[RP] Quartier des chuchoteuses
Posté le : 17 août 2024 à 12:40:01
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Posté le : 18 août 2024 à 19:37:07
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À Siwa, une fois le ciel devenu rougeâtre, dans l'ombre tamisée des corridors, là où les araignées filaient en silence leurs toiles, une servante apparut, ses pas légers à peine audibles sur le tatami. Elle poussa discrètement la porte coulissante en papier de riz d'une pièce, là où les murmures se faisaient lames acérées dans la pénombre. À peine entrée, elle se dirigea vers un petit groupe de femmes, dont les ombres se projetaient de toutes parts, toutes affairées autour d'une tâche anodine, mais l'oreille toujours en éveil.
« Mes sœurs, » commença-t-elle, ses yeux brillants d'une excitation contenue, « je viens des appartements de Dame Kouyouri… Et vous ne devinerez jamais ce que j'y ai vu. »
Elle marqua une pause théâtrale, savourant l'attention suspendue autour d'elle, avant de s'approcher davantage, baissant la voix jusqu'à ce qu'elle soit presque un murmure. « Elle est grosse. Oui, grosse comme une lune nouvelle, mais encore discrète.
- Tu vois toujours des choses, rétorqua une comparse, la dernière fois c'était un garde à trois bras...
- Peut-être a-t-elle bien vu ! », s'écria une autre, donnant par la même occasion un coup de coude à sa voisine, avant de rentrer ses lèvres pour contenir son pouffement.
« Je l'ai vue, je vous dis ! Le ventre légèrement arrondi, dissimulé sous ses vêtements, mais il est là. »
Les autres servantes échangèrent des regards complices, certains sourires se dessinant sur leurs visages.
« Elle est vraiment enceinte, alors ?, chuchota l'une d'elles.
- Oui, j'en suis certaine, affirma la première servante, les mains jointes avec excitation, Je l'ai vue de mes propres yeux !
- Il faudrait interroger son médecin personnel, affirma la plus âgée d'entre elles.
- L'eunuque ? Il devrait être chez les hommes à cette heure-ci.
- Qu'on y envoie un saute-ruisseau !
- Kenza ?!, gueula l'aînée
- Oui ?, dit-il en portant sa voix depuis le couloir, s'approchant de l'entrée de la pièce.
- Tu vois le médecin, l'eunuque à longue moustache et au crâne lisse ?
- Oui.
- Vas le chercher s'il te plaît. Il doit être entrain de boire avec les hommes. »
Il inclina la tête et s'en alla sans courir, mais d'un pas pressé. Les murmures se multiplièrent, comme une vague parcourant la pièce. Tandis que les femmes se penchaient pour échanger leurs pensées, les ombres des onna-bugeisha veillaient, invisibles mais toujours présentes. Après quelques minutes, alors que la musique embrasait le quartier, le saute-ruisseau s'en revint, accompagné de l'eunuque. De la même manière que les enfants, les eunuques avaient passe-droit pour les deux bâtiments ; ils passaient néanmoins leur temps de loisir auprès des hommes.
« Mes demoiselles. Mes dames. Vous m'avez mandé ?
- Pour sûr dégarni !, lança l'aînée.
- Et en quoi puis-je vous venir en aide ?
- Dame Kouyouri, tu l'as vu récemment ?
- Ce matin même.
- Et alors ?
- Alors quoi ?
- Elle est grosse ?
- Je ne suis pas habilité à vous parler de l'état de santé de la Gran Man.
- Allez !, rétorquèrent-elles toutes en chœur.
- Je suis navré, dit-il en tournant les talons. Face à lui, la porte coulissante de papier de riz claqua. Deux femmes, les bras croisés, se placèrent sur son chemin.
« Tu n'as juste pas encore assez bu le dégarni... »
Une femme versa une gourde de saké dans une grande coupe. Habituellement, l'on en buvait peu, à la manière de ceux du couchant, ou l'on en coupait avec du cachiri, du manioc fermenté. L'aînée se saisit de la grande coupe et la tendit à l'eunuque. Il semblait peu convaincu par l'idée.
« Attrapez-le ! »
Les femmes entourèrent l'eunuque en un cercle serré, leurs rires étouffés se mêlant aux chuchotements. La tension était palpable. L'eunuque, bien qu'habitué à ces jeux d'intimidation, sentait que l'atmosphère était différente cette fois-ci. La coupe de saké tendue vers lui, il hésita un instant, scrutant les visages autour à la recherche d'une échappatoire. Mais il n'y en avait pas. Les mains fermes mais douces l'attrapèrent par les bras, le poussant doucement mais fermement à s'asseoir.
« Bois, dégarni, bois pour nous, » murmura une femme avec une douceur trompeuse. L'eunuque sentit la coupe contre ses lèvres, l'odeur douce et lactique du saké envahissant ses narines. Il tenta de résister, mais les murmures insistants, presque envoûtants, le pressaient de céder. La première gorgée passa difficilement, mais les suivantes glissèrent plus aisément. Sous les encouragements des femmes, il vida la coupe, puis une autre, et encore une autre. Les rires devinrent plus francs, les visages autour de lui plus flous. Les femmes continuaient de l'inciter, leurs voix devenant un bourdonnement constant dans son esprit embrouillé.
« Allez, encore un petit effort, tu peux bien nous dire ce que tu sais, » le pressa une femme en lui versant une nouvelle coupe. L'eunuque secoua la tête, cherchant à garder un semblant de contrôle. Mais l'alcool, puissant, brisa rapidement ses dernières résistances. Il finit par s'effondrer légèrement, la langue déliée par l'ivresse, lâchant finalement la vérité tant attendue dans un souffle entrecoupé de hoquets.
« Ça fait huit semai... Hic ! Ce sont des jumeaux. »
Les femmes se regardèrent, stupéfaites, tandis que l'eunuque, complètement à bout, s'effondrait contre les coussins, l'esprit enfin apaisé par l'alcool. Le murmure s'amplifia alors que les servantes échangeaient cette information explosive ; celle qui était à l'origine de tout ceci, se tenait droite, l'air satisfaite d'elle-même
« Je vous l'avais dit.
- C'était vrai... » laissa échapper l'une d'elles. Un silence s'installa. Les femmes étaient ébahies. La jeune servante qui contenait habituellement ses pouffements brisa le mutisme général de la pièce.
« Alors peut-être que la troisième jambe aussi... »