CYCLE LÉGISLATIF - BONGDANG
Empire du Burujoa / République Nationale-Socialiste de Maronhi

月も光る
花泥棒
Sur la montagne
La lune éclaire aussi
Le voleur de fleurs.
Une semaine avant le départ, le chat domestique du couple mannal mourut. Il n'était point fort vieux, et ce n'était pas non plus un chat de palais, tout au contraire, c'était une créature vive, aventureuse. Sa vie fut donc mouvementée, mais aussi, comme il arrive généralement aux plus téméraires, elle connut une fin abrupte et prématurée. Ashitara, le tout jeune fils du couple, qui s'était entiché du félin, tomba donc dans sa première grande tristesse. La douleur était assurément démesurée mais elle était des plus naturelle ; en effet, le monde lui était encore une chose toute nouvelle, et il était loin de se douter que la peine qui lui était causée allait être le lot de toute une vie. Pour lui faire oublier cette peine, Awara se décida de partir avec son mari et son fils, espérant que ce dernier chasse, comme nous le faisons tous, les émotions trop fortes par la distraction. C'est ainsi qu'à trois ils s'envolèrent bientôt pour BongDang, assez spécialement car il n'était pas dans les règles du régime d'accorder le moindre rôle politique, même symbolique, à la famille du porteur du grand mandat mannal.
Bientôt arrivés dans une cour vaste comprenant un grand champ de neige, le jeune fils d'Awara, quelque peu happé par ce paysage qu'il n'avait jamais vu auparavant, se laissait aller à l'émerveillement d'un monde fait de neige. Lui qui n'avait connu des merveilles de la nature que le grand bois, découvrait ce qu'il nommait « le grand froid ». Il avait entendu parler de ces vastes étendues blanches, certains de ses camarades allaient même jusqu'à affirmer que la neige était aussi une invention des grandes personnes, mais jamais il n'aurait imaginé la sensation du froid doux et crissant sous ses pieds nus. Chaque flocon, délicat et éphémère, semblait danser autour de lui, et il tendait les mains vers le ciel, capturant ces petites merveilles glacées qui fondaient aussitôt sur ses paumes chaudes. Le sourire timide, il se restreignait pourtant à se laisser aller, comme prisonnier d'une pudeur dont il était lui-même maître. Il pouvait à tout instant oublier le malheur, il pouvait se rouler dans la neige et s'en remettre à la légèreté de la vie d'enfant, mais il se contraignait consciemment. Alors qu'il observait les flocons tomber dans le champ de neige, un homme de haute stature, très richement habillé, s'approcha doucement. Avec un sourire paisible, il s'accroupit à côté du garçon et ramassa un peu de poudre glacée dans sa main.
« Vois-tu, petit, » commença-t-il, « la neige tombe sans effort, elle recouvre le sol sans bruit, sans lutte. Elle ne cherche pas à être autre chose que ce qu'elle est. Comme la neige, il ne s'agit pas de rester immobile, mais d'accepter de suivre le courant naturel des choses, de ne pas forcer, de laisser les événements se dérouler selon leur propre rythme. »
Il laissa les flocons s'échapper de sa main, les observant fondre au contact de la terre.
« Nous aussi, dans la vie, nous devons parfois savoir laisser faire, ne pas trop en vouloir, ne pas trop nous accrocher. C'est ainsi que nous trouvons la paix, en agissant sans attachement, en étant comme cette neige, légère et tranquille, qui accomplit son rôle sans effort. »
Le garçon observa le sol, et les traces laissées par l'homme dans la neige, visiblement peu convaincu par l'idée.
« Tu sais ce que me dit ma femme ? »
Il tourna vivement la tête de gauche à droite, comme pour signifier son ignorance.
« Elle qui est chrétienne, me dit souvent que Dieu est bon, que toutes choses viennent de lui et que le Mal n'existe pas de lui-même.
- Pourquoi il arrive tant de malheurs alors ? »
L'homme sourit doucement au garçon, satisfait de cette interrogation, tant elle lui paraissait commune à toute l'humanité, et tant la quête de réponse le fascinait. Il prit un instant pour observer la neige qui continuait de tomber, chaque flocon trouvant sa place sur le sol, silencieux et serein.
« Le Mal, vois-tu, n'est pas une chose en soi, mais plutôt l'absence de bien, comme l'ombre est l'absence de lumière. Quand la lumière disparaît, l'ombre apparaît, mais l'ombre elle-même n'a pas d'existence propre. Les malheurs arrivent, non pas parce qu'un mal existe, mais parce que quelque part, un bien fait défaut. Quand les hommes choisissent de s'éloigner de la bonté, de l'amour et de la justice, cela crée un vide, un manque de bien, que nous ressentons comme malheur.
- Comme le froid ?
- Exactement, comme un froid glacial qui n'est rien d'autre que l'absence de chaleur. »
Les délégations maronhienne et burujoise marchaient côte à côte plus loin dans le champ. L'homme continua, posant doucement sa main sur l'épaule du garçon, comme pour lui signifier un soutien quelconque.
« Il est difficile de comprendre pourquoi le malheur frappe, surtout quand nous voyons des choses injustes ou douloureuses arriver. Ce que nous appelons "mal" peut aussi être vu comme une partie du plan de l'Infini. Ce n'est pas parce que l'Infini désire le mal, mais parce qu'à travers ce que nous voyons comme malheur, un autre bien peut naître. Imagine la terre, avant que la neige ne tombe. Elle est nue, exposée, fragile. Puis vient l'hiver, avec son froid mordant, et la neige recouvre tout, protégeant la vie en dessous. À première vue, le froid et l'hiver peuvent sembler cruels, mais sans eux, la terre ne se reposerait pas, les graines ne germeraient pas sous cette couverture blanche, et le printemps ne viendrait jamais. Le mal, dans ce sens, n'est pas un mal en soi, mais une étape nécessaire pour la naissance d'un autre bien. »
Awara, qui s'était écarté du cortège des délégations, s'approchait. L'homme laissa son regard dériver vers l'horizon enneigé, réfléchissant à la meilleure manière d'ancrer ses paroles dans le concret.
« Un livre parle d'un homme qui a tout perdu, ses biens, sa famille, sa santé. Cet homme, en grande souffrance, questionne l'Infini, cherchant à comprendre pourquoi ces malheurs lui sont arrivés alors qu'il a toujours été un homme juste. Et l'Infini lui répond, mais pas comme il l'attendait. L'Infini lui montre la grandeur et la complexité de ce qui est, lui rappelant que l'humanité ne peut pas toujours comprendre l'ordre des choses. Ce que l'homme apprend, c'est que la souffrance, même si elle semble injuste, fait partie d'un ordre plus vaste, d'un plan où chaque douleur a sa place et peut mener à un bien plus grand. Alors, quand tu te demandes pourquoi il y a tant de malheurs, souviens-toi que ce que nous voyons comme mal peut être une étape vers quelque chose de plus grand. Peut-être que le mal est là pour nous guider, pour nous faire grandir, pour nous faire découvrir un bien que nous n'aurions jamais connu autrement. C'est difficile à accepter, mais c'est aussi une manière de trouver la paix, même dans les moments les plus sombres.
- Vôtre Majesté », enjoignit Awara à une légère inclinaison de la tête, elle qui était arrivée sur le côté de l'homme.
« Vôtre Excellence », rétorqua-t-il, en inclinant de même la tête.
Awara et l'homme, qui n'était autre que l'empereur Tadashi, ayant trouvé un instant de tranquillité, échangèrent alors sur diverses choses, mêlant souvenirs, réflexions et anecdotes, laissant leurs mots s'enrouler comme les volutes d'un feu de camp, réchauffant l'atmosphère froide de BongDang. Ashitara marchait à leur côté, écoutant les prémices de la rencontre diplomatique qui les avait mené jusqu'ici, entrant par ces brefs échanges pour la première fois dans le monde des grandes personnes. Ce dialogue se prolongea jusque tard dans la journée, sachant pourtant tous deux que les discussions formelles commenceraient tôt dès le lendemain, et qu'elles inaugureraient un nouveau chapitre dans l'histoire des échanges entre la Maronhi et le Burujoa. Les officiels de ces deux contrées se préparaient pour l'occasion de cette nouvelle rencontre, faisant suite à une première et à une seconde entente, respectivement à Karaimu et Siwa, où ce qui devait se dérouler se déroula jusqu'ici sans grande peine.