. On touchait à la fin de la mousson d’été, et les pluies avaient grandement diminué au fur et à mesure que l’air s’asséchait et que les vents s’inversaient. Bientôt, on entrerait dans la mousson d’hiver, la saison sèche comme l’appelaient les Eurysiens. En somme, il ne faisait ni trop chaud, ni trop froid, l’humidité ambiante était supportable : tout allait pour le mieux au niveau du climat. Silakheri s’en réjouissait. Oh, pas qu’il soit douillet et préfère le confort de la saison sèche, loin de là : c’était un soldat, et il avait vécu bien pire que quelques gouttelettes. Mais il savait que pour des étrangers, cela pouvait être pour le moins déconcertant, voire désagréable. Et, par conséquent, il se réjouissait que la rencontre se passe en octobre, car ainsi ses interlocuteurs ne seraient pas incommodés, et seraient plus à leur aise pour discuter. Ce qui permettrait – du moins il l’espérait – un contrat de vente rapidement.
C’est que l’on voulait s’en débarrasser de ces armes. Déjà parce que la grande majorité étaient obsolètes d’une part, pour éviter qu’elles ne tombent dans la clandestinité et ne servent à alimenter les réseaux de contrebande et les gangs mafieux d’autre part. Et enfin, parce qu’elles étaient un poids mort économiquement. Elles coûtaient bien trop cher à l’entretien pour ce qu’elles servaient. Bref, on voulait les dégager au plus vite.
Les dégager, oui, mais pas n’importe comment. Car si on refusait d’armer nos propres criminels, ce n’était pas pour soutenir ceux du voisin non plus. Il était intolérable pour Silak’ de permettre à des individus malhonnêtes de perpétrer leurs crimes simplement car on n’avait pas pris le temps de les questionner.
Alors c’était pour ça qu’il était là. Pour jouer un rôle qui n’était pas le sien : celui de l’homme politique. Oh, comme il le détestait ce rôle. Lui avait toujours été un soldat, un militaire et un stratège dans l’âme. Il trouvait un problème, et il le résolvait. En revanche, il ne fallait pas lui demander de se montrer particulièrement courtois ou habile en négociations : il disait de toute façon tout ce qu’il pensait, sans se soucier des conséquences. Jusqu’ici, ça lui avait valu quelques problèmes, mais relativement peu au regard de ce qu’on son honnêteté lui avait offert : la place de Chef des Armées de la République Démocratique du Wanmiri.
Bon. De toute façon, il n’aurait pas à être particulièrement subtil aujourd’hui : on avait prévenu les Assadiens qu’on ne leur vendrait ces armes que s’il étaient en mesure de garantir qu’elles ne serviraient pas de façon déplacée. Restait encore à définir ce qui était déplacé et ce qui ne l’était pas mais, justement, on était là pour ça. Donc on pouvait se permettre d’y aller franchement : comme on l’avait dit aux translaves, on ne vendait pas d’armes à des bouchers, d’où qu’ils viennent et quelles que soient leurs raisons.
Silak’ rêvassait, mais le temps passait. Soudain, l’avion assadien fut aperçu sur les radars de la tour de contrôle et, quelques minutes plus tard, on distinguait sa silhouette en visuel. Moins d’une dizaine de minutes plus tard, le Chef des Armées (devenu, donc, négociateur pour quelques heures) et la petite haie d’honneur qui avait été prévue s’approchaient de l’appareil, encadrant l’espace par lequel allaient sortir les représentants du régime afaréen. Dès que la porte s’ouvrit, les premières notes de l’hymne wanmirienne résonnèrent, jouées par la fanfare nationale. Qui avait eu l’idée d’une fanfare alors qu’on avait désespérément besoin d’argent, il n’en savait rien, mais il était bien obligé de s’y faire ; c’était pour le décorum.
Silak’ accueillit les représentants en se tenant au garde-à-vous (n’oublions pas qu’il s’agissait avant tout d’un combattant), mais leur épargna le salut militaire, se contentant du plus chaleureux salut traditionnel : index et majeur levés, les autres doigts repliés, partant du front en direction de la personne visée. Ceci signifiait peu ou prou « mes pensées vont à toi ». Voilà qui était bien ironique quand l’on pensait qu’il ne s’agissait au fond que de négoce et et de politique, surtout pour une vente d’armes, mais bon, ça faisait classe, et les gens appréciaient en général.
« Messieurs, je vous souhaite la bienvenue au Wanmiri. Votre voyage a-t-il été bon ? »