11/05/2017
16:06:48
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[Grand Kah/Fujiwa] Convoqué

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La Chambre était à tout point de vue un monument d'architecture moderniste du Grand Kah, pays où l'on avait jamais vraiment apprécié les tentatives de nivellement voulue par le style international. On existait encore dans un épais mélange d'architecture folkloriques et d'expérimentations colorées et géométriques, lesquelles visaient assez systématiquement à faire naitre un confort. Sans doute pas de quoi tout à fait rassurer Ichibei Toma, ambassadeur fujiwan au Grand-Kah et – incidemment – premier de son genre à avoir été directement convoqué par le gouvernement confédéral en quelques décennies. À vrai dire la convocation d’ambassadeurs était en elle-même un exercice quelque peu désuet auquel peu de gouvernements s’adonnaient encore. Le caractère exceptionnel de l’évènement était probablement à la hauteur des questionnements des kah-tanais. Questionnement ou colère : les quelques médias qui s’étaient penchés sur la question Moond l’avaient fait d’un point de vue extrêmement hostile au Fujiwa, dans la droite lignée de l’ambiance décolonialiste qui régnait depuis plus de deux siècles au Paltoterra. Les choses ne s’étaient pas améliorés après la convocation de l’ambassadeur, qui avait eu pour effet d’attirer tous les regards en direction du Nazum et de ce qui s’y passait.

À son arrivée sur le seuil de l’immense Chambre Hyperstructure, Toma fut pris en charge par un jeune membre du service protocolaire, lequel le guida d’un pas rapide dans le dédale de couloirs et d’escaliers composant les lieux.

"La citoyenne Iccauthli ne sera pas présente," précisa-t-il après quelques marches. "C’est le comité qui veut vous voir." Puis il lui sourit de toutes ses dents et l’introduisit dans un salon diplomatique où étaient déjà installés deux citoyens.

Le fujiwan pu reconnaître Meredith, qui avait coordonné les modérés lors des précédentes élections kah-tanaise, et portée une part importante du programme que le comité de volonté public actuel – dont elle était membre – suivait. Elle était installée à une table basse, face au citoyen Mayhuasca, lequel était au comité depuis bientôt dix ans et avait supervisé la réorganisation de l’armée kah-tanaise.

Styx Notario, figure beaucoup moins publique, se trouvait dans un coin de la pièce, en train de faire bouillir du thé. Les trois kah-tanais saluèrent l’arrivée du diplomate, Meredith se leva pour aller à sa rencontre et l’accompagna jusqu’à la table basse.

"Nous sommes très heureux que vous ayez accepté notre invitation, citoyen. Alors." Elle s’installa à la table et retroussa légèrement les manches amples du kimono noir qu’elle portait. "Dites nous tout : qu’est-ce qui se passe au Fujiwa et, est-ce que comme l’un de vos ministres le dit, votre démocratie a décidé de larguer les amarres avec le respect de la vie humaine ?

Ils n'y allaient pas par quatre chemins. Très aimable, Aquilon se contenta de proposer du thé au diplomate lorsque Styx apporta la bouilloire.
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Ichibei Toma franchit le seuil de la Chambre Hyperstructure avec une appréhension mesurée, soigneusement dissimulée derrière son expression impassible. L’architecture du Grand Kah, vibrante de couleurs et de formes, le laissait généralement indifférent. Pourtant, aujourd’hui, elle lui apparaissait presque comme une provocation, un rappel éclatant de la divergence entre les valeurs réservées de son pays et l’exubérance du Grand-Kah.

Le Fujiwa, traditionnellement discret sur la scène internationale, trouvait dans cette réserve une forme de satisfaction. Pour les Fujiwans, l’essentiel réside dans la préservation de leur pays, le soin de leurs voisins immédiats, et les interactions au sein du Nazum. Point n’est besoin de convoitises lointaines ou d’ambitions démesurées. Mais aujourd’hui, il était impératif de s’adresser aux préoccupations d’une nation éloignée, toutefois liée au Nazum par l’enclave de Heon-Kuang. Car le Grand Kah, malgré tout, bénéficiait d’une certaine estime de la part de l’opinion publique fujiwane, même s’il n’était pas considéré comme un modèle de perfection. Cette reconnaissance n’équivalait pas à une profonde admiration pour tout ce que le Grand Kah représentait. Fort de cette nuance et armé de cette connaissance, l’ambassadeur Toma s’apprêtait à affronter cette convocation avec toute la prudence et la diplomatie nécessaires. Enfin, pouvons-nous l’espérer…

Ichibei Toma


En pénétrant dans la pièce, Ichibei Toma prend le temps de saluer chacun des présents, débutant par la citoyenne Meredith. Conformément à l’étiquette, il lui adresse un salut formel, se penchant en avant avec le dos droit et les mains posées sur les genoux. Ensuite, il se tourne vers les citoyens Mayhuasca et Styx, adoptant une inclinaison plus légère avec les mains le long du corps, suivant ainsi la coutume fujiwane. Il s’installe donc à la table basse et remercie ses hôtes pour le thé. Son visage s’adoucit, adoptant une expression paisible mais également déterminée. Cette façade plutôt tranquille n’est pas seulement destinée à montrer que les sujets qu’ils s’apprêtaient à discuter ne méritent pas d’inquiétude, mais aussi à assurer que les affaires internes du Fujiwa sont fermement sous contrôle.
"Vous abordez directement le cœur du sujet, citoyenne Meredith, une approche certes surprenante, mais à laquelle je vais répondre avec toute la simplicité requise. Votre interrogation soulève de nombreuses implications. Comme toute nation souveraine, le Fujiwa est confronté à des tensions internes dont la complexité nécessite des mesures spécifiques. Les décisions que nous prenons à cet égard sont rigoureusement alignées sur la Constitution fujiwane. Sinon, soyez assurée que la Cour Suprême aurait déjà intervenu. Nos dossiers sont continuellement révisés, et je peux vous assurer qu’il n’y a rien d’alarmant à signaler."

Il marqua une pause, balayant du regard la pièce avant de fixer à nouveau son attention sur Meredith. "Les informations qui vous parviennent sont parfois colorées par des interprétations qui ne cherchent pas tant à comprendre qu’à porter un jugement. Concernant les déclarations de nos ministres, je vous invite à les considérer avec prudence et à les évaluer dans leur contexte intégral. Nous sommes ouverts à discuter de nos méthodes et à collaborer pour améliorer les situations que nous affrontons. Cependant, je dois insister sur le fait que le Fujiwa ne saurait tolérer des jugements hâtifs ou des intrusions dans sa juridiction interne basées sur des informations partielles."
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Meredith balaya la remarque finale d'un geste de main. Elle sourit d'un air entendu. Ils étaient, après tout, entre gens raisonnables. Et elle était peut-être la plus raisonnable de tous. Il n'y avait rien, ici ou à Moon, qui ne puisse être abordé calmement. Posture d'autant plus facile à tenir pour elle qu'elle représentait la troisième économie mondiale et faisait face au représentant d'un gouvernement ethno-nationaliste. Une race stupide, à laquelle il fallait parlait calmement.

"Oui naturellement. Le Grand Kah se garde pour sa part de porter tout jugement n'étant pas strictement dépendant des faits. Nous vous passerons aussi nos commentaires et analyses sur la situation : il me semble que votre gouvernement doit déjà avoir parfaitement conscience de ce qui a provoqué la crise actuelle et de ce qui, dans son déroulé et les échos qu'elle donne à voir, peut sembler problématique pour des pans de la population et pour des gouvernements tels que le notre. C'est aussi ce qui nous a surpris et a motivé cette convocation : doit-on considérer que ce ministre a dit tout haut ce que son gouvernement applique tout bas ? S'agit-il d'une erreur humaine individuelle ? Puisqu'il n'a pas été démis, et puisque cette sortie n'a pas été commentée par la coalition gouvernementale, nous avons estimé possible que cette suspension nécessaire des droits humains tienne moins de la petite phrase que de la politique d’État."

Aquilon acquiesça tranquillement.

"L'opinion internationale et les marchés seraient sans doute apaisés si une aide humanitaire pouvait atteindre l'Île de Moon, ainsi que des journalistes indépendants ou étrangers.
- Oui, c'est malheureux mais il y a un véritable biais contre les gouvernements de droite nationaliste et la soudaine explosion des violences, concomitamment à plusieurs politiques de votre gouvernement ayant déjà provoquées de vives émotions, forment un dessins sans doute erroné mais susceptible de provoquer les plus vives inquiétudes. La vérité c'est que je ne suis moi-même pas tout à fait insensible au sort des habitants de l'Île. Vous savez sans doute qu'avant d'être élue ici j'étais anthropologue. Ma dernière mission m'a amenée dans la Commune de Kotios, où j'ai obtenu un poste au sein de l'administration locale avant qu'un groupe fasciste ne tente un putsch. Cette guerre a été ma formation politique et pour avoir vu ce qu'on conflit peut faire aux populations civils je suis personnellement très inquiète de voir le niveau de militarisation des équipes déployées par vos milices privées pour sécuriser cette région. Le fait est que nous espérons sincèrement qu'il ne se passe rien, là-bas, qui pourrait donner raison aux oiseaux de mauvais augure."
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Monsieur Toma demeura imperturbable face aux assertions de Meredith. Conscient de la portée punitive de cette convocation, il percevait les enjeux, non seulement comme une remontrance morale envers sa position d’ambassadeur, mais aussi envers son Premier ministre et son gouvernement. Pourtant, il n’ignorait pas qu’il opérait au sein de la troisième puissance mondiale, une nomination au Grand-Kah qui n’était ni le fruit du hasard ni une simple circonstance. Son poste n’était pas le résultat d’un piston; ses qualifications pour cette fonction étaient manifestes et indiscutables.
"En réalité, peu de choses nécessitent d’être dites ou rappelées concernant les déclarations du ministre Soga. Les droits humains, que vous prétendez défendre, ne sont ni inaliénables ni universels. Ils représentent une construction humaine, émergeant de consensus sociaux et politiques, et n’ont pas leur place au Fujiwa. Si notre approche des droits humains, telle que vous les définissez, est sélective et sujette à vos interprétations, cela ne légitime en aucun cas votre suspicion envers la politique de notre Cabinet. Les idéaux que vous chérissez diffèrent radicalement des aspirations des Fujiwans. Ainsi, les paroles de Monsieur Soga sont dénuées de toute signification profonde, illustrant simplement que lorsqu’une crise émerge, notre priorité est de rétablir l’ordre avec célérité. Voilà ce qu’on attend d’un ministre de l’Intérieur, et non d’un ministre de l’Environnement."

Toma racle sa gorge.
"Avec tout le respect que je vous dois, madame Meredith, votre parcours humanitaire et personnel, bien qu’honorable, ne suffit pas à vous conférer une crédibilité irréprochable dans votre compréhension des troubles à Moon. Si le jeu des comparaisons est tentant, je vous prierais de l’aborder avec plus de nuances. Quant à l’envoi de journalistes indépendants, je me montre réservé, compte tenu de l’instabilité qui règne dans la province. Ce n’est guère un havre de paix pour les journalistes, bien que nombreux sont ceux qui aspirent à capturer des images saisissantes au cœur des zones de conflit. Toutefois, au premier incident impliquant un journaliste étranger sur notre sol, c’est le gouvernement qui devra en assumer les conséquences. Comprenez-vous? La violence, qu’elle émane du banditisme ou du terrorisme, ne discrimine pas. Si par malheur vous vous retrouvez au milieu d’un affrontement, je ne donne pas cher de la peau des journalistes. Néanmoins, je reste conscient que certains franchiront clandestinement les frontières de la province de Moon. Et pourtant, si vous aviez réellement voulu agir, vous l’auriez déjà fait. Restons honnêtes entre nous. Concernant les milices privées, elles ne sont pas conçues pour le maintien de l’ordre et sont expressément dissuadées de le faire, puisqu’elles servent uniquement à défendre les intérêts des acteurs privés qui les emploient. Cela inclut la protection des infrastructures et des points névralgiques commerciaux et logistiques. Pour l’instant, rien qui ne devrait susciter d’alarme excessive."
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