Index du forum
Scène Internationale
Diplomatie internationale
Organisations internationales
Cercle Cathayen
➥ OA - Observatoire de l'Altérité
Posté le : 23 août 2024 à 14:40:45
656
Posté le : 25 août 2024 à 18:14:09
28110
(07 février 2014)
Statue en bronze de Jōchen à l'entrée de l'École de Guerre Culturelle de Siwa portant l'inscription suivante :
« Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous cent combats à mener, cent fois vous serez victorieux. ».
Intitulé du module : Ressorts et conflits de l'Occident post-moderne
Intitulé de la séance : L'Occident et le conservatisme
Intervenant : Maître Tokimoro RYUUZOUJI
Mais détruire un modèle familial traditionnel, qu'est-ce que cela signifie concrètement ? Dans son expression la plus radicale, comme présentée par un certain nombre de philosophes, détruire le modèle familial, cela peut être retirer l'enfant de sa mère dès la naissance, pour le faire éduquer par quelqu'un d'autre, afin de lutter contre le déterminisme social par exemple. Cela pourrait aussi être un abandon total de l'idée de foyer familial, où tous les enfants seraient éduqués par la communauté tout entière, idées paradoxalement souvent raccrochées aux fantasmes de sociétés dites traditionnelles. Et si tout cela peut prêter à sourire tant l'on associerait ces dires à des scénarios de science-fiction dystopiques, sachez que ce sont pourtant des solutions sérieusement envisagées par de nombreux penseurs, ce pour ce qui leur semble être de très bonnes raisons. D'ailleurs, le dystopique est presque toujours de l'utopique ayant mal tourné. Parce que derrière l'idée de détruire la famille se cache une intention qui se veut bonne en réalité : anéantir les inégalités. L'idée d'abolir la famille, qui est donc une idée typiquement progressiste, consiste à punir tous ceux qui sont nés dans une famille aimante et fonctionnelle, pour la simple raison que certains naissent dans des familles dysfonctionnelles. D'ailleurs, quelque chose d'intéressant, c'est que l'un des arguments qu'on retrouve le plus souvent pour critiquer la famille, c'est qu'au sein des familles elles-mêmes, il peut y avoir des dérives, des abus, des violences, etc. C'est-à-dire que le meilleur argument pour critiquer la famille traditionnelle, ce n'est pas de critiquer son fonctionnement normal, mais bien son dysfonctionnement. Alors, sans aller jusqu'à la dystopie collectiviste, aujourd'hui, la destruction du modèle familial dans l'Occident socio-libéral passe par beaucoup d'autres choses, que ce soit la monoparentalité, la GPA, l'isolation de l'individu, la relativisation des fondements du mariage, et plus encore.
Déjà, lorsqu'on parle de monoparentalité pour l'Occident post-moderne, il s'agit pour écrasante majorité de situations monomaternelles. À ce niveau-là, il y a d'ailleurs eu une sorte de glissement assez intéressant, puisque le discours est passé d'un encouragement à ne pas stigmatiser les mères célibataires, ce qui est bien normal, à une véritable incitation à fonder des familles sans père, que ce soit au nom de la liberté individuelle ou de l'émancipation féminine. Le combat pour les progressistes aujourd'hui, c'est donc de normaliser la monoparentalité, d'expliquer à quel point la figure de la mère célibataire est épanouissante et source de liberté. Toujours plus nombreux sont les propositions médiatiques et culturelles faisant l'éloge de stars qui ont eu "le courage de s'émanciper" et d'être des mères célibataires. Sauf que, vous vous en doutez bien, quand on a le compte en banque de ces stars, la monoparentalité, c'est une toute autre expérience que quand on est une femme de classe moyenne, voire prolétaire. D'autant plus que, comble du comble, de telles célébrités sont en mesure de payer grassement des nourrices pour pallier à leur absence. Donc, leur monoparentalité, si elle est possible, c'est en bonne partie grâce au travail d'autres femmes qui sont, elles, beaucoup moins fortunées. Mais si la monoparentalité est aussi mise en avant, c'est aussi parce que les diverses formes de systèmes d'aide sociale le permettent. Aujourd'hui, quoi qu'on en dise, le rôle du père a été largement diminué au sein de la famille occidentale, que ce soit tant symboliquement, mais aussi tant d'un point de vue purement matériel. Les femmes peuvent se débrouiller, sans l'aide d'un père, avec les aides sociales, ce qui conduit d'ailleurs a augmenter le pourcentage de pères démissionnaires fuyant leurs responsabilités.
Malgré cela, la famille monoparentale est perçue comme un progrès par certains, tout simplement parce qu'elle s'éloigne du modèle traditionnel, qu'elle représente un changement et donc un progrès. Mais le modèle familial traditionnel est encore défendu par une très grande partie de la population. En fait, la famille semble même demeurer l'un des derniers bastions du conservatisme. En dépit d'efforts pour mettre à mal son modèle depuis les révolutions culturelles, et notamment au nom de la lutte contre les inégalités, on ne compte plus les appels à s'émanciper du carcan familial. Dans l'imaginaire collectif, "la normalité" familiale, avec le pavillon, les enfants, le chien, la voiture familiale, est devenue quelque chose de repoussant. Tout ce qui se rapporte à la famille traditionnelle est vu avec dédain, comme un cliché à fuir absolument. Malgré tout, l'institution résiste ; elle est durable, ancrée depuis des siècles et des siècles dans les mœurs, qui a forcément ses imperfections, mais qui, par l'expérience, a prouvé qu'elle était une institution viable. Et les peuples s'y sont naturellement attachés, même s'il devient plus difficile de parler de peuples dans des contextes où les individus sont encouragés à l'isolation. La morale populaire n'est cependant pas encore tout à fait morte. Et c'est peut-être un peu contre-instinctif, mais la morale populaire est beaucoup plus sévère que la morale bourgeoise. Khoro Kouyouri disait d'ailleurs à ses comparses dans les années 80, dans un contexte où ceux qui se rapprochaient idéologiquement de ses positions craignaient l'autonomisation progressive des localités : « N'ayez surtout pas peur du peuple, il est plus conservateur que vous. » Et cela vaut tant ici qu'en Occident.
Le simple fait d'énoncer que l'évolution de la définition du mariage pourrait être un pas vers la transformation du modèle familial peut sembler inacceptable pour beaucoup, voire condamnable. Cela peut paraître révoltant, car s'opposer à cette évolution revient à s'opposer à l'égalité. Pourtant, peu de personnes comprennent la logique qui se cache derrière cette opposition. Mais qu'est-ce que le mariage, au juste ? Jusqu'à récemment, il était défini comme l'union d'un homme et d'une femme en vue de la procréation. Si l'on part de cette définition, il n'y a pas de véritable inégalité, car tout le monde, quelle que soit son orientation, a le droit de se marier avec quelqu'un du sexe opposé dans le but de procréer. Imaginez que vous alliez au marché et que vous aperceviez des ramboutans. Si vous êtes allergique aux ramboutans, vous n'en prenez pas, mais aucune loi ne vous interdit de le faire. De la même manière, selon cette définition du mariage, le mariage élargi serait une contradiction dans les termes. Avant toute évolution législative, personne n'était privé du droit de se marier dans le cadre traditionnel. Il s'agissait simplement d'une question de préférence individuelle. Le mariage n'implique pas seulement l'union de deux personnes, sinon cela n'aurait pas posé tant de problèmes. Des formes d'union civile existaient déjà pour cela. Non, la différence fondamentale est que le mariage implique la procréation. Et comme la procréation dans ces nouvelles configurations n'est pas possible de manière naturelle, cela nécessite des ajustements dans l'organisation sociale. En d'autres termes, au nom de la liberté individuelle, la société elle-même doit être modifiée. C'était là l'argument principal contre cette évolution du mariage : il ne s'agissait pas d'interdire certains droits par simple plaisir de priver, mais plutôt de craindre les conséquences de ces changements sur la société.
Médiatiquement, l'accent a été mis sur la privation de liberté, faisant paraître la position des conservateurs comme étant celle de gens cherchant à priver autrui de droits légitimes. Il est évidemment difficile de justifier une telle position lorsque présentée ainsi. Cependant, pour pallier à l'incapacité naturelle de certaines configurations à produire des enfants, il faudrait introduire toute une série de mesures pour compenser cette inégalité naturelle. C'est en grande partie cette crainte de transformation radicale qui a poussé à s'opposer à ces changements. Une fois que l'on modifie la définition du mariage, il n'y a plus de limites. On pourrait alors envisager toutes sortes d'unions, qui pourraient être considérées comme des avancées au nom des libertés individuelles. Mais les conservateurs posent une question cruciale : quel prix le bien commun doit-il payer pour cette liberté individuelle ? Pour eux, chaque modification apporte son lot de conséquences, souvent imprévues et parfois négatives. Alors que le progrès est souvent perçu comme une progression linéaire vers un monde meilleur, pour les conservateurs, en tant que philosophiquement pessimistes, considèrent plutôt que chaque changement comporte des risques, des compromis qui ne doivent pas être pris à la légère. Ils prônent une approche plus lente, où les évolutions sont préférées aux révolutions. En somme, l'opposition à ces transformations n'était pas simplement une question de refus du changement, mais une préoccupation profonde quant aux répercussions de ces changements sur la société dans son ensemble. Tandis que le progressiste voit dans ces évolutions une avancée vers un idéal, le conservateur y voit un potentiel danger pour l'équilibre social, craignant que chaque pas en avant ne se fasse au détriment de quelque chose d'essentiel. En fait, le monde est divisé entre conservateurs et progressistes ; le rôle des progressistes est celui de faire des erreurs, celui des conservateurs, d'empêcher plus d'erreurs d'êtres faites, mais aussi aux erreurs faites d'être corrigées. Même si le révolutionnaire prend conscience de ses erreurs, le traditionnaliste, lui, est en train de défendre cette erreur comme une partie de la tradition. En fait, le conservateur ne peut pas empêcher les changements. Il ne peut que les ralentir, les atténuer.
Ralentir le changement, c'est aussi forcer la réflexion et la prise de recul sur les changements en question. Prétendons-nous dans ce cas que la vie ne vaut rien ? Alors oui, le conservateur mène peut-être un combat perdu d'avance. Mais après tout, la vie elle-même n'est-elle pas un combat perdu d'avance ? Et surtout, pourquoi le fait qu'un combat soit perdu d'avance signifierait que c'est un combat qui ne doit pas être mené ? Le conservateur est un pessimiste parce qu'il prend l'homme pour ce qu'il est et non pas pour ce qu'il devrait être, et c'est pour cela qu'il se base sur l'expérience ainsi que sur les habitudes humaines. Le maître mot du conservateur, c'est essentiellement cela, l'expérience, ou ce qui révèle la capacité des institutions à traverser les époques. Pour ce conservateur, le fait qu'une institution ait réussi à traverser les siècles, c'est en soi une preuve de sa viabilité. Seulement voilà, ces institutions qui réussissent à traverser les siècles, c'est précisément ce qu'on appelle la culture dominante ou la culture majoritaire, c'est-à-dire ceux que les progressistes, en raison de spécificités liées à l'Occident et à la perte de confiance en ce qui fut sa modernité, cherchent à détruire à tout prix. Ces derniers ne voient que les défauts et vivent persuadés de pouvoir faire accoucher d'un mieux. Mais cela ne veut pas dire pour autant que le conservateur vise un monde qui serait parfaitement figé. Ce qu'il prône, ce n'est pas un monde figé, c'est un monde qui évolue par lui-même, de la même manière que le sursaut cathayen pour redonner un souffle de vie à la civilisation confucéenne. Mais forcément, cette auto-évolution engendre une évolution lente, dû moins sur le plan socio-culturel. En fait, le conservateur laisse le temps travailler. Les changements et les évolutions se font de toute façon de manière tout à fait naturelle. Prenons l'exemple de la langue. La langue évolue naturellement selon l'usage, mais plus récemment, au nom d'un idéal, fut cherché à être imposer des manières de parler. Le conservateur ne nie pas l'évolution naturelle de la langue, mais il rejette ces changements forcés. Cette manière de faire, particulièrement autoritaire, qui cherche à imposer de nouvelles manières de parler, voire même de penser.
Mais il y a autre chose qui le caractérise et qui le différencie du progressiste, c'est que pour le conservateur, la communauté humaine a plus de valeur que l'individu. Le conservateur s'oppose à l'idée que l'augmentation des libertés individuelles favoriserait le bien commun. Le progressiste part donc d'une intention qui lui semble bonne. Mais le conservateur, lui, n'y croit pas. Le conservateur croit en la nature humaine, là où le progressiste s'oppose frontalement à cette idée. Le progressiste, lui, pense que tout n'est que construction sociale, que tout n'est que culture, et que donc, l'homme et la société humaine peuvent être façonnés comme bon leur semble. Et il a vitalement besoin de croire en cela, parce que s'il n'y croit plus, c'est tout son système de pensée qui s'effondre. Mais en croire en la nature humaine, qu'est-ce que cela signifie ? Eh bien, c'est penser que l'homme présente des invariants, que ce soit d'ordre affectif, moral ou politique, peu changeant au fil des siècles. Et preuve en est d'ailleurs, aujourd'hui, quand on lit les maîtres des écoles de pensée antiques, on se rend compte que leurs questionnements, leurs problèmes, leurs états d'âme, et surtout, leurs enseignements, sont encore extrêmement pertinents aujourd'hui. Pour le conservateur, il est inutile de chercher à créer un monde parfait, parce que de toute manière, l'homme est imparfait. La meilleure solution, selon lui, ce serait donc de prendre en compte ses imperfections, et de chercher à comprendre l'homme sans l'idéaliser. Et quoi de mieux que l'expérience pour comprendre comment nous dépatouiller de nos imperfections ? Il est ce qu'on appellerait en philosophie, un pessimiste, à ne pas prendre dans son sens commun. Un pessimiste est quelqu'un qui adopte une vision négative de l'existence, estimant que la souffrance, le malheur, ou la déception sont inhérents à la condition humaine. Ces pessimistes peuvent voir le monde comme fondamentalement imparfait, et la quête du bonheur, les valeurs positives, comme vouées à l'échec ou illusoires. Mais le progressiste, lui, c'est un indécrottable optimiste, il croit sincèrement en la possibilité d'un monde meilleur. Et si un monde meilleur est possible, alors tous les sacrifices sont justifiables, tous les coups sont permis pour l'atteindre, y compris les pires horreurs. Mais pour le progressiste, qu'importe les leçons de l'Histoire, qu'importe l'expérience, seul compte le rêve, l'espoir d'un monde meilleur. Cela le conduit à porter un regard tout particulier sur le passé. Avec les révolutions culturelles, commença à s'installer dans le commun une vision franchement négative de l'Histoire, un rejet radical du passé, là où les Lumières concentraient leurs attaques sur une période particulière tout en érigeant une autre en modèle, forgeant par la même une image trompeuse sur la période médiévale, car celle-ci étant le pinacle du pouvoir de l'Église et des seigneurs. À ce moment-là de rejet systématique, les enseignants ont commencé à ne plus assurer, ou relativement mal, leur rôle de transmission d'un héritage.
D'ailleurs, à partir de cette période, le niveau scolaire a connu une baisse, tant selon les attentes des méthodes d'enseignement que d'autonomisation des élèves dans leurs réflexions. Par une dévaluation de la valeur des éducations alternatives, notamment manuelles, on été remis en cause jusqu'aux méthodes d'enseignement des cursus généraux. Ainsi, l'enseignement a été revu à la baisse au nom de l'égalité. Si l'idéal est trop élevé, si certains ne peuvent l'atteindre et que nous voulons pourtant par désir d'égalité que tous suivent le même chemin, alors il suffit d'abaisser l'idéal. On ne cherche plus à élever l'homme, mais à abaisser le niveau d'exigence. La critique de la culture eurysienne est devenue la norme. Et bien entendu, ce n'est pas un mal en soi. Mais la remise en question historique a tellement été exagérée qu'elle a fini par se transformer en une amnésie partielle. On ne se souvient que du négatif, et on ne fait plus l'effort de remettre les choses dans le contexte. Le passé, même si beaucoup s'en défendent, est devenu dans l'imaginaire collectif un mal ; seul compte désormais le futur. En fait, derrière le déni du passé historique, il y aurait l'idée, consciente ou pas, de se préoccuper le moins possible du passé, en pensant que moins on en sait, plus on sera libre de faire du nouveau. Et cette remise en question à outrance de l'Occident et de son passé, elle a fini par se retourner contre lui. L'Occident a notamment beaucoup remis en cause son propre ethnocentrisme. Sans plus nous étaler, l'ethnocentrisme est cette tendance naturelle qu'a chaque groupe ethnoculturel de tout juger à travers son propre système de référence. C'est quelque chose qui peut avoir ses limites, parce que, analyser les comportements d'une tribu awanapi par exemple, à travers les valeurs de la société nazumo-ylmasienne, n'a aucun sens. La remise en question de notre propre ethnocentrisme est quelque chose en soit de plutôt sain. Mais pour l'occidental, cette tendance à lutter contre l'ethnocentrisme a fini par prendre de telles proportions qu'elle a fini par lui faire perdre confiance en ses propres ressources. L'occidental a fini par adopter un relativisme qui lui a fait perdre toute estime de lui-même. Et dans certains pays, c'est développé une "mauvaise conscience", parce que concentrées sur les pages sombres de l'histoire. Est ainsi choisi, presque volontairement, d'oublier tout le reste, au point où certains en arrivent à vouloir expier pour les crimes du passé. Et cette haine du passé nourrit cette fois, quasi aveugle, en l'avenir. Plus encore, cette haine du passé, et cette volonté de tout relativiser à l'extrême, finit par contaminer d'autres domaines. Aujourd'hui, une partie de l'occident en vient à douter de l'humanisme - raison pour laquelle, en partie, nous parlons de post-modernisme - à douter que l'espèce humaine soit un bien pour la planète ou qu'elle soit supérieur d'une manière ou d'une autre aux autres espèces. Tout est relativisé à l'extrême. Alors voilà, le progressiste, par espoir en l'avenir, finit par rejeter le passé. En politique, cela se traduit par le fait de toujours promettre du nouveau, du changement, en permanence.
Mais alors, lorsque l'on ne prône pas le changement, que prône-t-on ? La conservation, l'habitude, la routine. Mais la routine, le commun rêve de la casser, de s'en échapper. Rien ne fait moins rêver que la routine. La routine, tout comme le mot conservateur, est un mot qui, dans l'espace occidental, est très souvent employé de manière péjorative. Les seuls domaines dans lesquels ce mot n'est pas utilisé dans un sens péjoratif, ce sont dans les domaines entrepreneurial et sportif. Dans ces domaines là, la routine est précisément ce qui va permettre de développer, de créer, de transcender. La routine, c'est un mal nécessaire, et être conservateur, c'est aussi ça, c'est affirmer que certains maux sont nécessaires. Ce qui semble être la perversion du progressisme c'est sa tentation essentiellement positiviste de vouloir supprimer toutes les difficultés de la vie, de vouloir rendre la vie parfaite, parce que paradoxalement, c'est précisément cela qui produit le plus de catastrophes. La vie nous met à l'épreuve, nous fait souffrir, c'est cela qui fait notre force, notre caractère, et même notre personnalité, chose déjà comprise dans le rapport du système chrétien à la douleur, perfectionnée dans la doctrine thomiste. Au contraire, ce qui a le plus tendance à nous rendre malheureux ne sont pas des choses modifiables grâce à la politique, ce sont des choses liées à l'intime, d'où cette volonté optimiste de considérer que tout est politique, de s'immiscer absolument partout, de proposer une vision maximaliste du rôle de la politique, ce dans l'espoir de tout contrôler entre l'individu et l'État, jusqu'à renverser les garde-fous qui protégeaient l'individu de son aliénation par l'État seul dans le cadre où cet écroulement aurait déjà été opéré, par la politique dans le cadre où cet écroulement n'aurait pas encore eu lieu.
Si je m'intéressais à la famille un peu plus tôt, c'est parce que la famille est aussi l'institution où le conservatisme s'incarne ; il s'agit de l'institution dans laquelle s'attache le commun à préserver ce qu'il détient pour pouvoir le transmettre. Pour certains progressistes, preuve en est les troubles révolutionnaires qui ont récemment traversé le Communaterra, la famille est quasiment quelque chose de fasciste, mais surtout quelque chose qui entretient les inégalités et donc il faut se débarrasser, idée absolument sans nouveauté s'il en est, car pour les plus hellénistes d'entre vous s'il y en a, vous aurez déjà en tête une idée similaire développée dans les dialogues platoniciens. Quelques philosophes antiques développent cette idée dans le contexte d'un modèle de cité idéale, où les classes sociales (gardiens, auxiliaires, producteurs) sont strictement définies, et où les gardiens (les futurs dirigeants) doivent être élevés dans un environnement commun, sans connaître leurs parents biologiques. Ce modèle extrême d'éducation collective et d'abolition des structures familiales est proposé pour assurer l'égalité et l'unité de la cité, en éradiquant les distinctions de naissance et en formant des individus entièrement dédiés au bien de l'État. De plus, la famille est aussi le lieu où l'on inculque aux enfants les valeurs, des valeurs qui ne sont pas forcément en adéquation avec celles que les maximalistes tentent d'imposer en immisçant la politique jusqu'aux sphères les plus intimes. Fonder une famille, c'est avant tout un sacrifice. Il s'agit de sacrifier son temps, son argent, son énergie, pour quelqu'un d'autre ; c'est faire passer quelqu'un d'autre avant soi.
Vouloir effacer toute forme de contrainte n'a aucun sens. La liberté humaine n'existe pas malgré la contrainte, elle existe à travers la contrainte. Ce qui ne signifie pas qu'il ne faut pas lutter contre l'injustice et chercher à diminuer la souffrance. L'exemple du mariage des personnes de même sexe et de ses conséquences est tout particulièrement révélateur, parce que l'idée qu'il puisse y avoir des mariages homosexuels est quelque chose qui devient très largement accepté dans la sphère occidentale par une large partie de la population, y compris chez les conservateurs. Cependant, si le conservateur peut comprendre la douleur d'un couple de même sexe de ne pas pouvoir avoir d'enfants, ils s'interrogent néanmoins sur les conséquences globales qu'apporteront la GPA à la société, une évolution qui semble toute naturelle. Car c'est une manière de plus de réduire l'être humain à une marchandise. Aujourd'hui, les causes sociales préférées des optimisto-progressistes sont l'avortement sans restriction, la facilitation du divorce, l'éducation radicale, l'égalité sexuelle et l'abolition de la peine de mort. Le point commun de tous ces combats, c'est qu'ils ont tous été remportés quelque part en Occident. Mais dans chacun de ces cas, les avertissements des conservateurs, qui à chaque époque ont été considérés comme stupides, se sont tous avérés vrais ; le lanceur d'alerte est soit trop en avance, et donc un complotiste, soit trop en retard, et donc un rétrograde. Le divorce y est devenu une banalité aujourd'hui, et il a des conséquences autant pour les adultes que pour les enfants. De même, certaines femmes découvrent aujourd'hui que la libération sexuelle, initialement proposée comme libératrice donc, s'est avérée être une nouvelle forme d’asservissement de la femme. Le contrôle des naissances simplifie beaucoup la vie, mais les femmes ont des enfants de plus en plus tard et ont souvent du mal à en faire, sans parler de tous les autres problèmes qu'une grossesse tardive peut engendrer. La libération sexuelle a aussi été l'une des plus importantes causes de 'accroissement de la jalousie, explication première de l'explosion de la violence conjugale. Ce qui est mis en cause finalement, c'est la jalousie elle-même, ce avec l'espoir en tête de modifier la nature humaine. Certains viendront néanmoins à proposer des exemples de sociétés, souvent tribales et insulaires, où les mœurs, et notamment en ce qui touche la liberté sexuelle, sont libres, dû moins en apparence. En effet, les observateurs occidentaux de ces sociétés, font une erreur dont ils se sont eux-mêmes montrés critiques, celle de l'ethnocentrisme. Appliquant leur grille de lecture sur leurs observations, ils ont fait l'erreur de voir en la liberté des uns, la liberté des autres, et fait fi de l'extrême violence qui pouvait s’abattre sur les rares individus qui ignoraient les interdits.
Ce que l'Homme post-moderne d'Occident a gagner n'est autre que la possibilité de s'émanciper de toutes les contraintes naturelles, dans un premier temps, avec les progrès techniques, puis des contraintes sociales et familiales avec les "progrès" sociaux. Cet Homme n'a plus de responsabilité, et cela c'est l'une des grandes craintes des conservateurs : les conséquences de la déresponsabilisation des individus. Mais est-il pour autant plus heureux ou plus malheureux que ses ancêtres ? Il est assez difficile de répondre à cela. Mais lorsque quelques uns, dont nous faisons partie, voient les conséquences de certains progrès, ils sont en droit de se douter que le changement soit nécessairement quelque chose de positif. Pour le conservateur, le progrès technique n'est pas synonyme d'amélioration de l'Homme. La civilisation ultra-technique semble pour lui mener au vice, à la paresse, mais aussi à la destruction. C'est le cas dans le domaine des avancées techniques et sociales, mais c'est aussi le cas dans les avancées artistiques, qui devraient pourtant échappe en substance à cette vision linéaire du progrès. Dans ce domaine là, le conservateur n'hésite pas à voir le progrès comme un signe de déclin. Au début du XXe siècle, les idées du dadaïsme, du surréalisme et de l'anarchisme sont propagés par la bourgeoisie, puis se sont diffusés dans la jeunesse avec les révolutions culturelles au point d'être devenues aujourd'hui une norme indépassable. Ainsi, beaucoup considèrent que le but même de l'art est de choquer, non pas que l'art puisse être choquant, mais que sa vocation première soit de choquer. Il y a une recherche du renversement des valeurs ou de la norme, mais qui sans ces valeurs ou cette norme, ne serait plus rien. L'artiste doit nécessairement être un rebelle, même si paradoxalement, la révolte et la figure du rebelle sont devenues tellement communes qu'elles ont fini par devenir un nouveau conformisme, au point où le bourgeois, agissant par réflexe du conformisme, vient par exemple à s'extasier du frisson causé par ce qui est rebelle, car en dehors de quelques instants provoqués en trainant avec de "mauvais garçons" pour causer une émotion, il éclot dans un milieu parfaitement protégé des conséquences chaotiques des comportements réellement rebelles.
Finalement, comprendre le conservatisme comme une simple opposition au progressisme, est une vision des choses qui reste encore trop simpliste. Au delà d'une opposition de visions dans l'acquisition d'un bien - au sens d'une chose bonne - avec d'un côté une perception du changement comme une perte ou une addition des biens, et de l'autre une perception de jeu d'équilibre, de bien pris quelque part pour autre part, le conservatisme n'existe que par rapport au progressisme ; il est indissociable de la modernité. Le conservatisme est la volonté d'arrêter ou de ralentir le mouvement, hors, sans mouvement, il ne peut pas y avoir de volonté de retenir le mouvement. En fin de compte, loin de s'opposer au progressisme, le conservatisme le complète ; il est son filet de sécurité. Il est là entre autres pour assurer la stabilité quand le progressisme fait des erreurs. Le rôle du conservatisme est de permettre à la société de se pérenniser, de se préserver, et même ce qui permet les sursauts des révolutionnaires. La révolution, la contestation, la rébellion, sont un luxe que peuvent se permettre ceux qui savent au fond que les institutions sont suffisamment fortes pour empêcher la destruction totale de ce qui leur permet, malgré tout, de vivre libres et protégés. Conserver signifie à l'origine,"préserver", "garder", "assurer le salut", "garder en mémoire", c'est-à-dire faire tout à fait l'inverse de la révolution, qui elle, cherche à faire table rase pour commencer une nouvelle ère. Le conservateur ne cherche pas à provoquer des changements que personne ne désire de près ou de loin ; il demande à préserver ce qui existe déjà, ce qui fait partie de sa "tradition". Mais le conservateur souffre aussi d'un sentiment d'infériorité morale, parce qu'il ne promet pas monts et merveilles. Au contraire, il est même là pour calmer les ardeurs des plus philosophiquement optimistes ; il est en son essence un pur rabat-joie. Ainsi, le conservatisme, dans sa forme actuelle, comporte un défaut majeur, celui de ne pas proposer de discours positif, mais de se fonder essentiellement sur la dénonciation des risques que nous encourons à vouloir dépasser notre condition. Et c'est cela, pour faire fleurir sa vision, qu'il doit désormais dépasser ; même si son rôle est de se positionner contre, le conservateur a la possibilité de tout faire pour chercher également à proposer quelque chose. Et surtout, il lui est possible de chercher à faire ce que le progressiste fait infiniment mieux que lui : séduire. Car, ce dernier, est pour l'équilibre qui fut celui qui promet le bonheur en tenant une lame sous la gorge. Mais au fond, l'homme post-moderne, celui qui a perdu confiance en sa modernité, le sait très bien, seulement, son dégoût pour le terne et l'ennuyeux de ce qui est proposé comme l'évidence lui fait toujours choisir la lame, parce que c'est avec celle-ci que vient le rêve.
Posté le : 27 août 2024 à 12:35:46
9418
(14 mars 2014)
Statue en bronze de Jōchen à l'entrée de l'École de Guerre Culturelle de Siwa portant l'inscription suivante :
« Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous cent combats à mener, cent fois vous serez victorieux. ».
Intitulé du module : Idéologies et réalités d'Occident
Intitulé de la séance : Questions-réponses sur les discours idéologiques
Intervenant : Maître Karawanashi AKIKUNI
Effectivement, c'est quelque chose qui est souvent asséné ici et là pour sauver l'idée communiste de ses tentatives de réalisation concrètes. Ce qui a été tenté dans les pays socialistes serait une trahison, une déviation, mais l'idée du communisme elle, serait restée pure et sans tâche. Il faudrait donc dès lors tenter une autre expérience. Très simplement, je pense qu'il s'agit d'une affirmation puérile. On peut bien sûr penser que les pères de cet ensemble de doctrines ne se seraient pas reconnus dans les pays dits communistes qui se sont revendiqués d'eux. Après tout il suffit de se souvenir que certains, durant toute leur vie, bataillèrent violemment contre toute forme de censure. On pourrait imaginer que les politiques répressives et la censure féroce qui avaient et ont cours dans quelques uns de ces pays leurs auraient déplu. L'on pourrait examiner dans le détail leurs œuvres et les actions de Lorenzo Geraert-Wojtkowiak, de Xaïomara, de leurs prédécesseurs jusqu'au début du XXe siècle pour voir si ces derniers se sont écartés ou non des pères. D'un point de vue intellectuel, tout cela n'est pas inintéressant, mais d'un point de vue historique, tout ceci est complètement insignifiant.
Prenons le cas du Christ et du christianisme pour mieux le comprendre. On peut très bien s'interroger de la même manière sur le lien qui unit le discours du Christ et celui de Paul. Comme pour les pères du communisme, certains peuvent dire que Paul a falsifié ou a récupéré le discours du Christ et l'on pourrait se dire, de la même manière, que le Christ ne se reconnaît pas forcément dans le christianisme de Paul, ni dans celui de la période médiévale, ni dans celui des réformés par exemple. D'un point de vue intellectuel, tout cela est intéressant, une fois encore, mais précisément, la force et la grandeur des Évangiles résident dans le fait qu'ils ont engendré tous les christianismes, et qu'ils continuent encore de les résorber tous perpétuellement dans leur sein. Le génie d'un fondateur de religion ou d'un créateur d'école se mesure à l'abondance des produits qui iront se situer de même à l'intérieur de son discours, et qui prétendront tous être ce discours. Il a existé par exemple une quantité folle de sectes ou de courants chrétiens qui ont peut-être chacun réalisés un aspect du projet proposé par le Christ, mais seuls quelques uns d'entre eux ont acquis le poids historique pour décider effectivement ce qu'était le christianisme. Et c'est justement ce qui compte le point de vue historique, car il n'y a pas de royaume d'idée pure ou absolue qui permettrait de mesurer si une idée a été bien appliquée ou non. C'est parce que Paul c'est revendiqué du Christ et c'est parce que les eury-communistes se sont revendiqués des pères du communisme que leurs discours respectifs ont acquis un poids historique.
Dans le même ordre d'idées, cette affirmation selon laquelle le vrai communisme n'aurait jamais été appliqué est assez révélatrice de l'idéalisme d'une partie de ceux qui se revendiquent pourtant être des matérialistes. Car il n'y a pas de parfaite continuité entre la théorie et la pratique pour la simple et bonne raison que nous ne maîtrisons pas les circonstances dans lesquelles nous posons nos actes ; c'est le principe bien connu de l'hétérotélie qui stipule que toute action entraine des conséquences qu'elle n'a pas forcément voulue ou prévue. Et moi-même en m'adressant à vous, je ne sais pas exactement comment vous aller comprendre de tout ce que j'ai énoncé jusqu'à présent. Je suis peut-être maître de mes propres paroles, mais je ne suis pas maître de votre compréhension de mes paroles. Dire que le vrai communisme n'ait pas été véritablement appliqué ci et là, voire jamais appliqué nul part, est à la fois vrai et complètement faux. Oui, le communisme pur tel qu'en rêvent certains n'a jamais été appliqué, mais il est tout aussi ridicule de dire cela au prétexte que l'idée à dû faire des compromis avec la réalité que de dire que la monarchie n'a jamais réellement été appliquée car la réalité des royautés d'Eurysie médiévale et moderne ne correspondait pas exactement à l'idéal de la monarchie mixte dépeint par les thomistes.
Tout cela pour dire que d'un point de vue philosophique et méthodologique, il n'y a pas à opposer l'idée pure et la pratique, car la pratique n'étant jamais en adéquation totale avec la théorie. Pour autant, je n'en resterai pas là et dirai que l'idée même du communisme est hautement critiquable. Le communisme est intrinsèquement pervers, il n'y a donc pas à s'étonner qu'il débouche inévitablement sur le despotisme. Il y a de multiples voies pour critiquer le communisme et se rendre compte du caractère fondamentalement vicier de son idéal. Des premiers aristotéliciens et de leur critique de la communauté des biens à nos contemporains avec leur sociologie du communisme, l'on peut trouver de nombreuses réflexions pour éclairer le caractère particulièrement nocif de ce courant politique. Alors bien sûr, il serait impossible de revenir sur l'ensemble de ces critiques ici, dans un simple échange questions-réponses, mais peut-être devrais-je un jour consacrer un module à part entière sur le communisme. Toutefois, si vous vous interrogez sur ce phénomène historique que fut le communisme et sur les effets concrets qu'il produit sur les hommes, plus que des écrits théoriques, je vous inviterai d'abord à vous intéresser aux écrivains ressortissants de pays dits communistes ou anciennement communistes, qui furent témoins du communisme et de ce qu'il inflige aux hommes. Nous avons désormais du recul sur la question et il serait peut-être intéressant de profiter de leur expérience plutôt que de disserter sempiternellement de façon abstraite sur ces questions.
Afin de vous éclairer rapidement avant tout approfondissement, je vais ici vous exposer trois idées principales dégagées de l'observation du modèle communiste. Le communisme repose sur une socialisation par la désocialisation, sur une dépossession du langage et sur une rééducation des âmes. C'est à priori paradoxal, mais la société communiste se caractérise avant tout par une désocialisation, c'est à dire par la destruction des rapports sociaux élémentaires, que ce soit ceux des liens familiaux ou amicaux. Ces liens sont rendus impossibles sous le communisme car chaque relation doit passer par la médiation d'une tierce personne ou d'une tierce instance, le parti, la police secrète, le mouchard, etc. Quand deux individus se rencontrent, "je" serai avec eux, "moi', c'est le parti, c'est-à-dire le mouchard. Le frère est un frère pour le frère, l'ami pour l'ami en passant par la police. C'est la règle de la plus grande disjonction des liens sociaux entre les hommes, de la rupture des liens d'homme à homme. Ainsi, contrairement à ce que l'on pourrait attendre, il n'y a plus rien de commun ou de communautaire dans la société communiste, car à partir du moment où toutes les relations humaines doivent passer par un tiers, le lien social est aboli. Ceux qui ont cours d'histoire du christianisme se souviendront peut-être de la phrase du Christ : « À chaque fois que vous serez réunis, je serai avec vous. » Le pouvoir communiste en est la perversion, car il ne s'agit plus d'une présence transcendente, mais d'une omniprésence immanente étouffant toute spontanéité dans les relations humaines. Cette omniprésence d'un tiers dans chaque relation humaine pour s'assurer de l'orthodoxie de chacun aboutit à un morcellement de la société et une suspicion généralisée où chacun est à la fois l'ami et l'ennemi intime de chacun. Et cette destructuration touche jusqu'à la cellule familiale elle-même.
La deuxième idée centrale est celle de la dépossession de la langue, car non seulement le communisme a instauré un régime d'exploitation impressionnant, mais il a simultanément imposé une représentation idyllique de la réalité obligeant non seulement les hommes à dire que cette image était la réalité, mais à le croire. L'asservissement, l'arbitraire, la vie errante, la faim auraient été incomparablement plus faciles à supporter si les hommes n'avaient pas été forcés de les appeler : liberté, justice, bien du peuple. Les exterminations massives ne sont pas dans l'histoire des accidents exceptionnels, la cruauté est dans la nature des hommes, des sociétés. Tout cela prend une nouvelle dimension qui traduit une oppression plus profonde et plus subtile ; une gigantesque entreprise de corruption du langage humain. Si seulement cela n'était que mensonges et hypocrisie. Le mensonge est dans la nature humaine, tous les gouvernements sont hypocrites. Mais l'hypocrisie des gouvernements provoque la colère. Ici, toutes les expression de colère sont étouffées dans l'œuf une fois pour toutes. Le mensonge est une infirmité ou une perversion de la langue et comme la vocation naturelle du langage humain est d'établir la vérité ou les vérités, les mensonges sont par nature partiels et éphémères ; confrontés à l'aspiration de la langue à la vérité, ils apparaissent comme tels. Mais dans les cas qui nous intéressent, les instruments de leur dénonciation ont été à jamais confisqués. L'individu a été dépossédé des liens habituels ou tout simplement logiques et naturels entre les noms et les choses, les faits ; ces liens ont été aliénés, étatisés afin que chaque mot puisse désigner toute chose, selon le bon plaisir de l'usurpateur de tous les mots, de toutes les significations, de toutes les choses et de toutes les âmes. Plus les faits sont ignobles, plus leurs noms sont pompeux.
Et enfin, la troisième idée centrale est celle de la rééducation des âmes, d'un monstrueux corpus visant à refondre l'âme humaine. Je veux souligner, j'insiste beaucoup là-dessus, que l'essence du communisme, c'est avant tout la rééducation des âmes. C'est le but éducatif que certains philosophes du XVIIIe siècle poursuivaient avec l'idée de contrat social. Cette rééducation ne visait pas à éliminer tout facteur de désordre, elle visait au contraire à créer un désordre délibéré permettant d'opérer une destructuration radicale de l'identité. Mais en quoi consiste la conception communiste des rapports sociaux ? Il faut commencer par tuer la vie intérieure de l'Homme, conduire celui-ci à la désorganisation psychique, à l'assassinat et à l'agonie psychiques.