Posté le : 21 jui. 2024 à 18:04:50
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La perle de Ieri
Ambre Alienov était assise à son bureau à Sivagundi, en train d’éplucher des dossiers. Elle terminait de revérifier les comptes après la dernière vente d’Helia Industries. Ils avaient – encore – fourni du matériel à la République Fédérale de Tanska. Au niveau de la direction, on espérait sincèrement obtenir bientôt un contrat avec eux. Peut-être une forme d’exclusivité sur les achats de matériel de la République. Ou être prévenu à l’avance, du moins. A plus long terme, on voulait devenir un producteur incontournable pour les membres de l’Organisation des Nations Démocratiques. Mais c’était pour dans longtemps, pas maintenant. Il faudrait probablement attendre une dizaine d’années encore.
Ambre ferma son ordinateur portable, prit sa tasse de café, puis se repoussa du bureau. Sa chaise, sur roulettes, glissa doucement en arrière. Elle se stabilisa, puis posa tranquillement les pieds sur le meuble (en les croisant, comme à son habitude), évitant soigneusement de toucher l’ordinateur. C’était du matériel dernier cri, il ne fallait pas l’abîmer.
Elle sirota son café tranquillement, le regard dans le vide. Dans ces moments, personne ne savait vraiment à quoi elle pensait. Même sa fille n’y parvenait pas, alors que la relation entre elles étaient forte. Eddonna Tymeri, qui était plus ou moins sa sœur d’adoption, en était également incapable. En fait, elle était juste… ailleurs. Et il valait mieux ne pas chercher à quoi ressemblait cet ailleurs, car il était plus que probable qu’il soit sombre. La vie n’avait pas été facile pour Ambre.
Soudain, elle reçut une notification sur son téléphone. « Humpf, grogne-t-elle en attrapant l’appareil, quoi encore ? » Elle avait un appel de sa fille, Elena Alienov.
« On a reçu une réponse pour le canal à Ieri.
- Et alors ? répondit-t-elle, tout en reposant sa tasse (désormais vide) et en rouvrant son ordinateur.
- Ils sont pas chauds pour nous donner plusieurs comptoirs, il va falloir les convaincre. Mais pour ce qui est du reste, ils acceptent de nous voir.
- Pas un problème la diplomatie. On saura les convaincre. Quel jour ? Dit-t-elle en recherchant dans les mails du consortium la réponse exacte de la Principauté.
- Le 12.
- Le 12 ? dit Ambre, surprise.
- Le 12, confirma Elena.
- C’est dans trois jours. Et j’ai une réunion ce jour-là.
- Une réunion, bien sûr. Pas à moi, je sais très bien que tu as rendez-vous avec Ethrasyl.
- Ne commence pas, gamine insolente, rétorqua Ambre, bien qu’un sourire lui soit montée aux lèvres. Bref, il n’empêche que c’est dans trois jours. Je peux peut-être décaler ma réunion, mais tout de même, c’est court.
- Oui, je sais. Ils ne nous laissent que très peu de temps.
- Qu’à cela ne tienne. Nous iront en avion, ce n’est pas pour le temps que ça prend. »
Il y eut un court silence, puis Elena reprit.
« Justement, c’est là le problème.
- Quel problème ?
- Ils n’ont pas d’aéroport dans la zone. Ils nous attendent en bateau. »
Ambre se figea, prenant conscience de l’absurdité de la situation.
« Attends… quoi ? Ils nous demandent d’être là-bas dans trois jours, en venant en bateau ?
- Oui.
- Mais ils ont regardé une carte ou pas ? On est à 13 milliers de putains de kilomètres d’eux ! A faire en trois jours !
- Il ne faut pas chercher à comprendre. Mais j’ai peut-être une solution…
- Dis toujours… ?
- Mais il faut savoir si on a un navire pas trop loin de Limain. »
Ambre regarda sur l’ordinateur la localisation actuelle des navires de la compagnie Alienov-Tellary. Enfin, elle en trouva un qui s’y dirigeait, et qui devrait y être d’ici moins de trois jours.
« J’en ai trouvé un, oui.
- Alors il nous suffit de voler en hydravion jusque-là, puis on embarque sur le navire. Et le tour est joué.
- Hum… Pas con. Pas con du tout même. Et est-ce qu’on a un hydravion sous la main ? »
Il y eut un silence.
« Alors, euh, oui. Mais je ne sais pas si ça va te plaire.
- Comment ça ? Qu’est-ce que tu mijotes ? »
Elena ne répondit rien, et raccrocha. « Maudite fille. Je l’ai trop bien formée. »
Le vent soufflait dans les cheveux d’Ambre tandis que le petit navire les conduisait jusqu’à l’hydravion. A bord, Elena l’attendait, ainsi que le pilote et le copilote. Le conducteur de la vedette repartit aussitôt en sens inverse : le souffle de l’hydravion était suffisant pour faire chavirer la petite embarcation, il valait donc mieux pour elle qu’elle s’éloigne.
Ambre grimpa à bord de l’hydravion, et le copilote lui expliqua ce qu’elle devait faire pour être confortablement installée. Puis, ils décollèrent. L’eau commença à s’éloigner au dessous d’eux, avant de stagner, restant à environ dix mètres en dessous d’eux.
« Je peux savoir pourquoi on ne monte pas plus en altitude ? »
Personne n’avait pensé à prévenir Ambre qu’il ne s’agissait pas d’un basique hydravion. Le véhicule était en fait un avion à effet de sol, conçu pour flotter sur le coussin d’air créé par la surpression entre le sol et les ailes. Un système ingénieux, puisqu’il évitait ainsi une surconsommation de carburant inutile pour gagner en vitesse et s’élever dans les airs.
« C’est un hydravion à effet de sol ! Ça vole juste au dessus de l’eau ! Lui cria Elena pour couvrir le bruit du moteur. »
Ambre se souvenait avoir lu quelque chose sur ce genre de véhicules, une fois. Ces engins étaient pratiques, mais dangereux. Oh, et surtout, ils ne volaient bien que par mer calme. La femme pesta intérieurement. « J’aurais, dans l’idéal, préféré un mode de déplacement un peu plus sûr. Surtout pour une rencontre commerciale. » Oh, elle avait survécu à bien pire, et vu bien des mers agitées. Il n’empêchait qu’elle avait foi en son navire, pas en une petite coquille volant à dix mètres de la mer.
Heureusement, la mer resta calme, et les deux femmes purent se reposer tranquillement. Enfin, aussi tranquillement que le permettaient les secousses régulières pour s’adapter aux vagues en dessous d’eux, mais cela ne différait pas des masses du roulis d’un navire. Lors des phases où elle était éveillée, Ambre repensa à son dernier arrêt à Limain. Celui-ci devait remonter à plus de vingt ans maintenant. La ville devait avoir bien changé, mais elle en gardait un bon souvenir. Il serait sans aucun doute plaisant d'y retourner.
Enfin, l’hydravion arriva dans la mer Blême, à moins de 1 000 kilomètres de Limain. Il amerrit en douceur, tandis que l’équipage du Syo-118 (le bateau du consortium qui voguait dans le coin) envoyait une chaloupe pour les tracter jusqu’au navire. Là, les quatre personnes montèrent à bord, où on leur offrit une cabine habituellement réservée à des membres importants de l’équipage. L’hydravion fut monté à bord à l’aide d’une grue, et l’on s’affaira pour remplir son réservoir (le carburant ayant été acheté préalablement par l’équipage du navire dans un port proche lorsqu’ils avaient reçus la nouvelle de l’arrivée prochaine de la dirigeante du consortium).
Quelques heures plus tard, le cargo arriva à quai. Ce n’était, certes, pas une entrée aussi majestueuse que s’ils avaient pu disposer d’un yacht correct, mais au vu du peu de temps dont ils disposaient, elles avaient fait au mieux. Avant de descendre, Elena remit en place sa coiffure, laquelle avait souffert du voyage. Elle voulait faire bonne impression. Le navire fut amarré, et une rampe installée pour qu’elles puissent descendre.
La foule s’était amassée sur les quais, bloquant presque le passage. Les journalistes forçaient pour essayer d’obtenir des photographies et pour poser quelques questions (en anglais) aux deux femmes. « Eh bien, quel accueil, s’étonna Elena en écarquillant les yeux. J’avoue que je ne m'attendais pas à ce que notre arrivée fasse à ce point sensation. »
« Et moi donc... Dire que je pensais que ce serait quelque chose de simple, presque dans le secret. Ils ont sorti le grand jeu, et les médias vont sans doute capitaliser sur l'évènement. Hum... Ce canal a définitivement plus de sens pour eux que je ne m'y attendais. Enfin, qu'à cela ne tienne, la rencontre n'en sera que plus joyeuse et agréable ! pensa Ambre. »
Un groupe de forces de l’ordre maintenait à grand-peine un chemin ouvert pour circuler, et quelques messieurs d’apparence importante vinrent les accueillir. Elena descendit gaiement la rampe, souriant à la foule, voire la saluant carrément. Ambre, plus réservée, descendit tranquillement, laissant par habitude sa main glisser sur le garde-fou de la rampe tandis qu'elle observait l'endroit. Elle arborait un sourire léger, signe qu'elle appréciait manifestement l'accueil, malgré un rude voyage.
Note HRPJe préfère m'arrêter là pour l'instant, pour ne pas anticiper la réaction de tes personnages. A toi la main maintenant !