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Littérature d'Estalie

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Ici sera répertorié toutes sortes de résumés, d'extraits, de chapitres ou de présentations globales de l'histoire littéraire estalienne. La nation estalienne est depuis la fin du Moyen-Age un véritable foyer intellectuel par lesquelles de nombreuses idées philosophiques, culturelles et politiques ainsi que différents styles littéraires bien à part ont su émerger dans cette société alors très fermée et recentrée sur soi-même pendant la majorité de son histoire. Nous publierons donc ici les ouvrages principalement de nature politique, économique, philosophique, théologique ainsi que l'ensemble des ouvrages anciens et récents qui sont considérés comme des chefs d'œuvre incontournables de la littérature estalienne.
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La fin de la civilisation eurysienne (2011) :

"L'Oeil" / représentation alternative de la Tour de Babel, Musée National de Mistohir, peintre anonyme.


  • Auteur : Mikhail Hetosky.
  • Catégorie :Politique internationale, sociologie, économie.
  • Date de parution : 2011.

  • Biographie de l'auteur :

    Hetosky est un auteur estalien né en 1937 à Mistohir. Très tôt, il se passionne pour la géopolitique et devient un des plus brillants élèves de la prestigieuse université de Mistohir et à l'âge de 24 ans, il devient enseignant de géopolitique à l'université de Fransoviac, deuxième plus grande université du pays. Il restera enseignant de l'université jusqu'en 2010. Hetosky acquiert rapidement une solide réputation aux sommets de l'Etat, devenant adjoint principal du Ministère des Affaires Etrangères entre 1968 et 1991. Durant son passage au gouvernement, il écrira ou co-écrira près d'une centaine d'articles scientifiques sur des sujets comme la démocratie libérale, la politique militaire, le pouvoir économique dans les institutions politiques ou encore la politique industrielle. Hetosky achèvera son best-seller, La fin de la civilisation eurysienne en 2011, peu avant sa mort en Février 2012.

    Résumé :

    Hetosky formule dans son livre une thèse qui fut rapidement controversée parmi la sphère littéraire estalienne, le livre n'ayant pas eu la capacité de dépasser les frontières et s'était alors contenté d'un bon succès national, sans plus. Pour Hetosky, le plus grand défi auquel les sociétés ont été confrontées a toujours été de savoir comment mener commerce et crédit sans laisser les marchands et les banquiers s’enrichir en exploitant leurs clients et leurs débiteurs. Tout durant l’Antiquité reconnaissait que la volonté d’acquérir de l’argent créait une dépendance, une forme d’exploitation socialement nuisible. Les valeurs morales de la plupart des sociétés s’opposaient à l’égoïsme, surtout sous la forme de l’avarice et de l’addiction à la richesse, que les civilisations helléniques appelaient philarguria – amour de l’argent, manie de l’argent. Les personnes et les familles qui se livraient à une consommation ostentatoire avaient tendance à être ostracisées, car il était reconnu que la richesse était souvent obtenue aux dépens des autres, en particulier des faibles. De même, le concept hellène d’hubris implique un comportement égoïste qui cause du tort aux autres. L’avarice et la cupidité devaient être punies par la déesse de la justice Némésis, qui avait de nombreux équivalents en Afarée, des dieux protégeant le faible contre le puissant, le débiteur contre le créancier. C’est cette protection que les souverains devaient assurer en servant les dieux. C’est pourquoi les souverains étaient dotés d’un pouvoir suffisant pour éviter que la population ne soit réduite à la dépendance à l’égard de la dette et du clientélisme. Les chefs, les rois et les temples étaient chargés d’allouer des crédits et des terres cultivables aux petits exploitants en échange de servir dans l’armée et de fournir une main-d’œuvre corvéable. Les souverains qui se comportaient de manière égoïste étaient susceptibles d’être destitués, ou leurs sujets pouvaient s’enfuir, ou soutenir des chefs rebelles ou des attaquants étrangers promettant d’annuler les dettes et de redistribuer les terres plus équitablement.

    Hetosky prend en exemple les sociétés afaréennes en exemple : la fonction la plus fondamentale de la royauté afaréenne traditionnelle était de proclamer « l’ordre économique », les annulations de dettes, qui trouvent un écho dans l’année jubilaire du judaïsme. Il n’y avait pas de « démocratie » au sens où les citoyens élisaient leurs dirigeants et administrateurs, mais la « royauté divine » était tenue d’atteindre l’objectif économique implicite de la démocratie, celui de protéger les faibles contre les puissants. Le pouvoir royal était soutenu par des temples et des systèmes éthiques ou religieux. Les grandes religions apparues au milieu du premier millénaire avant le christianisme considéraient que les motivations personnelles devaient être subordonnées à la promotion du bien-être général et de l’aide mutuelle. Ce qui ne semblait pas envisageable il y a 2500 ans, c’est qu’une aristocratie de chefs de guerre allait conquérir le monde eurysien. En créant ce qui est devenu l’Empire Rémien, une oligarchie a pris le contrôle des terres et, en temps voulu, du système politique. Elle a aboli l’autorité royale ou civique, transféré la charge fiscale sur les classes inférieures et endetté la population et l’industrie. Ces mesures ont été prises dans un but purement opportuniste. Il n’y a eu aucune tentative de défense idéologique. Il n’y a eu aucun économiste libéral archaïque émergeant pour populariser un nouvel ordre moral radical célébrant l’avarice en affirmant que la cupidité est ce qui fait avancer les économies, convainquant la société de laisser la distribution de la terre et de l’argent au « marché » contrôlé par des sociétés privées et des prêteurs sur gages au lieu d’une réglementation communautaire établie par les dirigeants de palais et de temples ou, par extension, le socialisme d’aujourd’hui. Les palais, les temples et les gouvernements civiques étaient les créanciers. Ils n’étaient pas obligés d’emprunter pour fonctionner, et n’étaient donc pas soumis aux exigences politiques d’une classe de créanciers privés. Mais endetter la population, l’industrie et même les gouvernements auprès d’une élite oligarchique est précisément ce qui s’est produit en Eurysie, qui tente maintenant d’imposer la variante moderne de ce régime économique basé sur l’endettement – le capitalisme financier néolibéral – au monde entier.

    Selon la morale traditionnelle des sociétés primitives, l’Eurysie était barbare. L’Eurysie était en effet à la périphérie du monde antique lorsque les commerçants cémétiens et helléniques ont apporté de l'Afarée l’idée de la dette portant intérêt à des sociétés qui n’avaient pas de tradition royale d’annulation périodique des dettes. L’absence d’un pouvoir palatial fort et d’une administration du temple a permis l’émergence d’oligarchies de créanciers dans tout le monde méditerranéen. C’est le système juridique avaricieux de l'Empire Rémien, favorable aux créanciers, qui a façonné la civilisation eurysienne ultérieure. Aujourd’hui, un système financiarisé de contrôle oligarchique dont les racines remontent à l'Empire Rémien est soutenu et même imposé par la diplomatie, la force militaire et les sanctions économiques des pays les plus développés aux Etats les plus faibles.

    Afin de développer sa thèse, Hetosky remonte les origines de la civilisation eurysienne elle-même afin d'en déterminer ce qui a permis de se s’e développer d’une manière ou d'une autre les germes fatals de sa propre polarisation économique, de son déclin et de sa chute. Pour Hetosky, certaines familles ont créé des autocraties mafieuses en monopolisant la terre et en y liant la main-d’œuvre par diverses formes de clientélisme coercitif et de dette. Le problème le plus important était celui de la dette portant intérêt que les commerçants d'Afarée avaient apportée dans les pays sud-eurysiens – sans le contrôle correspondant des annulations de dettes royales. C’est de cette situation que sont nés les « tyrans » réformateurs helléniques aux VIIe et VIe siècles avant JC. Certaines dynasties helléniques auraient annulé les dettes qui maintenaient les clients en servitude sur les terres, redistribué ces terres aux citoyens et entrepris des dépenses d’infrastructure publique pour développer le commerce, ouvrant ainsi la voie au développement civique et aux rudiments de la démocratie. D'autres adoptèrent des réformes austères dites « lycurganes » contre la consommation ostentatoire et le luxe.

    Dans l'Empire Rémien, il n’y avait pas de chef religieux pour contrecarrer leur pouvoir, car les principales familles aristocratiques contrôlaient le sacerdoce. Il n’y avait pas de dirigeants qui combinaient une réforme économique nationale avec une école religieuse, et il n’y avait pas de tradition eurysienne d’annulation des dettes comme celle que le christianisme préconiserait en essayant de rétablir l’année jubilaire dans la pratique judaïque. Il y avait de nombreux philosophes stoïciens exprimant une religion de la moralité personnelle pour éviter l’orgueil démesuré. Les aristocrates rémiens ont créé une constitution et un Sénat antidémocratiques, ainsi que des lois qui rendaient irréversible la servitude pour dettes et la perte de terres qui en résultait. Bien que l’éthique consistait à éviter de s’engager dans le commerce et le prêt d’argent, cette éthique n’a pas empêché l’émergence d’une oligarchie qui s’est emparée des terres et a réduit une grande partie de la population en servitude. Au IIe siècle avant JC, l'Empire Rémien avait conquis de nombreuses terres de l'Occident à l'Orient, et les plus grandes entreprises étaient les collecteurs d’impôts républicains, qui pillaient les provinces de l'Empire.

    Il y a toujours eu des moyens pour les riches d’agir de manière moralisatrice en harmonie avec l’éthique altruiste, en évitant la cupidité commerciale tout en s’enrichissant. Les riches de l’Antiquité eurysienne ont pu s’accommoder de cette éthique en évitant de prêter et de commercer eux-mêmes, en confiant ce « sale boulot » à leurs esclaves ou à leurs hommes de main, et en consacrant les revenus de ces activités à une philanthropie ostentatoire. Et lorsque le christianisme est devenu la religion de l'Empire, l’argent a même pu acheter l’absolution en faisant des dons généreux à l’Église.

    Une fois cette démonstration remontant à l'Antiquité faite, Hestosky s'en prend par la suite à l'héritage direct de l'Empire Rémien et le rôle du christianisme. Pour lui, ce qui distingue les économies eurysiennes des anciennes sociétés afaréenne et de la plupart des sociétés nazuméennes, c’est l’absence d’allègement de la dette pour rétablir l’équilibre de l’économie. Chaque nation eurysienne a hérité de l'Empire Rémien les principes de l’inviolabilité de la dette, qui donnent la priorité aux demandes des créanciers et légitiment le transfert permanent aux créanciers des biens des débiteurs défaillants. Les oligarchies eurysiennes se sont appropriées les revenus et les terres des débiteurs, tout en transférant leurs impôts sur la main-d’œuvre et l’industrie. Cela a provoqué l’austérité à l’intérieure et a conduit les oligarchies à rechercher la prospérité par la conquête étrangère, pour obtenir des étrangers ce qui n’est pas produit par les économies nationales endettées et soumises à des principes juridiques pro-créanciers transférant les terres et autres biens à une classe de rentiers. L’oligarchie et la dette sont les caractéristiques essentielles des économies eurysiennes. L'abondance monétaire a permis à l’élite managériale de la Haute Finance d’augmenter les revenus des rentiers eurysiens par la financiarisation et la privatisation, augmentant ainsi le coût de la vie et des affaires. L’augmentation de la dette détruit les économies lorsqu’elle n’est pas utilisée pour financer de nouveaux investissements dans les moyens de production. La plupart des crédits eurysiens actuels sont créés pour gonfler le prix des actions, des obligations et de l’immobilier, et non pour restaurer la capacité industrielle.

    Hestosky accentue davantage son propos par la suite en pointant l’incapacité des démocraties oligarchiques à protéger l’ensemble de la population endettée car ce qui a rendu les économies eurysiennes oligarchiques, c’est leur incapacité à protéger les citoyens contre la dépendance à l’égard d’une classe de créanciers propriétaires. Ces économies ont conservé les lois rémienes sur la dette, profitant aux créanciers, notamment la priorité des créances sur les biens des débiteurs. Le Un pour cent des créanciers est devenu une oligarchie politiquement puissante malgré les réformes politiques démocratiques nominales élargissant les droits de vote. Les agences gouvernementales de régulation ont été annexées et le pouvoir d’imposition a été amoindri, laissant le contrôle et la planification économique entre les mains d’une élite de rentiers. Pourtant, l'Empire Rémien n’a jamais été une démocratie. Et de toute façon, de nombreux penseurs, Hestosky en première ligne, reconnaissait que les démocraties évoluaient plus ou moins naturellement vers des oligarchies – qui se prétendent démocratiques à des fins de relations publiques tout en prétendant que la concentration de plus en plus forte des richesses au sommet est une bonne chose. La rhétorique actuelle du ruissellement dépeint les banques et les gestionnaires financiers comme dirigeant l’épargne de la manière la plus efficace pour produire la prospérité pour l’ensemble de l’économie, et pas seulement pour eux-mêmes. Le problème est que les démocraties eurysiennes ne se sont pas révélées aptes à empêcher l’émergence d’oligarchies et la polarisation de la répartition des revenus et des richesses. Depuis l'Empire Rémien, les « démocraties » oligarchiques n’ont pas protégé leurs citoyens contre les créanciers qui cherchent à s’approprier la terre, son rendement locatif et le domaine public.

    La grande question que pose alors Hestosky est la suivante : « liberté » et « liberté » pour qui ? L’économie politique classique définit un marché libre comme un marché exempt de revenus non gagnés, à savoir la rente foncière et les autres rentes liées aux ressources naturelles, la rente de monopole, les intérêts financiers et les privilèges connexes des créanciers. Mais à la fin du XIXe siècle, l’oligarchie des rentiers a parrainé une contre-révolution fiscale et idéologique, redéfinissant un marché libre comme étant un marché libre pour les rentiers d’extraire une rente économique – un revenu non gagné. Ce rejet de la critique classique du revenu des rentiers s’est accompagné d’une redéfinition de la « démocratie » pour exiger un « marché libre » de la variété oligarchique rentière anti-classique. Au lieu que le gouvernement soit le régulateur économique dans l’intérêt public, la réglementation publique du crédit et des monopoles est démantelée. Cela permet aux entreprises de facturer ce qu’elles veulent pour le crédit qu’elles fournissent et les produits qu’elles vendent. La privatisation du privilège de la création de la monnaie par le crédit permet au secteur financier d’assumer le rôle d’attribution de la propriété.

    Hestosky finira par la suite son dernier chapitre sur une autre question essentielle qui recoupe avec le titre de son ouvrage : Est-ce la fin de la civilisation eurysienne ou plutôt la financiarisation de sa société ? La prétention néolibérale est que privatiser le domaine public et laisser le secteur financier prendre en charge la planification économique et sociale dans les pays ciblés apportera une prospérité mutuellement bénéfique. Le néolibéralisme prétend que la privatisation, la financiarisation et le transfert de la planification économique du gouvernement vers les centres financiers sont le résultat d’une victoire darwinienne atteignant une telle perfection que ce serait la fin de l'histoire . Une véritable fin de l’histoire signifierait que la réforme s’arrêterait dans tous les pays. La seule façon possible que l’histoire se termine vraiment serait que l’armée des oligarchies eurysiennes détruise chaque nation non-eurysienne cherchant une alternative à la privatisation et à la financiarisation néolibérales. La conclusion d'Hestosky se veut donc assez sombre et on ressort de l'ouvrage avec davantage de questions que de réponses : la financiarisation de la société est-elle acceptable ? Peut-elle mener à la chute de l'Eurysie ? Doit-on, pour pouvoir conserver la civilisation eurysienne, détruire tous les autres systèmes de valeurs différents du nôtre ?
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    Le cycle du monde libéral (2012) :

    "L'Autophage" de David Horask, 1988.


  • Auteur : Piotry Selonov.
  • Catégorie :Sociologie, économie, idéologie.
  • Date de parution : 2012.

  • Biographie de l'auteur :

    Piotry Selonov est un philosophe estalien né en 1950 à Mistohir. Fils de militaire, Selonov va d'abord accomplir son service militaire et tentera de passer le concours de sous-officier à la fin de son service. Rejeté au concours, Selonov s'orient alors vers une seconde voie : celle des lettres et de la philosophie. Rapidement, il passe les concours pour devenir professeur de philosophie et passe l'agrégation en 1976, faisant de lui le plus jeune professeur de philosophie agrégé cette année-là. Rapidement, il se politise et prend des idées qui s'orientent à gauche du spectre politique. En 1997, il rejoint le tout nouveau Parti Populaire Estalien. Rapidement proche de Bondarenko, les deux hommes vont continuellement échanger sur l'état de la gauche estalienne de l'époque, surtout de la frange de gauche du Parti Libéral que les deux hommes considéraient comme une gauche trop progressiste qui a trahi les idées fondamentales du socialisme pour s'approprier le libéralisme dans un objectif purement électoraliste, dédaignant ainsi les fondements idéologiques des penseurs de gauche sur laquelle la gauche estalienne s'était reposée avant que le Parti Libéral ne devienne un mastodonte implacable pour toute forme d'opposition politique. La mort de Bondarenko change les vues de Selonov : sa mort entraîne la radicalisation de ses vues idéologiques par Husak et dégoûté de ces vues militaristes, Selonov quitte le parti dans la même année. Resté dans l'ombre de la pensée de gauche libertaire pendant les années 2000's, son livre du cycle du monde libéral sera néanmoins très apprécié de la critique et si son succès fut mitigé en Estalie (Selonov étant boycotté par les lecteurs de son bord politique qui le considèrent comme trop timoré), l'auteur fait un carton à l'international. Aujourd'hui encore, Selonov continue d'écrire mais s'adresse désormais davantage aux critiques étrangères qu'estaliennes, ingrats de son travail littéraire.

    Résumé du livre :

    La présentation critique la plus connue nous décrit amplement l'intention de l'auteur et sa façon d'expliquer ce qu'il estime être l'insanité du libéralisme. Au lieu de simplement mener une guerre inlassable au capitalisme et à ses dérives, il cherche à démontrer que le libéralisme lui-même est devenu si omniprésent dans la société de nombreuses nations, y compris celles qui se revendiquent comme socialistes ou marxistes véritables, qu'il a fini par infecter la pensée politique actuelle et restreindre ainsi la réflexion politique au seul libéralisme et à son encadrement dans la société. L'ouvrage s'adresse surtout à la gauche actuelle, progressiste et soumise à la pensée unique qu'est le libéralisme, ayant renoncé aux enseignements anthropologiques et psychologiques des théories anarchistes pour laisser place à un progressisme qui n'est qu'un autre mot pour désigner le libéralisme, à la fois économique et culturel. Les idées principales du livre de Selonov sont les suivants :

  • Il n'y a pas de bon libéralisme puisqu'il en existe qu'un seul et unique. Selonov cherche à prouver qu'il n'existe qu'un seul et véritable libéralisme en prononçant que le monde actuel, sans âme, est la concrétisation la plus simple et la plus logique des doctrines libérales. Cela signifie qu'il n'existe pas un vieux libéralisme politique et culturel émancipateur qui aurait été bon par nature et un mauvais néo-libéralisme qui met en esclavage des foules entières de salariés désespérés ; pour Selonov, cette distinction est devenue une excuse pour la gauche progressiste en jouant sur cette fausse distinction entre l'ancien et le nouveau libéralisme pour promouvoir la défense des libertés fondamentales ou la lutte contre les discriminations dans un système de logique interne qui ne permet tout simplement pas la défense de tels principes. Pour prouver sa thèse, Selonov remonte aux origines du libéralisme philosophique qui remonte au XVIe siècle eurysien, lors de la découverte de la science expérimentale d'une part et dû à l'allongement alors croissant des guerres liées au développement des armes à feu. La science expérimentale aurait ainsi donné aux hommes l'illusion de pouvoir être maîtres et possesseurs de la nature en lui offrant une assisse métaphysique bien plus forte que celle du clergé médiéval afin de résoudre de manière impartiale des problèmes liées à la vie sociale des individus. La solution libérale s'impose donc, d'abord par un détachement métaphysique avec Dieu (l'Homme devient maître de son destin par la science) et de part le besoin inhérent de créer un Etat capable de s'imposer au-delà de toute morale aux conflits afin de les faire cesser. Ainsi, l'Homme remplace Dieu dans sa propre destinée et se place même au-dessus des préceptes moraux et religieux pour conserver la paix civile entre les différentes religions et idéologies qui déchirent les nations de l'intérieur. On remarque alors clairement que le libéralisme politique ne peut se créer sans libéralisme économique et vice-versa, l'un ne peut exister sans l'autre car le libéralisme politique (le droit) ne peut se baser que sur un contenu économique (le marché). C'est bien cette main invisible de l'économie qui obéit à ses propres lois naturelles tout en étant protégés par un Etat sans idées qui permet aux hommes de s'épanouir dans une économie saine et fraternels dans une nation sans ressentiment entre eux. Or, c'est précisément le problème du libéralisme qui prétend que le libéralisme économique, comme le précise ses plus fidèles partisans, provoque à terme la générosité et la bonté dans les cœurs alors que cette économie repose justement sur le profit égoïste de chacun, dans une guerre de tous contre tous sur le plan macroéconomique.

  • Le libéralisme créait une société sans valeurs. Afin de pouvoir créer une paix civile pérenne, l'Etat libéral doit forcément supprimer la totalité des valeurs morales et religieuses d'une société pour pouvoir assurer la paix car pour l'Etat, ce sont ces valeurs qui font couler le sang. La société libérale est donc la société sans valeurs par excellence. Or, ne pas vouloir de valeurs dans une société signifie forcément qu'il faut s'opposer aux valeurs morales, ce qui est une forme de prise de position de l'Etat qui, au contraire de ce qu'il prétend, n'est pas neutre sur la question et devient alors l'ennemi sans une quelconque forme de neutralité envers les valeurs morales et les religions. Tout cela est fort paradoxal par ailleurs : l'Etat libéral se dit intervenir le moins possible mais doit en permanence intervenir pour protéger le laissez-faire économique et écraser les résistances culturelles au changement libéral. On en revient à une guerre de tous contre tous étant donné que le droit de l'Etat libéral cherche par son programme d'épuration des codes moraux à établir le droit de tous sur tout. Le marché, lui, produit des effets semblables au droit car la croissance infinie recherchée par ce même marché devient le seul salut pour la société et le seul but commun de tous les hommes. Pour cela, la concurrence doit être libre et non faussée tandis que les agents économiques doivent être rationnels dans leurs choix pour pouvoir assurer la croissance la plus importante possible. Pour que ces agents se comportent de façon rationnelle, c'est-à-dire que celui-ci pense à son profit maximal sans jamais être interverti par des considérations morales ou éthiques, ils doivent être aliénés de toute forme de morale. Pour Selonov, c'est justement la grande erreur ethnocentrique et naïve de ce libéralisme qui ne cherche pas à comprendre la psychologie humaine mais cherche en revanche à la soumettre.

  • La société libérale n'est pas décente. Il est certes vrai que la théorie libérale reconnaît un point de repli dans son idéologie, celle de l'esprit de tolérance qui serait indispensable pour éviter le rejet d'autrui au sein de la société et l'intégration de tous et toutes dans celle-ci. Pourtant, Selonov nous indique clairement le drame de ce leurre bien ficelé : la société libérale, dite ouverte, n'adopte en aucun cas la reconnaissance réciproque véritable. La seule et véritable tolérance auxquels les libéraux sont capables de faire preuve, c'est une indifférence à la différence qui pousserait davantage à l'unification juridique et marchande de l'humanité. Selonov rappelle alors avec justesse que toute vie sociale repose sur le cycle pourtant simple du don : donner, recevoir, rendre. Ce cycle du don ne peut exister que si un minimum de valeurs partagées et de solidarité collective soient effectivement appliquées. Sans ce respect élémentaire des vertus humaines les plus basiques, il ne peut exister de société décente et donc véritablement humaine.

  • Le libéralisme cherche le meilleur des mondes sans le trouver. Le libéral, à sa base même, se revendique comme un homme réaliste qui ne se trompe pas sur la nature humaine, parlant alors du pessimisme de l'intelligence et cherchant à remédier aux maux qui infectent l'humanité depuis des années comme la famine, les maladies ou la guerre par un système qui les en empêchent. C'est sur quoi le libéralisme philosophique s'est alors basé : créer la moins pire des sociétés possibles sans forcément revendiquer être capable de créer un paradis sur Terre. Cette pensée du moindre mal, au fur à mesure que le temps passait et que le libéralisme domina d'un seul trait le monde, se transforma petit à petit en une recherche idyllique bien loin de la modestie initiale du libéralisme philosophique. Cette métamorphose ne surprend pas Selonov : celui-ci estime qu'à la création du libéralisme, l'Homme n'avait pas encore les moyens de dominer ce qu'il l'entourait de façon concrète grâce aux moyens que lui accordait la science et l'industrie. Aujourd'hui, la science et l'industrie ont évolués en donnant aux hommes une puissance bien supérieure à celle de leur environnement, ce qui pousse les sociétés d'aujourd'hui à aduler de manière presque religieuse le dogme de la croissance économique et du progrès technique. Il est évident pour Selonov que le libéralisme finira mal pour l'humanité, le libéralisme devant très certainement chuter. Non pas dans la perspective de l'éclosion utopique d'un monde socialiste et marxiste comme le voudrait la plupart des auteurs du bord politique de Selonov mais par un remplacement massif. Un remplacement qui se veut comme la recherche idyllique du libéral de la perfection de son système. Selonov rattache le principe de l'homme nouveau non pas comme à des racines supposément fascistes mais bien libérales et que c'est justement la recherche de cet homme nouveau, lavé de toute morale, égoïste et ne pensant qu'à son propre intérêt, optimisé pour répondre parfaitement aux besoins du droit et du marché libéral, qui poussera peut-être au retrait de l'humanité. A cela, Selonov se veut alarmiste : les nouvelles technologies biologiques pourraient bien mener à l'abolition de l'humanité et de la considération morale de notre espèce et dénonce en ce sens le projet transhumaniste des élites libérales. Pour Selonov, encore aujourd'hui et heureusement, les valeurs humaines de base n'ont pas disparus malgré que l'industrie de la publicité, du divertissement et les médias de masse tentent chaque jour de les faire disparaître.

  • Ainsi se termine les dernières phrases du bouquin de Selonov, une note sombre, profondément désespéré, d'une humanité qui serait en voie d'extinction dû à un libéralisme qui s'est mis en tête d'optimiser non plus les règles du marché et du droit libéral mais de corriger les vices de l'homme qui serait la cause des dysfonctionnements de ce système. La question que Selonov pose en fin d'ouvrage est marquante :

    "Le libéralisme est-il le moins pire des systèmes ou qui soit le seul à fonctionner, ou au contraire un des pires systèmes car il n'est ni l'un ni l'autre, mais excelle davantage dans l'illusion de nous le faire croire ?"

    Après tout, la meilleure dictature est toujours celle qui conserve l'apparence de la liberté sans la distribuer pour autant, c'est ainsi qu'elles agissent sur la volonté des individus esclavagisés croyant être libres.
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    La démocratie, la technocratie et les partis (2009) :

    "L'illusion démocratique" / Caricature de Japolio Hesasky (2001).


  • Auteur : Piotry Husak.
  • Catégorie :Politique, idéologie.
  • Date de parution : 2009.

  • Contenu de l'oeuvre :

    Le livre d'Husak a été écrit presque 8 ans après l'assassinat de Bondarenko, le fondateur du Parti Populaire Estalien. Depuis cet instant, Husak avait radicalisé le Parti pour lui donner une autre direction idéologique. Là où Bondarenko voulait un régime républicain et certainement social-démocrate à terme, souhaitant reprendre l'exemple de nombreuses autres démocraties libérales comme celles de l'OND, Husak va orienter son programme sur une vague beaucoup plus socialiste et libertaire, au point de métamorphoser complètement le Parti Populaire Estalien non plus en un parti d'opposition à la monarchie et républicain mais comme une force politique de subversion visant à renverser l'establishment politico-économique qui régnait alors en Estalie depuis des siècles et qui, du point de vue d'Husak, menaient à l'exploitation continue et servile des populations des classes en dessous de celles de la classe dirigeante. Néanmoins, comment assurer la démocratie si le système actuel qui se veut démocratique ne l'est en vérité pas ? Peut-être que le système politique est verrouillée pour rester un amas d'intérêts privés déconnectés au fur à mesure des besoins de la population. En quoi serait-ce absurde d'imaginer que si le système actuel n'est pas démocratique, ce n'est pas seulement les politiciens et les hommes d'affaires qui y pullulent mais peut-être que ce sont les institutions qui sont faites ainsi. On ne peut imaginer qu'une chose dans ce cas : il est inutile de désigner un bouc émissaire car même avec les meilleures attentions possibles, si les éléments d'un système subsistent, alors les nouveaux dirigeants ou encore leurs successeurs rétabliront un système oligarchique à terme. Husak énonce donc dans le prologue de son livre la question suivante : les partis politiques sont-ils démocratiques ? Poussent-ils à l'oligarchie ? Tuent-ils à terme la démocratie ? Enfin, est-ce que la technocratie a tué la démocratie dans les pays libéraux ?

    Afin de bien comprendre les enjeux de la question, Husak définit deux choses nécessaires à la bonne compréhension du lecteur en rappelant ce qu'est une oligarchie et par la suite, ce qu'est une démocratie qu'il désigne illibérale. L'oligarchie, comme le désigne Husak, se caractérisent par plusieurs traits :

    [...] une concentration du pouvoir par l'obtention d'un petit groupe d'individus aux principaux leviers politiques et économiques du pays ; l'intersection des sphères d'influence par l'accumulation par les mêmes groupes d'individus à des postes clés sur le plan économique, médiatique, politique et parfois culturel ; une reproduction sociale par une transmission intergénérationnelle des privilèges et du capital social des groupes susmentionnés ; une opacité des processus décisionnels, souvent hors du cadre démocratique et en coulisses ; une capture de l'Etat et de ses institutions au profit des intérêts de l'oligarchie en place ; enfin, une idéologie justificatrice qui légitime l'existence et le règne de la démocratie comme, par exemple, la méritocratie, l'expertise ou la stabilité qui sont des motifs généralement brandis comme légitimes pour imposer une oligarchie au dépend des masses.

    L'oligarchie existe pour différentes raisons, généralement pour un ou plusieurs des motifs que j'invoque là : une croissance des inégalités économiques qui favorise l'accumulation des richesses nationales dans les mains d'une minorité ; une faiblesse structurelle des institutions démocratiques du pays par une absence ou une faiblesse évidente de contre-pouvoirs, à noter que les contre-pouvoirs d'un Etat démocratique peuvent être saisis par l'élite oligarchique et continuer de jouer un rôle factice ; une augmentation des réseaux d'influence et de leur activité souterraine, les réseaux mentionnés pouvant être des liens familiaux, éducatifs ou professionnels qui permet à une minorité d'accroître l'organisation de son action et de saisir ainsi le pouvoir plus aisément face aux masses divisées et désorganisées durant la plus grande partie de leur existence ; des crises ou des transitions qui favoriseraient une instabilité dont une élite pourrait s'accommoder pour légitimer plus aisément sa prise du pouvoir ; enfin, dans un certain nombre de pays comme le mien, l'héritage culturel et historique doit être pris en compte, certaines élites ayant traditionnellement le pouvoir à travers l'existence des aristocraties ou des castes.

    Enfin, il est à constater que les oligarchies sont, dans un cas purement général, résistants et disposent d'une longévité assez impressionnante par rapport aux autres systèmes politiques qui ont pu exister durant l'histoire humaine. Cette résilience naturelle des oligarchies s'explique par différents mécanismes qui sont communs à toutes les oligarchies. Celles-ci saisissent généralement les ressources du pays afin d'assurer une base matérielle plus ou moins solide à leur règne. De même, le clientélisme est une affaire courante au sein de ces régimes, les réseaux de cette nature ayant pour fond de commerce une distribution fort sélective de faveurs et d'opportunités économiques, sociales et politiques entre les membres d'une élite ou contre tous ceux qui tenteraient de s'y opposer par la voie très célèbre du pot-de-vin. Le système éducatif est aussi un des centres du pouvoir oligarchique dans la quasi-totalité des cas. En effet, le contrôle sur l'éducation permettait déjà aux Etats autoritaires et monarchiques de l'Antiquité et du Moyen-Age d'empêcher toute ascension et de faire respecter les règles des castes, notamment les castes médiévales dont la société était basée sur un parfait équilibre entre les travailleurs, les guerriers et les religieux. Aujourd'hui, le rôle des masses a pu changer grâce à des évolutions idéologiques qui ont faits prendre conscience aux masses qu'elles avaient des droits politiques fondamentaux. Pourtant, l'oligarchie a su s'adapter non pas en privant l'éducation aux masses mais en l'a contrôlant. Le travailleur moyen est éduqué à faire une tâche qui lui convient pour améliorer sa productivité de façon volontaire ("faire le métier de ses rêves") mais il ne sera jamais éduqué à des fins d'ascension sociale, l'école est faite pour faire travailler in fine dans la même classe sociale qui a vu naître le jeune écolier. Il existe des exceptions, comme toujours. Ces exceptions rencontrent eux-mêmes un mur à partir d'une certaine ascension. Ils constituent une infime partie des masses dont l'ascension limitée est tolérable, surtout quand leur réussite (souvent économique) peut être rasé à tout moment par ceux qui sont au-dessus. Quant aux élites, elles ont pu créer un système à double mesure entre l'école publique et l'école d'élite (souvent sous le couvert du privé ou du religieux conciliant à la richesse) qui permet la reproduction du capital culturel et social des élites entre elles. Vient ensuite le contrôle des médias, ceux-ci permettent de manipuler l'opinion publique à la guise de l'oligarchie par des méthodes d'ingénierie sociale qui se veulent poussées : plus les sciences humaines avancent, plus les scientifiques payés par cette minorité en apprend plus sur l'Homme que l'Homme se connaît lui-même. C'est une partie d'échecs où votre adversaire a au moins une dizaine de coups d'avance où il peut anticiper la moindre de vos réactions à l'exposition (ou même à la non-exposition) d'une information. C'est là mon autre point, fondamental, les oligarchies s'adaptent à leur temps. Les innovations technologiques, sociétales et politiques finissent par être intégrés par les oligarchies pour être dans l'air du temps. Une oligarchie qui se veut trop anachronique finit par briser l'illusion de sa légitimité et disparaît. Enfin, l'oligarchie élimine la concurrence soit par la cooptation des opposants politiques, généralement par la mise en place de fausses oppositions. Tous membres d'une seule et même minorité aux intérêts convergents, ces faux mouvements d'opposition cherchent à donner l'illusion d'un choix alternatif aux masses (généralement par la voie du populisme et de la démagogie). Autre moyen envisageable dans le cas d'une opposition extérieure à cette oligarchie, la répression pure et simple. Cependant, les oligarchies actuelles se dissimulant dans des institutions se voulant démocratiques ne peuvent réprimer à tout va et doivent soigneusement choisir les menaces les plus virulentes pour dissuader le reste de ne pas se montrer trop agressifs. Il y a donc un véritable art de gouverner chez les oligarques qu'on ne retrouve nulle part ailleurs. Les oligarques se retrouvent presque dans un jeu morbide mêlant un tour par tour aux mouvements autorisés limités et une partie de poker qui s'appuie sur la ruse et avec, dans le tas moribond des joueurs, quelques tricheurs et une banque visiblement trop conciliante.

    Quant à la démocratie illibérale, Husak le définit davantage comme une conséquence du populisme et d'une demande instinctive du peuple vis-à-vis des démocraties. Pour Husak, la démocratie libérale est vouée à se durcir dans tous les cas dans une succession de crises, de transitions et de phases historiques. Les cycles de la démocratie libérale figurent, pour Husak, sous la forme très abrupte d'un optimisme démocratique dans un premier temps, un effet d'instabilité souvent lent et progressif et enfin une prise de conscience qui engendre une demande croissante de stabilité, souvent au mépris des libertés politiques. Le pays ne change donc guère ses institutions ou les valeurs que le régime affiche mais les masses votent naturellement pour des éléments qui apportent la stabilité par l'autoritarisme. Husak le présente d'ailleurs comme un cycle naturel qui, par principe, touchent toutes les démocraties libérales. Généralement, les démocraties illibérales s'attaquent directement à l'Etat de droit et aux institutions indépendantes. Ainsi, si on peut penser en premier lieu que les populismes qui entraînent généralement les démocraties illibérales sont démocratiques car émanant de la volonté majoritaire des masses, la vérité est qu'en s'attaquant à l'Etat de droit et à sa séparation avec l'Etat régalien, alors les élections libres et équitables (fondement même d'une démocratie) ne sont plus garanties. Alors se pose un dilemme : les masses souhaitent des libertés politiques mais souhaitent également un retour à l'ordre. Les populismes sont évidemment là pour répondre en principe aux demandes du peuple mais une fois au pouvoir, il est très rare pour ces gouvernements populistes d'établir les mesures promises liées aux revendications du peuple. Ces aspirations populaires sont généralement irréalisables, soit par manque de moyens, soit dû aux institutions elles-mêmes qui empêchent ce changement. Les raisons du vote populaire envers des candidats antidémocratiques comportent plusieurs raisons qui expliquent généralement la complexité du fonctionnement d'une démocratie et de l'attitude de son principal acteur, le peuple. En effet, si aujourd'hui, les masses sont peu vigilantes au regard des actions antidémocratiques de leurs dirigeants, c'est d'abord car ceux-ci font confiance aux autres pour se charger de rétablir la situation. Généralement, les masses misent l'espoir d'une contestation de l'opposition. Or, comme on l'a vu, lorsque la démocratie est en vérité une oligarchie, l'opposition est un épouvantail qui ne sert qu'à assurer la survie de l'illusion de la démocratie. Les oppositions permettent donc d'accroître un faux sentiment de sécurité des masses envers les actes antidémocratiques. Il est à noter que ces actes sont mineurs et progressifs sur le temps, ils ne se caractérisent jamais sous la forme d'un Coup d'Etat militaire brutal mais bien souvent durant une période prolongée où les libertés démocratiques comme l'expression des médias critiques, l'existence d'une opposition réelle ou l'indépendance des tribunaux sont peu à peu réduites sans être repérées pour autant. De plus, même si c'est plus vrai dans les vieilles démocraties que dans les jeunes, il existe un effet dissuasif liée à l'autocratie. Souvent, les masses vivant dans une vieille démocratie n'ont pas vécus de périodes autocratiques ou autoritaristes et n'ont donc pas une conception réelle de ce qu'est de vivre dans une société autocratique et antidémocratique, ce qui créait une aliénation de la pensée des masses face aux actes autoritaires que celles-ci pourraient subir dans un pays où les candidats antidémocratiques mettraient en place des mesures antidémocratiques. Enfin, Husak explique que l'existence des partis créait un sentiment de fidélisation des masses envers leurs partis respectifs, quitte à le faire gagner par tous les moyens envisageables et en masquant volontairement les défauts du parti pour en exposer toutes les vertus. Ainsi, même si le parti en question peut être accusé de proposer un programme autoritaire ou populiste, la fidélité envers le parti sera trop forte pour ses adhérents ou pour ceux qui voteront en faveur du parti concerné qui ne pourront donc pas avoir la clairvoyance d'esprit qu'ils votent pour un parti antidémocratique.

    La suite du livre d'Husak se présente sous la forme de plusieurs chapitres qui doivent expliquer dans un premier temps pourquoi la technocratie a créée un environnement clairement antidémocratique et par quels mécanismes cette même technocratie frappe la démocratie en plein cœur. Toute la première partie du livre y est consacré en différents chapitres. Vient ensuite la deuxième partie du livre qui explique dans un autre sens que les partis politiques participent à cette destruction de la démocratie de façon consciente.

    Partie I : la technocratie antagonique de la démocratie.

  • L’essor des institutions technocratiques : Depuis le milieu du XXe siècle , la complexité des tâches réglementaires auxquelles l’État est confronté s’est considérablement accrue. La technologie a progressé et les processus économiques sont devenus plus complexes. La politique monétaire est devenue un outil essentiel de stabilisation de l’économie. Plus important encore, certains des défis politiques les plus pressants auxquels l’humanité est actuellement confrontée, du changement climatique aux inégalités économiques croissantes, sont d’origine mondiale et semblent dépasser la capacité des États-nations à trouver une réponse adéquate. Chacun de ces changements a entraîné un transfert de pouvoir des parlements nationaux vers des institutions qui allaient bien au-delà des prérogatives nationales. Pour faire face à la nécessité d’une réglementation dans des domaines hautement techniques, des organismes bureaucratiques dotés d’experts en la matière ont commencé à jouer un rôle quasi législatif. Pour prendre des décisions de plus en plus compliquées en matière de politique monétaire tout en résistant aux pressions politiques visant à créer des booms artificiels, de plus en plus de banques centrales sont devenues indépendantes. Enfin, afin d’élaborer des règles, des plans et des normes sur des questions allant du commerce au changement climatique, un éventail de traités et d’organisations internationaux ont été fondés. Cette transformation n’est pas le résultat d’une conspiration élitiste mais bien d'une adaptation naturelle des régimes politiques face à des chocs extérieurs qui les dépassent. Néanmoins, le résultat final a été une érosion rampante de la démocratie : alors que de plus en plus de domaines de la politique publique ont été isolés de la mêlée de la politique démocratique, la capacité du peuple à influencer son gouvernement a été considérablement réduite. A l'inverse, c'est désormais le gouvernement qui influence son peuple, l'exact inverse de la démocratie.

  • Bureaucratie : L’un des facteurs cruciaux qui ont rétréci la sphère de la contestation démocratique a été le rôle croissant des bureaucraties d’État, qui ont pris de plus en plus de questions sous leur juridiction. En effet, les agences gouvernementales n’ont pas seulement gagné en influence dans la conception des lois adoptées par les parlements au cours des dernières décennies mais ils sont devenus pour la plupart des quasi-législateurs et sont devenus des acteurs du processus de décision et non plus un soutien matériel de ces mêmes décisions. Un organe bureaucratique traditionnel est chargé d’appliquer les lois élaborées par le corps législatif et est dirigé par un politicien, souvent un membre élu du Parlement, qui a été nommé par le président ou le premier ministre. Mais dans un nombre croissant de domaines politiques, les législateurs élus ont été supplantés en tant que principaux décideurs par des « organismes indépendants » ayant le pouvoir de formuler des politiques, des entités qui sont remarquablement libres de tout contrôle de la part du législateur ou du chef de gouvernement élu. Une fois établis, ces organismes prennent leur propre vie, acquérant le pouvoir de concevoir, de mettre en œuvre et parfois même d’appliquer des règles générales dans des domaines clés tels que la finance et la protection de l’environnement.

  • Banques : Au cours des années 1970 et 1980, les économistes ont commencé à présenter des arguments de plus en plus ambitieux en faveur de l’indépendance des banques centrales. Étant donné que les politiciens ont une forte incitation à créer des booms à court terme lorsqu’ils sont candidats à la réélection, d’éminents universitaires ont fait valoir que les banques centrales soumises à une influence politique stimuleraient l’inflation à court terme sans réduire durablement le chômage à long terme. Rendre les banques centrales indépendantes les mettrait à l’abri de ces incitations à court terme et stimulerait ainsi les performances économiques à long terme. Pendant la majeure partie de l’histoire de la démocratie libérale, les banques centrales n’avaient que des outils limités à leur disposition. Pendant une grande partie du XIXe et du début du XXe siècle, la plupart des monnaies avaient leur valeur liée aux réserves d’or de l’État. Ainsi, les taux de change étaient en grande partie fixes, et dans les occasions relativement rares où ils devaient être ajustés, des politiciens élus plutôt que des bureaucrates non élus prenaient généralement cette décision.

  • Tribunaux : L’essor du contrôle judiciaire est une autre façon de soustraire des questions importantes à la contestation démocratique. Historiquement, les juges ont utilisé leur autorité pour vérifier si des actes législatifs pouvaient violer une constitution écrite ou des principes juridiques séculaires à des fins extraordinairement nobles. Bon nombre des avancées les plus importantes en matière de droits des citoyens estaliens, par exemple, ont été rendues par un banc judiciaire. Il ne fait aucun doute, cependant, que les juges aujourd'hui détiennent un grand pouvoir de décision en ce qui concerne le fonctionnement des démocraties, et ce de façon purement arbitraire et de façon bien obscure pour le commun des mortels. Même dans les pays où la constitution n’accorde pas explicitement le pouvoir de contrôle judiciaire aux tribunaux, ceux-ci ont à toutes fins utiles commencé à exercer ce pouvoir. Il y a un coût démocratique direct à l’essor du contrôle judiciaire : les décisions sont retirées des mains du peuple et remises à des technocrates non élus. Il pourrait de surcroît mener à un coût démocratique indirect. En effet, avec l’influence d’autres intérêts bien établis, la prise en charge par le système judiciaire de tâches appartenant à d’autres institutions alimente un processus de « décadence politique » qui a rendu certaines parties du système politique « dysfonctionnelles » – et a rendu difficile même d’imaginer comment y remédier.

  • Traités commerciaux et libre-échange : L’intérêt d’un accord international est de coordonner les actions des États participants, de fixer ainsi des attentes stables et d’aider ces pays à atteindre un objectif commun. Ainsi, la perte de contrôle national sur certaines questions n’est pas un dysfonctionnement involontaire de ces accords. Au contraire, c'est leur principale caractéristique et le but est volontairement recherché lors de leur signature, autant pour des traités liés à la gestion commune du climat et des gaz à effet de serre ou la création d'institutions internationales. Les traités commerciaux en sont un exemple clé. Le libre-échange offre, sur le papier, de grands avantages à tous les pays qui en bénéficient. Mais pour conclure des accords de libre-échange, un État doit abdiquer une partie de son pouvoir de prendre des décisions indépendantes : si les États signataires pouvaient réintroduire des droits de douane à l’importation à volonté, par exemple, les accords ne pourraient être tenus sur le moyen et le long terme. En conséquence, les limitations imposées par les traités de libre-échange restreignent considérablement la liberté de manœuvre des signataires. Dans le passé, de nombreux pays en développement ont réussi à promouvoir des industries nationales de haut niveau en les protégeant temporairement de la concurrence. Aujourd'hui, le développement massif du commerce mondial oblige même les pays en développement à se soumettre aux normes commerciales mondialistes imposées par les grandes puissances commerciales de ce monde. La cession de contrôle qu’exigent les accords commerciaux modernes va bien au-delà des décisions sur les tarifs douaniers. L’interdiction de protéger les industries nationales contre les prises de contrôle étrangères rend plus difficile pour les gouvernements de ralentir les pertes d’emplois dues à la mondialisation ou d’en atténuer les effets sociaux. Les mesures visant à éliminer les obstacles au commerce, y compris les normes réglementaires et techniques divergentes, peuvent limiter la capacité des gouvernements à adopter de nouvelles mesures de protection de l’environnement. Enfin, l’essor du « règlement des différends entre investisseurs et États » donne aux entreprises des pouvoirs étendus pour exiger des compensations sur les réglementations locales qui pourraient réduire leurs profits devant les tribunaux internationaux. Les traités de libre-échange ne constituent qu’un petit sous-ensemble des accords et des organisations qui structurent aujourd’hui le système international. Ces arrangements internationaux offrent d’immenses avantages au monde, mais ce fait normatif ne doit pas nous aveugler sur un fait empirique encore plus simple : à mesure que ces traités prolifèrent, ils restreignent de plus en plus la mesure dans laquelle les législateurs des États-nations peuvent prendre des décisions autonomes ou réagir aux changements dans les préférences populaires.

  • La cooptation des institutions électorales : Que ce soit en raison de l’autorité croissante des bureaucrates, de l’indépendance des banques centrales, de l’essor du contrôle judiciaire ou de la croissance des traités et des organisations internationales, le retrait de sujets importants de la contestation politique nationale est l’une des principales raisons pour lesquelles les systèmes politiques eurysiens sont devenus moins démocratiques. Cela pourrait signifier que nous sommes confrontés à un problème simple de législatures paralysées dans leur capacité à mettre en œuvre les souhaits du peuple. Mais il y a aussi une autre grosse pièce du puzzle antidémocratique : même dans les domaines où les parlements conservent un pouvoir réel, ils font un mauvais travail pour traduire les opinions du peuple au sein de la politique publique. Bien qu’ils aient été élus par le peuple pour représenter leurs points de vue, les législateurs sont de plus en plus isolés de la volonté populaire. Le rôle de l’argent dans le processus politique s’est accru, avec des sommes de plus en plus importantes nécessaires pour être compétitif aux élections et des dépenses de lobbying augmentant d’un ordre de grandeur. Dans le même temps, les expériences personnelles et professionnelles des législateurs, ainsi que leur niveau de richesse et d’éducation, les placent de plus en plus dans une classe à part de la plupart de leurs électeurs, créant une véritable déconnexion entre les dirigeants et les dirigés allant au-delà du simple sentiment de ne pas être écoutés. L’une des façons les plus insidieuses dont le lobbying et le financement des campagnes déforment le système politique est d’aider à façonner la vision du monde des politiciens, qui doivent passer une grande partie de leur temps à interagir avec les donateurs et les lobbyistes plutôt qu'avec leurs électeurs.

  • Le dilemme antidémocratique : Les quelques chercheurs qui ont écrit sur la mesure dans laquelle les élites politiques d’aujourd’hui sont aujourd’hui isolées des préférences populaires ont tendance à soutenir que les racines du problème sont aussi simples que ses remèdes sont clairs. Les élites, de ce point de vue, ont conçu les diverses institutions qui empêchent le peuple d’accéder au pouvoir à leurs propres fins égoïstes. Les riches individus et les grandes entreprises favorisent les traités commerciaux, les banques centrales indépendantes et les puissantes agences bureaucratiques parce qu’ils peuvent capturer les professionnels qui travaillent au sein de ces institutions, en utilisant et en manipulant leur travail jusqu’à ce qu’il serve les intérêts des riches et des puissants de manière explicite et permanente. En bref, la plupart des membres de la classe politique favorisent la technocratie parce que son appareil institutionnel opaque leur permet d’ignorer plus facilement la volonté populaire. Pour ceux qui acceptent cette lecture des origines du libéralisme antidémocratique, rendre le pouvoir au peuple est à la fois la solution évidente et une tâche simple. Les experts soutiennent que les banques centrales indépendantes sont bonnes pour la croissance économique, que les traités commerciaux font baisser les prix à la consommation et que de grandes agences bureaucratiques et de puissantes organisations internationales sont nécessaires pour traiter des questions trop compliquées pour être comprises par le commun des mortels. Mais ces affirmations ne sont que le vernis vertueux que les élites ont mis sur leurs plans égocentriques, principes d’une idéologie néolibérale promue par de riches donateurs, par des universités et par des groupes de réflexion. Une fois que les institutions tutélaires sont exposées comme complices d’une conspiration visant à déshériter le peuple, le remède aux maux du libéralisme antidémocratique semble clair : abolir les institutions, chasser les élites du pouvoir et remettre le peuple aux commandes.

  • Partie II : les partis, sapeurs de l'appareil démocratique.

    Dans cette seconde partie, plus courte, Husak se pose la question de pourquoi nous avons des partis politiques au sein de nos démocraties et est-ce que celles-ci sont véritablement au service du débat démocratique ou sont au contraire ses fossoyeurs. Se poser ce genre de questions revient à remettre en question un des principes fondamentaux de la démocratie si on en croit la plupart des écrivains sur le sujet. Certains pourraient répondre que les partis permettent de représenter plus amplement des intérêts concurrents au sein d'une démocratie et du corps politique. Néanmoins, Husak proteste contre ces allégations, estimant que ces affirmations sont le résultat des dégâts du rôle des partis politiques dans la pensée collective, celles-ci s'étant si bien enracinées dans un consensus général qu'il est impossible de contredire les partis sans être automatiquement catégorisés comme extrémiste. Husak estime tout d'abord que les partis, comme la démocratie en elle-même, n'est la fin de l'Homme en soit mais un moyen qu'il a jugé plus simple afin de satisfaire la véritable fin qui est l'intérêt général et la justice. Or, pour Husak, afin d'atteindre la justice et l'intérêt général, les partis politiques sont certainement les pires ennemis des masses quand il s'agit d'atteindre ces deux buts. Husak précise alors qu'il ne parle pas seulement des partis extrémistes de gauche ou de droite mais bien de l'ensemble des partis politiques, y compris les plus modérés qu'ils soient, car tous les partis politiques fonctionnent de la même manière et sont caractérisées par trois traits communs à l'ensemble des partis que sont : la génération de passions collectives, l'exercice d'une pression collective sur l'esprit des membres du parti et enfin la recherche de la croissance du parti au dépend des autres partis mais également au dépend de la nation en elle-même.

    Husak témoigne alors de la perspicacité de la fierté honorable qu'ont les politiciens mais également les citoyens participant au processus politique de leur pays en se revendiquant d'une idéologie particulière collant avec l'image première du parti auxquels ces personnes appartiennent. Se dire conservateur, républicain, démocrate, libéral ou toute autre idée politique prônée par les partis devient un objet de fierté politique quasiment naturel et sensé. Dans les faits, cela implique que si les masses se décident à se revendiquer d'une idéologie en particulier, alors le consensus autour des partis politiques et de leur existence signifie qu'aux yeux des masses, il existerait de multiples vérités et qu'elles sont adaptées en fonction du parti auquel on appartient. Cela revient à dire que l'on ne pense pas réellement, le parti le fait à notre place. On ne pense pas tel ou telle chose car on est estalien, chrétien ou socialiste mais parce que l'on est soi-même. Or, exprimer une opinion politique en se déclarant d'un tel bord politique signifie de fait que la pensée politique que l'on défend ne vient pas de soi-même mais du parti. Le parti politique aliène donc l'autonomie intellectuelle des individus et les empêchent de penser par eux-mêmes. De même, les partis bloqueraient toute forme d'apolitisme dans le discours des candidats politiques : ceux-ci ne peuvent éclaircir leur discours ou leurs idées dans le seul objectif d'assurer la justice et l'intérêt général dans un programme non-partisan sans se mettre à dos leur propre parti.

    Husak estime donc in fine que les partis politiques tuent la direction de la justice et de l'intérêt général qui est sensé guider toutes les âmes de ce monde. Toute question qui ne relève pas d'intérêts particuliers est constamment officialisé et lâche aux passions collectives. Les partis politiques forcent l'esprit humain à être pour ou contre sans réfléchir un temps soit peu aux dérives partisanes que cela pourrait engendrer. Ainsi, le membre d'un parti ne peut se poser la question de ce que pense ses adversaires, tout d'abord car penser en dehors du dogme officiel est un acte de trahison idéologique envers le parti mais surtout car il dessert le parti. En existant, le parti, même avec les meilleures intentions du monde, n'a d'autre choix que de favoriser sa croissance pour éviter de disparaître. Aucun parti ne veut disparaître, c'est évident. Il y a donc une véritable aliénation des hommes au sein des partis car ceux-ci sont forcés de suivre une ligne directrice et sont obligés de refuser tout ce qui ne relève pas de l'idéologie officielle du parti pour pouvoir survivre. Tout cela créait un biais politique évident qui instaure une simplicité de réflexion et une fermeture d'esprit qui créait à son tour une corrosion des institutions démocratiques (il est impossible d'établir une démocratie sans pouvoir écouter son prochain dans le très houleux débat démocratique). Le parti créait donc à la fois une forme de polarisation des sociétés évidentes entre les idéologies prônés par les partis d'un même pays et favorise la lèpre intellectuelle en aliénant le citoyen moyen de son droit à penser par lui-même et le rendant plus docile et servile aux institutions partisanes du système dans lequel il vit.
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    Le remord final (2009) :

    Couverture du livre


  • Auteur : Pyotri Moloski
  • Catégorie : Science-fiction, romance, dramatique, post-apocalypse.
  • Date de parution : 2009.

  • Biographie de l'auteur :

    Moloski est un jeune écrivain estalien né en 1989 dans la banlieue de Mistohir. Né d'une famille d'origine modeste, le jeune Pyotri va se passionner rapidement pour l'informatique, les jeux vidéos et surtout la lecture. C'est dans cette optique qu'il obtient une bourse pour ses études de lettres en 2007 et qu'il devient rapidement major de sa promo. Passionné par l'univers des jeux vidéos et plus précisément des jeux de survie en monde ouverte, Moloski avait souhaité écrire une œuvre littéraire qui se déroulerait dans un de ces mondes qui le passionnait tant en y mêlant une histoire violente et reflétant la propre vision cynique du monde de Moloski. Son œuvre principale, Le remord final, est devenu un des best-sellers nationaux de 2009 et a eu un certain succès à l'international.

    Résumé de l'oeuvre :

  • Chapitre 1 : Vieux souvenirs.

  • Six ans ont passés depuis qu'une pandémie mondiale ait ravagé le globe et englouti avec elle la majeure partie de la population terrestre. La pandémie avait commencé de manière insidieuse, presque invisible. Dans des régions lointaines, loin des grands centres de population terrestres, des communautés isolées tombaient mystérieusement malades, une maladie s'infiltrant dans la chair et dégradant le corps humaine à une vitesse surprenante. D'abord des rumeurs d'une maladie bénigne, puis de véritables tempêtes de fièvres, de pertes de conscience puis d'agressions, de combats de rue, d'émeutes. Plus les jours passaient, plus le commerce international accomplit son rôle de transmission pandémique : ville par ville et continent par continent, le virus se propagea et mena rapidement à l'inondation du système hospitalier de la plupart des pays du monde. D'abord submergés, les hôpitaux sont devenus la tombe de milliers de personnes où des massacres de grande ampleur eurent lieu lorsque les infectés commencèrent à déchiqueter les patients, les proches, le personnel de santé, tout le monde. La crise ne put être cachée, tout avait été révélé par des médias malgré la censure gouvernementale. Aux morts s'ajoutèrent les vivants où la panique se propagea à son tour, parfois plus vite que la pandémie elle-même. La peur, plus meurtrière que le virus, mène à l'échec de la loi et de l'ordre, la société disparaît dans un flux continu de violence et de conflits armés entre les groupes de survivants. Les gouvernements furent incapables de réagir : loi martiale, censure, massacres de masse, dictature militaire. Rien n'y fait et les villes sous quarantaine militaire deviennent non plus des refuges mais des pièges où toute la nourriture se rassemble volontairement au bon plaisir des infectés. En quelques mois, la quasi-totalité des nations avaient disparus dans le chaos total et la société humaine avait laissé place au silence.

    Six ans après ces évènements, le monde ne ressemblait plus vraiment à celui qui existait auparavant. La plupart des infectés ont disparus suite à la décomposition et aux bombardements (parfois atomiques) de masse des armées. Le reste avait vraisemblablement évolué vers une forme plus rapide, agile et dangereuse. Les infectés étaient donc peu nombreux mais incroyablement dangereux à eux seuls. Les villes, comme la plupart des infrastructures humaines, étaient méconnaissables, ayant souvent été pris d'assaut par Mère Nature qui y a repris ses droits.

    C'est dans ce monde que vit Elena, une jeune femme qui entre alors dans l'ancienne Fransoviac, autrefois resplendissante la nuit grâce aux lumières de la ville. Aujourd'hui, les immeubles font mine de colonnes de lierres, les routes ressemblent davantage à des carrières qu'à des routes et la plupart des maisons qui s'y trouvent ne font presque plus qu'un avec la nature environnante, seuls les briques en dessous de la végétation restent les seuls signes de la présence humaine d'autrefois. Elle entre alors dans un ancien supermarché. Vaste champ d'étagères métalliques vides, n'ayant laissé comme biens des outils inutiles à la survie. Elena défile dans les rayons : des jouets d'enfant, de la décoration, des fournitures scolaires, des DVD, des fleurs fanés. Chaque objet donne à Elena un élan de nostalgie soudain, lui évoquant une époque lointaine d'espoirs et de rêves en tout genre désormais terminés. Elle se disait certainement que l'étudiante en médecine qu'elle était autrefois n'aurait jamais pu se projeter dans ce monde-là où l'espoir est anéanti. On ne sait plus trop pourquoi on vit. Peut-être car c'est la seule chose qui nous reste au final ? Qui aurait pensé que Elena soit devenue, en l'espace de six ans, une meurtrière lugubre et une femme brisée par ce qu'elle a vu ou subi ? Elle n'est plus la jeune étudiante innocente d'autrefois, pas après ce qu'elle a fait car dans ce monde, si quelqu'un affirme n'avoir jamais fait de mal à son prochain pour survivre, vous pouvez être sûr qu'il ment. Et pour Elena, elle n'est plus que l'ombre de ce qu'elle fut autrefois.

    Cela fait presque six mois qu'elle n'a pas croisé quelqu'un. Du moins quelqu'un de vivant. C'est à la fois inquiétant et rédempteur, sa dernière rencontre avait mené à la mort sa nouvelle compagnon d'armes, horriblement dévorée par un groupe d'infectés. Elle en avait gardée un mauvais souvenir et depuis cette nuit-là, elle n'a pas passée une seule nuit paisible depuis lors, enchaînant les cauchemars et les insomnies permanentes.

  • Chapitre 2 : Salvation.

  • Depuis plusieurs jours désormais, Elena fouillait chaque bâtiment de la ville à la recherche de nourriture ou de munitions. Elle avait mangée sa dernière boîte de conserve il y a presque quatre jours maintenant et ses réserves de munitions étaient terriblement basses. Autrefois, abattre les infectés à l'arme blanche n'était pas une difficulté grandiloquente, ces derniers étaient lents et fragiles. Néanmoins, aujourd'hui, ceux qui restent sont devenus agiles, plus forts et bien plus rapides qu'un humain moyen ce qui rend le combat au corps-à-corps hasardeux, pour ne pas dire suicidaire. Les armes à feu étaient donc les armes privilégiées en ces temps-là, malgré le bruit qu'elles faisaient, elles étaient la seule assurance sur laquelle un survivant pouvait compter de manière plus ou moins fiable.

    La matinée est brumeuse, le brouillard semble s'être propagée dans toute la ville, fouiller devient presque impossible et alors que Elena se dit qu'elle devrait reporter la recherche à cet après-midi, elle est soudainement aux prises avec un groupe d'infectés à l'intérieur d'une ancienne pharmacie. Dégainant son fusil d'assaut, elle ouvre le feu mais plus les infectés s'approchent, plus ses tirs précis deviennent des tirs de panique et en peu de temps, elle crame son dernier chargeur. Elle s'apprête à dégainer sa machette : si elle doit mourir aujourd'hui, elle emportera le maximum de ces enfoirés avec elle dans la tombe. Soudain, un sifflement familier transperce les vitres de la pharmacie. Une balle puis deux, puis trois et ce jusqu'à que le dernier infecté, à deux doigts de planter ses crocs inhumains dans le poignet de la jeune femme, perde la moitié de sa boîte crânienne, propulsée sur le parquet de la pharmacie par le gros calibre qui vient d'être tiré.

    C'est alors que je l'aperçus. Une silhouette singulière, je revois encore sa posture nonchalante s'approcher de l'entrée du magasin dont il venait de provoquer une fusillade. Une démarche naturelle, avec une absence totale de méfiance dans sa posture. A peine plus préoccupé que le plus normal des clients, allant faire ses courses à la pharmacie comme rien n'était. Evidemment, je ne pus que me méfier de son attitude, il sait pertinemment que je suis dans le bâtiment et ne s'interroge guère sur mon armement potentiel. Pour lui, j'étais dès le début une brebis égarée dont il venait à peine d'abattre les loups.

    Il s'approcha alors de moi. Je devais faire peine à voir : paniquée, apeurée, ayant frôlée la mort de quelques centimètres seulement et collée contre le mur, tenant ma machette ensanglantée comme un enfant tiendrait sa peluche. C'est peut-être cette posture qui l'a convaincu de ne pas m'abattre immédiatement. Je devais certainement lui faire pitié. L'homme en face de moi me paraissait assez jeune, peut-être même plus jeune que moi même si son visage était miné par les années de survie comme la quasi-totalité des gens que j'ai croisé jusqu'ici. Il me tend alors la main :


    " Si tu veux vivre, tu ne dois pas rester ici. Les tirs vont en attirer d'autres."

    Silencieuse comme une carpe, j'attrape sa main. Mon anxiété se ressentait rien qu'au toucher : sa main ferme attrapant la mienne, encore tremblante d'adrénaline et pleine de sueur. Mon corps devait lui-même être surpris d'être encore intact. En quelques instants, on se faufila dans les ruelles adjacentes et après une demi-heure de marche, nous nous sommes retrouvés devant un bâtiment barricadé. Instinctivement, je murmure alors :

    "Un commissariat.
    - La police l'a barricadé en partie pendant la pandémie. Un d'eux devait certainement être infecté et a réussi à buter tout le monde. J'ai dû le nettoyer.
    - Ils étaient combien ?
    - Oh, au bas mot, une bonne centaine.
    - Menteur..."

    Je ne le croyais pas, évidemment. Une centaine, ça me paraissait trop. Même avec une bonne escouade militaire bien équipée, ce serait difficile de nettoyer un bâtiment aussi étroit et densément peuplé sans y laisser la vie. Je devais reconnaître en revanche que le bâtiment était bel et bien sécurisé : barricadé, organisé et avec plusieurs postes de tirs. De là, on pouvait arroser sans difficultés les alentours du bâtiment à 360 degrés. A plusieurs, ça pourrait être un véritable fort. Alors que j'entre, je scrute les salles. Personne. Il vivait seul.

    "Où sont les autres ?
    - Quels autres ?
    Le sang d'Elena ne fait qu'un tour.
    - Les autres. Ton équipe, les autres survivants. Tu vas pas me dire que tu gardes cet endroit à la seule force de tes muscles.
    - C'est pourtant le cas."

    La méfiance était de mise. Je ne connaissais pas cette personne, cet homme vivait seul dans un endroit aussi grand. Il y a quelque chose de louche, j'en étais sûre. Un cannibale peut-être ? Un chasseur de têtes ? Un bandit ? Un violeur ? J'avais suffisamment croisé de dégénérés sur cette Terre pour prédire le profil des énergumènes qui me tombaient dessus. Alors que j'échafaudais un plan d'évasion, il s'écria :

    "Tu peux rester ici autant que tu veux et repartir comme bon te semble. Si tu prends des provisions d'ici, préviens moi et je te dirais si c'est possible."

    Cherchait-il à me mettre en confiance pour mieux me piéger ? C'est ce que je pensais au début. Alors que je le voyais monter à l'échelle se situant au coeur du hall de l'ancien commissariat, il s'exclama de nouveau :

    "Au fait, moi, c'est Lukas."

    Avant de subitement achever la montée de l'échelle et de se diriger vers le toit du bâtiment. J'étais seule, là, juste devant la totalité de ce que cet homme avait construit. Il y avait de la nourriture, des armes, des couchettes propres et même une citerne d'eau potable. Je me suis pris à penser tout d'abord que ce gars devait être trop naïf pour me laisser seule avec l'ensemble de son matériel, je n'avais qu'à saisir une des nombreuses armes qui se situaient dans l'armurerie et l'éliminer pour profiter de l'endroit. C'est ce que font la plupart des gens en ces temps. Je me suis alors dirigé vers l'armurerie, la porte était ouverte. Je n'avais pas vu autant d'armes à un seul endroit de toute ma vie. Peu importe : je saisissais un fusil à pompe, insérant la première cartouche dans la chambre, me disant qu'une seule balle lui suffira. Puis, alors que je m'apprêtais à sortir de l'armurerie, mon corps se figea. Je repensais à ce que j'avais pu vivre autrement avec d'autres connards du même genre. Des traîtres, ni plus ni moins, ayant sacrifiés leurs propres enfants parfois pour survivre eux-mêmes. Ce monde était peut-être foutu mais pour une raison obscure, je n'ai pas pu faire un pas de plus vers ma tâche funeste. Devais-je vraiment faire comme tous ces enfoirés ? Trahir, tuer, assassiner. Assassiner, c'était bien le mot : j'étais sur le point de tuer un homme qui m'a sauvé la vie de sang-froid. Je ne suis peut-être pas une samaritaine mais je savais au fond que je valais mieux que ça.

    Elena reposa alors l'arme et malgré sa méfiance initiale, accepta finalement l'aide de Lukas. On en apprend alors plus sur l'identité de Lukas : il était membre des forces armées quand tout cela avait commencé. Lukas reste très évasif sur les détails de sa vie de manière générale, Elena réussit néanmoins à percevoir que Lukas, comme elle, a beaucoup souffert de son passé, a connu des proches atrocement tués et a dû vivre dans des conditions exécrables pour s'en sortir. Le chapitre s'achève sur l'assoupissement d'Elena alors que Lukas mène la garde, preuve qu'elle fait confiance à Lukas pour la protéger durant son sommeil.

  • Chapitre 3 : Une compagnie fortuite.

  • Cela fait quelques jours qu'Elena a pu se reposer dans l'abri de Lukas. Celui-ci, malgré tous les pronostics de la jeune femme, ne lui a encore rien fait. Aucune extorsion, aucun vol, pas de tentative d'agression. C'est rare, se dit-elle. Surtout dans cet environnement hostile où les inconnus sont naturellement des dangers. Elena se disait certainement que Lukas était juste un grand naïf, peut-être n'aurait-il pas suffisamment souffert de la trahison pour encore avoir une once de confiance envers des étrangers. Un matin, Lukas propose à Elena de le suivre jusqu'à un entrepôt abandonné situé en périphérie de la ville dans le but de trouver de nouvelles provisions ainsi que des plaques de métal, Lukas ayant pour ambition de renforcer les fenêtres de l'abri non plus avec des barricades en bois mais par des plaques en métal solides. Elena est surprise : cet homme avait visiblement l'énergie nécessaire pour perfectionner son abri déjà très bien aménagé.

    Se montrer trop confiant, ne jamais se contenter de ce qu'on a déjà, risquer notre vie pour acquérir plus, privilégier le matériel plutôt que sa propre vie. Je connais ces situations, je connais aussi les gens qui avaient ces mentalités autrefois. Elles étaient toutes mortes et Lukas, bientôt, allait les rejoindre dans leur tombe. Néanmoins, Lukas avait l'air confiant et surtout, il avait une expérience militaire que je n'avais pas. S'il doit y aller, je dois m'assurer qu'il reste en vie. Au moins pour m'assurer d'avoir un militaire à mes côtés quand j'en ai besoin.
    Hésitante au début, Elena finit par suivre Lukas au tréfond de la grande ville de Fransoviac. Le trajet se passe relativement bien, Elena découvre la capacité de Lukas à rester silencieux et à éliminer les infectés à l'arme blanche de manière discrète et sournoise. cela devait expliquer le nombre d'armes et de munitions que Lukas avait : il cherchait régulièrement à économiser ses munitions et à les utiliser en cas d'urgence alors que pour Elena, tirer faisait partie de chaque affrontement. Tirer puis reculer, tirer puis s'enfuir. C'était ça, sa tactique favorite. Avec Lukas, elle découvre qu'il existe d'autres moyens de procéder, la méthode furtive s'avérant plus lente mais plus efficace. A la tombée de la nuit, ils arrivent à entrer dans l'entrepôt, heureusement vide de toute présence. Ils y récupèrent de la nourriture et des fournitures médicales. Obligés de rester dans l'entrepôt pour la nuit, Lukas s'ouvre un peu plus à Elena, lui expliquant comment il avait perdu l'ensemble des compagnons d'armes de son unité durant la pandémie, comment il a été écœuré par le comportement des êtres humains dans ces situations de crise. Elena se reconnaissait dans le dédain de Lukas pour des scènes qu'elle a presque vécu de manière semblable à Elena. Touchée par les révélations du passé de Lukas, Elena se dévoile aussi, parle de sa famille atrocement massacrée par les infectés, de ses amis qui ont étés tués ou qui ont finis par la trahir elle ou leurs proches et les groupes de survivants qu'elle a pu rencontrer. Ces groupes, pour la plupart, avaient perdus de leur humanité et abandonnaient généralement les plus faibles (vieillards, femmes, enfants), laissés en appâts aux bandits et aux infectés dans d'atroces circonstances.

    La journée qui suit resserre davantage le lien amical naissant entre les deux personnages : même s'il est moins âgé d'un an que Elena, Lukas devient presque le mentor de la jeune femme et lui apprend différentes méthodes de survie dans la journée, notamment sur sa façon de se déplacer plus discrète, comment fuir une zone quand la situation l'impose ou des moyens plus simples de trouver de l'eau potable en terrain urbain.

    Le lendemain, alors qu'ils retournent vers l'abri, ils constatent deux survivants qui sont aux prises avec un groupe d'infectés. A la grande surprise d'Elena, Lukas n'hésite pas une seule seconde et se rue vers les infectés pour porter assistance aux survivants. Utilisant son fusil semi-automatique, Lukas élimine un à un les infectés de manière mécanique et régulière. Elena cherche à assister Lukas et élimine elle-même quelques infectés au corps-à-corps. Les infectés neutralisés, Lukas intime les deux survivants de se réfugier avec eux avant que les tirs n'en attirent d'autres. Une fois à l'abri, les deux survivants révèlent leur identité : la première se nomme Katya, une ancienne infirmière tandis que l'autre se nomme David qui s'avérait être un ancien mécanicien.

    Si Elena se plaint auprès de Lukas, lui intimant de faire dégager les deux survivants au plus vite pour éviter d'avoir trop de bouches à nourrir, Lukas l'a rappelle à l'ordre :

    "C'est donc comme ça que tu vois les choses ? Rejeter tes semblables en les mettant tous dans un seul et même panier ? Tu crois que l'Humanité a fait comment jusqu'ici pour devenir l'espèce la plus intelligente sur Terre ? Elle a utilisé la confiance, la coopération et l'entraide pour s'en sortir. Tu te sens en sécurité à expulser tout ce qui t'es étranger ? Qu'il en soit ainsi. Mais sache une chose, Elena, l'Homme n'est pas fait pour vivre sans risque ni sans ses congénères. Le jour où il se retrouve véritablement seul, la nature l'emporte et l'élimine de la manière la plus atroce qu'il soit. C'est la morale de ce monde, ceux qui survivent sont ceux qui se serrent les coudes, qui ont des nerfs d'acier. Pas ceux qui abandonnent leurs compagnons et s'enfuient au moindre accrochage. En cherchant à les abandonner, Elena, tu ne vaux pas mieux que les personnes qui t'ont autrefois abandonnés."
    La réprimande de Lukas agit comme un électrochoc pour Elena. Elle qui pensait que la seule manière de survivre était justement de se méfier de tout ce qui peut être amical un jour, hostile le lendemain, là voilà en proie à ses propres contradictions. Haïssant les survivants qui ont pu autrefois la trahir ou l'abandonner, elle n'a fait que répéter le même schéma qu'eux, sans se soucier des autres. Elle a suivi Lukas car celui-ci pourrait la couvrir en cas de problème mais elle ne s'est jamais dite qu'elle pourrait participer à une protection mutuelle avec lui. Tout allait dans un seul sens dans sa tête, elle recevait sans rien donner en retour. Le chapitre s'achève sur l'acceptation timorée d'Elena des deux nouveaux survivants dans l'abri et par les premières discussions amicales entre David, Kayta et Elena.

  • Chapitre 4 : le début d'un groupe.

  • Le chapitre suivant expose surtout la vie en communauté entre les quatre personnages. David, habile avec ses mains, se charge d'utiliser le matériel nouvellement récupéré par Lukas et Elena pour renforcer l'abri, mettre des plaques métalliques au niveau des fenêtres et renforcer les fortifications existantes. Kayta se charge quant à elle de réorganiser l'infirmerie et d'organiser le matériel médical. Enfin, Elena et Lukas passent principalement leur temps à partir en expédition en ville dans le but de trouver de nouvelles provisions alimentaires (la quantité de nourriture stockée par Lukas ne suffisant pas pour quatre personnes). C'est dans cette ville dévastée et reprise en grandes pompes par la Mère Nature que les deux personnages consolident leur lien. Le silence, la beauté du mélange urbain et naturel dans les rues de la ville en ruines.

    Nous nous engageâmes dans l'avenue commerciale du centre-ville. Je suis originaire de Guwadwok, je n'ai jamais connu cet endroit avant la pandémie mais je voyais dans le regard de Lukas une nostalgie évidente, une mélancolie humaine qu'on ne voit que rarement dans les yeux d'un être humain. Je me suis surprise à contempler son visage, certes fatigué, mais épris d'une douce nostalgie d'un monde qui ne reviendrait plus. Cela me faisait froid dans le dos de savoir que l'on venait d'un monde aussi paisible que le nôtre. Il n'était pas parfait, je dois l'admettre : le prêt étudiant à rembourser, les loyers en retard, les cours qui n'en finissaient plus de tomber, la pollution sonore de la ville et les engueulades récurrentes entre les membres de ma famille quand ça parlait politique. Aujourd'hui, je tuerais pour n'entendre que serait-ce un avion de ligne voler au-dessus de nos têtes ou avoir à discuter de sujets aussi simples que de la musique, de la littérature, des études ou du travail. Dans tout ça, j'avais l'impression que le regard de Lukas reflétait ma propre existence. J'étais brisée par ce que j'avais vu pendant six années d'horreur et j'en avais presque oublié que même si ce monde est horrible, atroce et qu'il est meurtrier dans toutes ses formes, j'en ai oublié que cet endroit n'est pas un endroit parallèle à ce que le monde était avant tout ça. Le monde a évolué, ni plus ni moins, et je dois évoluer avec. Lukas remarqua que je le fixais, il se tourna vers moi, l'air perplexe :

    "Ca va ? J'ai un truc sur le visage ?
    Elena détourna le regard, les joues légèrement rougies
    - Ah-euh non non ! T'as rien du tout !"

    Alors que je détournais le regard, j'observais alors deux formidables élaphes en train de brouter l'herbe à seulement quelques mètres de nouveau. Je dégaine rapidement mon arme, ayant une soudaine envie de transformer ces deux cerfs en mon repas du soir. Mais soudain, de manière douce, la main de Lukas se posa sur le bout de mon canon, me forçant à baisser mon arme.

    "Attends, regarde..."

    Sur le moment, je ne comprenais pas la réaction de Lukas : c'était une occasion en or pour attraper du gibier. Il me fit signe de simplement regarder les cerfs, ce que je fis en espérant voir quelque chose de surprenant.

    "Dis-moi, c'est quand...la dernière fois que tu as vu quelque chose d'aussi beau ?"

    L'air perplexe, j'observais la scène se déroulant devant moi. Deux cerfs, dans une zone si paisible. Aucun infecté, dans une avenue commerciale déserte, en ruines et pris d'assaut par la végétation. Puis la beauté de la scène me frappa de plein fouet, comme une évidence. J'avais retrouvé la vue. Les deux cerfs, d'un air gracieux, émergent doucement de leur verdure, leur pellage brun clair se fondant de manière harmonieuse dans le paysage bucolique qui les entourent. Le contraste entre la majesté de ces deux bêtes sauvages dans un vestige urbain, ancien symbole de la domination humaine sur la Terre, figurait comme une toile d'un maître peintre, un symbole, un étendard de Mère Nature par-dessus les traces de l'Humanité. Et alors que le silence s'installe dans cet espace harmonieux, le vent murmure à travers les branches de la végétation sortant des bâtiments alentours, une mélodie naturelle qui surpasse toutes les œuvres musicales et artistiques de l'Homme, sans nul défaut. L'œuvre parfaite de Dieu. Une nature inviolée malgré les pires barbaries qui ont saccagés l'espèce humaine. C'est à ce moment que j'ai compris que l'espoir résidait dans ces moments, dans la beauté même de la nature. Ce monde est peut-être terrifiant et ne recèle pas du même calme platonique que celui dans lequel je suis née mais je sais que ce monde est beau, à sa manière. Les deux cerfs finissent par disparaître dans les replis verdoyants de la ville tandis que je partagea un regard complice avec Lukas. Aucun mot ne sortit de ma bouche et il fit de même, aucun langage ne permettait de décrire ce que je ressentais devant une telle grâce.

    Ces moments d'accalmie dans une ville vide et silencieuse rapproche grandement Lukas et Elena, une complicité naît entre les deux personnages. Elena ira même jusqu'à fouiller une ancienne bibliothèque pour y trouver un recueil de poèmes. Curieuse, elle lit à haute voix plusieurs poèmes au coin du feu avec Lukas. Malgré les batailles, les affrontements et le côtoiement constant des personnages avec la mort elle-même, l'ambiance dans l'abri se termine sur une note de sérénité fragile mais précieusement conservée par Elena à la fin du chapitre. L'espoir semble renaître.

  • Chapitre 5 : Damnation.

  • Cela fait presque six mois que les quatre personnages vivent ensemble dans le même abri. Entre Elena et Lukas, la relation s'est transformée en une véritable confidence, une relation qui laissait entendre un flirt entre eux. Il y avait beaucoup de non-dits dans leur relation, même si pour Kayta, par exemple, la nature de leur relation était évidente : les deux s'aimaient. Le groupe s'était bien soudé, presque comme une famille. Elena tenait vraiment en chacun des membres de son groupe et refusait en toute circonstance de laisser l'un d'eux seul face à la mort. Pour elle, la jeune femme avait retrouvé un semblant de vie normale au milieu de tout ça. C'était une famille de fortune mais des liens forts avaient finis par être tissés entre les membres du groupe.

    Une nuit, alors que Lukas menait un dernier tour de garde avant d'aller se coucher, Elena monte sur le toit pour observer la ville obscure qui leur font face. Elena s'était décidée, elle avait déclarer ses sentiments pour Lukas. Mais alors qu'elle commença à se jeter à l'eau, des bruits de moteurs se firent entendre. Le premier depuis des années pour elle. Néanmoins, cette nouvelle était loin d'être une bonne nouvelle. En entendant les moteurs des véhicules, Kayta se précipita sur le toit avec un fusil d'assaut.

    Je ne pus qu'être surprise lorsque Katya se trouvait soudainement à quelques centimètres de moi, maniant un fusil d'assaut et prête à faire feu sur ce qui faisait face à l'abri. Peu de temps après, David monta aussi sur le toit, me tendant un fusil de chasse.

    " Attends, qu'est qui se passe ?
    - Discute pas, prends le."

    Je regarda alors Lukas, pensant peut-être qu'il serait dans le même état perplexe que moi mais tout ce que j'ai ressenti en voyant son regard, fixé vers le lointain obscur, c'est une vague de haine sans nom que je n'avais jamais perçu dans ce visage que j'avais appris à aimer.

    " Lukas, je ne comprends pas...
    - T'es pas du coin, c'est normal. Les seuls à avoir des véhicules dans la région, ce sont le groupe de bandits de Markus.
    - Qui ça ?
    - Markus, me lâcha alors Kayta, il est connu dans la région pour exiger des tributs aux communautés locales et à éliminer ceux qui lui résiste. Il a pas mal d'hommes sous ses ordres.
    - Attendez, comment ça se fait que vous êtes au courant et pas moi ?! Un silence s'installe alors avant que Lukas ne daigne prendre la parole
    - Je connaissais Markus avant la pandémie. C'était un militaire, tout comme moi. Je peux pas t'expliquer maintenant mais il a fait des choses horribles, j'avais tenté de l'en empêcher et depuis, il cherche à me descendre.
    - Il nous traquait aussi, il y a un an... enchaîne Kayta, il a exécuté toute notre communauté à David et moi. On avait pas de quoi payer le tribut."

    J'avais compris l'essentiel mais pas suffisamment vite pour comprendre ce qui allait se dérouler. Soudainement, les balles sifflaient et alors que je voyais plusieurs pick-ups approcher de l'abri, des tireurs embusqués dans la nuit sombre alignèrent le toit. Je me suis jeté au sol instinctivement, tout comme Lukas mais Kayta, elle, n'eut pas la même chance que nous. En quelques secondes, j'étais couverte de sang. Le mien ? Je ne ressentais aucune douleur. Du moins, pas avant que je vois le cadavre inanimé de Kayta tomber lourdement sur le sol, le visage complètement défiguré. Avant même que je puisse ne serait-ce que vérifier l'état de mon amie désormais défunte, Lukas me prit dans ses bras et nous sautâmes dans le trou où se situait l'échelle. Je ne voyais plus rien, l'obscurité de la nuit m'empêchait de voir ce qui se déroulait dans le feu de l'action. Je vis une lumière rougeâtre illuminer le toit comme un feu d'artifice. Pas d'explosion, étrangement mais des bruits de verres se brisant.

    "Molotovs ! Ils veulent nous faire cramer ! cria Lukas"

    Je me releva rapidement, serrant le plus fort que je pouvais mon fusil de chasse. Je voyais David tirer en rafales vers l'extérieur avant de se prendre une balle en plein thorax. Malgré le sang qui giclait au niveau de sa poitrine, il continua à tirer avant que deux hommes enfoncent brusquement la porte de l'abri et lancèrent un autre Molotov sur David. Brûlé vif, tel fut son sort devant mes yeux remplis de peur. Paralysée par le massacre auquel j'assistais, je ne pouvais plus que me reposer que sur Lukas qui tenta tout pour me protéger, éliminant avec son fusil d'assaut plusieurs assaillants. Soudainement, à une des fenêtres, un de nos assaillants réussit à loger une balle dans la jambe droite de Lukas. Boîteux, il tente de se relever avant d'être immédiatement rappelé à l'ordre par un deuxième projectile, cette fois dans l'épaule gauche. Puis je le vis. Le coupable, le meurtrier, le damné. Je ne savais pas qui c'est à cet instant mais malgré mon ignorance de la situation, Lukas s'écria :

    "Elena, pars ! Cours et ne te retourne pas !"

    Encore déboussolé, je réussis néanmoins à courir jusqu'à la porte arrière et à m'enfuir de l'abri in extremis sous le sifflement des balles. Je cours alors dans la rue obscure et noire, sans rien d'autre qu'un fusil de chasse. J'entends déjà les infectés s'avancer vers l'abri en flammes, attirés par les coups de feu. Instinctivement, je réussis à me réfugier dans un restaurant miteux à moitié dévoré par la nature. C'est à cet instant que je remarque que j'avais une balle en plein dans la cuisse droite mais que, sous l'effet de l'adrénaline, j'avais continué à courir comme si rien n'était. J'étais seule, blessée, dans l'obscurité, au milieu d'un flux d'infectés qui se dirigeaient vers l'abri. Je devais ne faire aucun mouvement, rester parfaitement immobile dans l'obscurité la plus complète. Malgré la douleur de ma blessure, le déchirement de mon cœur d'avoir perdu très certainement la seule famille qui me restait et la plus probable mort du seul homme que j'aimais, je devais me taire si je voulais ne pas finir en casse-croûte aux infectés.

    Elena passe la nuit discrètement, sous un comptoir, ne pouvant bouger et devant à peine respirer face au hurlement constant des infectés qui inondent la zone durant toute la nuit avant que, finalement, le départ des brigands se fasse entendre par le bruit des moteurs de leurs véhicules, éloignant les infectés de la zone où Elena se trouvait. Le lendemain, après avoir soigné très brièvement sa blessure, elle se dirigea vers l'abri. Ou ce qu'il en restait. Un tas de cendres, sans plus ni moins. De David, elle ne retrouva que le squelette encore fumant de la veille. Quant à Lukas :

    Boîtant dans le tas de cendres qui me servait de refuge il y a encore quelques heures de cela, je cherchais désespérément le cadavre de Lukas dans les décombres. Je voulais le savoir, je ne sais par quelle force, sachant fort bien que la vérité me briserait de nouveau. Mon regard était rivé sur les décombres alors que je n'avais qu'à relever la tête. Sur un des poteaux en face de l'abri, je trouva l'homme qui m'avait sauvé la vie. Pendu, le visage horriblement mutilé à l'arme blanche, une jambe visiblement arrachée au fusil à pompe à courte portée.

    Je m'effondra alors sur le sol, les yeux incapables de détourner leur regard sur autre chose que sur la charogne qui me faisait face. Un piètre spectacle. Malgré toute ma volonté de rester discrète, je ne pus m'empêcher de m'effondrer en sanglots. J'étais devenue incapable de m'arrêter. Cela pendant plusieurs heures, je tentais de me réveiller, d'implorer n'importe quel Dieu (ou de l'insulter). Ce n'était qu'un cauchemar. C'est du moins ce que j'essayais désespérément de croire. Mais rien n'y faisait, j'avais tout perdu. Décrochant Lukas, je tenta de chercher une quelconque chaleur sur son visage ensanglanté, une chaleur qui avait disparu à tout jamais. Mes larmes se mêlèrent au sang qui s'échappait des plaies de son cadavre, je tentais de m'excuser en murmurant auprès de lui, pensant peut-être que mes murmures d'excuse traverserait le voile de la mort. Tandis que mes sanglots continuaient, la nature ne put que me répondre qu'un silence plat, une marque de son indifférence complète face à la perte d'un être cher. J'étais seule. A nouveau.

    Je ne sais plus combien de temps je suis resté là, son cadavre entre mes bras. Peut-être une journée entière, certainement. Après une journée à avoir mêlé silences accablants et sanglots déchirants, j'ai fini par me relever, l'air aussi neutre et dénué d'émotions qu'un robot. Je n'avais plus qu'une seule idée en tête à cet instant.


    "Je tuerais cet enfoiré. Lui et toute sa bande, j'exterminerais ces fils de putes. Un. Par. Un."

  • Chapitre 6 : Promesses.

  • Toujours le visage déformé par les larmes et le désespoir, Elena commença à creuser une tombe, y posant délicatement le cadavre de son bien-aimé. Elle se promit devant sa tombe qu'elle retrouverait Markus et son groupe et qu'elle le vengera. Elle pensait alors que cette quête serait longue mais rapidement, elle tomba sur un des cadavres d'un des hommes de Markus tué durant les combats d'hier. Sur lui, le bandit disposait d'une carte. Il semblait que Gardinov était la ville où le camp de Markus se situait, c'était de cette ville que Markus semblait diriger ses opérations. A pied, Gardinov était certainement à plusieurs jours de marche de Fransoviac. Elena était blessée à la jambe et n'était pas vraiment en état de voyager mais qu'importe pour elle, elle rassembla le peu d'affaires qui pouvait rester sur place, y compris des affaires de Lukas, portant sa plaque militaire autour de son cou puis elle partit de son ancien chez-soi. L'hiver approchait, il allait s'annoncer rude. Le chapitre se termine sur l'arrivée d'Elena dans un entrepôt industriel à l'est de la ville. Les murs ont étés déchiquetés par des impacts de balle et les fenêtres ont étés brisées. Le froid mordant de l'extérieur pénètre aisément dans l'entrepôt vide, Elena n'y trouvant qu'une lampe à pétrole pour s'éclairer. La scène finale se termine sur Elena, recroquevillée sur elle-même, palpant la plaque de Lukas en permanence. De nouveau, elle est devenue incapable de dormir.

  • Chapitre 7 : Chasse à l'Homme.

  • Cela fait désormais une semaine que Elena survit dehors. Une journée se lève de nouveau, le paysage morose des grandes plaines de la campagne ex-estalienne se lèvent. A l'horizon, pas une âme qui vive. Seul le paysage vert de l'herbe subsiste, le ciel gris qui s'abat sur les tiges vertes qui recouvrent le sol. Elena, malgré les difficultés, n'a pas abandonné. Sa blessure a perdu en gravité, elle a pu trouver de nouvelles armes sur le chemin et si elle manque encore de vêtements suffisamment chauds contre l'atmosphère froide et glaciale de l'hiver, elle continue malgré tout. Elle peut tomber, se blesser et trébucher, elle se relève toujours dans un unique but, une volonté farouche et brûlant au fond d'elle, celle du regret de n'avoir pas pu protéger ses proches. Elle veut venger ses amis, c'est une certitude, mais pas seulement. Pour elle, cette quête de vengeance est aussi un moyen de se pardonner soi-même pour tous les moments où elle a aussi fait preuve de lâcheté ou de couardise, lorsqu'elle n'était pas là lorsque sa famille biologique a été massacrée au début de la pandémie, quand tous ses amis ont étés tués un à un sans qu'elle ne puisse rien faire. Tuer Markus, pour elle, c'était racheter sa dette : un moyen de lutter contre les démons du passé et avancer, sans remords. Son chagrin s'était transformé au fil de la rudesse du voyage en colère froide. Le vent perçant des grandes plaines estaliennes semble murmurer les échos des vies perdues des proches d'Elena qui, malgré les âpres obstacles de la nature, refuse d'abandonner.

    Au bout de plusieurs jours de marche, je pus apercevoir l'horizon de la banlieue industrielle de Gardinov. Cette ville, propriété des brigands très certainement, où j'allais me battre, me faufiler et probablement y mourir. Cela faisait quatre jours que je n'avais rien avalé, j'avais gaspillé ma dernière boîte de conserve et j'étais épuisée par la marche forcée que j'avais effectuée pour arriver jusqu'à la ville. C'est là que je vis quelque chose d'étrange parmi les bâtiments de la zone industrielle, apercevant parmi les usines des murs. Visiblement pas construits avec des méthodes modernes, plutôt fabriqués maladroitement avec les moyens du bord. peut-être pourrais-je y trouver des provisions. C'est devant un portail de grande envergure que je titube alors. Le portail est fermé, il ne semble pas y avoir de brèche. Epuisée, je me pose à genoux. Comment j'allais faire ? Mon corps ne voulait plus se lever, la faim et la fatigue me tueront bien avant les infectés ou les autres êtres humains. Soudain, le portail s'entrouvra. Je crus un instant à un simple courant d'air mais je vus une silhouette s'en dégager distinctement. Un homme. Il me tira jusqu'à l'intérieur de l'enceinte. J'essayais instinctivement de me débattre mais mon corps refusait de répondre à mes ordres et en peu de temps, je perdis connaissance[...].

    En me réveillant, j'aperçus un homme qui se trouvait à mon chevet. Il était grand, un homme dans la trentaine je dirais.


    "Qui es-tu ? D'où est-ce que tu sors ?"

    Je voyais alors encore flou, il m'était difficile de répondre distinctement, ma bouche produisant un enchaînement de grognements incompréhensibles pour le genre humain. Je voyais bien, au fur à mesure que ma vue se rétablissait, que l'homme en face de moi avait un regard des plus méfiants.

    "Qui es-tu ? Que veux-tu ?"

    La même question, en boucle. Pourtant, mon corps m'obligea à lui répondre de la plus instinctive et primaire des manières.

    "De l'eau..."

    L'homme fit un mouvement de tête et soudainement, un bras me releva la tête tandis qu'une autre me fit boire abondamment une gourde dont je recracha une partie de l'eau potable abondante tant la quantité d'eau surprenait même ma gorge asséchée.

    "Réponds à ma question.
    - Je cherche Markus..."

    Les traits du visage de l'homme semblaient se complexifier, comme si ma réponse l'avait profondément troublé.

    "Tu as un lien avec Markus ? Tu es un de ses laquais, pas vrai ?
    - Je veux le tuer..."

    Ma réponse semblait rendre l'homme plus perplexe encore. Il se leva et partit.

    L'homme se montra de nouveau auprès d'Elena et se présenta alors. Il s'appelait Viktor, il était le chef de la petite communauté qui venait de repêcher Elena à ses portes. Rapidement, Elena était soignée, nourrie et logée par la communauté qui accepta avec hésitation à lui fournir de quoi assurer ses besoins primaires qu'elle n'avait pu assurer à l'extérieur. Les membres du groupe observèrent alors le ton d'Elena et y virent une sérieuse détermination glaciale, presque inquiètante, quant à son objectif de tuer Markus. La communauté n'était pas indifférente à son souhait : Viktor était le chef de cette communauté que Markus taxait volontairement via des tributs depuis plusieurs mois maintenant. Viktor savait que la situation ne serait pas éternelle étant donné que les ressources de la communauté n'arrivent plus à rétablir les stocks d'avant le prélèvement des tributs. Il viendra un moment donné où la communauté n'aura plus de quoi payer le tribut et alors ce sera la guerre, ou plutôt le massacre, qui attendra Viktor et sa communauté. Viktor accepte donc d'aider Elena à élaborer sa mission d'assassinat de Markus, sachant bien où les bandits de ce dernier se situent en ville. La communauté fournit des ressources limitées mais essentielles à Elena : des armes à feu, des munitions, des explosifs et surtout un groupe de trois personnes, eux-mêmes personnellement attachés à l'idée de tuer Markus aussi. Dans cette équipe, on retrouve donc Elena, Viktor (le chef de la communauté) mais aussi Anya (une jeune femme, ancienne policière, dont le mari a été tué par Markus) et Igor (ancien ingénieur militaire dont la fille a été violée puis tuée par un des seconds de Markus). Le chapitre se termine sur le groupe qui quitte la communauté et son enceinte pour se plonger au cœur de la ville en ruine de Gradinov, tous partagés dans l'idée d'en finir avec le même homme.

  • Chapitre 8 : Rédemption.

  • Cela doit donc être le combat final contre Markus et ses hommes. La première partie du chapitre voit surtout les trois autres membres du groupe raconter petit à petit leur histoire et leur parcours au fil de la traversée des rues de la ville, chacun ayant aussi un lourd passé derrière lui. Les jours passent, Elena se prend d'affection pour ses nouveaux camarades. Elle ne les connaît que depuis peu mais l'objectif partagé entre tous, la souffrance qu'ils ont tous connue malgré la distance géographique, la compréhension de leurs émotions respectives à propos des mêmes évènements rendent la cohésion du groupe bien plus forte qu'au départ de la communauté. Puis arriva la seconde partie du chapitre. La base de Markus était bien protégée avec des barbelés autour, des éclairages massifs afin d'éclairer les alentours durant la nuit et au moins une dizaine de gardes. La base semblait se concentrer autour de la mairie et de l'ancienne église de la ville. Le plan des survivants était donc simple : Igor devait se charger d'éliminer les groupes électrogènes qui alimentaient le camp de Markus, ces groupes se trouvant un peu en dehors du périmètre de sécurité et étant sécurisés par deux gardes tandis que les trois s'infiltrent, profitent de l'effet de confusion au sein du camp pour éliminer les membres du groupe de bandits et Markus lui-même.

    Le plan se déroula presque sans accroc au départ. Igor élimine aisément les deux gardes devant les groupes électrogènes et réussit à couper l'électricité au sein du camp. Les combats commencent alors.

    Les barbelés coupés, je m'infiltrais alors au sein des lignes adverses. Anya était bonne tireuse et en peu de temps, elle élimina une grande partie des gardes se situant de notre côté. Faisant diversion en tirant à longue distance avec son fusil de précision, Anya faisait gagner du temps précieux à Viktor et moi pour que nous puissions trouver l'emplacement de Markus et l'éliminer. Rapidement, notre présence fut remarquée, un homme sortant de l'église et commençant à balayer en rafales tout le terrain vague qui lui faisait face. Moi et Viktor plongent derrière une voiture pour se protéger des projectiles et après quelques échanges de tirs, le tireur est abattu par le tir habile de Viktor. Pensant trouver Markus à l'église, Viktor et moi cherchons à nous positionner juste à côté de l'entrée de l'église. On y lâche deux grenades à fragmentation avant de pénétrer dans les lieux. L'effet de surprise est intense : les bandits sont désorientés par les explosions, du moins suffisamment pour que je puisse les abattre un à un comme des chiens. Il en vient alors qu'un dernier bandit subsistait et alors que mon chargeur était vide, j'entendis le clic en appuyant sur la gâchette. L'homme était pleinement inoffensif, pauvre chiot apeuré qu'il était, trébuchant et reculant par terre vers l'autel. Eglise ou pas, je ne fis rien du lieu ou du respect que j'aurais dû lui consacrer. Plus de munitions ? Je sors alors ma machette et sous les yeux écarquillés de Viktor, je massacre ce pauvre diable de toute la force que je peux. C'est mon coeur, mes muscles et toutes les souffrances endurées que je mets dans chacun de ces coups, j'écrase la tête de cet homme avec ma machette jusqu'à que son crâne explose puis que sa tête ne soit plus qu'une bouillie infâme. Le sang coule de partout : sur moi, sur le sol, sur l'autel et sur le Christ crucifié se trouvant en face de moi. Sous ses yeux, sous les yeux de celui qui se sacrifia pour l'Humanité, je lui montrais toute la ferveur de mon mépris pour ce qu'il avait pu imaginer pour nous. Tout ça à l'aide d'une simple lame et de toute la haine la plus féroce et sauvage qui soit.
    Finalement, après avoir nettoyé l'église, les deux survivants entrent dans la mairie et y tuent aussi de nombreux bandits. En entrant dans l'ancien bureau du maire, en ouvrant la porte, Markus dégaine son revolver et, d'un tir sec, loge une balle en pleine tête de Viktor. Seule pour l'affronter, Elena se rue sur Markus et commence à le poignarder. Celui-ci riposte et à son tour inflige plusieurs coups à l'arme blanche à Elena. Elena ne se battait plus pour sa survie, elle ne voulait que voir la tête de l'immondice qui avait détruit ce qu'elle chérissait le plus au monde se tarir dans une mare de sang dont elle seule aurait le privilège de tremper sa boître crânienne. Sortant une lame de sa ceinture, Markus réussit à se débattre et coupe trois doigts à Elena en tentant de se dégager de sa prise. Dans un excès de rage sauvage, Elena tue Markus d'une multitude de coups de poing dans le visage, au point de détruire la plupart de ses phalanges au cours de son action.

    La voilà, Elena était victorieuse. Elle avait tué Markus et ses amis avaient très probablement éliminés les bandits qui restaient. Viktor y avait laissé la vie mais Anya et Igor réussirent à rétablir la situation et à éliminer les traînards. Dans un bureau où le sang de son ennemi gisait, Elena regarda ses mains mutilées et blessées : est-ce que c'était vraiment ce qu'elle avait voulu ? Aveuglée par une colère noire, par l'exigence d'une justice équitable en ce monde où la force fait loi, avait-elle vraiment permis à ses remords de reposer en paix ? Elle pensait que venger Lukas en tuant son bourreau lui ferait oublier tout cela et lui permettrait d'avancer mais la vérité est qu'elle est toujours au même point. Tuer Markus n'a rien changé, elle est toujours déchirée par la perte de ses camarades. Elle a perdu l'espoir, celui-ci a été pendu au bout d'un poteau mais elle n'a pu le regagner en massacrant ceux qui avaient pendus ce dit espoir. Ces derniers ne l'avaient pas avec eux, ils ne l'ont pas volés. L'espoir s'était dissout dans l'atmosphère en même temps que l'air des poumons de Lukas. Tuer le bourreau ne ramènera pas l'espoir. La seule constante de la vengeance n'est autre que la vengeance et la perte mutuelle de tous. La victoire ? Elle est vide, creuse et sans aucune signification.

    C'est peut-être finalement ce que veut nous dire Miloski dans ce roman. La vengeance est une route sans fin, l'acte de rétribution n'engendre que toujours plus de souffrance et de perte pour tout le monde. La véritable force résiderait plutôt dans la destruction de ce cycle, dans la rédemption et la compassion dans les moments les plus sombres. Se libérer de la vengeance, c'est garder une partie de son humanité. En se vengeant et en déversant sa haine la plus primaire et brute sur le corps de ses victimes, Elena a perdu son humanité et en fin de course, a fini par se rendre compte de son erreur. Elle a décidée de mourir avec le passé plutôt que de vivre dans l'instant.
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    La démocratie des spectateurs (2013) :

    Photographie des manifestations étudiantes d'Août 2013.


  • Auteur : Piotry Husak.
  • Catégorie : Politique.
  • Date de parution : 2013.

  • Résumé de l'oeuvre :

    Au début de l'année 2013, alors que l'Estalie était encore plongée dans une crise économique de grande envergure, que la pauvreté atteignait des sommets historiques et que le tissu social commençait lentement à se fracturer face au gouvernement libéral incapable de réagir à la crise, Husak publia un essai politique assez court mais très clair sur la démocratie représentative qu'il estimait être une fausse démocratie maquillée par le libéralisme afin de faire avancer un agenda de domination ploutocrate sur les masses pauvres, le tout avec leur consentement. C'est cet essai qui sera brandi quelques mois plus tard dans les universités estaliennes par des étudiants en colère souhaitant réformer le système politique en profondeur afin d'en extirper toute la corruption et l'immobilisme qui caractérisait le vieux Parti Libéral estalien.

    Husak considère la démocratie représentative comme un moyen de prévention des révolutions. Elle sert à faire avancer le processus de notre privation de droits quasiment avec notre consentement. La croix, que nous traçons le jour du vote, n'est donc pas un symbole du pouvoir du citoyen en tant que souverain d'une démocratie ; au contraire, l'acte de voter confie le pouvoir à des "représentants", de sorte que ce dernier s'éloigne aussitôt du peuple. L'histoire de la démocratie est aussi l'histoire de tentatives de plus en plus imaginatives pour empêcher les élites d'être influencées par une majorité supposée incompétente. En transposant une conception pré-capitaliste de la liberté à des rapports de force capitalistes inédits, pour lesquels la conception de la liberté était pour ainsi dire aveugle aux limites, le libéralisme a pu se transformer en une démocratie libérale, c'est-à-dire en une forme de démocratie qui exclut le domaine de l'économie du contrôle démocratique et libère ainsi le pouvoir capitaliste de tout contrôle et de toute limitation extra-économique. Ce faisant, l'idée directrice traditionnelle de la démocratie en tant que socialisation radicale de la domination est remplacée par une expression inédite de la démocratie qui raccourcit à l'extrême le concept initial et va à l'encontre des intentions qui lui étaient initialement associées, à savoir un garde-fou civilisationnel contre un pouvoir plus fort. Husak émet des mots justes et concis sur ce paradoxe :

    La caractéristique de l'approche de la démocratie libérale vis-à-vis de cette nouvelle sphère de pouvoir n'est pas de la contrôler mais de la libérer de l'emprise populaire.
    La "démocratie libérale" est une démocratie extrêmement limitée car l'influence du peuple est étroitement limitée par la Constitution et les domaines centraux de la société sont soustraits à toute volonté et organisation démocratiques. Le libéralisme a redéfini le sens de la démocratie comme étant la garantie de zones d'autonomie privée sans Etat pour les citoyens propriétaires et la mise à disposition d'élections libres de représentants d'intérêts politiques et surtout économiques issus d'un éventail d'élites prédéfini. Cette réduction, ce vidage et cette distorsion du concept de démocratie sous influence du libéralisme et du capitalisme ont été si profondément ancrés dans la pensée collective d'aujourd'hui, le mot "démocratie" est presque exclusivement associé aux libertés civiles telles que la protection de la vie privée et de la propriété privée, la liberté d'expression, la liberté de la presse et de réunion, la protection et la reconnaissance des groupes sociaux particuliers, notamment ceux faisant l'objet de discriminations et ainsi de suite. Par conséquent, l'expression de la "démocratie libérale" apparaît aujourd'hui à la plupart presque comme un pléonasme alors qu'elle est de facto une contradiction dans ses propres termes.

    L'idée d'une souveraineté populaire est profondément étrangère au libéralisme, qui se caractérise depuis ses origines historiques par un profond mépris pour le peuple. L'élitisme et le darwinisme social sont inhérents au libéralisme comme l'écrit ici Husak :

    La souveraineté de l'individu libéral, marquée par l'idée de sélection et fondée par l'élite, constitue donc en réalité une opposition à la souveraineté du peuple radicalement démocratique.
    Au sens du libéralisme, le citoyen est le propriétaire de biens, les non-propriétaires restant exclus des droits civiques. Seul celui qui est économiquement indépendant peut se permettre de porter un jugement indépendant. Seul le propriétaire dispose du loisir et de l'éducation nécessaires pour comprendre le contexte social, ce qui lui permet d'exercer des droits politiques. C'est pourquoi les premières constitutions libérales eurysiennes limitaient le droit de vote à ceux qui possédaient, ou plus précisément à l'homme blanc qui possédait. Par conséquent, le libéralisme favorisait le suffrage censitaire traditionnel, dans lequel le droit de vote, le poids électoral et l'accès aux fonctions politiques étaient liés à la possession de biens. Le libéralisme eurysien du XIXe siècle se caractérisait également par une attitude hostile au suffrage universel comme le décrit Husak :

    Les libéraux eurysiens ont toujours rejeté le suffrage démocratique. Ne devait être citoyen politique à part entière que celui qui remplissait les critères libéraux du citoyen : un certain niveau d'éducation et d'indépendance économique. Les modèles libéraux étaient taillés sur mesure pour le citoyen indépendant intellectuellement et matériellement, politiquement, socialement, économiquement et aussi culturellement. En fait, le libéralisme a essentiellement servi les intérêts d'une classe de privilégiés néo-féodale.
    Le libéralisme a toujours eu pour objectif de protéger une classe de personnes instruites et possédantes contre les exigences d'une politique déterminée par la médiocrité du grand nombre. Dans le libéralisme traditionnel, la propriété et l'éducation s'allient contre l'ennemi commun d'une démocratie égalitaire.

    Au coeur du libéralisme se trouvait donc toujours un ressentiment antidémocratique déterminé. Il a hérité de l'Antiquité la "misodemia", la haine de la démocratie ainsi que le mépris pour les masses qui en découle et l'a associée à un élitisme de l'éducation et de la propriété qui cherchait à justifier les prétentions au pouvoir sur la base des performances individuelles. Avec le passage du féodalisme au capitalisme, les titres de domination traditionnels tels que l'ascendance, la richesse héritée ou les références à des constellations de domination de fait ont été de plus en plus remplacés par des titres de domination découlant de critères de performances individuelles. Cela a donné naissance à une nouvelle idéologie, la méritocratie, selon laquelle ceux qui ont acquis un mérite par des réalisations sont légitimés à exercer le pouvoir. Dans le capitalisme, le mérite individuel consiste notamment à se procurer les moyens d'accumuler du capital. L'idéologie capitaliste de la méritocratie suggère que la position sociale de chacun est déterminée par le talent et le mérite et que, dans ce sens, la société est juste. Dans une démocratie libérale, selon l'idéologie méritocratique, chaque membre de la société occupe la position sociale qu'il mérite; les riches ont mérité leur richesse et leur position sociale par leur talent et les pauvres sont pauvres à juste titre pour la même raison. L'idéologie méritocratique contribue à masquer le fait qu'il existe une relation sociale entre les deux.

    Ce n'est qu'au XXe siècle que le mouvement ouvrier a imposé le suffrage universel et égal à grande échelle. Il existe une tension fondamentale avec l'idéologie méritocratique : le libéralisme n'a pu accepter l'universalisation de sa conception particulariste de la liberté, adaptée aux besoins de la bourgeoisie, et donc le suffrage universel, que dans la mesure où il pouvait garantir, par d'autres mécanismes, que l'influence politique du peuple était maintenue dans des limités étroites. De tout temps, les élites au pouvoir ont eu tendance à compenser et à neutraliser en quelque sorte une perte de pouvoir résultant de conquêtes émancipatrices socialement acquises, en créant des mécanismes juridiques et institutionnels appropriées. De l'Antiquité à nos jours, une telle régularité historique de la dynamique de stabilisation du pouvoir peut être mise en évidence. Elle est même constitutive du libéralisme. Pour stabiliser et étendre l'influence politique de la classe possédante, il a développé un large éventail de mécanismes abstraits et donc invisibles pour le public qui vont entre autres du droit fiscal aux mécanismes constitutionnels en passant par la privatisation des médias.

    Le principal mécanisme constitutionnel qui permet de limiter très efficacement l'influence politique du peuple est le concept de "démocratie représentative". Ce terme a été introduit pour la première fois dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Le principe de la rerésentation parlementaire visait à créer un mécanisme de rassemblement des volontés pour l'exercice du pouvoir social en combinant deux objectifs. D'une part, il s'agissait de satisfaire le besoin du peuple de se gouverner lui-même. Dans le même temps, un tel mécanisme de représentation parlementaire était perçu comme un moyen de tenir le peuple à l'écart de la politique et de maintenir au pouvoir une oligarchie possédante avec le soutien de la masse de la population par le biais des élections. Cela nécessitait une redéfinition de la démocratie qui devait masquer la forme réelle d'une oligarchie électorale élitiste. L'objectif stratégique d'une telle redéfinition était en fait évident dès le départ. Le néologisme de "démocratie représentative" contenait une contradiction en soi. Rien n'est plus étrange que de croire qu'un peuple qui élit les personnes physiques de son gouvernement, en totalité ou pour une ou plusieurs branches du gouvernement, se gouverne lui-même. Au contraire, en élisant des représentants, les électeurs admettent implicitement un contrat de soumission totale comme l'explique ici Husak :

    Une fois que les électeurs ont choisi leur représentant, c'est-à-dire qu'ils se sont soumis, ils n'ont plus aucune part au gouvernement, seule la tromperie et l'illusion peuvent entretenir l'idée que le citoyen qui a donné son vote pour l'élection des lois, se donne à lui-même ses lois, impose ses contraintes et ainsi de suite. Car ce vote n'était rien d'autre, à proprement parler, que son consentement au contrat de soumission que électeurs passaient avec "l'élu". De plus, le représentant se fait le plus souvent élire lui-même, c'est-à-dire qu'il détermine par sa puissance d'esprit les volontés des électeurs à se soumettre à la sienne parmi plusieurs concurrents.
    Dès l'invention de la démocratie représentative, il était donc clair que cette idée n'était rien de plus qu'un substitut rhétorique de la démocratie, destiné à neutraliser les besoins émancipateurs d'autodétermination des peuples. Néanmoins, ce terme a également déployé une grande force de suggestion auprès des personnes soumises au pouvoir, ce qui a permis à cette idée d'entamer sa marche triomphale dans le monde. Nous nous sommes tellement habitués à la formule de la démocratie représentative que nous oublions le plus souvent que cette idée était une nouveauté. Elle signifiait au moment de sa création ce qui était jusqu'alors conçu comme l'antithèse de l'autodétermination démocratique. Désormais, ce terme est non seulement compatible avec la démocratie mais constitutif de celle-ci ; non pas l'exercice du pouvoir politique mais le fait d'y renoncer, de le transférer à d'autres, c'est-à-dire de s'en aliéner volontairement.

    L'idée de démocratie représentative a donc servi dès le départ à repousser la démocratie. C'est pourquoi cette conception de la démocratie était également caractérisé par un suffrage censitaire. Au XIXe siècle, les démocraties représentatives privilégiaient encore tout naturellement les citoyens possédants. La démocratie libérale, née comme forme de domination de la bourgeoisie éduquée et possédante, et qui a d'abord tenu la majorité de la population à l'écart de l'influence politique par le biais du suffrage censitaire, a pu intégrer sans risque le suffrage universel sur la base de la démocratie représentative. Cela s'explique, selon Husak, essentiellement par le fait que la structure sociale du capitalisme modifie la signification de la citoyenneté car l'universalité des droits politiques, en particulier le suffrage universel des adultes, laisse intacts les rapports de propriété et le pouvoir d'appropriation sous une forme inconnue jusqu'alors. Le capitalisme permet une forme de démocratie dans laquelle l'égalité formelle des droits politiques n'a qu'un impact minimal sur les inégalités ou les rapports de domination et d'exploitation dans d'autres domaines. Dans les structures oligarchiques, comme celles qu'incarne la démocratie élitiste, les élections ne sont pas l'expression d'une socialisation de la domination mais un instrument de protection de la domination particulièrement adapté pour neutraliser les besoins de changement et les orienter dans la direction souhaitée. Les élites au pouvoir, malgré leur méfiance fondamentale à l'égard du peule, font donc volontiers usage des élections pour exploiter la fonction de pacification sociale qui leur est associée. La stratégie consistant à faire des concessions démocratiques de façade aux mouvements émancipateurs tout en désamorçant par d'autres moyens s'est révélée extrêmement efficace jusqu'à présent. Comme le concept de démocratie, en tant que socialisation radicale de la domination, est chargé de grandes promesses émancipatrices, il peut être utilisé psychologiquement de manière très efficace comme instrument de domination par une redéfinition appropriée. Cette redéfinition doit être telle qu'elle donne l'impression d'une autodétermination politique mais qu'elle déplace en même temps la signification initiale du terme "démocratie" d'une manière à peine perceptible pour le public, de sorte que la "démocratie" ne signifie justement plus une autodétermination politique du peuple mais une détermination étrangère par des élites politico-économiques. C'est exactement ce que fait l'idée de démocratie représentative. Elle suggère en effet que le besoin de liberté des personnes soumises au pouvoir a été pris en compte et que les rapports sociaux existants sont précisément l'expression de la volonté du peuple. Il est difficile d'imaginer une forme plus efficace de prophylaxie de la révolution que l'illusion de l'autodétermination.
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    Les solutions font peur (2005) :

    Photographie de révolutionnaires estaliens armés durant la Révolution de Novembre


  • Auteur : Yadojki Carlov
  • Catégorie : Politique, économie.
  • Date de parution : 2005.

  • Biographie de l'auteur :

    Yadojki Carlov est un auteur relativement inconnu, y compris dans le monde littéraire estalien, qui va être propulsé par son unique ouvrage en date à ce jour, "Les solutions font peur" présenté ici. Carlov est un professeur d'économie de l'université de Mistohir, agrégé d'économie, il participera pendant une longue période à l'élaboration de manuels de découverte et d'initiation aux théories économiques classiques dans l'éducation supérieure estalienne tout au long de sa carrière. Vraisemblablement membre du PPE à partir de 2004, il va débuter sa carrière par la sortie de son unique ouvrage qui sera diffusé clandestinement dans les rangs du PPE. Cependant, son ouvrage sur le moment ne sera pas une grande réussite et sombrera rapidement dans l'oubli. Néanmoins, Husak y fera référence en 2012 lors de la crise financière ainsi que le contenu du livre de Carlov (Husak fera notamment référence au principe de milice armée pour justifier sa position favorable à la détention et au port d'armes à feu en Estalie), ce qui va donner un second souffle à la réputation du livre suite aux références politiques d'Husak par rapport à celui-ci. Néanmoins, Carlov est décédé de causes naturelles en 2010, il ne verra donc jamais son oeuvre reprendre de l'importance de façon posthume.

    Résumé de l'oeuvre :

    Le livre de Carlov se présente sous deux parties principales, une première parlant principalement de la constitution des milices citoyennes et des moyens que les citoyens peuvent mettre en place afin d'assurer leur propre sécurité face à un Etat violent et répressif et l'autre partie qui vise davantage à mettre en garde sur l'économie libérale et globaliste et promouvant davantage l'autonomie économique locale et l'économie de l'entraide comme moyen de substitution.

    La réplique la plus courante que vous rencontrerez de la part des sceptiques et des malhonnêtes lorsqu'il s'agit de parler du déclin économique, de l'effondrement social ou de la conspiration prouvée des institutions globalistes pour centraliser le pouvoir sous la forme d'un système financier global et d'un gouvernement mondial, est que "C'est bien beau de parler des problèmes mais à moins que vous puissiez proposer des solutions, votre analyse n'est pas pertinente".
    Carlov débute son livre en s'attaquant directement aux sceptiques qui seraient bloqués dans une boucle médiatique infernale. Pour lui, ce type d'argumentaire est une tactique de désinformation classique : suggérer que la personne qui a identifié le problème doit également le résoudre sinon celle-ci ne peut être prise au sérieux. C'est ce qu'on appelle une déviation. Souvent, les solutions au déclin économique et social exigent que des masses de personnes soient informés des menaces afin qu'elles puissent organiser un changement. Cela nécessite donc de parler du problème : de ce fait, parler du danger est déjà une solution à un certain degré. En ce qui concerne la conspiration des élites ou la tyrannie gouvernementale, la solution est, pour Carlov, nécessairement la guerre et l'élimination des conjurés qui sont à la source de cet agenda politique. Dans cette optique, afin d'inciter les gens à agir, Carlov justifie l'écriture de son livre :

    Il ne s'agit pas de solutions miracles que je propose ici, elles ne sauveront pas les gens de la lutte, de la pauvreté et des difficultés, elles ne mettront pas fin à l'ordre établi par un seul changement social calculé ou une innovation technologique, ce type de solutions n'existe pas et prétendre le contraire est une reconnaissance de sa propre ignorance de la nature complexe des systèmes sociétaux humains. Les vraies solutions exigent du travail, des sacrifices, du courage, de la ténacité et surtout des risques.
    C'est ainsi que Carlov débute l'énumération de sa première solution qui n'est autre que la création de milices citoyennes dont l'idée est, selon lui, diabolisée à l'ère moderne comme un grand tabou autant par l'aile gauche comme l'aile droite de la politique. Selon lui, la gauche bourgeoise déteste la milice car elle en a peur, la droite parce que les milices sont considérées comme extrémistes. Pour Carlov, tout cela est issu d'un conditionnement public lié au mot de milice : les milices sont les antagonistes dans le monde du cinéma, dans le monde littéraire et dans le divertissement de masse ; partout dans le monde, les milices sont décrites dans les médias comme des rassemblements organisationnels rassemblant la pire pègre raciste, fasciste et terroriste qui puisse exister en ce bas-monde. Il suffit de constater les antécédents historiques de l'Estalie pour s'en rendre compte aujourd'hui encore. En 1905, lorsque Paradykov Ier écrit et publie la première Constitution de notre pays, les milices civiles étaient à ce moment-là encore autorisées et inscrites comme un droit constitutionnel. Ce fut une des organisations constitutionnelles qui furent le plus rapidement démantelées et réorganisées à sa mort en 1912 d'abord lorsque le Premier Ministre Hoduliak se donna le droit en 1913 de mobiliser ces milices pour réprimer les insurrections kartaliennes puis en supprimant lentement les milices pour les remplacer par la réserve de l'Armée Royale en 1916.

    Une population civile armée et surtout formée, agissant en dehors de toute forme de surveillance gouvernementale, est une menace qu'aucune oligarchie n'autoriserait jamais volontairement. C'est la boule de démolition ultime contre la corruption des gouvernements. C'est pourquoi le port et la détention d'armes des citoyens estaliens, pourtant inscrit dans la Constitution de 1905, avait été déjà dans une moindre mesure été neutralisé par les gouvernements libéraux successifs car il a perdu une de deux facettes les plus importantes de son fonctionnement : le droit aux armes est resté autorisé mais l'organisation entre les citoyens lui a disparu. La raison pour laquelle l'establishment politique et les médias sont si hostiles aux milices est qu'ils craignent plus que tout l'organisation patriote. Ils veulent des gens isolés les uns des autres, concentrés uniquement sur leurs propres efforts de préparation mais constamment vulnérables en raison de leur capacité limitée à projeter la défense ou l'attaque. Si vous êtes seul, votre cercle de sécurité se cantonne à votre domicile et votre porte d'entrée, ce qui vous condamne de facto là où une milice élargit votre cercle de sécurité à votre ville, votre municipalité ou même toute une région entière. Certains diront qu'une solution de milice est impossible sur le plan légal étant donné que la formation de telles milices doivent être approuvés selon les caprices de la royauté. Ce n'est le cas que si nous cherchons à établir des milices constitutionnelles ; or, étant donné que l'establishment n'a aucun respect pour la Constitution originale, nous ne devons pas jouer aux mêmes règles qu'auparavant et nous organiser en dehors des limites légales. Les milices doivent exister, qu'elles soient approuvées ou non par le gouvernement.

    Selon Carlov, l'objectif de ces milices serait surtout de jouer un rôle de dissuasion contre les forces coercitives de l'oligarchie dirigeante, il ne faudrait en aucun donner le monopole du pouvoir et de la violence aux Etats et aux gouvernements dirigés par un establishment fermé et déconnecté de la réalité de la masse. Deuxièmement, l'entraînement à la défense est largement répandu dans toute l'Estalie auprès des détenteurs d'armes à feu mais actuellement, s'il existe beaucoup de "tireurs sérieux" en Estalie (dans le sens de tireurs professionnels capables d'infliger des dommages considérables), l'entraînement aux armes à feu en Estalie s'axe sur la défense personnelle à domicile et rarement sur des tactiques en petites unités mais quasiment jamais d'entraînements en grandes unités ; les milices permettraient aux citoyens d'apprendre à se battre en tant que force militaire importante. Pour Carlov, de surcroît, une milice, même avec un entraînement paramilitaire plutôt mauvais, serait dans l'optique de résister aisément à un gouvernement tyrannique et à une armée professionnelle : aucune armée sur la planète n'est capable d'affronter plusieurs millions de détenteurs d'armes habitant dans leur propre pays.

    La seconde partie du bouquin de Carlov se concentre sur la rébellion économique et la pertinence de l'utilisation du marché noir comme contre-marché au marché mondialisé capitaliste et détenu par une minorité d'acteurs économiques accumulant capitaux et richesses.

    Si vous examinez l'ensemble des politiques et programmes globalistes allant de l'Aleucie à l'Eurysie en passant par Nazum que ce soit sur le contrôle climatique, le crédit carbone, la numérisation des monnaies, l'argent sans liquide, la biométrie, le contrôle agricole ou la surveillance des transactions financières par l'IA, vous vous rendez compte que presque tout notre système économique repose sur le verrouillage et la micro-gestion du commerce et de l'accès aux ressources. Pas seulement le commerce international et l'importation ou l'exportation des ressources mais tous les échanges commerciaux, y compris les achats quotidiens du citoyen moyen ou le troc privé.
    Pour Carlov, l'objectif des contrôles économiques est évident : en contrôlant l'accès des gens aux fournitures et aux revenus, ils seront moins susceptibles de se rebeller lorsque leur gouvernement commencera à serrer les vis et à retirer des libertés. C'est la stratégie imposée généralement par les Etats faussement communistes depuis le XXe siècle et c'était également l'un des piliers du féodalisme médiéval. Le processus de contrôle des échanges est au cœur de l'agenda de l'oligarchie actuelle. Régner en utilisant le canon d'un fusil n'étant plus un moyen viable de diriger de nos jours, ils y préfèrent les méthodes indirectes pour obtenir le consentement de la population jusqu'à que celle-ci soit pleinement désarmée. Cette tendance oblige les personnes soucieuses de leur liberté d'adopter des systèmes économiques alternatifs selon Carlov.

    La solution qu'il propose ici est essentiellement celui du marché noir. Si l'on étudie les tactiques de trafiquants d'armes et de drogue sur les dernières décennies, on constate que l'économie alternative ressemblera à une certaine échelle à ces dits trafics à une échelle plus large avec des transactions considérées comme illicites pour la plupart à moins que les autorités locales ou nationales n'approuvent ces dites transactions. Au-delà du marché noir, Carlov émet plusieurs hypothèses de systèmes économiques alternatifs :

  • Production localisée des ressources et réappropriation des biens communs : de grands groupes de personnes dans les municipalités et les régions doivent organiser l'extraction des ressources vitales dans les zones habituellement dirigées par des groupes privés ; en somme, si votre région produit beaucoup de pétrole, du bois, du charbon, du cuivre ou de l'acier, la production de ces ressources doit porter exclusivement sur les besoins de la population sur place, permettant la mise en place d'un réseau de fournisseurs et de vendeurs indépendants qui seraient capables de renverser la chaîne d'approvisionnement favorisant uniquement les conglomérats privés.
  • Marchés du troc : les marchés de troc peuvent fonctionner à l'échelle d'un quartier ou d'une municipalité tandis que les régions peuvent s'échanger des produits vitaux entre elles afin de satisfaire leurs besoins ; néanmoins, Carlov reconnaît les failles du système du troc car la valeur des biens dans un troc est erratique, il existe autant de valeurs différentes dans un troc qu'il existe de personnes pour échanger ce qui rend difficile l'établissement de prix standardisés.
  • Système monétaire alternatif : au-delà de la question de la crypto-monnaie que Carlov considère comme une distraction (car personne n'utilise les cryptos au quotidien pour effectuer ses achats), il propose un mécanisme de monnaie convertible qui seraient sous plusieurs formes différentes (billets physiques, crypto, paniers de marchandises comme de l'or, de l'argent, du blé, de l'huile, du riz, etc.). Bien entendu, un tel système devrait être développé au niveau des régions car il est peu probable que les municipalités possèdent les moyens nécessaires pour établir un tel système.
  • Réforme fiscale et entrepreneuriale : si les impôts doivent exister, selon Carlov, ils doivent être limités au niveau local et les bénéfices de ces impôts doivent être facilement perceptibles pour la population, estimant que des impôts comme l'impôt sur le revenu ne devraient tout simplement pas exister. L'impôt sur le revenu ne sert, selon lui, qu'à alimenter l'appareil autoritaire et d'accroître la taille du gouvernement central. Pour lui, les impôts nationaux doivent se contenter aux droits de douane sur les produits étrangers comme ce fut généralement le cas en Estalie avant l'instauration de l'impôt sur le revenu en 1925. Les chartes d'entreprise ne devraient non plus ne plus exister, les entreprises étant des concepts juridiques bénéficiant de la protection complète des gouvernements qui doivent être remplacés par des partenariats légaux. Il s'oppose notamment au système de responsabilité limitée instaurée par le Parti Libéral en 1991 qui protège les entreprises privées en cas de poursuites judiciaires.
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