
Les vieilles modes refont surface !


Portrait d'un étudiant Albien / Portrait de Ransu Rasanen
Suivant la mode de l’ancienne royauté, symbole de distinction sociale, le tatouage oculaire revient sur le devant de la scène. Si quelques bonnes âmes puritaines s’inquiètent de l’irréversibilité du processus, celui-ci fait de plus en plus fureur et pas que chez les jeunes. Les salons de tatouage sont pris d’assaut pour demander le nec plus ultra du style : se colorer le blanc des yeux. Si le noir reste largement dominant – un choix que l’on appelle « sombre-Ransu » en hommage à l’ancien directeur de l’Albigärk Yleisyliopisto qui a popularisé ce style – le rouge et le bleu nuit sont également appréciés. Les teintes restent majoritairement sombres pour le moment pour des raisons surtout pratiques. En effet, toutes les encres ne conviennent pas pour la teinture des yeux, même si plusieurs enseignes cosmétiques pharoises ont promis d’élargir leur gamme dans les prochains mois.
« C’est tendance ! » nous explique Tuomas, jeune Albien fraîchement diplômé de sa seconde année à l’Uuden talouden yliopisto. Ses pupilles noires se confondent avec le reste de son globe oculaire, teinté de la même couleur. « J’avoue c’est Ransu qui m’a inspiré, il est plutôt beau gosse et ça fait assez stylé ! » Des arguments qu’on retrouve dans la bouche d’Eelisa, une camarade à lui. La rouquine a pour sa part fait le choix de ne se teindre qu’un œil sur deux, le gauche, en noir également. « C’est un hommage à mes origines pharoises, mes parents étaient pirates, j’ai voulu me faire un cache-œil. » Luukas, lui, préfère attendre de voir les prochaines colorations que proposera bientôt l’industrie. « J’ai peur de regretter. Le bleu marine me tente bien mais si dans trois mois ils sortent un truc génial et que je me suis déjà tatoué je le regretterai trop… »

Portrait d'Eljoras, par Ukko Mäntylä, 1819
Le tatouage oculaire est une vieille pratique de la noblesse albienne. Il se réalisait à l’époque à l’encre de seiche et, pour les plus fortunés, de calmar. Le roi Eljoras en est l’un des exemples les plus connu au Pharois, son portrait, réalisé par le célèbre peintre Ukko Mäntylä, le représente les pupilles entièrement noires. Aujourd’hui, les pigments sont produits en laboratoire et n’étaient destinés qu’à un public de passionnés ou de nostalgiques. La résurgence de cette pratique n’étonne pas Martta Jokela, historienne de la mode et de l’histoire albienne :
Martta Jokela : La culture pharoise a beaucoup rayonné ces quinze dernières années, avec un style très baroque ou au contraire minimaliste. Mais c’est Albigärk le pôle culturel historique de la région et dès lors que la flotte noire a été moins hégémonique, les Albiens sont revenus en force. Il faut dire aussi qu’avec la domination listonienne il y a eu une vraie frustration culturelle dans le sud du pays et la libération de la Commune et de ses universités a fait comme un bouchon qui saute sous la pression, les gens ont envie de s’exprimer, de revendiquer leur originalité, y compris en cassant les codes, ou en en réinventant d’anciens.
Autrefois réservée à la noblesse comme signe de distinction et de richesse, la coloration oculaire semble se démocratiser très rapidement. Au point de craindre un effet de mode passager mais irréversible ?
Martta Jokela : Dès qu’on touche au tatouage ou à des formes de transformation physique irréversibles cela inquiète forcément. On se dit que la mode va passer, que les gens vont regretter trop tard. Ceci-dit il ne faut pas y voir un pur effet de mode éphémère albienne, l’inspiration vient du Pharois malgré tout où les tatouages sont une pratique religieuse et culturelle historique. L'Eglise abyssale a longtemps tatoué le corps de ses adeptes avec des motifs d'yeux par exemple. Par ailleurs, le mode de vie pirate et travailler en mer a toujours été dangereux et ce n’est pas rare de croiser des amputés ou des blessés de guerre, les cicatrices sont même plutôt bien vues en général. Le rapport au corps est donc moins sacré et son altération plus banale. Albigärk reprend simplement les codes culturels pharois pour les réinventer à travers une ancienne pratique albienne, c’est un syncrétisme qui peut choquer les Albiens moins habitués mais c'est intéressant de voir que ça ne suscite pas du tout la polémique au Pharois.
On a quand même vu quelques commentateurs regretter « un retour au royalisme », faut-il l’interpréter ainsi ?
Martta Jokela : Je ne crois pas, on a d’ailleurs vu des vieilles familles nobles se plaindre que n’importe qui se mette à se colorer les yeux alors que la pratique leur était plutôt réservée jusque-là. La teinture oculaire a une fonction de distinction sociale et c’est dans ce but que les étudiants la font : pour se distinguer de leurs aînés et de la mode pirate qui n’est pas forcément accessible aux gens qui ne sont pas marins. Mais en démocratisant le tatouage, on lui ôte son effet de distinction et donc on lui retire son sens premier, ce qui agace les nobles qui y étaient attachés.
Doit-on s’attendre à l’apparition de nouvelles modes originales comme celle-ci ?
Martta Jokela : Je le crois. Comme je le disais il y a un besoin d’expression personnelle qui a été trop longtemps étouffé et cela va se traduire par des choses subversives ou originales. Si Albi est un l’ancien siège de la royauté, c’est aussi une Commune anarchiste depuis deux-cents ans, cela laisse des traces, il y un tradition de l’outrance et de la provocation qui, mêlée à la culture pirate pharoise et aux artefacts de l’ancienne royauté peuvent donner des résultats surprenants. La teinture oculaire en est un mais j’ai déjà commencé à voir d’autres formes de tatouages étonnantes et cela se traduira aussi probablement dans les coupes de cheveux, les piercings et les vêtements bien entendu.
Mis à part la culture pharoise et albienne, voyez-vous d’autres sources d’inspiration chez la jeunesse pharovihjoise contemporaine ?
Martta Jokela : En tant que pôle économique, le Pharois et Albigärk sont devenus également des pôles culturels. C’est toujours comme ça, on s’inspire de ce qui réussit et rayonne, d’autant plus que, même si ce n’était surtout que de la contre-culture jusque-là, le soft power pirate a pas mal marqué les esprits de nos voisins. On peut cependant voir également des inspirations venues du Grand Kah qui a également cette tradition de l’anti-conformisme. La péninsule a été l’un des premiers consommateur de pop culture kah-tanaise surtout que les pirates se souciaient assez peu de la guerre culturelle et ont toujours été davantage influencés par les inspirations althaljirs et nazuméennes par exemple. Le Grand Kah a donc occupé une niche qui était restée vide et ce n’est pas du tout surprenant d’en voir des artefacts dans la jeunesse pharovihjoise contemporaine.