21/02/2015
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Les péripéties d'Ateh Olinga (récits)

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Le progressisme


Les mouvements de foule allaient et benaient au grand palais présidentiel d’Opango. Pour dire, l’Ouwanlinda était fort prit par les affaires de l’Afarée, et l’occupant des lieux était bien décidé à ce que la grande nation d’Afarée du sud joue un rôle plus actif dans le continent. Toutes ces organisations internationales en revanche, l’UAA en tête, ce n’était pas là la vision qu’avait l’Amiral Président Ateh Olinga de la souveraineté et de l’indépendance à laquelle il était définitivement attachée. Pour lui, l’UAA n’était qu’une organisation à la visée impérialiste destinée à se confronter aux intérêts et au destin exceptionnel du peuple ouwanlindais. Récemment, ces derniers s’étaient bien compromis auprès d’un régime que d’aucun ne qualifierais de génocidaire. L’Amiral-Président est ressorti outrer de ces nouvelles, lequel a donc proposé au gouvernement de la Diambé un règlement pacifique di conflit…sans réponse. Un tel refus, il l’interprétait comme une marque de lâcheté et de complicité vis-à-vis du massacre de près de 150 000 musulmans de Diambé. Lui qui se voyait comme le protecteur et chef spirituel de tous les chrétiens et musulmans d’Afarée, il ne pouvait pas le laisser passer.

Toujours est-il qu’il faut bien gérer les autres affaires de la superpuissance ouwanlindaise, aussi bien que les affaires plus privées. L’Amiral Président ne faisait guère la différence entre les deux, si bien que l’on voyait souvent ses enfants jouer autour en pleine réunion du conseil des ministres, que Olinga n’écoutait guère assidument dans tous les cas. Ainsi, en plein exposé du « ministre du respect » Barnabas sur le rapport d’activité des (rares) hôpitaux de l’Ouwanlinda ces derniers mois, ce dernier jouait avec son fils de six ans sur ses genoux, dont il faisait déjà passer une myriade de petits tests au quotidien afin de savoir s’il était digne un jour, de prendre la suite de son père à la tête du pays. Il sortait de sa poche un vieux florius velsnien, une monnaie porte bonheur datant de la décolonisation, et le mettait devant le nez de son fils :
- Ateh Junior. Je sens que tu es destiné à de très grandes choses. Mais aussi que tu aimes les choses qui brillent. Regarde cette pièce, je vais faire un tour de magie : je vais la faire disparaître, et tu vas dans quelle main elle est.
Olinga cache la pièce et tend à son fils ses deux mains fermées, puis il reprend :
- Alors Ateh Junior, quelle main ? Il est où le florius à ton avis ?
Le gamin, tout sourire, désigna sa main droite :
- Raté, c’était la gauche Ateh. Mais ce n’est pas grave, on va recommencer en plus facile.
Cette fois, Olinga ne fit pas de tour de magie et mis la pièce bien en évidence dans sa main gauche devant son fils, voulant semble-t-il, qu’il gagne tout de même cette pièce L’enfant, toujours aussi souriant, lui désigna encore la main droite, provoquant l’irritation du père :
- Mais ce n’est pas possible ! je l’ai caché devant toi ! Bon ce n’est pas grave, prends la pièce. Mais je vais avoir une discussion avec ta mère pour savoir comment cela se fait que tu sois aussi crétin.

Le moment père-fils fut interrompu par le raclement de gorge du Ministre Barnabas, qui nécessitait l’attention du dictateur :
- Oui, ministre du respect ? Il y a quelque chose que je devrais savoir ? Est-ce que tous les ouwanlindais se respectent ? Vous avez organisé cette enquête d’ailleurs, le porte à porte que j’avais demandé pour demander aux citoyens s’ils se sentaient respectés ?
- Euh…oui bien sûr Amiral-Président. Tout le monde se respecte. (il mentait, aucune enquête n’avait été lancée.)
- Très bien ! Je vois que votre nomination porte ses fruits. Mais pour a prochaine réunion je voudrais voir les résultats de cette enquête de mes yeux. Préparez donc les données que vous avez collecté.
- Oui, Amiral-Président, mais ce n’est pas le sujet dont je voulais m’entretenir avec vous. Comme vous le savez, vous avez conféré à mon ministère la responsabilité de faire respecter l’édit d’interdiction de la polygamie.
- Oui, car chez nous, nous respectons les femmes. J’ai appris cela dans un livre Kah-tanais. C’est à la mode chez eux si paraît.
- Oui exact Amiral-Président, c’était brillant de votre part de terminer ce livre. Toutefois je me dois de signaler que cet édit a du mal à s’appliquer dans toutes les régions du pays. Nos chefs de village font souvent état de contrevenants, quand ce ne sont pas les chefs de village eux-mêmes qui en sont coupables. Nous ne devons donc d’adopter une conduite à suivre concernant ces derniers.
- N’ayez crainte, ministre du respect, je suis déjà sur le coup.
- C’est-à-dire, Amiral-Président ?

- Allons, mon bon Barnabas. Je vois que vous travaillez beaucoup pour la gloire de l’Ouwanlinda, aussi je me permets parfois d’empiéter sur vos compétences. Mais ce n’est pas contre vous. J’ai donc pris la décision d’inviter l’un de ces chefs de village à une petite visite de nos jardins, pour lui faire comprendre que désormais en Ouwanlinda, nous respections les femmes. D’ailleurs, je crois qu’il est déjà arrivé. Vous me suivez, monsieur le ministre ?
- Euh…bien sûr Amiral-Président.


Les deux hommes se promenaient dans les jardins du président, constitué de plantes qu’il avait lui-même fait venir de toute l’Afarée. C’était un endroit de repos ponctuel pour celui qui avait la lourde charge d’assurer la sécurité de l’Etat. Et c’était également un lieu idéal pour discuter à l’abri des regards indiscrets. Barnabas était certainement l’un des seuls individus dans son conseil des ministres auquel il vouait une confiance véritable, aussi il lui plaisait de s’entretenir parfois avec lui. Et c’était l’occasion de le mettre au test de ses convictions :
- Ministre Barnabas. Puis-je vous poser une question personnelle ?
- Toujours, Amiral-Président.
- Pour vous, qu’est-ce qu’un Ministère du respect ? Comment vous voyez votre rôle au sein de mon gouvernement, Barnabas.
- Eh bien. Comme vous l’avez dit, il s’agit de donner à l’Ouwanlinda des réformes visant à en faire un pays progressiste tout en oubliant pas ce qui fait de nous des ouwanlindais.
- Oui, très bien. Mais ça, c’est la fin. Je veux que vous me disiez comment vous en arrivés là. Comment vous faites pour que le respect soit garanti pour tous les ouwanlindais ?
- Par le dialogue et la compréhension mutuelle, évidemment. Vous savez, ce livre kah tanais que vous avez lu la semaine dernière en parle.
- De quoi ? Tabar le tatou ? Oui, j’ai beaucoup aimé, surtout quand Tabar réussi à retrouver sa famille de tatous à la fin, par ses bonnes actions. Mais heureusement qu’il y avait les images, sinon je ne l’aurais pas lu jusqu’au bout. Mais que se passe-t-il quand une personne en particulier ne veut pas comprendre la notion de respect. Quelqu’un qui est agressif, qui est bélliqueux, et qui fait énormément de mal aux autres par ses actions, qui refuse de comprendre. Que faire ?


Barnabas fut de plus en plus gêné par cette conversation. Il ne savait pas quoi répondre, d’autant qu’il connaissait déjà certains penchants de la personne. Dans ces situations-là, il fallait laisser Ateh dérouler sans le déranger. Aussi, il se fendit simplement d’un « Je ne sais pas, Amiral-Président ». Les deux hommes arrivèrent devant l’endroit de méditation favori d’Ateh : la fosse aux alligators. Celle-ci était magnifiquement spacieuse et décorée de crocodiles en bronze. Il y avait là une dizaine de bêtes qui s’agitaient à la vue de leur maître. Mais il n’y avait pas de chef de village au rendez-vous. Ateh trépignait devant les crocodiles comme un enfant qui retrouve ses animaux de compagnie :
- Regardez les faire la fête, Barnabas ! Hé hé ! Le saviez-vous : je peux reconnaître chacun d’entre eux par leur prénom. Mais ma préférée, c’est la mémère qu’il y a là. Sophie. Allez mange ça Sophie !
Un domestique lui avait apporté un plat de viande découpée en morceaux que l’Amiral-Président lançait.
- Elle a déjà 25 ans, mais elle est encore toute jeune dans sa tête ! – lui dit Ateh – Mangez mes amours ! Les crocodiles sont comme le peuple ouwanlindais, je les aime comme mes enfants, et ils ont faim de droits et surtout, de respect. Allez-y, Barnabas, donnez-leur de la viande, je vous en prie.


Barnabas savait bien qu’il ne s’agissait pas là d’une proposition, mais d’un ordre. Il se servit dans la plat, un morceau d’une certaine taille, puis le lança aux animaux qui se jetèrent dessus avec une vivacité stupéfiante. L’un d’entre eux le goba d’une seule traite, et broya les os en un coup de mâchoire.
- Ah c’est Stéphane qui l’a eu ! Bien joué Stéphane ! Il est rapide comme l’éclair celui-là. On dirait un zélandien qui voit un diamant par terre ! Vous savez ce que j’apprécie le plus chez les alligators, Barnabas ?
- Quoi donc Amiral-Président ?
- Les gens peuvent mentir, être mauvais par nature. C’est la nature humaine. Mais la nature des alligators est différente : ils sont guidés par leur faim, et pour cette raison, ils sont beaucoup plus honnêtes que nous. Ils ne mentent jamais.


Il y eu un silence, dans ces moments, Barnabas savait qu’il fallait appuyer les paroles ampoulées de l’Amiral Président :
- Ce sont des mots sages. Mais sur un autre sujet, ne devions-nous pas attendre l’arrivée d’un invité ? Le chef de village ?
- Ah lui ! Oui…qui vous fait dire qu’il n’est pas déjà avec nous en ce moment, monsieur le ministre ?


Olinga lui fit un signe du regard en direction du plat de friandises pour alligators. Barnabas comprit.
- On ne peut pas transiger avec la réaction et le conservatisme, mon aimé Barnabas. Il faut prendre le problème à bras le corps pour faire de la grande nation Ouwanlindaise un pays moderne. Fini la polygamie, fini les conflits religieux, fini la pauvreté ! On vit dans un monde nouveau, Barnabas, et ceux qui n’y ont pas leur place ne vont pas encombrer notre chemin. On n’est pas en Diambée ici. Par contre il y a juste un truc qui me pose soucis, un dilemme.
- Oui, Amiral Président ?
- Voyez-vous, c’est assez long de couper en corps en morceaux. Ça fait beaucoup de travail, j’ai dû engager des domestiques en plus rien que pour ça. Mais le truc, c’est qu’il faut le faire, sinon les alligators digèrent mal. Les cheveux, les ongles, les bijoux et les vêtements, ils n’y arrivent pas. Et Sophie se fait vieille. La dernière fois, on lui a jeté un touriste velsnien avec…comment les eurysiens appellent ça….une perche à selfie. Il a fallu que j’envoie un domestique pour aller chercher la perche, pour pas qu’ils tombent malades en mangeant ce gros bâton. Bref, la vie c’est parfois fatiguant même pour les alligators.
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