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RP : Mémoires de Georges du Porche, aide de camp au Palais de la Gloire auprès de Sa Seigneurie Impériale

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Mémoires de Georges du Porche, aide de camp au Palais de la Gloire auprès de Sa Seigneurie Impériale


Georges du Porche

Georges du Porche est un haut gradé de l'Armée Impériale issu de l'aristocratie clovanienne. Il a servi dans de nombreuses opérations militaires menées par la Clovanie entre 1988 et 2010, qui lui ont valu la reconnaissance personnelle de l'Empereur Pétroléon V. En 2010, ce dernier lui a offert en signe de gratitude le titre d'aide de camp au Palais de la Gloire, ce qui signifie qu'il sert et conseille Sa Seigneurie Impériale dans ses décisions et affaires quotidiennes.

Georges du Porche s'applique aussi à la rédaction de ses mémoires, dont nous avons réuni ici les extraits que nous avons jugé les plus précieux pour la postérité.
Le 20 janvier 2014 :

L'ambiance est bien morose ces temps-ci au Palais de la Gloire, et je dois dire que, pour la première fois de ma longue carrière, je ne refuserai pas à brûle-pourpoint que des vacances me soient accordées. L'air est lourd, les chambellans et autres ducs de renommée nationale ne marchent plus avec la même prestance que naguère dans les couloirs du Palais. On croirait aisément qu'un mauvais plaisantin eut fixé de lourdes masses de plomb aux pantalons des hauts dignitaires du régime, qui avancent désormais avec une mollesse endeuillée.
Cette lourde atmosphère règne sur le Palais de la Gloire depuis que les médecins sont venus soigner Sa Seigneurie Impériale, il y a des semaines qui paraissent maintenant des siècles. Le docteur Strombovitch s'était alors enfermé avec l'Empereur dans son cabinet pendant de longues minutes, avant que la porte ouvragée du noyau de l'État ne se rouvre sur sa mine douloureusement sérieuse, reflétant un grave diagnostic. Chacun pouvait placer sa confiance en l'éminente compétence du médecin attitré de Pétroléon V, et constatait donc avec dépit que la mauvaise nouvelle qui s'augurait ne souffrirait aucune forme de doute.
Une brève explication du docteur nous instruit d'un accident vasculaire cérébral ayant éclaté chez Sa Seigneurie Impériale. Cette annonce provoqua chez les conseillers, officiers et ministres réunis dans l'antichambre une grande inquiétude, celle qui plane toujours aujourd'hui dans leurs yeux. La santé de l'Empereur a vacillé, elle peut basculer à nouveau à tout instant. Surtout, chacun connait le caractère héréditaire de l'affection subie par Son Excellence Impériale, et s'étonne légitimement de son absence chez Pétroléon IV et Éric Ier, le père et le grand-père de Pétroléon V. La pathologie provient donc de la branche maternelle, celle de l'ancienne Impératrice Joséphine Borisévitch.
L'Empereur nous a très peu honoré de sa présence depuis lors, et passe régulièrement des examens avec différents spécialistes tenus au secret. Lorsque nous l'apercevons, il porte une mine grave et sévère, et semble avoir perdu pour jamais le sourire dont il me gratifiait jadis. J'adresse mes prières les plus ferventes à son retour le plus prompt possible. Son Excellence Impériale n'a même pas cru bon d'adresser son coutumier discours de la nouvelle année, et les élections législatives ont été repoussées.
Le 10 février 2014 :

Depuis hier, le Palais de la Gloire semble avoir recouvré son ancienne santé. Les uniformes se meuvent dans les couloirs un peu plus prestement que ces dernières semaines, ce qui pourrait insuffler dans mon cœur un certain espoir concernant la vigueur de notre régime. En effet, les émissaires diplomatiques se sont affairés autour de l'appel d'offre lancé par le Prince de Grisolia concernant la construction du canal de Ieri. Sa Seigneurie Impériale avait la Principauté en ligne de mire depuis longtemps et y prévoyait d'entamer des relations diplomatiques. Ce fut donc chose faite hier, puisque nous pûmes apercevoir l'Empereur dans la chambre de la diplomatie, aux côtés du Ministre Impérial des Affaires Étrangères. Une rencontre diplomatique a été proposée au Prince.
Toutefois, ma conscience ne peut s'empêcher de noircir l'espoir qui germe en moi. Nonobstant que revoir le visage de mon souverain m'enchante, sa nouvelle froideur contrarie l'amour que je lui voue. Sa mine est pâle, et son corps semble subir la gravitation davantage qu'il ne sied à son rang. Loin de moi l'idée d'accuser mon Empereur de mollesse ou de candeur face à la maladie : je dépeint simplement la réalité telle que mes sens la perçoivent, offrant à mes futurs lecteurs ce qu'ils méritent, à savoir un tableau fidèle et précis du siècle qui m'a fait naître. Sa Seigneurie Impériale apparaît comme fatiguée, ses cernes portent le tribut de longues heures de veille les nuits précédentes. Ses phrases sont décousues ou se suspendent parfois sans que jamais nous ne puissions en entendre la fin.
L'État psychique et physique de l'Empereur me fait lourdement appréhender son futur entretien avec le Prince de Grisolia.
Le 20 février 2014 :


Ma longue carrière m'a mené dans les contrées les plus arides, au milieu des conflits les plus meurtriers, dans les jungles les plus hostiles, abritants les monstres les plus menaçants. J'ai vu la mort en face à plusieurs reprises, plusieurs fois je me suis trouvé au bord de l'abîme et j'ai dû employer les ressources les plus profondes de mon âme pour ne pas m'y précipiter. Cependant, jamais de ma vie je n'ai ressenti une telle angoisse que maintenant. Le Palais de la Gloire est sur le point d'imploser. Paradoxalement, c'est au moment où toute la Famille Impériale est à sept mille kilomètres de Legkibourg, dans la Principauté de Grisolia, que le siège du pouvoir retrouve sa folle activité. Cela faisait à peine trois jours que l'Empereur avait plié bagages lorsque les hostilités ont éclaté.

Avant-hier, le Chambellan Alfred de Minski est arrivé en trombe au Palais. Se dirigeant droit vers Aurélien Bergé, qui assure la régence pendant l'absence de l'Empereur, il déclama sans ambage et la bave au lèvres :


"Monsieur le Premier Ministre Impérial, ma gratitude à votre égard ne saurait souffrir aucune inconstance, mais je vous supplie de m'ôter les faveurs dont vous m'avez fait grâce en me destituant de mes fonctions. Non que je daigne refuser les éminentes charges qui me sont attribuées, je refuse simplement de souiller mon honneur en collaborant avec un hérétique, qui utilise son influence et son argent pour propager son dogme schismatique en souillant l'honneur de notre Patrie."

La silence se fit immédiatement dans la salle où les deux hommes se trouvaient. Chacun reconnût dans les accusations de Minski le profil du Chambellan et Comte Achille de Malmon, abondamment versé dans le dogme devotis. Cette culture païenne qui consiste en l'exhumation des dieux romains s'est étrangement propagée dans l'aristocratie de notre capitale depuis quelques années. Bien qu'elle soit tolérée par notre Empereur, mon avis est que cette doctrine devrait déjà avoir été interdite. Le consensus qui régnait depuis plusieurs siècles en matière de religion sur la Clovanie a attendri la tolérance du pouvoir à l'égard des hérésies. On a oublié que ces dernières, quand elles se propagent et que leurs fidèles sont suffisamment endoctrinés, peuvent causer de lourds problèmes à l'ordre public.

Le Premier Ministre Impérial demeura muet pendant de longues secondes, avant de répondre à Minski.


"Bonjour Monsieur le Chambellan. Vous avez toujours offert à notre patrie un travail irréprochable, aussi ne vous offrirai-je pas le cadeau d'accepter votre démission aussi facilement. Vous accusez, me semble-t-il, Monsieur le Comte de Malmon d'hérésie. La doctrine devotis est tolérée en Clovanie, et ce selon la volonté de Sa Seigneurie Impériale, la seule qui compte. Je vous demande de préciser vos attaques à l'égard du Comte et de son honneur, afin de ne point entacher le vôtre par cette triste scène.

- Je respecte la liberté de conscience du Comte Achille de Malmon ; mais il a récemment outrepassé certaines limites qu'un homme noble ne saurait voir franchies. Une messe païenne a été organisée cette nuit dans une des chambres du Palais de la Gloire, et je sais de source sûre que Monsieur de Malmon en est l'un des instigateurs. Cette affaire me désole d'autant plus que des gardes ont sans doute été corrompu pour laisser passer une telle insulte, perdant ainsi l'inflexibilité qui est leur raison d'être.

- Une accusation comme la vôtre est très grave, Monsieur le Chambellan, avez-vous conscience de son importance ?

- Je m'en porte garant, auprès de mon honneur, de mon Empereur et de mon Dieu."

Ainsi la pomme de Discorde fut-elle lancée dans la plus haute sphère du pouvoir, et le Palais de la Gloire vit très clairement ses occupants se diviser en deux camps. D'un côté, ceux qui se fient aux dires d'Alfred de Minski, majoritairement ortholiques, de l'autre les défenseurs du Comte de Malmon, devotis pour la plupart. Les invectives sont lancées à tort et à travers, les gentilshommes se déclarent en duel, et le Premier Ministre Impérial a immédiatement envoyé une missive à l'Empereur pour que cette sombre affaire de messe interdite soit jugée et que son coupable soit puni.
Le 22 février 2014 :

Nous pouvons enfin aspirer à la quiétude de naguère depuis que notre Empereur est rentré en Clovanie pour résoudre la sombre affaire qui nous agite. Hier, le Premier Ministre Impérial a envoyé une missive urgentissime à la destination de son souverain, signe que la tranquillité qu'il laissait paraître devant Alfred de Minski n'était qu'une façade savamment travaillée par l'expérience. Sa Seigneurie Impériale Pétroléon V, alors en voyage diplomatique à Grisolia, a été conduite en avion le plus rapidement possible au Palais de la Gloire.

La première décision que prit l'Empereur en arrivant au Palais fut de convoquer le personnage qui agite tous les esprits depuis peu, à savoir le Comte de Malmon. L'entretien eut lieu à huis clos, chacun épiloguant sur les mots qui ont pu être prononcés à cet instant fatidique. À entendre la voix de Julie, cette conversation entre l'Empereur et l'un de ses sujets était le point de bascule de l'histoire clovanienne, le moment de décision du destin national. Malgré les forts sentiments que je porte à mon épouse, je regrette le climat de vengeance et d'amertume qui s'installe dans notre foyer. Les invités qu'elle accueille dans notre salon ramènent toutes les discussions aux Devotis, aux messes noires et aux scandales païens de certaines de nos élites. À en croire quelques convives désireux d'impressionner les dames, les rites devotis verseraient largement dans le péché de luxure, et je ne citerai guère ici les noms des grands ducs et comtes indexés par ces rumeurs. Bien que mes sentiments clovaniens et que ma foi ortholique me poussent à prendre en dégoût les ressortissants du dogme nouveau, mon honneur m'indique farouchement de ne point entacher ma réputation par d'inutiles cabales et affrontements. Je souhaite ainsi rester le plus neutre possible dans cet embryon de schisme qui agite le Palais.

Malgré toutes les rumeurs qui circulent, je peux personnellement affirmer que personne, si l'on excepte Son Excellence Impériale et le Comte de Malmon, ne sait ce qui a été dit entre ces derniers. Simplement, le Comte de Malmon a été momentanément déchu de ses fonctions de chambellans, avant que son procès religieux ne se tienne. Même si je m'efforce de rester hermétique aux rumeurs populaires, un bruit qui court au Palais m'inquiète plus que les autres. On parle d'un potentiel duel entre Alfred de Minski et le Comte de Malmon. Ce dernier serait animé d'une profonde rancœur suite aux accusations de Minski. J'espère plus que tout le rétablissement de la paix au Palais, le plus vite possible.

Je regrette aussi profondément de ne pas avoir pu témoigner mes aspirations au calme à mon souverain. Celui-ci s'est très peu exprimé en public, ses yeux semblent épuisés, mais je sens qu'il porte la même volonté que moi, à savoir la fin de la tempête. Ce désir de paix ne l'a jamais quitté, et nous avons besoin qu'il impulse maintenant sur le Palais de la Gloire.
Le 22 avril 2014 :

Les événements se sont tellement accélérés depuis deux mois que je trouve seulement maintenant le temps de prendre la plume. Mon cœur se noircit à mesure que la Clovanie sombre dans de plus en plus dans un climat de haine et de guerre civile. Je regrette les temps passés, les moments de solitude où je pouvais contempler l'horizon d'un regard confiant. Aujourd'hui, personne n'est jamais seul, chacun parle avec des gens qu'il n'estime même pas, seulement pour se tenir au courant de la marche à suivre. Il ne faut manquer aucun dîner important, où quelque personnage d'envergure pourrait décider du camp à choisir, où je ne sais quel conseiller de l'Empereur pourrait dévoiler un petit mot qu'il aurait entendu de sa part et pouvant faire basculer le destin du pays. Je m'efforce de retrouver ma foi en l'avenir malgré le brouillard qui s'épaissit autour de moi.

Il y a deux jours, le destin du pays semble avoir basculé dans le plus grand des chaos, lorsque le duel que l'on pressentait entre Minski et le Comte de Malmon eut lieu au jardin de la Princesse. Nous espérions tous que Malmon trouvât la mort au cours de cette joute d'honneur, offrant ainsi à la Patrie et à la vraie foi le signe d'une Justice céleste. Ainsi, les invités de mon épouse Julie exultaient la veille du combat, la nouvelle s'étant répandue comme une traînée de poudre. Tous profondément empreints de haine envers les devotis - haine, bien que justifiée, propice aux événements les plus tragiques - ils épiloguaient en long et en large sur les conséquences heureuses de la mort de Malmon. Personne n'imaginait que l'homme le plus haï du pays puisse triompher face à celui qui avait placé son vice sous la lumière, motivé par les sentiments de fidélité les plus purs.

Les forces du Bien s'inclinèrent cependant face au paganisme et à la barbarie : Alfred de Minski fut tué au cours du combat, alors que le soleil se levait lentement sur Legkibourg, laissant voir sous sa cruelle lueur la nouvelle étape d'une tragédie toujours plus sanglante. La face du conflit fut alors complètement métamorphosée. Ce qui n'était jusqu'alors qu'un scandale de palais s'apparente désormais à un embryon de guerre civile. Des émeutes mettent les villes à feu et à sang, on reporte plusieurs meurtres de devotis, et la résidence secondaire de Malmon a été saccagée.

Je crains beaucoup pour mon peuple et ma Patrie, et je regrette de ne plus occuper le poste qui était naguère le mien dans l'Armée Impériale. J'aurais sans aucun doute pu contenir ces débordements. Mais je conserve l'espoir sans lequel aucune nation ne se tiendrait debout : il existe pour moi une solution. Achille de Malmon a été arrêté pour l'assassinat de Minski, et risque pour ce meurtre la peine capitale. Ainsi, nul besoin de prouver sa culpabilité pour l'affaire de la messe noire pour que la Clovanie se fasse justice.

J'ai réussi à plaider mes convictions aux oreilles de Sa Seigneurie Impériale, laquelle m'a miraculeusement accordé une courte entrevue. Je lui ai alors exposé tout ce que je pensais de la situation, à savoir qu'il fallait au plus vite faire fusiller Achille de Malmon pour le meurtre de Minski. Nous pourrions alors prouver sa responsabilité dans la messe noire au Palais de la Gloire plus tard, et le calme pourrait être rétabli en Clovanie. Le peuple souffre de la longueur de la Justice, que la main de l'Empereur tranche fermement la situation profiterait à la quiétude nationale. Il faudrait dans un second temps interdire le dogme devotis et la pratique de ce culte païen. Cette hérésie est extrêmement minoritaire et la Clovanie se portait excellemment avant son développement.

La réponse de l'Empereur à mon plaidoyer fut on ne peut plus floue. Son Excellence Impériale m'assura qu'elle partageait mon ardent désir de paix, et que des mesures seraient prises le plus rapidement possible, mais n'entra en précision sur aucune de ces dernières. Je n'obtins pour ainsi dire aucune garantie fiable pour l'avenir du pays, ce qui accroit ma crainte concernant la fiabilité du pouvoir.
Le 31 mai 2014 :

De nouvelles rumeurs enflent ces jours-ci au Palais de la Gloire, qui pourraient répondre aux grandes interrogations du peuple clovanien, mais auxquelles je me refuse pour l'instant à souscrire. Le climat se fait toujours plus destructeur à Legkibourg, les forces de l'ordre parsèment les rues et traquent les moindres manifestants. Le pays est plongé dans l'incompréhension, chacun attend la réponse de Sa Seigneurie Impériale, elle qui pourrait tout résoudre d'un simple mot. Je n'oserais jamais porter en moi une once de rancœur envers mon suprême bienfaiteur, mais je suis moi-même complètement égaré par les événements. Le silence de l'Empereur me glace tout autant qu'il échauffe la Nation, et je conjure le ciel de nous éclairer bientôt sur ses plans.

Les bruits qui courent actuellement pourraient bien faire basculer la Clovanie dans une terrible guerre intestine. Je n'ose y croire, car il me semble qu'adhérer à de telles accusations, qui plus est dénuées de preuves, reviendrait à trahir ma Patrie. Le Duc de Robolioubov, nouveau chef de file des devotis en Clovanie, est étrangement peu inquiété par le pouvoir. Il bénéficie de solides alliés dans la haute aristocratie du Palais de la Gloire, entre autres le Vicomte de Bresse, mais cela ne devrait pas suffire alors même que la majorité des aristocrates n'ont qu'une idée en tête : la mise à mort du dogme hérétique et, s'ils résistent, celle de ses défenseurs. Le pays entier, des plus petits paysans aux plus grands noms du Palais, conserve une foi inébranlable et même ravivée dans l'ortholicisme. Le Prince Clément, frère de l'Empereur, clame haut et fort sa haine des devotis. En somme, Robolioubov est unanimement désigné comme fauteur de trouble, auteur actif de la guerre civile.

De cette sorte, pour que Robolioubov puisse affirmer aussi tranquillement sa fausse doctrine, il faut nécessairement qu'il dispose d'un soutien allant au-delà du pouvoir du frère de l'Empereur, ce qui me conduit à des conclusions affreuses et dont je redoute l'ampleur. Les rumeurs actuelles désignent directement Son Excellence l'Impératrice comme devotis. Ces accusations ne s'appuient sur aucune preuve tangible, et l'Impératrice Marine n'a jamais montré de signe d'hérésie. Elle s'est toujours comportée avec l'honneur qui sied à son rang, sans jamais contrevenir à la justesse que nous lui connaissons tous. Personne ne pourrait mentionner l'un de ses actes en l'accusant d'infidélité au vrai Dieu. Mais les circonstances l'accablent, et son amitié de longue date avec le Duc de Robolioubov n'est pas sans lui causer du tort. La santé de l'Empereur décline, c'est désormais un fait admis de chacun. On pense alors que l'Impératrice profite de sa faiblesse pour l'empêcher de punir les hérétiques.

Je refuse pour l'instant d'adhérer à ces accusations. Comme le dit l'adage, c'est à l'accusation qu'il revient de fournir les preuves de ses dires. Mais la situation m'inquiète de plus en plus. Nous nous trouvons dans une situation de paralysie qui nous mène droit vers l'abîme. Sa Sainteté le Papriarche a elle-même condamné le faux dogme et appelé à sa dissolution. Si l'Empereur ne fait rien, son pouvoir risque de s'effondrer et d'être relayé par la Sainte-Créopole, ce qui conduirait tout notre système, aristocratique et fondé sur les plus dignes vertus, à l'effondrement.
Le 18 juin 2014

Je ne puis contenir un soupir de soulagement à l'écoute du résultat de la bataille de Norient, ayant opposé aujourd'hui les hommes de Lorminion aux forces de l'Armée Impériale. La guerre civile a été tuée dans l'œuf, à la grande joie de la majorité des Clovaniens. Les grands aristocrates du Palais de la Gloire avaient les yeux fixés sur le Prince Clément, lequel avait fait grand bruit en annonçant sa participation personnelle aux combats. Il semblait alors remplacer l'Empereur, qui participe de coutume aux activités militaires de l'Armée.

En parlant de l'Empereur, je sais plus de quel côté balancer à son égard, moi qui commençait à perdre espoir - Dieu me le pardonne - en sa fermeté. Sa Seigneurie Impériale a étonné tout le Palais par son discours en réaction à la déclaration de Lorminion. Il était alors plein de promesses et jurait la paix au peuple clovanien. Sa promesse fut tenue et appliquée par les armes. Je devrais me réjouir de cette initiative, mais il semble qu'elle a provoqué un dernier sursaut chez les devotis. Ces derniers sentent que leur fin est proche, il est temps pour eux de tenter le tout pour le tout. Ainsi, je crains le pire pour le pays...

En présence de sa société, le Prince Clément se répand en critiques acerbes sur les devotis, et il semble que l'Impératrice ne soit pas épargnée par ces attaques. De ma longue expérience, je sais que celui qui s'étend le plus en paroles s'expose le plus. J'admire le courage et l'audace du Prince Clément, mais je m'inquiète en même temps pour sa vie. Les devotis sont prêts à toutes les attaques, et ils parsèment le Palais de la Gloire comme un navire regorge de rats.
Le 27 juin 2014 :

C'est le cœur lourd que je contemple l'état de la Clovanie, laquelle s'apaise doucement après de sanglants tumultes qui ont meurtri sa chair. Mes soupçons, comme ceux de beaucoup des miens, se sont avérés exacts. Les devotis, dans leur haine féroce, insatiable et suicidaire, ont ôté la vie de dix-sept civils clovaniens, des innocents dont le seul crime était de ne pas reculer devant leur odieux visage. Lorsque ma femme et moi apprîmes les événements, nous demeurâmes bouches bées. Julie, qui n'avait cessé de se compromettre en audacieuses sentences sur la guerre civile, profitant des troubles pour faire de notre salon un haut lieu de ragots, comprenait alors la portée de ce que la Clovanie traverse.

Le pouvoir a réagi de même sorte, et les coupables ont été arrêtés et mis à mort le plus vite possible. Pour cela, nous devons infiniment au Prince Clément, lequel a poussé activement la Justice à accomplir son devoir le plus prestement possible. Il semble maintenant qu'une atroce rivalité intestine déchire la sphère la plus haute du pouvoir. Alors que nous nous attristons d'assister au déclin toujours plus brutal des facultés intellectuelles de notre Empereur, le Prince Clément et l'Impératrice Marine s'affrontent sans merci pour le pouvoir. Si le frère de l'Empereur semble gagner ce bras de fer grâce à la condamnation des grands devotis du pays, Son Excellence l'Impératrice demeure toujours en position de force auprès de son mari. Selon toute vraisemblance, c'est elle qui lui a dicté ses décisions, ou plutôt son absence de décision pendant tous les mois qui ont précédé.

Le Prince Clément souhaite intenter une action en justice à l'Impératrice, pour sa complicité avec le Duc de Robolioubov et sa confession hérétique. Il m'a demandé audience hier après-midi, et s'est adressé à moi de la sorte après quelques formules de politesse :


"Mon cher Georges, je sais que votre relative neutralité dans cette guerre civile révèle en vous des trésors de vertu dont je ne possède le secret. Prendre parti, c'est s'enfermer dans une catégorie, s'engager à se conformer aux dires d'un chef de file qu'on ne juge guère supérieur à nous-même en esprit. Cependant, lorsque le monde se fissure, il peut s'avérer dangereux de vouloir rester dans la brèche. Vous le savez comme moi, comme tous, l'Impératrice a déshonoré son rang, s'adonnant aux pratiques déviantes et s'acoquinant avec Robolioubov. Sa Seigneurie Impériale se meurt à petit feu, pour notre immense tristesse. L'Impératrice Marine est donc seule au gouvernail du pays, elle influence Pétroléon V dans chacune de ses décisions. Monsieur du Porche, pour le bien du pays, il faut que vous m'aidiez à mettre fin à cette mascarade politique. Des centaines de Clovaniens en sont déjà morts, faites le bon choix avant que la Clovanie fonce toute entière dans l'abîme."

Devant l'urgence du problème, ma conscience m'ordonna d'accepter la proposition du Prince. Je suis désormais impliqué dans la mise en place du futur procès de l'Impératrice. Je ne puis en divulguer davantage dans ces mémoires, au risque qu'un indiscret ne les lise, mais l'essentiel tient dans ces mots : surprendre l'Impératrice. J'ignore si ma vie est mise en jeu dans cette décision, mais j'ai la conviction de me trouver du bon côté de l'histoire, du côté de la vertu et de la vraie foi, mais aussi et surtout du bien National. Si les devotis m'assassinent, ma mort n'aura pas été vaine et j'aurais orné ma lignée d'un juste sacrifice.
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